Carnets sur sol

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mercredi 29 décembre 2010

Histoire de l'opéra allemand : essai (raté) de schéma


Contrairement aux développements de genres et styles parallèles dans l'histoire de l'opéra français ou aux ruptures dans l'histoire de l'opéra italien, l'opéra allemand suit en réalité un chemin assez linéaire, qui ne se complexifie qu'à l'orée du XXe siècle.

Toutefois, à cette date, les courants et les langages deviennent si riches, si complexes, s'entrecroisant et se contredisant jusque chez un même compositeur, et quelquefois menant deux courants idéologiquement antagonistes à des résultats sonores similaires... qu'il est assez difficile de proposer cela sous forme synthétique. On serait incomplet, ou bien allusif et obscur, ou au contraire trop détaillé.

En l'occurrence, le résultat sera trop touffu pour les lecteurs plus néophytes.

Bref, le résultat de cette tentative n'est pas satisfaisant, mais on le livre tout de même, à titre de repère (un tiens valant mieux...)

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1. Exception hambourgeoise : un seria local

L'opéra allemand n'existe pas au XVIIe siècle en tant que genre. Il existe peut-être des partitions expérimentales enfouies, mais je n'en ai jamais vu, et elles resteraient de toute façon marginales.
On cite une Dafne de Schütz (1627), dont seul le livret subsiste, mais rien qui puisse permettre de documenter un genre en tout cas.

Il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir apparaître des exceptions locales. On jouait alors l'opéra italien partout en Europe, sauf en France, et plus précisément cet opéra seria. Ce genre opératique était né en Italie de la fascination croissante pour la voix comme instrument, au détriment du projet original d'exalter un poème dramatique par la musique. On y trouvait des airs clos (dits "à da capo", c'est-à-dire de forme ABA') très virtuoses, entre lesquels l'action avançait rapidement par des "récitatifs secs" (une écriture rapide et peu mélodique, calquée sur la prosodie italienne et uniquement accompagnée par la basse continue).

Il a cependant existé, pendant des périodes plus ou moins restreintes, des exceptions locales en Europe (cour de Suède par exemple), et spécialement dans certaines villes d'Allemagne. On y écrivait aussi du seria, avec les mêmes recettes... mais en langue allemande.

Quelques compositeurs célèbres se produisirent à Hambourg : Haendel (son premier opéra, Almira, Königin von Kastilien, était en allemand sur un livret adapté de l'italien) et Telemann, mais aussi Reinhard Keiser, qui produisit près de 70 opéras, et quasiment tous pour Hambourg. On trouve aussi mention de Philipp Heinrich Erlebach, Georg Caspar Schürmann ou Johann Christian Schieferdecker, dont certaines oeuvres sont disponibles au disque, mais qui n'ont pas, aujourd'hui encore, de grande renommée.
L'Orpheus de Telemann, comble du syncrétisme, mêle même des airs en italien et des choeurs en français, selon le caractère recherché, à une trame allemande.

L'opéra hambourgeois est un opéra virtuose, bien écrit, qui adopte certaines tournures harmoniques spécifiquement germaniques, et dont les récitatifs sont par la force des choses assez différents des italiens... mais il ne s'agit que d'une adaptation limitée géographiquement d'un genre qui vient de l'étranger. On est très loin d'un opéra proprement national.

2. Le Singspiel, première forme originale

Au milieu du XVIIIe siècle, apparaît une forme nouvelle, une version comique de l'opéra, qui s'apparente à l'opéra comique français : des "numéros" musicaux (airs, ensembles, parfois pièces d'orchestre...) clos sont entrecoupés de dialogues parlés, le tout étant en langue allemande.

La forme trouve probablement son origine avec les miracles du XVIIe siècle, mais on considère que ses "inventeurs" sont Hiller & Weisse, qui collaboraient ensemble vers le milieu XVIIIe siècle.

C'est le genre dans lequel sont écrits les opéras allemands de Mozart : Bastien und Bastienne, Die Entführung aus dem Serail, Die Zauberflöte. Peu d'oeuvres d'autres compositeurs de l'époque sont disponibles au disque : Holzbauer par exemple, qui est extrêmement intéressant ; ou (Paul) Wranitzky dont l'Oberon, König der Elfen (1789) est un bijou déjà très romantique, bien plus moderne que la Flûte Enchantée (1791) par exemple.

Ainsi, la naissance d'un opéra réellement attaché à la langue allemande se fait sous la forme comique et hybride du parlé et du chanté. Ce qui n'aura pas une conséquence durable sur son évolution.

3. Développement sérieux du Singspiel

Suite de la notule.

vendredi 24 décembre 2010

La voix idéale (1)


Prenons-nous à imaginer une voix à l'articulation parfaite et expressive, à l'impact assez physique, dense et mordante, mais non sans clarté.

Elle ne se trouve pas forcément communément chez les noms qui fédèrent les publics les plus larges, mais elle existe.

(vidéos suivent)

Suite de la notule.

mercredi 22 décembre 2010

Histoire de l'opéra italien : essai de schéma

Sur le même principe que pour l'opéra français, on tente de brosser à grands traits l'histoire de l'opéra italien.

On pourrait d'ailleurs parler d'histoire de la musique italienne, tant le vocal prévaut sur les autres genres dans la péninsule.

Suite de la notule.

mardi 21 décembre 2010

Legato et port de voix


Cette notule a été préparée avant de s'apercevoir qu'il existait déjà une entrée sur un sujet similaire. Aussi, pour les attaques par en-dessous et leur différenciation d'avec le port de voix, on renvoie à la notule de novembre 2007.

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1. Définition et catégories

Le port de voix (ou portamento) désigne le fait, pour un chanteur, de lier une note à la suivante en opérant un glissement. Comme un legato un peu insistant, c'est-à-dire que les deux notes seront solidement liées l'une à l'autre.

Il existe deux types de port de voix, selon les écoles de chant.

  • a) Ce peut être fait simplement en annonçant la note suivante tout en conservant la voyelle précédente. (Type Freni.)
  • b) Ce peut être fait comme un glissando, en passant par les notes intermédiaires. (Type Tebaldi / Callas : école italienne plus ancienne.)


Vous pouvez écouter ces interprètes pour vous en faire une idée.

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2. Exemple

Prenons un mot fréquent, "volons", qu'on va chanter sur l'intervalle ascendant do - fa.

  • Exécution normale : vo (do) - lons (fa).
  • Port de voix de type a) : vo (do) - o (fa) - lons (fa).
  • Port de voix de type b) : vo (do) - ooooooooo (montée jusqu'au fa) - lons (fa).

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3. Avec le son

Et voici la version sonore :


Quatre essais :
1) Un beau legato, préparé, fondé sur les consonnes constrictives ([v] puis [l]). On sent le mouvement dès la première syllabe.
2) Legato standard.
3) Portamento a), on prépare la note suivante.
4) Portamento b), on glisse vers la note suivante (généralement plutôt utilisé en descente).

