Ernest Reyer - SIGURD - La tirade d'exposition interrompue (première mondiale)
Par DavidLeMarrec, mardi 22 février 2011 à :: Sigurd d'Ernest Reyer - Lutin Chamber Orchestra :: #1671 :: rss
Vidéo et livret ci-après.
Toujours dans la même démarche de découvertes d'oeuvres inédites ou de fragment jamais donnés d'ouvrages majeurs, les lutins facétieux proposent aujourd'hui de restituer dans son intégralité la grande scène d'exposition de Sigurd, juste après l'Ouverture : choeur des femmes des guerriers, rêve et aveu d'Hilda, confidences magiques de sa mère Uta (en forme de stances).
Au coeur de l'aveu d'Hilda, toutes les versions au disque ou sur scène suppriment le récit, pourtant très parlant, de sa première rencontre avec Sigurd. Comme investi d'un pouvoir naturel, celui-ci défait paisiblement les cohortes d'oppresseurs, et s'en retourne tranquillement sans prendre le temps de recueillir ses lauriers.
L'extrait est d'autant plus parlant lorsqu'on le met en relation avec la prière à Odin, toujours coupée elle aussi, située au centre du grand air de Brunehild. Extrait déjà proposé précédemment : la puissance surnaturelle de Sigurd lui venait de la walkyrie. Autrement dit, c'est grâce à l'amour de Brunehild que Sigurd, sans même le deviner, fait naître l'amour chez Hilda, et va donc être conquis par elle, ce qui marque le début du noeud du drame... Un petit bijou d'ironie tragique, en somme.
Ce passage est moins fondamental que la prière à Odin pour le sens ou que le second duo entre les deux reines pour la musique, mais il est retranché au sein d'une scène où toute la musique, mêlée à une grande éloquence prosodique, est particulièrement inspirée. Alors que dans les actes centraux (coupés eux aussi), l'intérêt du texte comme de la musique est plus inégal (toute la frange héroïque en particulier, souvent un peu pompière).
Vous remarquerez dans le livret, alors que le texte est constitué d'un bloc, la grande continuité entre "numéros", avec de courtes transitions instrumentales qui sont souvent parmi les plus beaux moments de l'oeuvre...
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Remarque nécessaire : ici, peut-être plus qu'ailleurs, il est nécessaire de souligner que le projet est de fournir une rareté, pas un produit fini. Mon objectif est de rendre compte du caractère de la partition, de servir de support à la rêverie, pas de prétendre à la perfection.
En tenant simultanément le piano et les deux voix de femme (dont une soprane...) aux tessitures très différentes, il est assez difficile, à moins d'un travail très approfondi qui m'empêcherait de fournir de nouvelles raretés à moyen terme, de proposer une finition de haut niveau (par ailleurs, si quelqu'un avait une quarte aiguë de soprano à vendre, je la lui achète, son prix est le mien).
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La vidéo :
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Le livret :
Acte I
Immédiatement après l'Ouverture.
Worms. La grande salle du burg de Gunther
Scène 1
(Les femmes des guerriers de Gunther, Uta, Hilda et sa suite)
CHOEUR DES FEMMES
Brodons des étendards et préparons des armes !
Le roi Gunther est las de son repos,
Il veut courir à des exploits nouveaux.
Que de beaux yeux bientôt vont répandre des larmes!
Victorieux, de gloire et d'or couvert,
Il reviendra, le brave roi Gunther !
Brodons des étendards et préparons des armes.
HILDA
Celui-là seul est heureux
Qui porte un cœur valeureux
Dans la mêlée orageuse !
Celle-là seule est heureuse
Que chérit jusqu'à la mort
Un chef courageux et fort !
LE CHOEUR
Brodons des étendards et préparons des armes !
Entendez-vous le cor au fond des bois ?
Le roi Gunther suit un cerf aux abois,
Image des combats, la chasse en a les charmes,
Le roi Gunther va conquérir encor
Quelques vieux burg, quelque riche trésor ;
Brodons des étendards et préparons des armes !
UTA
(à Hilda)
Toujours songeuse et pâle Hilda... d'où vient ta peine ?
Le roi Gunther, ton frère, accédant à tes vœux
Rejette d'Attila les désirs glorieux,
Et les Huns indomptés ne t'auront pas pour reine ;
Tu soupires... Tes yeux sont humides de pleurs,
Parle... dis ta souffrance ou ta triste pensée
A celle qui demain veut mourir si tu meurs,
Qui, te donnant son lait, dans ses bras t'a bercée !
HILDA
Ma mère... un songe malgré moi
Me glace d'un mortel effroi.
Jadis, j'ai recueilli dans la forêt prochaine
Un milan voletant à peine,
Et de mes mains je l'ai nourri.
Dans mon rêve j'ai vu s'élancer d'un nuage
Un aigle affamé de carnage,
Frappant l'air d'un lugubre cri !
Je cachais dans mon sein, troublée et frémissante,
Le pauvre oiseau tremblant... De son bec acéré,
Malgré mes vains efforts et mes cris d'épouvante,
L'aigle cruel l'a déchiré.
UTA
Ma fille... Le sommeil est pour moi sans mystère/
Ce milan... c'est un noble époux...
Garde qu'une rivale, un jour, en sa colère
Dans tes bras ne le fasse expirer sous ses coups !
HILDA
Je veux vivre à jamais sans amour.
UTA
(souriant)
O blasphème
HILDA
J'ai refusé le trône d'Attila.
Quel moins digne voudrait se condamner lui-même
Aux dédains du cœur qui dort là?
UTA
Un héros vient toujours... et c'est celui qu'on aime.
