Carnets sur sol

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samedi 30 juillet 2011

Nouveau chapitre


... ouvert sur les plus beaux récitatifs (on peut y accéder directement par la colonne de droite), puisque la série est amenée à s'étendre et à traverser les styles.

mardi 26 juillet 2011

Les plus beaux récitatifs - III & IV - Phaëton de LULLY : Epaphus et Libye (II,4 et IV,2-3)


Suite de notre petite balade dans les récitatifs marquants du répertoire.

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1. L'oeuvre :

Extrait de la dixième tragédie en musique (sur treize achevées) de Lully, on y trouve ses plus beaux récitatifs. La seule version de l'oeuvre, le disque Minkowski chez Erato (très recommandable) est actuellement épuisée. Au passage, Libye y est tenue par Véronique Gens (dont c'est l'un des meilleurs emplois, ce qui n'est pas peu dire), et Epaphus incarné par Gérard Théruel, un des plus grands barytons du vingtième siècle, dont on reparlera prochainement.

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2. La situation :

Libye va devoir épouser Phaëton pour des raisons politiques, alors que celui-ci, seulement épris de sa gloire, abandonne sa fiancée Théone et brise le tendre couple Libye / Epaphus.

Ces jeunes amoureux sont parmi les figures les plus touchantes de toute la tragédie : le rôle-titre et haute-contre, habituellement un personnage positif, détruit ici les espoirs de ces personnages secondaires fragiles, innocents et attachants. Plus épais psychologiquement que les amoureux habituels de ce répertoire, aussi.

On rencontre trois fois Epaphus dans l'oeuvre : deux fois pour un duo d'amour désespéré avec Libye (actes II et V, aussi bouleversants l'un que l'autre), et un duo d'affrontement avec Phaëton à l'acte III, qui motive la démesure supplémentaire et la chute de celui-ci.

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3. Ecriture

Le naturel extrême de la déclamation (fondé sur des mesures dont les mètres sont très changeants), sa grande inspiration mélodique, l'ampleur sans grandiloquence du geste musical, le pathétique très attachant des personnages, la beauté des couleurs harmoniques (parmi les plus raffinées de tout Lully), la variété des carrures rythmiques bondissantes, le sens inexorable de la progression dramatique, les sommets contenus dans les duos qui terminent chaque entretien... tout cela témoigne combien Lully a ici livré sa meilleure inspiration, et l'un des moments les plus élevés de toute son oeuvre.

Par la même occasion, ces deux scènes constituent également un sommet de l'histoire du récitatif français.

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La première rencontre :


La seconde :

Suite de la notule.

lundi 25 juillet 2011

Pourquoi les cuivres sont-ils stressés ?


De même que pour la réputation mitigée de l'alto, on entend souvent courir des bruits sur les cuivres. Il paraît que les instrumentistes, en particulier au cor mais aussi à la trompette, seraient particulièrement nerveux les soirs de concert.

Pourquoi diable ?

Il semblerait qu'on aurait trouvé une explication :

Suite de la notule.

jeudi 21 juillet 2011

(Far) West Opera


On admirera la culture lyrique de Calamity Jane, du moins celle de Paul Francist Webster, le lyricist de l'histoire :

Here's a hat from Cincinnati,
same as Adelina Patti
wore in ev'ry famous concert hall.



Pas tout à fait l'image qu'on se fait de la culture de l'héroïque mais fruste alcoolique, que les spécialistes supposent vaguement analphabète (invalidant au passage l'authenticité des fameuses lettres à Janey). Mais le film de David Butler n'élude pas la propension du personnage à enjoliver sa propre légende, et la cuistrerie de la référence est assez amusante.

Cela pose aussi la question de la popularité des chanteurs d'opéra d'alors : je doute qu'on trouve Willard White ou Bryn Terfel cité dans un musical d'aujourd'hui... (et ce même si le second a déjà interprété le rôle-titre de Sweeney Todd, à Chicago)

Au passage, j'ai placé en illustration la ligne vocale de cet extrait sonore, mais il s'agit de la partition de la version théâtrale de 1962 de Ronald Hanmer et Phil Park, un peu remaniée et surtout augmentée de nouveaux numéros (par le compositeur lui-même, Sammy Fain), tandis l'extrait sonore, avec Doris Day, est tiré de la bande originale de 1953.