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4. Homonymie

Le "port-de-voix" (ou "tour-de-gosier") est aussi à l'époque baroque française un agrément qui s'apparente au gruppetto (une ornementation qui fait le tour de la note écrite), mais c'est une autre histoire.

Suite de la notule.

lundi 20 décembre 2010

Histoire de l'opéra français : essai de schéma


On parle beaucoup du sujet sur CSS, mais finalement, on n'a pas encore dressé de point de vue surplombant pour reclasser tous ces gens dans leur époque et leur style.

Voici donc une très rapide nomenclature, proposée sur un site voisin, avec un ton un peu informel.

Suite de la notule.

Bellérophon : Le retour du dernier Lully - III - Quelle musique ?


  • Partie I : Avanies d'un livret à six mains.
  • Partie II : Structure et originalités du livret.


3. La musique

Peu de spécificités dans cet opus, globalement très réussi. On note assez peu de tubes, peu d'ariettes aussi (par rapport à Psyché créée l'année précédente par Lully - une pièce qui à cause de son origine de tragédie-ballet en regorgeait) ; guère d'airs qui trottent dans les oreilles après un acte ou une représentation.
Une très large majorité de l'oeuvre, comme c'est l'usage chez Lully, est donc confiée uniquement à la basse continue pour accompagner au plus près les récitatifs des chanteurs. Très peu de divertissements aussi.

Même la chaconne, partis pris de Rousset aidant, est presque cachée dans son duo d'amour paisible de l'acte II (II,2). Elle est de toute façon très brève, et peu variée, juste un morceau de mouvement, presque aussi allusive que celle de l'acte I d'Atys ("Si j'aimais un jour par malheur") - à telle enseigne qu'on peut plus parler de sarabande que de chaconne [1], même si le balancement et surtout les chromatismes à la basse, les petites variations sont caractéristiques. Il est vrai qu'à l'exception de Cadmus, Lully ne magnifie pas beaucoup ses chaconnes avant Persée.

Lire la suite.

Notes

[1] La sarabande est une danse lente à trois temps, accentuée sur le deuxième (avec des mesures de type noire-blanche), typique des suites de cour et même des suites instrumentales qui fleurissent ensuite au XVIIIe siècle. La chaconne (qu'on différencie peu de la passacaille) s'apparente à une sarabande, souvent jouée un peu plus vive, avec une basse obstinée et des reprises variées.

Suite de la notule.

dimanche 19 décembre 2010

Bellérophon : Le retour du dernier Lully - II - Spécificités et bizarreries d'un livret à quatre mains


Partie I.

2. La qualité disparate d'un livret à six mains
2.1. Aspect général

Cette genèse est réellement sensible dans l'écriture du livret.
En effet, des sections de ton et qualité assez disparates se succèdent - sans que cela ne recoupe, d'ailleurs, la répartition précisée par Fontenelle...

La trame elle-même est assez simple :

  1. Sténobée, veuve du roi d'Argos Prétus, aime Bellérophon. Celui-ci a repoussé son amour, et la reine a donc confié la vengeance à son gendre Iobate, le roi de Lycie. Ce fut en vain et Bellérophon a si bien surmonté tous les périls que Iobate décide de lui faire épouser sa fille, amante et aimée de Bellérophon.
  2. Après cet acte I heureux de façon assez inhabituelle, l'acte II fait la place aux affrontements et aux enchantements : dispute entre Sténobée et Bellérophon, dispute entre Sténobée et Amisodar, enchantements d'Amisodar et naissance de la Chimère.
  3. L'acte III prend acte de la dévastation causée par le monstre, et la consultation d'Apollon révèle que seul le fils de Neptune pourra tuer le monstre et épouser la princesse, ce qui écarte de fait Bellérophon, fils de Glaucus.
  4. Tout l'acte IV montre le triste état du royaume de Lycie, et s'achève avec la détermination de Bellérophon de courir à sa mort en affrontant le monstre, sans espoir de victoire. Mais, secondé par Pallas, il triomphe de la Chimère.
  5. Enfin, le dernier acte explique la victoire de Bellérophon (fils caché de Neptune) et voit la confession et le suicide par le poison de Sténobée.


La construction dramaturgique en est donc relativement bancale : un acte et demi de situation stable (seulement troublée par les récriminations de Sténobée), un acte III qui tient tout entier dans la rupture du mariage heureux et la consultation d'Apollon, un acte V qui redouble la fin du IV (la victoire sur le monstre est suivie de la victoire sur les forces maléfiques qui l'ont suscité).

2.2. Ecriture

Le style lui-même oscille entre des sentences, imitées de celles traditionnelles chez Quinault, mais formulées avec assez de maladresse ici (le public sourit souvent)... et des fulgurances poétiques dont on a peu d'exemple dans la tragédie lyrique. En effet, indépendamment d'un style un peu sec, loin des galanteries et mignardises de Quinault, on trouve à quelques reprises des pauses descriptives de toute beauté. En particulier lorsqu'Amisodar avertit Sténobée contre les conséquences meurtrières de ses désirs (II,5) :

AMISODAR
Je puis de la nuit infernale,
Faire sortir un Monstre furieux :
Mais vous mesme tremblez d'exercer en ces lieux
Une vangeance si fatale.
Preparez-vous à voir nos Peuples allarmez,
Et nos Villes tremblantes.
Le Monstre couvrira de torrents enflamez
Nos campagnes fumantes
Et nos champs ne serons semez
Que des restes affreux de Victimes sanglantes.

et lorsque les lyciens pleurent leur paix perdue (IV,4) :

Dieux des Bois
Les Forests sont en feu, le ravage s'augmente,
Ce n'est par tout qu'épouvante & qu'horreur.

Napée & Dryade
Du Monstre comme vous nous sentons la fureur,
Voyez cette Paline brûlante.

Dieux des Bois
Helas ! que sont-il dévenus
Ces Bois dont nous faisions nos retraites tranquilles ?

Napée & Dryade
Ces Eaux qui serpentoient dans ces plaines fertiles,
Ces Eaux, helas ! ne coulent plus.

Dieux des Bois
Que de tristes alarmes !

Napée & Dryade
Que de sujets de larmes !

Tous ensemble
Pour adoucir le Ciel qui voit tant de malheurs,
Joignons nos soûpirs & nos pleurs.

Ainsi, si globalement le livret laisse une impression assez mitigée, on y rencontre aussi des beautés qu'on serait en peine de retrouver dans une autre tragédie en musique...

2.3. Spécificités de la trame

Suite de la notule.

samedi 18 décembre 2010

Bellérophon : Le retour du dernier Lully - I - Aventures du livret


Voici enfin venue la création tant attendue du dernier ouvrage de Lully qui n'ait jamais été remonté depuis l'ère du disque. Pourtant, ce fut l'un des plus grands succès publics de Lully, bien supérieur à Atys par exemple.

Les lutins de CSS avaient prévu de remonter au moins des parties de l'ouvrage, mais faute de temps pour réaliser toutes les basses continues des éditions Ballard, il a bien fallu laisser Christophe Rousset leur griller la politesse... Ce qui n'est pas forcément un mal pour Lully, convenons-en.