HILDA
Hé bien, il est venu, ma mère, ce héros !
J'aime! et j'aime sans espérance...
Depuis qu'il a paru, j'ai perdu le repos,
J'aime et je meurs de ma souffrance !
Comme le soleil au ciel pur
Soudain vous fait pâlir, astres que la nuit sème,
Tel parmi les vaillants brille celui que j'aime,
Le noble et valeureux Sigurd !
[Ici débute la partie jamais enregistrée.] Te souvient-il de ces jours pleins de larmes
Où la victoire ayant trahi nos armes,
Mon père mort en guerrier valeureux,
De nos vainqueurs traînant la lourde chaîne,
J'étais l'esclave au palais de leur reine,
Servant sa table et tressant ses cheveux ?
Un vengeur vint, calme et superbe.
Comme un faucheur moissonne l'herbe,
Il allait couchant devant lui
Les guerriers qui n'avaient pas fui.
Sa beauté sévère
Est celle des dieux,
L'éclat de ses yeux
Fait trembler la terre,
Du glaive d'airain
Dont s'arme sa main,
Jaillit un feu sombre ;
Par lui, les guerriers
S'endorment sans nombre
Sur leurs boucliers.
Sigurd brisa nos fers, puis tout sanglant encore
Sans daigner seulement sur nous lever les yeux,
Calme et fier, il reprit son chemin glorieux !
[La coupure profite du retour du thème de Sigurd pour coller le début à la fin de la tirade :]
Ma mère, tu connais le mal qui me dévore,
Que rien ne peut apaiser désormais !
Il n'a pas vu que je l'aimais !
LE CHOEUR
(se rapprochant à la fin du récit)
Fille des rois, que te sert d'être belle?
Pourquoi répandre en secret tant de pleurs?
L'espérance a ton âge, Hilda, souris comme elle!
Souris; le gai printemps sur ta lèvre est en fleurs.
UTA
La nuit vient, les chasseurs ont quitté les halliers.
Femmes, il faut céder cette salle aux guerriers.
CHOEUR
Voilà les étendards, les cuirasses, les armes!
Avec le jour finira le festin;
Le roi Gunther part aux feux du matin.
Nous l'attendrons ici sans pleurs et sans alarmes.
Victorieux, de gloire et d'or couvert,
Il reviendra, le brave roi Gunther.
Voilà les étendards, les cuirasses, les armes!
(Le chœur sort)
Scène 2
(Uta, Hilda)
(Uta arrête Hilda au moment où elle allait sortir, à la suite du chœur, et la ramène vivement à l'avant-scène)
UTA
(à Hilda)
Je savais tout ! J'avais lu dans ton cœur
Ton amour pour ce fier vainqueur,
Tes tourments, ta misère...
Hilda, Sigurd ici bientôt viendra -
Et d'un ardent amour bientôt il t'aimera!
HILDA
Dieux!
UTA
Les destins n'ont pas de secrets pour ta mère.
I
Je sais des secrets merveilleux
Jadis appris à nos aïeux
Par les esprits terribles ;
Je sais des charmes redoutés
Soumettant à nos volontés
Les êtres invisibles.
J'ai conjuré l'esprit de l'air,
D'aller vers Sigurd au cœur fier
Et de lui porter la pensée
De venir au burg de Gunther.
Il vient, ô pauvre âme blessée,
Le fiancé que tu choisis !
O fleur par l'orage lassée,
Il vient, sèche tes pleurs, souris.
II
Par une belle nuit d'été,
La lune inondant de clarté
Les lacs bordés d'yeuses
En invoquant Freya trois fois
J'ai cueilli dans l'ombre des bois
Des plantes merveilleuses.
Mon art en a su composer
Un philtre où Sigurd va puiser
Les feux d'une ardeur insensée
Qui pour Hilda va l'embraser.
Il vient, ô pauvre âme blessée,
Le fiancé que tu choisis !
O fleur par l’orage lassée,
Il vient, sèche tes pleurs, souris.
(Fanfares au dehors)
HILDA
Ah! je tremble !
UTA
Ecoutons.
CHOEUR
(au dehors)
Voilà le fier chasseur,
Voilà le roi Gunther.
HILDA
(à Uta qui l’entraîne)
O ma mère, j’ai peur !
Commentaires
1. Le vendredi 25 février 2011 à , par T-A-M de Glédel
2. Le vendredi 25 février 2011 à , par DavidLeMarrec
3. Le jeudi 17 mars 2011 à , par Tommaso
4. Le jeudi 17 mars 2011 à , par DavidLeMarrec
5. Le jeudi 17 mars 2011 à , par Tommaso
6. Le jeudi 17 mars 2011 à , par DavidLeMarrec
7. Le samedi 19 mars 2011 à , par Tommaso
8. Le samedi 19 mars 2011 à , par DavidLeMarrec
9. Le dimanche 20 mars 2011 à , par Tommaso
10. Le dimanche 20 mars 2011 à , par DavidLeMarrec
11. Le dimanche 30 décembre 2012 à , par Caroline
12. Le dimanche 30 décembre 2012 à , par David Le Marrec
13. Le lundi 31 décembre 2012 à , par Caroline
14. Le samedi 27 avril 2013 à , par Caroline
15. Le samedi 27 avril 2013 à , par David Le Marrec
16. Le jeudi 7 novembre 2013 à , par Naná
17. Le vendredi 8 novembre 2013 à , par DavidLeMarrec
18. Le mercredi 28 mai 2014 à , par nana
19. Le dimanche 1 juin 2014 à , par DavidLeMarrec
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