Elle diverge donc quelque peu, mais vous remarquerez aussi la liberté que l'interprète prend sur les hauteurs écrites, et pas seulement pour échapper au fa 2 (la partition n'est pas transposée). On vérifie également la présence raisonnable de rythmes déhanchés, ainsi que le caractère très bas des tessitures : la voix paraît claire, juvénile et sopranisante alors qu'en théâtre lyrique on parlerait de tessiture de contralto.

Bref, un illustration du propos tenu hier autour des évolutions et spécificités du genre musical, du point de vue de l'opéra.

Quatuor Zaïde


Juste un petit mot pour faire la promotion de ce jeune quatuor, Prix de la Presse au Concours de Bordeaux (ex-Evian). On peut entendre sur leur site un quatrième mouvement du Quatrième Quatuor de Zemlinsky (pourtant pas le meilleur !) proprement hallucinant, tant chaque ondoiement est parfaitement individualisé. La prise de son les flatte, certes, mais ne peut pas inventer ça.

Si elles voulaient bien l'enregistrer, ce serait gentil.

C'est par ici.

mercredi 20 juillet 2011

La comédie musicale : écarts historiques (et lyriques)


En lisant un certain nombre de partitions de musicals des années 30 à 50, en parallèle avec d'autres des années 80 à 2000, je note un certain nombre de choses qui ne sont pas forcément évidentes à la seule écoute. La comparaison entre Fain et Schwartz est particulièrement édifiante.

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1) Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la complexité d'écriture a considérablement augmenté,

Suite de la notule.

Piotr & Modeste Tchaïkovsky : La ballade du comte Tomski en français


(Partition et extrait sonore ci-après.)

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Nouvel extrait sonore (mars 2015, il m'a fallu un peu de temps pour le découpage), cette fois accompagné au piano par meilleur pianiste que moi-même, ce qui libère à la fois le piano lui-même et la glotte aux mains libres.

[[]]
Accompagné par Rémi Castaing, sur le modèle du vampire-lord Ruthven.


L'ancienne version panée par mes soins reste disponible ici.


Pour le récitatif initial, j'ai conservé le texte de Michel Delines (Mikhaïl Ashkinasi) publié chez Mackar & Noël, un peu trop distant du texte original dans l'air que j'ai donc récrit, mais remarquablement inspiré dans le récitatif ("Et nuit et jour les jeunes sybarites / Adoraient la Vénus moscovite").

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1. Questions de méthode

S'écartant un tout petit peu du lied, on propose aujourd'hui, à la suite d'un raisonnement qui sera prochainement exposé dans une notule sur les versions traduites de la Dame de Pique et Eugène Onéguine (tchèque, allemand, anglais, français), une version française chantable de la ballade du comte Tomski. Les versions françaises existantes s'éloignent un peu du texte, en gomment certains aspects, ajoutent des notions (notamment religieuses) qui en sont absentes.

Ici, à l'exception de "Saint-Germain se tut" qui remplace "Saint-Germain n'était pas un couard" (parce que sur peu de syllabes, "était brave" sonne étrangement en français, on voit bien pourquoi...), la traduction est réellement proche, quasiment vers à vers, de l'original russe à partir duquel je l'ai réalisée.

En vers, comme d'habitude, pour préserver une certaine musicalité. Et comme de coutume, la régularité du mètre n'étant pas possible sauf à saccager la prosodie et les rythmes originaux, l'unité du vers se fait par la rime et non par le rythme - ce qui est contraire à l'essence de la poésie parlée mais se fond assez bien dans la poésie chantée lorsque la forme est complexe, comme c'est le plus souvent le cas à l'opéra.

Les modifications rythmiques sont extrêmement marginales (deux, il me semble), et reprennent des carrures que Tchaïkovsky use également selon sa prosodie. On se retrouve ainsi avec [ noire pointée / croche ], au lieu [ noire / croche / croche ], deux configurations que le compositeur utilise dans la ballade aux mêmes endroits, selon ses besoins.
On peut donc aussi réclamer une certaine fidélité musicale - supérieure à celle de la version française de Michel Delines dont on parlera, et qui se révèle plus libérale sur les ajustements.

