En lisant Tosca : mutations (II)
Par DavidLeMarrec, dimanche 23 janvier 2011 à :: Opéra romantique et vériste italien - L'horrible Richard Wagner :: #1655 :: rss
Il y a un an environ, je m'émerveillais en ces lieux de la structure de Tosca.
L'évidence de lignes très conjointes, la douce tension constante des harmonies, le retour de leitmotive certes très évidents, mais qui constituent plus qu'on ne le penserait de prime abord la colonne vertébrale du discours musical, d'une façon très comparable à Wagner (certes, sans que le contenu de la musique comme du sens soit aussi riche).
J'étais parti de ce petit interlude instrumental tandis que Cavaradossi écrit sa lettre d'adieu à l'acte III. [N.B. : J'ai pris de le parti de faire entendre cela de façon nue au piano, parce que la construction y est bien plus saillante, mais les prises sont tirées de mes archives et ne sont pas soignées, pour le chant non plus d'ailleurs - mes excuses par avance.]
On y rencontrait un motif circulaire, celui de la douleur de Tosca, qui se muait en thème principal pour E lucevan le stelle.
On va aujourd'hui reprendre en amont et voir d'où provient ce thème.
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Dès l'acte I, l'on trouve abondamment le motif attaché à Tosca, lyrique et généreux, deux séries de cinq notes sur une gamme majeure, montantes puis descendantes, de façon totalement conjointes (elles se suivent, comme dans une gamme, donc avec des intervalles d'un ton maximum). Un motif lumineux, expansif, qui appelle le rubato, qui prend plaisir à s'épanouir dans le ralentissement.
Il est la plupart du temps doublé à l'octave.
Voici ce à quoi il ressemble :
Ce motif va apparaître lorsque Tosca entre dans l'église pour vernir saluer Mario, bien sûr pendant le grand duo d'amour, lorsqu'elle réapparaît surveillée par Scarpia, et lorsqu'elle s'enfuit désespérée, les effluves de sa présence s'évanouissant doucement avec le mélange de ce motif combiné avec d'autres. (Juste avant Tre sbirri, una carrozza, si vous souhaitez l'entendre.)
Jusqu'ici, le motif conserve la même fonction : identifier, accompagner, présenter Tosca. Il révèle plusieurs aspects de sa personnalité : lyrique comme la chanteuse qu'elle est, tendre comme l'amante accomplie qu'elle nous montre, un peu tortueux aussi avec son aller-retour à l'image de sa personnalité aisément tourmentée. Il apparaît en même temps que Tosca entre ou est évoquée. On n'insistera donc pas sur son usage dans le premier acte.
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A l'acte II, il en va un peu autrement.
Déjà , observons le motif qui scande tout l'acte. On l'entend ici dès le début, trois notes descendantes, qui parcourent tout le clavier de l'aigu au grave. Il revient très souvent jusqu'à l'entrée de Cavaradossi, et réapparaît au moment où celui-ci est emmené en prison - c'est le motif du repas du Scarpia.
Or, ce motif en octaves et conjoint est contenu dans le thème de Tosca. Admirable, tout de même, que le "repas-de-Scarpia" soit un morceau de "Tosca" !
Le motif de Tosca étant cité juste après (clarinette solo, une des rares fois sans doublure à l'octave), on peut aisément constater la parenté.
Et lorsque Scarpia parle d'elle, on l'entend qui revient tout à fait traditionnellement. J'ai mis le contexte comme d'habitude, vous le trouverez après la réplique "et l'amour de son Mario". Ce à quoi répond le motif prédateur de Scarpia lorsqu'il est question de la posséder.
De la même façon, lorsqu'elle entre suite au billet de Scarpia, on entend un trémolo qui reproduit son motif.
La première mutation se produit lors de la torture de Mario ("Dite, dov'è Angelotti"), où un motif similaire apparaît, celui de la douleur de Tosca : il débute de la même façon que le motif de Tosca, ascendant-descendant de façon conjointe, mais se brise en un grand saut de septième mineure vers l'aigu, comme un cri. Il se reproduit lorsqu'on emmène Mario hors du palais (pardon pour la réalisation, il faudrait refaire une prise) :
On y trouve déjà la descente chromatique résignée qui réapparaît dans l'interlude de la prison à l'acte III.
Peu après, dans l'air si décrié Vissi d'arte, tout est pourtant très cohérent musicalement, puisque ce sont les deux motifs attachés à Tosca qui l'innervent, notamment dans l'accompagnement pour le motif-Tosca :
Et ce, jusqu'Ã aboutir au motif de la douleur de Tosca :
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Pour l'acte III, on a déjà exposé la chose, le motif douleur-de-Tosca, déjà issu d'un premier motif, va à nouveau se changer. Tout l'opéra est donc parcouru par ce court thème ascendant-descendant et conjoint.
Dans l'interlude méditatif qui occupe le temps où Cavaradossi rédige ses adieux, on entend de très belles choses, un entrelac de motifs, glissant de l'un à l'autre, dont la construction n'est pas si éloignée des musiques de transformation de Parsifal.
On y réentend donc le motif de la souffrance de Tosca, comme les autres ce motif un peu circulaire, parent du gruppetto :
Et quelques mesures plus loin, le thème célébrissime de l'air d'adieu de Mario ("E lucevan le stelle" / "La nuit luisait d'étoiles") se révèle remarquablement apparenté, avec le même mouvement circulaire qui s'échappe vers l'aigu :
Très jolie transition, et parenté sûrement pas innocente entre les deux thèmes. Ni quant à la musique (le rapprochement est évident), ni quant au sens (la douleur de Tosca qui finit par livrer Angelotti se change en affliction de Cavaradossi qui quitte la vie).
C'est exactement le même motif que l'on entend à la fin de l'opéra, lorsque Tosca s'élance dans le vide. [Je ne parviens pas à retrouver ma prise, je l'ajouterai à l'occasion, mais vous pouvez aisément vous rafraîchir la mémoire en écouter la dernière piste de n'importe quelle version sur MusicMe.com.] Ce troisième motif, mutation d'une mutation, peut donc signifier ou le renoncement à la vie (Cavaradossi puis Tosca l'acceptent) ou la fin de Cavaradossi (et ce serait alors pour mettre en valeur la motivation de Tosca, évidemment plus liée au désespoir de la mort de son amant qu'à la peur de la vengeance des sbires de Scarpia).
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Vous aurez remarqué, peut-être, par ces bribes, que la version française est sensiblement aussi réussie que l'italienne. Elle contient aussi quelques répliques-cultes, absentes de l'originale. On en parlera à l'occasion.
Et plus que pour Wagner, cette musique sonne non pas seulement aussi bien, mais encore mieux au piano qu'à l'orchestre. La sensation d'aplats un peu insistants qui caractérise Puccini disparaît au profit de la mise en valeur de la modernité de la partition. Moins larmoyant, mais plus émouvant, à mon sens.
Commentaires
1. Le mercredi 26 janvier 2011 à , par Gilles :: site
2. Le mercredi 26 janvier 2011 à , par DavidLeMarrec
3. Le samedi 5 février 2011 à , par Olivier :: site
4. Le samedi 5 février 2011 à , par DavidLeMarrec
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