Aussi ils se borneront ici à leur rôle traditionnel d'exégètes respectueux. [Mais qu'on se rassure, des nouveautés piquantes sont en préparation.]

1. L'histoire d'un livret composite, source de discordes

Bellérophon, créé en 1679, est la seconde (et seule) tragédie en musique de Lully à avoir été conçue sans Quinault, en disgrâce à cause des interprétations faites à la Cour du livret d'Isis. Comme pour Psyché l'année précédente, Bellérophon est confié à Thomas Corneille, frère cadet de Pierre. Et comme Psyché, ce livret est en réalité un patchwork.

Pour Psyché, la raison en était simple : la version originale, une tragédie-ballet (semi-parlée) devait être entièrement chantée, et il fallait donc retravailler le texte d'origine, déjà composite. En effet, Molière avait été secondé par Pierre Corneille, Quinault avait écrit les parties chantées et Lully la plainte italienne !

Pour Bellérophon, l'attribution est plus complexe. Thomas Corneille, dont l'adaptation de Psyché avait été jugée inférieure à l'originale par ses contemporains (je précise au passage que ce n'est pas mon avis), avait été mandaté pour l'écriture de ce nouveau livret. Néanmoins, Fontenelle affirma être à l'origine du plus clair de l'oeuvre, à l'exception du Prologue, de la première scène de l'acte IV, du nom d'Amisodar et de quelques ariettes (ce qu'on appelait des canevas et qu'on appelle aujourd'hui lyrics en comédie musicale) qui auraient été dûs à Boileau.

Une lettre tardive de Fontenelle aux auteurs du Journal des Savants est assez révélatrice de l'imbroglio des revendications successives de l'oeuvre - et les résume assez clairement pour remplacer notre résumé partiel. Je la reproduis partiellement ici, telle qu'elle figure dans l'édition Bastien / Servière des oeuvres de Fontenelle (1792).

Messieurs, on a mis à la tête d'une nouvelle édition des Oeuvres de Boileau Despréaux en 1740, Bolœana ou entretiens de M. de Monchesnay avec l'auteur. Il y a dans ce Bolœana quelques endroits que je me crois obligé de relever, parce qu'ils attaquent injustement un nom illustre, et qui doit m'ètre extrêmement cher. Je vous demande en grâce. Messieurs, que ce que j'ai à dire sur ce sujet paraisse dans votre journal, qui me donnera auprès du public un passeport favorable.

Suite de la notule.

samedi 11 décembre 2010

Jean-Michel DAMASE - Colombe - poétique de la clarté... et gâchis


En réécoutant Colombe, je suis à nouveau frappé par la qualité exceptionnelle de l'ouvrage.

L'occasion d'en détailler quelques ressorts en proposant quelques extraits (mis en ligne par nos soins, puisqu'aucune édition officielle n'existe pour que le public ait ne serait-ce que l'idée de réclamer l'ouvrage...).


Contexte de la scène : Julien, récemment marié à la timide Colombe, doit partir pour le service militaire, ayant refusé de louvoyer pour se faire réformer. Il est contraint de la confier au milieu décadent d'un théâtre dont sa mère, qu'il déteste, est l'actrice principale.
Ici, Julien, sur la foi d'une dénonciation, revient par surprise pour déterminer si Colombe l'a réellement trompé et avec qui.

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On remarque plusieurs choses :

  • L'écriture musicale est fondée sur un récitatif très mélodique, permis par une orchestration claire : les accords respirent, l'accompagnement est plus souvent ponctuation des vents que doublure écrasante par les cordes comme dans l'opéra traditionnel. D'où un grand naturel, vu la qualité exceptionnelle de l'écriture prosodique de Damase (et celle des interprètes ici).
  • La présence de motifs récurrents (par exemple la colère de Julien, qui monte toujours dans le grave de l'orchestre, comme par hoquets), utilisés comme soutiens inconscients et non comme signaux - l'inverse de ce que font les leitmotive germaniques, en somme. Ici, le motif ne fait pas sens, il souligne une émotion en sollicitant furtivement la mémoire auditive de l'auditeur.
    • De la même façon, certaines ponctuations instrumentales reprennent ce qui a été formulé à l'instant par la voix, comme si cela pénétrait progressivement la conscience de Julien et préparait sa réaction ("Mon petit rat... cette vieille loque !").
  • Le plus impressionnant est que la musique épouse les flux d'émotion des personnages (et singulièrement Julien, tantôt crédule, tantôt sombre) : l'accompagnement des mensonges de Colombe est d'un élan, d'un lyrisme, d'une luminosité incroyablement séduisants. C'est que jusqu'à la rouerie de la femme aimée a quelque chose de terriblement brillant et fascinant.
    • Chaque portion de réplique est colorée de façon différente, à la façon du kaléidoscope des émotions de la vie réelle, se succédant, se nuançant sans cesse. Et pourtant, nullement l'impression d'un patchwork désagréablement bigarré ni de mickeymousing : la poussée de cette musique permet de lier ensemble toutes ces sections.
    • Par ailleurs, on trouve quantité de clins d'oeil (la trompette lorsque Colombe badine sur le mot "général", ou encore le rythme discret de marche souple pendant l'évocation du camp de Châlons), assez délicieux.


Stylistiquement, on se situe quelque part entre les raffinements du Strauss des conversations de musique (Intermezzo et Capriccio, mais pas sans rapport avec le lyrisme de Der Rosenkavalier et surtout Arabella) et le ton plus français (badin et bigarré) de Poulenc, mais sans la grandiloquence de l'un ni la grisaille [1] de l'autre - une forme de quadrature du cercle.

En somme, du vaudeville assez grinçant de Jean Anouilh, où personne n'est épargné (Julien vertueux mais égoïste, Colombe superficielle au fil de sa nécessaire émancipation), Damase produit quelque chose de plus touchant, avec des profils très imparfaits évidemment, mais terriblement attachants. Et la séduction mélodique de son récitatif, la couleur de son orchestre léger, la poussée constamment allante de sa musique n'y sont pas pour rien.

Il est réellement triste que cette oeuvre, parmi d'autres bijoux, ne soit pas accessible autrement que par les réseaux de passionnés, alors qu'on enregistre tant de fois les mêmes scies. Il existe réellement des répertoires à la fois de première qualité et séduisants pour un vaste public qui demandent légitimement à être sauvés de l'oubli. En l'occurrence, c'est en plus en français, donc facile d'accès pour le public concerné. Peut-être aussi les conservatoires, dans leurs spectacles de fin d'année, plutôt que de jouer maladroitement des scies, pourraient se pencher sur ces oeuvres pas trop difficiles et assez efficaces. Il est sûr en revanche que ça ne prépare pas les interprètes à des rôles qui seraient amenés à soutenir leur carrière pendant des années...

