dimanche 19 décembre 2010
Bellérophon : Le retour du dernier Lully - II - Spécificités et bizarreries d'un livret à quatre mains
2. La qualité disparate d'un livret à six mains
2.1. Aspect général
Cette genèse est réellement sensible dans l'écriture du livret.
En effet, des sections de ton et qualité assez disparates se succèdent - sans que cela ne recoupe, d'ailleurs, la répartition précisée par Fontenelle...
La trame elle-même est assez simple :
- Sténobée, veuve du roi d'Argos Prétus, aime Bellérophon. Celui-ci a repoussé son amour, et la reine a donc confié la vengeance à son gendre Iobate, le roi de Lycie. Ce fut en vain et Bellérophon a si bien surmonté tous les périls que Iobate décide de lui faire épouser sa fille, amante et aimée de Bellérophon.
- Après cet acte I heureux de façon assez inhabituelle, l'acte II fait la place aux affrontements et aux enchantements : dispute entre Sténobée et Bellérophon, dispute entre Sténobée et Amisodar, enchantements d'Amisodar et naissance de la Chimère.
- L'acte III prend acte de la dévastation causée par le monstre, et la consultation d'Apollon révèle que seul le fils de Neptune pourra tuer le monstre et épouser la princesse, ce qui écarte de fait Bellérophon, fils de Glaucus.
- Tout l'acte IV montre le triste état du royaume de Lycie, et s'achève avec la détermination de Bellérophon de courir à sa mort en affrontant le monstre, sans espoir de victoire. Mais, secondé par Pallas, il triomphe de la Chimère.
- Enfin, le dernier acte explique la victoire de Bellérophon (fils caché de Neptune) et voit la confession et le suicide par le poison de Sténobée.
La construction dramaturgique en est donc relativement bancale : un acte et demi de situation stable (seulement troublée par les récriminations de Sténobée), un acte III qui tient tout entier dans la rupture du mariage heureux et la consultation d'Apollon, un acte V qui redouble la fin du IV (la victoire sur le monstre est suivie de la victoire sur les forces maléfiques qui l'ont suscité).
2.2. Ecriture
Le style lui-même oscille entre des sentences, imitées de celles traditionnelles chez Quinault, mais formulées avec assez de maladresse ici (le public sourit souvent)... et des fulgurances poétiques dont on a peu d'exemple dans la tragédie lyrique. En effet, indépendamment d'un style un peu sec, loin des galanteries et mignardises de Quinault, on trouve à quelques reprises des pauses descriptives de toute beauté. En particulier lorsqu'Amisodar avertit Sténobée contre les conséquences meurtrières de ses désirs (II,5) :
AMISODAR
Je puis de la nuit infernale,
Faire sortir un Monstre furieux :
Mais vous mesme tremblez d'exercer en ces lieux
Une vangeance si fatale.
Preparez-vous à voir nos Peuples allarmez,
Et nos Villes tremblantes.
Le Monstre couvrira de torrents enflamez
Nos campagnes fumantes
Et nos champs ne serons semez
Que des restes affreux de Victimes sanglantes.
et lorsque les lyciens pleurent leur paix perdue (IV,4) :
Dieux des Bois
Les Forests sont en feu, le ravage s'augmente,
Ce n'est par tout qu'épouvante & qu'horreur.Napée & Dryade
Du Monstre comme vous nous sentons la fureur,
Voyez cette Paline brûlante.Dieux des Bois
Helas ! que sont-il dévenus
Ces Bois dont nous faisions nos retraites tranquilles ?Napée & Dryade
Ces Eaux qui serpentoient dans ces plaines fertiles,
Ces Eaux, helas ! ne coulent plus.Dieux des Bois
Que de tristes alarmes !Napée & Dryade
Que de sujets de larmes !Tous ensemble
Pour adoucir le Ciel qui voit tant de malheurs,
Joignons nos soûpirs & nos pleurs.
Ainsi, si globalement le livret laisse une impression assez mitigée, on y rencontre aussi des beautés qu'on serait en peine de retrouver dans une autre tragédie en musique...
2.3. Spécificités de la trame
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Baroque français et tragédie lyrique - Saison 2010-2011 a suscité :
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