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Airs de cour à l'église des Billettes - Laurens / Yisraël


Rapide compte-rendu du concert en l'église des Billettes (attribuée au culte luthérien depuis Napoléon) avec Guillemette Laurens (bas-dessus) et Miguel Yisraël (luth).

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1. Le lieu

Edifiée de 1754 à 1758, dotée d'une haute nef et de bas-côtés très bas, soutenant trois étages de tribunes en bois, l'église est sans transept. La voûte en berceau (avec de larges embrasures plus baroques) de sa nef débouche très naturellement sur la voûte de l'abside, qui aurait pu être type cul-de-four, avec un tropisme pentagonal assez typique de ce néoclassicisme-là. Les piliers de la nef sont décorés de pilastres ioniques de type romain, qui affirment le classicisme face à une allure néo-romane. L'allure générale est elle-même tout à fait caractéristique, avec sa voûte haute sur une largeur assez étroite. Nombreuses figures géométriques simples pour orner les arcs, à la mode Renaissance. Tribune d'orgue en bois neuf.

Beaucoup de charme et de solennité dans le lieu, qui n'est éclairé que par les ouvertures près des voûtes. Si bien qu'en supprimant les éclairages artificiels, le soir, on se retrouve dans une pénombre assez complète - ce serait le lieu idéal pour des Leçons de ténèbres.


L'acoustique en est particulièrement flatteuse, avec une réverbération très efficace : amplifiant réellement les voix, mais sans jamais brouiller les contours du son.

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2. Le programme

L'annonce du site des concerts Philippe Maillard n'était pas tout à fait honnête : on annonçait non seulement du Moulinié (une seule pièce) mais aussi du Lambert (tout à fait absent).

En réalité, le programme était essentiellement constitué d'airs de Charles Bataille (en espagnol), et de plusieurs airs français d'Antoine de Boesset et de Charles Tessier. Ce à quoi s'ajoutaient trois préludes pour luth de Nicolas Vallet et cet air isolé de Moulinié.

Alors même que le programme papier (5€), seul moyen de disposer de la liste des pièces jouées, s'ajoutait au tarif relativement élevé du concert (20€ pour 1h15 dans une église avec deux interprètes, c'est plutôt le haut de la fourchette), les textes (pourtant libres de droits et peu longs...) n'étaient pas fournis. On disposait en échange d'une passionnante notice (non signée) sur l'évolution esthétique de l'air de cour à la française, mais le manque est considérable pour ce type de musique.

La diction de Guillemette Laurens étant ce qu'elle est, on avait peine, et plus encore dans son bizarre espagnol, à reconstituer tout le texte, malgré la discrétion de l'accompagnement. Une déception d'ordre programmatique (des airs espagnols faibles qui constituent une grande part d'un récital d'airs de cour français) et d'ordre pratique (absence des textes), donc - et qui retranche une part non négligeable au plaisir.

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3. Les compositeurs

Les plus vifs succès ont été remportés par les airs de Boesset, qui étaient en effet inhabituellement beaux - et tous spontanément acclamés par le public (ce qui n'est arrivé pour aucune autre pièce du concert). On ne peut pas soupçonner la posture, vu qu'assez peu de monde semblait avoir acquis le programme, que personne ne le regardait pendant le concert (où les pièces étaient imbriquées), et que la renommée de Boesset n'est pas unanimement positive comme celle de Lambert ni même de Moulinié.
De fait, il s'agissait de superbes ritournelles strophiques, où l'expressivité de Guillemette Laurens et son grain irrégulier faisaient merveille. Clairement, les interprètes avaient à l'avance l'idée qu'ils s'assuraient par elles des succès inévitables auprès de ce public - et j'étais moi-même surpris d'être aussi facile à deviner, et tellement à l'unisson du public !
Un peu comme lorsqu'on joue le final de la Septième de Beethoven : ça ne peut pas manquer, les plus ingénus aussi bien que les plus snobs tapent du pied dès que la musique cesse (voire pendant, mais c'est une autre question...).

Les airs de Tessier m'ont également beaucoup séduit par leur véritable force prosodique : la musique, pas spécialement extraordinaire, épouse très bien les inflexions du texte, avec un résultat qui implique facilement l'auditeur.

Comme dit précédemment, les espagnolades de Bataille m'ont laissé assez froid, comme d'habitude : languissantes ou folklorisantes, j'y trouve à la fois quelque chose d'apprêté... et d'assez peu raffiné musicalement.

L'air de Moulinié ("Que je meure si de vos yeux") est de belle facture, sans être du tout le meilleur de son auteur.

Enfin, les pièces pour luth de Nicolas Vallet sont d'une beauté altière et tendre assez remarquable, et d'autant plus précieuses qu'on ne les entend guère souvent !

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4. Les interprètes

Le programme, malgré les difficultés pratiques, était donc diversement convaincant, mais pour la moitié au moins tout à fait prenant.