J'ai aussi tâché de conserver la mise en valeur certaines pointes, ce qui n'était pas toujours facile : la rime embrassée pour "hasard" / "Mozart" impose une distance trop longue pour le débit chanté (l'auditeur a oublié la rime annoncée trois vers plus tôt), mais il était compliqué, vu la succession des événements employés dans le quatrain, de placer "hasard" plus loin. J'y travaille néanmoins, et un certain nombre de ces détails seront prochainement améliorés si des solutions sont trouvées.

Le décalage (un rejet, en fait) dans le vers précédant les deux grandes prises de parole de la Comtesse et de Saint-Germain est présent dans le texte russe. Je l'ai respecté, mais je ne suis vraiment pas certain que ce soit bien joli. C'est l'un des sujets prévus lors de la révision.

Enfin, "trois cartes" ne s'ajustant pas toujours parfaitement à ce qui précède ou suit, j'ai modifié quelquefois l'une des répétitions. Je laisse toutefois cette question à la discrétion de l'interprète : il faut que cela soit harmonieux et confortable. Si l'on ne sent pas bien cette petite brisure, autant conserver trois fois le même syntagme.

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2. Texte français et partition

Tiré de l'acte I de la Dame de Pique, donc.

La traduction n'est pas complètement vers à vers ni littérale, bien sûr, mais je confronte les deux textes à titre indicatif.

Je reprécise également que cette traduction n'est pas conçue pour être lue mais pour être chantée, ce qui change considérablement les choses lors de sa conception. Après test, sans avoir la saveur du russe, elle me paraît fonctionner dans ce cadre. (Mais les avis divergents sont bien sûr autorisés.)

Однажды в Версале au jеu de lа Reine
« Vénus moscovite » проигралась дотла.
В числе приглашённых был граф Сен-Жермен ;
следя за игрой, он слыхал, как она
шептала в разгаре азарта :
« О боже ! о боже !
о боже, я всё бы могла отыграть,
когда бы хватило поставить опять
три карты, три карты, три карты ! »
Граф, выбрав удачно минуту, когда
покинув украдкой гостей полный зал,
красавица молча сидела одна,
влюблённо над ухом её прошептал
слова, слаще звуков Моцарта :
« Графиня, графиня,
графиня, ценой одного rendez-vous
хотите, пожалуй, я вам назову
три карты, три карты, три карты? »
Графиня вспылила : « Как смеёте вы?! »
Но граф был не трус. И когда через день
красавица снова явилась, увы,
без гроша в кармане, au jеu de lа Reine
она уже знала три карты...
Их смело поставив одну за другой,
вернула своё... но какою ценой !
О карты, о карты, о карты !
Раз мужу те карты она назвала,
в другой раз их юный красавец узнал.
Но в эту же ночь, лишь осталась одна,
к ней призрак явился и грозно сказал :
« Получишь смертельный удар ты
от третьего, кто, пылко, страстно любя,
придёт, чтобы силой узнать от тебя
ри карты, три карты, три карты,
три карты ! »
Un jour, à Versailles, au jeu de la Reine,
Vénus Moscovite a perdu tout son bien.
Parmi les invités le Comte Saint-Germain
L'entend murmurer dans sa peine,
Priant, ces mots qui ne coûtent trop rien :
« Ô Dieu puissant... ô Dieu puissant...
Mon Dieu, tout le prix de ce bien que je perds,
Je puis le sauver si pour couvrir j'acquiers
Trois cartes, trois cartes, trois cartes ! »
Le Comte, pendant qu'à la table on écarte,
Trouvant sa Vénus bénit le hasard
Et seul, sans témoin, abordant sa rebelle,
Murmure tout bas, à la belle
Soufflant ces mots aussi doux que Mozart :
« Comtesse ! Comtesse !
Comtesse, pour prix d'un discret rendez-vous,
Demandez sans crainte que je vous avoue...
Les cartes, trois cartes, trois cartes ! »
La belle fulmina « Comment, vous osez ! »
Saint-Germain se tut. Mais un jour à l'entracte,
La jeune Comtesse, ruinée par les dés,
Apparaît encor au Jeu de la Reine
Et savait déjà les trois cartes...
La belle mise alors, très sûre elle enchérit
Et regagne ainsi tout son bien... à quel prix !
Ô cartes ! ô cartes ! les cartes !
Par vanité cite à son mari leur nom,
Et tendre à l'amant, lui révèle leur don,
La nuit, rêvant seule, un fantôme sévère,
Paraît devant elle et dit en suaire :
« Un homme informé de ton pacte,
Un homme embrasé d'un furieux amour
Viendra t'arracher au prix de tes jours
Les cartes, trois cartes, trois cartes !
Trois cartes ! »