Suite de la scène (et distribution) :

Notes

[1] Grisaille des émotions, souvent teintées d'une certaine tristesse ou d'une mélancolie pas très enjouée ; grisaille surtout de la prosodie, toujours assez plate chez lui.

Suite de la notule.

dimanche 5 décembre 2010

Petits conseils pratiques - aux chanteurs débutants et aux étudiants en chant


1. Pourquoi ce guide ?

Le chant a la particularité évidente d'être un instrument intégré au corps humain. Ce faisant, il ne peut être contrôlé visuellement comme toute autre pratique instrumentale. Et il pose donc des difficultés de perception et d'action sur ses mécanismes au chanteur débutant.

C'est pourquoi on se propose ici d'énoncer un petit vade mecum à destination du chanteur débutant, avec quelques conseils qui nous paraissent salutaires pour éviter les erreurs.

2. Préalable en forme d'avertissement

Tout ce qui est dit et écrit sur le chant l'est souvent sous la forme de vérités intangibles, partagées très honnêtement par celui qui les énonce, comme on le ferait pour un article de Foi. Il faut donc se défier de tout ce qui prétend résoudre tous les problèmes ou s'appliquer à tous les chanteurs. Il y a beaucoup de façons d'émettre un son correct, même à l'intérieur de la seule tradition opératique (qui se prétend très souvent supérieure aux autres, mais cet axiome est amplement discutable).

Ainsi, on va se limiter ici à donner des pistes de choses à éviter et de choses à faire, sans chercher à vendre une technique ou une vérité - que chacun recherchera ensuite selon sa physiologie, son tempérament, ses objectifs de répertoire, l'offre de cours de son secteur...
Ce sont de toute façon essentiellement des conseils issus d'observations empiriques qui se révèlent tout simplement de l'ordre du bon sens... mais qui ne sont pas souvent énoncés avant la prise de cours...

De surcroît, il est prudent, comme pour n'importe quelle autre source, d'appliquer cette défiance raisonnable aux préceptes mêmes qui seront proposés sur cette page. Et c'est bien ce qui est difficile en chant : on ne peut pas faire confiance à ses perceptions, mais on ne peut pas non plus faire (pleinement) confiance aux autres...

3. Puis-je travailler seul ma voix ?

Il est tout d'abord très fortement déconseillé d'apprendre seul. Il se trouve que les lutins sont totalement autodidactes (réellement : jamais aucun cours), mais c'était avec une assez ancienne fréquentation critique des enregistrements lyriques, des lectures de commentaires sur les techniques qui y sont utilisées, etc. Par ailleurs, la technique développée répondait à un besoin précis (lied et baroque français en particulier) qui ne nécessite pas la construction d'une grande machinerie très sonore. Pas sûr qu'on puisse faire aisément de même pour bâtir une voix wagnérienne opérationnelle dans de grandes salles.

C'est un chemin difficile et hasardeux, qui peut toujours être tenté lorsqu'on ne fait confiance à aucun professeur, mais qui ne peut échapper à la catastrophe qu'à condition d'avoir déjà une culture auditive de ce qu'est le son d'opéra émis sainement.

Bref, à moins d'avoir des exigences très précises ou d'habiter dans un lieu reculé où sévit un seul briseur de voix, prenez un professeur.

4. Ma voix est-elle exploitable à l'Opéra ?

Oui. Toutes les voix, même laides et microscopiques, peuvent devenir belles et bien projetées, avec parfois un timbre très différent de la voix parlée. Non pas qu'on puisse obtenir n'importe quelle voix avec chaque individu, mais les possibles sont larges (et généralement surtout limités par le choix initial du professeur...).

En revanche, les voix ont des limites naturelles :

  • Leur hauteur et leur étendue ne peuvent pas être complètement modifiées. On ne choisit pas d'être basse profonde plutôt que ténor léger, par exemple.
  • Leur caractère et leur volume sonore sont limités - typiquement, les grandes voix pour les répertoires les plus lourds sont souvent émises avec de grands résonateurs, c'est-à-dire qu'il est rare d'être capable de chanter Wagner si l'on fait moins d'1m65 et de 60 kilos (ou inversement d'avoir les aigus de la Reine de la Nuit en mesurant 1m85 pour 90 kilos).
  • Certaines habitudes de phonation et certaines caractéristiques physiologiques aident certaines voix, à travail égal, de produire des résultats bien plus probants. Il ne faut pas en déduire pour autant que parce qu'on a une voix à construire, on n'est bon à rien ; mais que certains organes soient plus prédisposés au chant lyrique, c'est un fait généralement partagé.


Si l'on ne cherche pas à outrepasser ces limites, tout est possible en réalité, selon le type de technique que l'on choisit d'adopter. C'est bien pour cela que le choix d'un professeur ne peut pas se faire à la légère : il oriente à la fois votre couleur vocale, vos aptitudes techniques et stylistiques, votre répertoire. Il vous ouvre des portes et vous en ferme d'autres.

5. Comment trouver un bon professeur ?

C'est la grande question. Mais un peu de méthode permet d'éviter quelques écueils.

=> Contrairement aux autres instruments, l'institution n'est absolument pas une garantie de qualité. Des professeurs de conservatoires réputés peuvent être catastrophiques tandis que des professeurs d'école de musique ou en cours particuliers peuvent être excellentissimes.
Ce n'est donc pas le critère discriminant, à part pour des raisons de carrière (le diplôme) ou de prix (les cours particuliers sont évidemment chers).

=> Il faut d'abord se demander ce que l'on veut chanter et dans quel contexte. Lully, Vivaldi, Bellini, Verdi, Wagner, le lied, la mélodie ? Le choix du professeur ne sera pas le même selon qu'on désire avoir un legato parfait ou une diction incisive, un timbre radieux ou une puissance dévastatrice.
Même chose, si l'on n'a pas d'ambition professionnelle, on peut se contenter d'une voix pas surpuissante pour chanter le grand répertoire dans son salon ou de petites églises. Il ne faut pas faire le même choix si l'on rêve de saturer Bastille.

=> Une démarche intéressante est de cibler des interprètes que l'on aime (si possible qui ont une bonne technique aussi !) et de faire quelques recherches sur leurs professeurs, de façon à voir chez qui ils ont acquis ce que l'on aime chez eux, cette conduite de ligne impeccable, cette diction merveilleuse, cette richesse de timbre ou cette franchise d'émission...

=> Dans le doute, il est peut-être (mais c'est purement une hypothèse personnelle) plus prudent d'aller voir un baroqueux (école française en particulier), qui posera quelques bases en respectant l'instrument et sans brusquer la voix, quitte à ensuite chercher quelqu'un d'autre pour amplifier le volume. On voit tellement de voix presque irrémédiablement grossies, tubées, blanchies, opacifiées...

=> Quasiment tous les professeurs se revendiquent de "l'authentique technique italienne". Dans la plupart des cas, si certaines bases sont communes, on reste assez loin de cette fameuse chimère (il existait de toute façon des techniques extrêmement disparates en Italie à l'époque du supposé Age d'Or...) et c'est purement un argument commercial. Se fier donc uniquement à son objectif de départ (qu'est-ce que je veux chanter et comment ?), et pas aux promesses de filiation, à part si ce professeur a réellement été durablement l'élève d'un autre professeur important.