Côté interprètes, le bât blesse un peu. Première difficulté : Miguel Yisraël, à cinq mètres, était quasiment inaudible. On n'entendait aucune différence de volume entre l'accord discret en arpèges de son instrument... et les accompagnements ou solos qu'il jouait. Souvent, on ne pouvait deviner que le morceau avait commencé qu'à son attitude plus concentrée et solennelle. Même la mélodie supérieure de ses pièces solos était difficile à entendre. Réel problème lié à l'instrument, mais jamais entendu à ce point là pour du luth solo !
Par ailleurs, d'après ce qu'on pouvait percevoir, beaucoup de style et de maintien, une certaine grâce altière qui était très en style. Dommage, vraiment.

On n'entendait donc que Guillemette Laurens, qui avait décidé de s'accompagner de percussions (vrais tambourins provençaux, frappés à la main ou avec massette, et sortes de castagnettes manuelles). Mal lui en a pris : elle ne parvenait pas à contrôler le rythme ni l'intensité, si bien que tout cela sonnait atrocement arythmique et amateur. N'importe quelle copine de l'amicale laïque du point-de-croix herblaysienne aurait pu faire l'affaire : elle avait visiblement un problème de dissociation très net entre son larynx et ses mains.

Côté chant, c'est d'abord la déception : assez faux (un peu plus que d'habitude, faute de pouvoir se repérer sur le luth sans doute, et aussi à cause de quelques chromatismes qu'elle n'a jamais su gérer tout à fait proprement), et une diction tellement bizarre... qu'incompréhensible, même en français.

Au fil du concert, se détendant, tirant le meilleur parti de la relation entre sa voix et la salle - et de notre côté nous habituant -, elle prend réellement l'ascendant et chante juste, plein, expressif, et plus intelligible. A partir du milieu du concert (le premier Boesset : "Jamais n'auray-je le pouvoir"), elle prend réellement possession de l'auditoire, et la fin du concert est assez enchanteresse.

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C'est donc un bilan mitigé pour le programme et l'interprétation, à cause d'une difficulté à démarrer. Mais dès qu'apparaissent les pièces plus intéressantes, Guillemette Laurens comme moi entrons pleinement dans la soirée...

Le public, proprement religieux et conquis d'avance, semble ravi en permanence, avec les pointes d'intérêt pour les Boesset.

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Pièces jouées :

  • Nicolas VALLET (vers 1583 - vers 1642)
    • trois Préludes pour luth
  • Charles TESSIER (vers 1550 - vers 1610)
    • Que me servoit de résoudre
    • Amans qui vos plaignés qu'Amour vos a domté
    • O dieu qu'est-ce de nous
  • Gabriel BATAILLE (1574-1630) :
    • Quien quiere entrar conmigo en el barco
    • A ver mil famas hermosas
    • De mi mal nace mi bien
    • Rio de senilla
    • En el valie Ynes la tope riendo
    • Vuestros ojos tiene, d'Amor no se que
    • Claros ojos bellos
    • En baxel está en la playa
  • Antoine de BOESSET (1587-1643)
    • Jamais n'auray-je le pouvoir
    • Ils s'en vont ces roys de ma vie
    • N'esperez plus mes yeux
  • Etienne MOULINIÉ (vers 1600 - vers 1670)
    • Que je meure si de vos yeux



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Commentaires

1. Le lundi 14 février 2011 à , par Didier Goux :: site

Oui, eh bien, les quelques rares ignares qui vous lisent, et dont je fais partie, auraient bien avoir une idée de l'endroit de France où se trouve l'église des Billettes…

(Vous avez remarqué ? Voilà bien deux ans ans que je ne suis pas venu chez vous et dès que j'arrive c'est pour râler…)

2. Le lundi 14 février 2011 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Didier,

(Pourquoi forcément de France, au fait ?)

L'église des Billettes se trouve à Paris, comme les lieux de chacun des soixante-dix derniers concerts évoqués sur ce carnet. :-) Il suffit de le vérifier en regardant tout simplement le dernier commentaire, sous le vôtre, dans la colonne de droite : c'est la deuxième saison parisienne de CSS.

Il est vrai que j'aurais pu le préciser.

3. Le mardi 15 février 2011 à , par Didier Goux :: site

Non, laissez, c'est de ma faute : j'aurais pu lire un peu mieux avant de ronchonner ! Mais depuis deux mois que j'ai abandonné la cigarette, j'ai un peu l'impression d'avoir laisser ma cervelle dans mon dernier cendrier…

4. Le mardi 15 février 2011 à , par DavidLeMarrec

Mais à présent, votre corps n'appartient plus à Philip Morris, c'est déjà pas mal.

C'est bien de lire CSS pour compenser : ce n'est pas forcément moins coûteux si on m'écoute, mais la dépendance est en principe moindre - la preuve, hélas, votre si longue absence...

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