Bellérophon : Le retour du dernier Lully - I - Aventures du livret
Par DavidLeMarrec, samedi 18 décembre 2010 à :: Baroque français et tragédie lyrique - Saison 2010-2011 :: #1634 :: rss
Voici enfin venue la création tant attendue du dernier ouvrage de Lully qui n'ait jamais été remonté depuis l'ère du disque. Pourtant, ce fut l'un des plus grands succès publics de Lully, bien supérieur à Atys par exemple.
Les lutins de CSS avaient prévu de remonter au moins des parties de l'ouvrage, mais faute de temps pour réaliser toutes les basses continues des éditions Ballard, il a bien fallu laisser Christophe Rousset leur griller la politesse... Ce qui n'est pas forcément un mal pour Lully, convenons-en.
Aussi ils se borneront ici à leur rôle traditionnel d'exégètes respectueux. [Mais qu'on se rassure, des nouveautés piquantes sont en préparation.]
1. L'histoire d'un livret composite, source de discordes
Bellérophon, créé en 1679, est la seconde (et seule) tragédie en musique de Lully à avoir été conçue sans Quinault, en disgrâce à cause des interprétations faites à la Cour du livret d'Isis. Comme pour Psyché l'année précédente, Bellérophon est confié à Thomas Corneille, frère cadet de Pierre. Et comme Psyché, ce livret est en réalité un patchwork.
Pour Psyché, la raison en était simple : la version originale, une tragédie-ballet (semi-parlée) devait être entièrement chantée, et il fallait donc retravailler le texte d'origine, déjà composite. En effet, Molière avait été secondé par Pierre Corneille, Quinault avait écrit les parties chantées et Lully la plainte italienne !
Pour Bellérophon, l'attribution est plus complexe. Thomas Corneille, dont l'adaptation de Psyché avait été jugée inférieure à l'originale par ses contemporains (je précise au passage que ce n'est pas mon avis), avait été mandaté pour l'écriture de ce nouveau livret. Néanmoins, Fontenelle affirma être à l'origine du plus clair de l'oeuvre, à l'exception du Prologue, de la première scène de l'acte IV, du nom d'Amisodar et de quelques ariettes (ce qu'on appelait des canevas et qu'on appelle aujourd'hui lyrics en comédie musicale) qui auraient été dûs à Boileau.
Une lettre tardive de Fontenelle aux auteurs du Journal des Savants est assez révélatrice de l'imbroglio des revendications successives de l'oeuvre - et les résume assez clairement pour remplacer notre résumé partiel. Je la reproduis partiellement ici, telle qu'elle figure dans l'édition Bastien / Servière des oeuvres de Fontenelle (1792).
Messieurs, on a mis à la tête d'une nouvelle édition des Oeuvres de Boileau Despréaux en 1740, Bolœana ou entretiens de M. de Monchesnay avec l'auteur. Il y a dans ce Bolœana quelques endroits que je me crois obligé de relever, parce qu'ils attaquent injustement un nom illustre, et qui doit m'ètre extrêmement cher. Je vous demande en grâce. Messieurs, que ce que j'ai à dire sur ce sujet paraisse dans votre journal, qui me donnera auprès du public un passeport favorable.
Voici comme parle Despréaux dans le Bolœana p. xvii : Tout ce qui s'est trouvé de passable dans Bellérophon, c'est à moi qu'on le doit. Lully était pressé par le Roi de lui donner un spectacle : Corneille lui avait fait, disait-il, un opéra où il ne comprenait rien ; il aurait mieux aimé mettre en musique un exploit. Il me pria de donner quelques avis à Corneille. Je lui dis avec ma cordialité ordinaire ; Monsieur, que voulez-vous dire par ces vers ? Il m'expliqua sa pensée. Et que ne dites-vous cela, lui dis-je ? A quoi bon ces paroles qui ne signifient rien ? Ainsi l'opéra fut réformé presque d'un bout à l'autre, et le Roi sz vit servi à point nommé. Lully crut m'avoir tant d'obligation, qu'il s'en vint m'apporter la rétribution de Corneille ; il voulut me compter trois cent louis. Je lui dis : Monsieur, êtes-vous assez neuf dans le monde pour ignorer que je n'ai jamais rien pris de mes ouvrages ? Comment donc voulez-vous que je tire tribut de ceux d'autrui ? Là-dessus il m'offrit pour moi et pour toute ma postérité une loge annuelle et perpétuelle à l'Opéra : mais tout ce qu'il put obtenir de moi, c'est que je verrais son opéra pour mon argent. La pièce de Béllerophon fut jouée quinze mois durant.
Ne serez-vous point trop étonnés, Messieurs, si je vous dis bien nettement et bien positivement, qu'à l'exception du prologue, d'un morceau fameux qui ouvre le quatrième acte : quel spectacle charmant pour mon cœur amoureux, etc. et de ce qu'on appelle dans les opéra canevas, de petits vers faits sur les airs, et qu'on met dans les divertissemens, il ne peut pas y avoir un mot de Despréaux dans tout Bellérophon, c'est-à-dire dans toutes les scènes ? Je le dis à vous, Messieurs, et au public, parce que je le sais de l'auteur même, qui n'est point M. Corneille, qui est encore vivant, et qui se déclarera s'il le faut. Comme il ne veut avancer que ce qu'il sait bien sûrement, il n'a pas une certitude si absolue sur les endroits qui viennent d'être exceptés.
Fontenelle permet donc de mieux voir ce qui appartient à Boileau... et revendique pour lui-même (de façon encore implicite) l'ensemble du livret, l'expliquant par le manque d'intérêt de Thomas Corneille pour l'exercice - qui n'aurait écrit que le plan. Il explique un peu plus loin que Corneille a donc confié à un jeune auteur de province la réalisation de ce point. Selon lui, la consultation de Boileau était une manoeuvre de Lully pour tâcher de lui fermer enfin la bouche - Boileau étant terrible dans ses épigrammes contre ces tragédies en musique.
2. La qualité disparate d'un livret à six mains
Cette genèse est réellement sensible dans l'écriture du livret.
(A suivre très vite : les spécificités malheureuses et heureuses du livret, les nouveautés de la musique, l'exécution à la Cité de la Musique et à Versailles.)
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