6. Quels sont les préalables avant un premier cours de chant ?

Le cours de chant est un exercice difficile. Au début de l'apprentissage, l'instrument varie énormément selon les agressions extérieures (temps de sommeil, temps de parole dans la journée, stress, composition du dernier repas, taux d'humidité...).
Quelques conseils pour en tirer parti.

=> Les chanteurs professionnels et les professeurs ne sont pas toujours cultivés sur leur art. Avoir une solide culture du chant lyrique (répertoire, techniques) et avoir une idée de ce qu'est une émission saine est très fortement conseillé pour ne pas se perdre. Car le professeur peut donner de mauvais conseils, ou fournir des images maladroites, ou d'excellents conseils appliqués de travers par son élève.
Il faut donc à la fois être suffisamment confiant pour suivre la route qu'il trace et suffisamment informé et critique pour ne pas croire que ce qu'il est dit est forcément la meilleure chose possible. Les chanteurs qui vénèrent leur professeur de chant sont rarement excellents. Et tous ceux qui ont un peu l'ambition de progresser en changent plusieurs fois...
Il serait peut-être même judicieux d'apprendre d'abord à écouter, de se faire une culture "vocale" avant que de pratiquer, quitte à repousser d'un an ou deux ses débuts.

=> Dans le même ordre d'idée, s'enregistrer très régulièrement (un micro à 5€ branché sur un PC suffit). L'idéal est même de s'enregistrer tout le temps, pour évaluer ou retrouver quelque chose qu'on a produit pour la première fois. Et cela évite la tension lorsqu'on branche exceptionnellement l'enregistreur.
On peut ainsi observer les évolutions positives ou négatives, effectuer des vérifications, retrouver des sensations. Et surtout juger de ce que l'on fait. L'enregistrement est impitoyable, et fait très mal à l'amour-propre la première fois. Mais il est le retour le plus lucide que vous puissiez avoir sur votre propre voix. Il y a certains paramètres, notamment la présence vocale (en particulier pour les voix de basse) qui ne sont pas restitués par le micro, mais l'essentiel (à commencer par le timbre et la justesse) est tout à fait audible.
On voit donc l'intérêt de disposer d'une culture du chant lyrique avant les cours, de façon à pouvoir se juger comme on jugerait un autre interprète, et à ne pas se laisser tromper par ses propres artifices.

=> Ne jamais essayer d'imiter un chanteur, d'enrichir ses sons ou de trafiquer sa voix : il est plus raisonnable de chanter en "voix naturelle" au début, comme de la chansonnette, proche de sa voix parlée, et laisser le professeur guider, plutôt que de vouloir "faire opéra" en tubant et engorgeant, si bien qu'on prendra de mauvaises habitudes difficiles à corriger malgré toute la bonne volonté de votre formateur.
C'est un défaut très commun que les professeurs ne demandent pas toujours à leurs élèves d'éviter : il y a une forme de pudeur à vouloir "faire opéra" dès le début - ce qui ne sert absolument à rien.
Quant à l'imitation d'un chanteur célèbre, elle peut être intéressante ponctuellement, munie d'un micro, pour essayer d'identifier ses "trucs". C'est la plupart du temps voué à l'échec, mais ce peut permettre de trouver des choses intéressantes chez soi. Mais ce doit rester un exercice de découverte, comme l'enfant qui fait des glossolalies, et surtout pas une voie de travail.

=> Plus pratique, une douche pour purifier les sinus et assouplir les muqueuses, ou un plat un peu gras (un peu de pâté ou de thon à l'huile sur deux tranches de pain font l'affaire), en évitant les mets acides ou sucrés, permettent au débutant de sentir son organe plus souple et libre. Ce genre de précaution devient inutile avec la technique, mais se révèle très rassurant lorsque l'élève est encore hésitant.

=> Avant de devoir prendre un cours ou chanter devant un public, chantez un peu la veille et chantez un peu le jour même, quelques heures plus tôt. Le fait d'être chauffé va permettre à l'instrument de répondre correctement aux sollicitations, plus efficacement que si vous ne vous chauffez qu'au moment de la séance.

=> N'essayez pas de chanter dans les heures qui suivent le réveil, ça ne fonctionne pas.

=> Demandez à votre professeur de ne chanter que dans des langues que vous maîtrisez parfaitement, à un niveau de natif. L'anglais (langue très "vocalique", souple et en arrière) et même le français (grâce aux nasales) sont particulièrement recommandables pour placer une voix.
L'immense majorité des professeurs imposent à leurs élèves des morceaux dans des langues que ceux-ci ne maîtrisent pas. Il faut absolument demander à travailler dans sa langue, quitte à chanter le même morceau en récupérant une vieille version traduite ou en bidouillant soi-même une traduction (voire en demandant ici même...) : on ne peut pas placer de façon stable les voyelles et l'articulation d'une langue qu'on ne maîtrise pas. C'est une absurdité du système à laquelle les professeurs ne sont pas très sensibilisés ; il n'y a pas de raison en revanche qu'ils s'opposent, pour la plupart, à une version traduite de leur morceau.
Plus tard, vous pourrez chanter dans des langues que vous maîtrisez moyennement (pas en-dessous, sinon c'est forcément moche), mais pour trouver ses repères, attendez un peu avant de chanter Mozart en allemand et Verdi en italien. On peut admettre une tolérance pour l'anglais, puisque son placement est assez confortable et conforme aux besoins du chanteur.

7. Quelles sont les bases à acquérir en priorité ?

Tout dépend évidemment de la méthode. Mais au cours des premiers mois (disons les deux premières années), vous devez acquérir plusieurs choses. La plupart des professeurs utilisent des images, qui peuvent être plus ou moins fluctuantes et interprétées assez différemment, n'hésitez pas à demander un peu de détail sur les données physiologiques en jeu, ce peut permettre d'avoir des repères plus stables.

=> Avant toute chose, chantez détendu. La tonicité est ensuite nécessaire, mais le préalable est toujours la détente, et tout le monde est d'accord sur ce point. Vous ne devez ressentir ni solliciter aucune constriction, aucun resserrement, aucune dureté dans votre acte phonatoire. Si vous chantez totalement détendu, même sans technique, la voix sonnera déjà agréable. Peut-être minuscule, instable, fausse... mais c'est déjà là le premier pas, qui conditionne tous les autres. Vous pouvez aussi vous accompagner de gestes souples en chantant, pour ne pas vous rigidifier. D'où le conseil de marcher un peu avant de pratiquer, pour bien détendre le corps.

=> Maîtrise du souffle. On parle du soutien du son. La respiration abdominale (le ventre se gonfle sans forcer et les épaules ne montent pas à l'inspiration, puis le ventre rentre doucement à l'expiration). C'est la respiration du nourrisson et du sommeil, celle qui permet, en "ouvrant" les côtes flottantes, d'avoir une assise pour tenir ses notes sans détimbrer ni détonner.
On peut s'entraîner, dans un premier temps, simplement à cordonner l'inspiration et l'expiration aux mouvements du ventre. C'est un exercice très apaisant de surcroît, utilisé dans les méthodes de relaxation.

=> Flottement du palais mou et relèvement de l'arrière de la langue. La partie mobile du palais doit se soulever (sans obturer les cavités nasales au niveau de la luette) pour créer une cavité de résonance, comme une voûte. Surtout, l'arrière de la langue qui obstrue la gorge doit se relever pour faire passer et résonner le son. C'est ce que veulent atteindre les professeurs en parlant de "patate chaude" ou de "balle de ping-pong" au fond de la bouche. La dernière image n'est pas mauvaise du tout.
De façon pratique, pour y arriver, n'hésitez pas à articuler votre son (je dirais même, pour que ce soit naturel, votre mot), de façon détendue, sans hésiter à bien ouvrir la bouche (le menton se décroche un peu vers le bas). Cela permet de libérer l'arrière de la bouche, de détendre les muscles et d'obtenir cet arrondissement. Vous pourriez penser par exemple à imiter les orateurs d'autrefois, avec leurs trémolos dans la voix, qui chantent presque en parlant : c'est ce placement qui change tout. [Précisons qu'il y a plusieurs écoles sur l'ouverture de la bouche, donc qu'on pourra vous dire des choses plus radicales ou tout à fait contraires, sans que ce soit forcément mauvais pour vous.]

=> Penser la verticalité du son. Pour bien résonner, le son doit passer vers les cavités nasales (sans pour autant sonner "nasal") avec l'ouverture de la luette, aussi penser le son comme partant depuis le bas du corps vers l'arrière du crâne peut aider à trouver un bon placement. Il y a des tas d'autres astuces et écoles, c'en est une facilement opérante pour le débutant, mais si votre professeur vous propose autre chose, il n'y a pas d'objection.
Les francophones peuvent s'appuyer sur le placement de leurs voyelles nasales pour sentir ce qui doit se passer sur toutes les voyelles.

=> Vous serez amené aussi à trouver la façon saine et efficace d'émettre chaque voyelle, qui ne sera pas forcément (et même probablement pas, sauf exception) celle que vous utilisez pour parler dans la vie de tous les jours. Prêtez bien attention aux configurations qui fonctionnent quand vous les rencontrez dans votre travail (émission aisée, belle couleur à l'écoute), c'est cela qui va vous permettre de bien chanter.
Par exemple, prononcer les [è] en s'appuyant sur le palais (quasiment [èy]) permet de les passer avec beaucoup de facilité, et l'effet n'en est pas vilain du tout. Tout simplement parce qu'ainsi vous localisez le [è] à l'endroit de la bouche où le rendement est bon...
Vous verrez aussi qu'il y a de multiples façon (pas toutes satisfaisantes) de négocier la voyelle difficile qu'est le [i].
Et évidemment ces choix de voyelles dépendent du degré de couverture de votre voix, du choix de répertoire, de la tradition vocale dans laquelle s'inscrit votre professeur. Ici encore, de multiples solutions, dont certaines ne sont pas très probantes, mais dont plusieurs sont différentes et pourtant valables !

=> Pour obtenir tout cela, en plus d'imiter les orateurs des temps anciens, vous pouvez aussi chanter comme si vous vous énerviez de façon exaltée : cela sollicite spontanément le soutien et aide à trouver les bons résonateurs, du moins en partie. C'est un chant un peu par à-coups, que vous pourriez essayer sur un récitatif un peu énervé, mais cela permet au début, à défaut de travailler son legato, de se découvrir des notes aiguës et de timbrer correctement des valeurs courtes. Souvent un bon point de départ.

=> Au début, il est sans doute souhaitable de privilégier la "connection" et l'harmonie détendue avec l'instrument, quitte à perdre en volume (et quitte à ne pas chanter trop haut dans la tessiture, dans un premier temps). Tant que le souffle et le soutien ne sont pas vigoureux, et que les résonateurs ne sont pas sollicités de façon sonore, il est plus raisonnable de chanter doucement avec son instrument, de façon à conserver le timbre et le positionnement sur le souffle. De cette façon, vous pouvez obtenir un beau timbre dès le début, et progressivement, au fil de l'amélioration de votre soutien, l'amplifier, sans le dénaturer : double garantie d'une voix agréable et d'une absence de forçage à toutes les étapes. [Evidemment, suivant le répertoire que vous visez, ce précepte qui fonctionnera très bien pour le baroque ou la mélodie sera insuffisant pour Wagner ou même Verdi.]
D'une manière générale, même accompagné par un instrument ou des instruments sonores, ne cherchez pas à chanter fort : avec la technique, le chant puissant se fait sans effort : si vous forcez pour chanter fort, c'est que vous chantez mal.

=> Demander à son professeur de travailler la voix mixte peut être un choix judicieux (s'il en est capable, ce qui n'est pas toujours le cas), puisque cela permet une plus grande facilité et clarté d'émission, et surtout facilite l'adaptation à de nombreux répertoires.
Par ce biais, on évite également de forcer et de se blesser, en travaillant en harmonie avec ses moyens et son instrument.

=> D'autres paramètres, comme la position des lèvres (en trompette ou libres) ou le décrochage de la mâchoire dans l'aigu (sans jamais pousser en avant le menton, mais certains le recommandent comme préalable et d'autres le limitent... chacun avec des exemples de bons résultats) dépendent intimement de la tradition de chant à laquelle vous vous conformerez. Il y a beaucoup de conseils sur ces questions, mais rien d'impératif en réalité.

8. Comment surveiller mes progrès ?

Quelques préceptes simples.

=> Vous enregistrer très souvent, on insiste. Ainsi vous pouvez comparer ce que vous dit votre professeur, ce que vous appliquez, et ce que cela produit. Songez bien que vous ne pouvez pas entendre votre propre voix à moins de vous enregistrer. Plus vous y serez habitué, plus vous pourrez observer votre évolution de façon pertinente.
Pour éviter les surprises, faites vos prises autant que possible dans les mêmes lieux, avec la même position de micro (trop près ne permet pas de saisir la projection, trop loin gomme les défauts), et en les écoutant sur le même système de restitution. Sinon, on peut être victime d'illusions.

=> Sur ces enregistrements, surveillez en particulier le rapport timbre / fatigue. Vous devez obtenir un timbre agréable, sans sonorités parasites, et sans fatiguer. Certaines positions confortables sont moches à l'écoute, et certains effets agréables à l'oreille peuvent masquer des forçages.

=> Plus tard, vous pourrez vérifier à partir de vos sensations corporelles, mais ici aussi, pas de règles générales : selon la façon dont vous émettez, vous pouvez avoir une sensation de pureté ou au contraire de richesse du son...

9. Suggérez-vous des exercices ?

Suite de la notule.

samedi 4 décembre 2010

Lully - Cadmus & Hermione par Dumestre & Lazar : enjeux et résultats - Opéra-Comique


Cette production, jadis entendue à la radio, vue à la télévision, a désormais été écoutée in vivo et in loco par les lutins facétieux de CSS.

On avait déjà décrit notre relative déception. On pourra grandement confirmer la chose, même s'il est toujours un bonheur d'entendre du Lully (de surcroît en version scénique !) dans une exécution de haut niveau.
On se contentera donc de préciser certaines choses, en particulier celles visibles en salle.


Le visuel

On peut commencer par la mise en scène de Benjamin Lazar. On ressent moins l'étroitesse du plateau qu'au visionnage télévisé ; il y a même de belles trouvailles dans les ballets chorégraphiés par Gudrun Skamletz (par exemple les espiègles masques africains, assez dans l'esprit de ce moment du drame où se bousculent les traits d'esprit). En partie à cause des lumières des issues de secours et de celles de l'orchestre, le caractère magnétique de la bougie est moins patent qu'en vidéo - mais il est vrai qu'Il sant'Alessio était bien plus impressionnant que Cadmus de ce point de vue. On y voit assez mal au départ, et l'alliance de coloris étant particulièrement moche la plupart du temps, on obtient un pastel de couleurs bigarrées qui tient plus d'un Gauguin mat que de l'imaginaire Grand Siècle, authenticité ou pas.
Par ailleurs, les couleurs naturelles de la bougie sont renforcées par moment (au minimum aux saluts, mais probablement auparavant) par des projecteurs orangés de faible intensité, ce qui pose un petit problème à propos de l'honnêteté de la communication sur le spectacle.

L'instrumental

Musicalement, Vincent Dumestre réussit assez bien son pari (simplement manifeste, pas de déclarations là-dessus) de tirer l'oeuvre vers ses origines italiennes archaïques, vers la déclamation de Peri et les couleurs de Cavalli. Les récitatifs sonnent très secs, les couleurs sont limitées mais très chaleureuses, la longueur de phrasé est assez courte. C'est clairement bien moins enthousiasmant que ce qu'avait choisi Christophe Rousset (Dijon 2001) dans l'optique "grand genre à la française", privilégiant l'urgence et la danse, proposant des récitatifs rapides et des "numéros" plus lyriques.
Mais la filiation des nombreux récitatifs (souvent comiques) de Cadmus avec l'école italienne apparaît ainsi de façon plus convaincante que par n'importe quelle démonstration savante. On peut trouver un peu de mollesse ici ou là, mais la grande chaconne de l'acte I est vraiment très réussie - c'est à la fois le sommet de la partition de Lully et celui de l'interprétation de Dumestre. L'instrumentation de l'air fameux Belle Hermione est également remarquable, s'achevant avec l'accompagnement de la voix à la reprise par seulement un archiluth et un théorbe... ineffable.

Le vocal

Si Dumestre, sans séduire complètement - on sent des longueurs alors que menée de façon plus serrée, cette écriture assez nue, -, convainc, on peut être un peu réservé sur l'équipe vocale. Le couple de jeunes premiers domine clairement par sa présence vocale : l'engorgement étrange (et les magnifiques ornementations) de Claire Lefilliâtre a toujours quelque chose d'aussi magnétique ; et André Morsch se révèle pourvu d'harmoniques plus sombres qu'en retransmission, un véritable baryton sans ce côté clair un peu flottant qu'on pouvait entendre. Dans le trop court rôle de Pallas, Eugénie Warnier était peut-être la seule dont le timbre doux et mélodieux, la belle posture verbale donnaient envie d'entendre plus. Romain Champion, en Premier Africain (son Envie est en revanche assez terne), se montre logiquement un véritable luxe (sa carrière n'était pas aussi prestigieuse lors de la première série, en 2008), assez bien projeté. On a aussi remarqué qu'Isabelle Druet, que les korrigans locaux n'ont jamais beaucoup aimée, sonnait avec une agréable rondeur, loin de la varnayisation qu'on pouvait redouter à l'écoute de ses extraits d'Armide en mai dernier.
Le reste du plateau, du moins depuis l'amphithéâtre de la salle Favart, où l'on entend toujours mal les voix malgré l'étroitesse de la salle (comme si les murs étaient faits d'ouate), rencontrait de réelles difficultés en termes de projection et de volume vocal, des formats minuscules qu'on aurait mieux appréciés dans la proximité d'un récital intimiste - et sans séduction particulière de timbre ou de diction. Personne n'a démérité cependant. Et Arnaud Marzorati compensait visuellement par un admirable jeu de jambes issu de la technique du ballet, émouvant à lui seul, et dont on se demandait comment l'énergie déployée (vraisemblablement considérable !) pouvait ne pas affecter le soutien vocal.

Le linguistique

Vient enfin la question de la prononciation restituée (suivant les principes de La Parole Baroque d'Eugène Green), sur laquelle nos farfadets n'ont pas de religion. L'avantage est une forme de recréation et plus d'intelligibilité grâce à l'articulation des finales devenues muettes (voire déjà muettes au XVIIe...). Le problème était en revanche multiple :

  • On laisse de côté ce que ces sons portent dans l'imaginaire aujourd'hui (la campagne reculée...), mais il ne faut pas négliger que pour une partie du public, cette gêne peut être longue à évacuer.
  • N'étant pas une langue usuelle, la plupart des chanteurs la prononcent assez mal : ils sont hésitants, les voyelles sont floues, l'accentuation moins naturelle. Alors qu'ils sont tous francophones, c'est un bien dommageable échange.
  • La mise en oeuvre en est assez anarchique : les infinitifs du premier groupe sont articulés [èr], alors qu'on dispose de témoignages (Molière lui-même...) les considérant comme terriblement provinciaux - par conséquent on les imagine mal prononcés ainsi à la Cour. Les chanteurs restituent un grand nombre de consonnes finales tout à fait inutiles en milieu de vers, et préjudiciables à la diction (les consonnes s'entrechoquent, rendant la prononciation difficile)... et escamotent les [e], qui eux sont absolument indispensables en revanche pour que le nombre de syllabes reste correct !
  • Enfin, alors que l'oeuvre est écrite en français, on met inutilement à distance les mots et l'action, et cela ne participe pas marginalement à l'impression de relative froideur qui se détache de ce spectacle très léché à tous les niveaux, mais aussi un peu lisse.


Conclusion et composition de l'orchestre

Suite de la notule.

mercredi 1 décembre 2010

Paul Hindemith - Mathis der Maler (Mathis le Peintre) - Eschenbach / Py / Goerne, Bastille 2010


(La notule est désormais complète.)

--

Nicolas Joel suit judicieusement, peut-être par coïncidence, l'impulsion donnée par Gérard Mortier dans la remise à l'honneur de Hindemith, ce qui ne peut que réjouir les lutins qui en sont friands.


La Tentation de saint Antoine, tirée du retable d'Issenheim. Ce détail sert de trame au sixième tableau de l'opéra.


Le résultat est mitigé peut-être, mais c'est parce que Hindemith lui-même est un compositeur qui suscite peu l'enthousiasme. Etonnamment d'ailleurs, les lutins qui aiment beaucoup le compositeur n'étaient enthousiastes qu'avec modération, alors que le public plus Hindemith-néophyte ou Hindemith-sceptique s'est généralement montré très satisfait.

On profite donc de ces représentations, comme à l'accoutumée, pour dire un mot de l'oeuvre.

--

1. Une oeuvre, une structure, un style
1.1. Un texte

Constituée de sept tableaux, l'oeuvre est ambitieuse et longue.
Longue à cause de sa structure en séquences autonomes qui, à la manière des stations d'un chemin de croix, tendent vers l'anéantissement de l'individu (compensé par la gloire de la postérité).
Ambitieuse, parce qu'elle projette de décrire l'artiste en action dans le monde.

La première chose qu'il faut dire est que le livret, rédigé par Hindemith lui-même, échappe à beaucoup des pièges de l'action dramatique qui décrit la vie d'artiste.

  1. La vie rêvée de Matthias Grünewald ne manque pas d'action, et elle s'inscrit par ailleurs dans une macropolitique et une géostratégie propices à la représentation dramatique.
  2. Hindemith écarte l'essentiel de l'appareil grandiloquent et pseudo-philosophique qu'on trouve souvent dans ce type de sujet, où le compositeur nous étale ce qu'il considère comme l'essence de l'art. C'est bien sûr à chaque fois ennuyeux (un discours se prête mal à l'action scénique), maladroit (un compositeur n'est pas un philosophe), et totalement à côté de ce qui fait l'essence de l'art telle qu'on la conçoit au moins depuis le XIXe siècle : l'individualité du créateur. Autrement dit, un artiste nous dit sa vérité sur l'art, mais en l'affublant d'un attirail universalisant, tout à fait superfétatoire. Bref, en général cela produit des oeuvres ratées, et Hindemith purge son texte de toutes ces abstractions inutiles.
    • Il conserve cependant des réflexions, soit montrées par l'action, soit incarnées allégoriquement comme dans le Sixième Tableau, qui nous propose une Tentation de Saint-Antoine en version opératique. En somme la chose est habile, parce que Hindemith fait avant tout un opéra et y plie son propos, au lieu d'essayer de mettre sa musique au service d'idées peu essentielles.


Sans être proprement passionnant, sans être dépourvu de faiblesses, le livret est donc d'une qualité assez réelle, en tout cas assez équilibré. La principale difficulté provient, il me semble, de la façon parfois un peu désinvolte de résoudre les conflits : l'anti-duo d'amour, pourtant une sorte d'acmé, se termine bien aisément ; la conversion du Cardinal de Brandebourg se produit sans que ses motivations, contradictoires avec celles voulues par ses manipulateurs victorieux, en soient tout à fait clairement exposées.

Mais ce flou, ce refus de la schématisation permettent précisément de donner du relief à propos qui aurait pu paraître sinon trop téléologique. On trouve même des contradictions internes tout à fait assumées :

  • Hindemith expose l'idée coutumière (et fondée) que l'argent de l'art (qui ravit surtout les esthètes aisés) provient des impôts des pauvres, sans essayer de la réfuter. Mais il ne disqualifie nullement l'art non plus. Il se contente d'énoncer cet état de fait et de l'accepter comme une réalité, un courage que peu d'artistes ont eu, surtout en continuant à produire...
    • Ce n'est qu'à la fin de l'ouvrage, dans le Sixième tableau, que l'on découvre l'une des pistes (mais absolument pas impérative) : l'aboutissement de l'artiste se produit dans l'art où il est habile, pas dans le monde où il est encore plus impuissant et fragile qu'un autre. Pourtant, Hindemith dit cela dans un opéra qui fait clairement référence à la politique de son temps (l'opéra est écrit de 1934 à 1935 et créé en 1938...), ce qui constitue un joli paradoxe.
      • Hindemith pose des questions, et à peine fournit-il des pistes pour les réponses : si réponse il y avait, ce serait peut-être qu'il n'aurait pas dû écrire l'opéra dans lequel il le dit... Postulat qu'on peut discuter, puisque Mathis abandonne son art pour faire de la politique, alors que Hindemith l'exerce pleinement en parlant de son monde, comme Mathis avec ses pinceaux révèle des univers. Bref, la portée de l'ouvrage est délibérément rendue équivoque par le compositeur.
  • Malgré la forte teneur chrétienne du propos, Mathis a une étrange parole de foi dans le dernier tableau, postulant qu'il n'y a plus de souffrance dans le monde depuis que le Christ l'a portée - alors même que tout l'opéra vient de nous révéler une longue fresque de douleurs. Pourtant, la plus grande déférence est ménagée envers la religion à travers toute l'oeuvre, étant une référence et même un guide dans les épreuves. Ici encore, équivoque volontaire.


Au chapitre des bizarreries, on remarque tout de même quelques petites délires théologiques : les ressuscités qui se baladent au Paradis sans corps, c'est nouveau...

Néanmoins, étrangement de la part d'un compositeur, la tiédeur provient davantage de la musique.

1.2. Une musique

Mathis constitue en quelque sorte du Hindemith au carré : on y rencontre des longueurs, de très belles choses, et surtout une forme de distance.

Parmi les beautés, on peut citer de très belles sections dans la forme du choral (souvent à l'orchestre, mais au premier rang desquelles, bien sûr, le choeur ecclésiastique en coulisses lors du premier tableau), ou encore des figures vives et entraînantes comme l'énoncé d'une fugue.

Les longueurs sont le plus souvent liées à ce tricotage orchestral un peu gris, avec un contrepoint sophistiqué et continu qui ne semble pas toujours avoir un objet et un but.

Surtout, on frappé par la déconnection entre la nature de l'action (dramatique, pour ne pas dire paroxystique) et la neutralité expressive de la musique. Le plus spectaculaire décalage se trouve dans le troisième tableau où la grande scène de renoncement à l'amour, pourtant le sommet expressif du livret, est énoncé sur un ton proprement glacial, qui ne semble connaître ni début, ni fin, et absolument aucun paroxysme. Très étrange, un peu frustrant aussi.

Typiquement le Hindemith lyrique, donc, oscillant entre de très belles inspirations et quelque chose de plus gris, avec une sorte de flux musical continu et sans objet.

L'oeuvre requiert une forme de concentration assez particulière pour en retirer les beautés : ce n'est pas une musique de l'évidence, elle demande à être cherchée pour être appréciée. Disons que ce n'est pas le meilleur rapport effort / plaisir du marché, mais cela reste de la belle ouvrage qu'on sort très content d'avoir vue.

--

2. Représentations

Les lutins de CSS y étaient le lundi 22 novembre. Une fois n'est pas coutume, c'est avec le résultat d'une opinion très proche de celles qu'on peut lire ou entendre un peu partout.

2.1. Mise en scène

Suite de la notule.

David Le Marrec

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