Voici donc la partition et l'extrait sonore :

Suite de la notule.

[La mise en scène aujourd'hui] Mettre en scène la Dame de Pique


1. Les nations et les traditions

La portion des nations qui représentent l'opéra avec une certaine diversité des oeuvres (périodes, langues, styles...), on l'a déjà souligné ici, est très restreinte. Le phénomène se limite essentiellement à l'Europe occidentale : Allemagne en tout premier lieu (le lieu le plus lyrique et le plus original du monde), Suisse, Pays-Bas, Autriche, Finlande, Suède, Danemark, Norvège, France, Belgique, Espagne, Portugal, Italie, Royaume-Uni.
Ensuite, on voit certes bien plus large que dans les pays où l'opéra n'est pas une tradition (et où l'on ne joue que les Mozart, Rossini et Verdi célèbres, même dans un pays aussi proche que la Turquie), mais on se limite souvent à un répertoire plus local, en particulier dans les pays slaves (+ Hongrie et Roumanie), ou alors à un répertoire assez grand public et pas très renouvelé, comme en Amérique du Nord.

Parmi les pays de tradition lyrique, donc, ceux qui qui innovent sont une minorité ; et parmi ceux-là, ceux qui ont adopté une démarche créatrice façon Regietheater [1] vis-à-vis de la mise en scène sont plus réduits encore, même si le phénomène s'étend.


Mise en scène typiquement traditionnelle de la Dame de Pique de Tchaïkovsky à Santiago.


Les pays germaniques, le Bénélux, la Scandinavie, la France, l'Italie, à présent l'Espagne, et de plus en plus la Russie (qui n'était pas dans le groupe du répertoire le plus original, tandis que le le Royaume-Uni se caractérise plutôt par des mises en scène assez respectueuses et traditionnelles - mais souvent de haut niveau pour Covent Garden). L'Allemagne est le seul pays où il est quelquefois difficile dans les grandes capitales culturelles de voir une mise en scène respectueuse... Mais dans les petites villes de province, très souvent dotées d'un Opéra (avec une programmation audacieuse et souvent de meilleur niveau d'exécution que dans les capitales environnantes, Paris compris), la norme est bien davantage le conservatisme absolu en matière de mise en scène.

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2. La place du Regietheater

Le phénomène de relecture radicale des oeuvres reste donc assez marginal, en quantité (chacun des pays nommés conservant une large part de mises en scène traditionnelles, au moins sur les petites scènes). Leur plus-value est discutable, dans la mesure où elles rendent l'oeuvre, en déformant la lettre du livret, et même l'intrigue, plus difficile d'accès aux candides (contrairement à ce qu'elles prétendent) ; et surtout, leur apport se trouve essentiellement dans la direction d'acteurs (souvent bien plus fouillée), qui peut aussi bien être utilisée dans un décor traditionnel.

En ce qui me concerne, j'accepte beaucoup (aussi bien le kitsch poussiéreux que le dynamitage méchant), si la direction d'acteurs permet de faire sens. Mais l'idéal reste, de mon point de vue, une mise en scène qui ne soit pas en contradiction avec le livret (sinon, je ne suis pas contre la modification pure et simple du livret, mais qu'on soit cohérent), et si possible agréable à l'oeil : donc pas trop littérale et chargée, mais en contexte si possible.

Sur ce chapitre, chacun ses goûts et je ne vais pas m'y étendre. On peut se reporter à cette notule pour une exposition des trois paramètres principaux de réussite d'une mise en scène, et pour une vidéo illustrative des goûts marresques.

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3. Les trois paramètres

A titre indicatif, on les rappelle :

1) Le plaisir esthétique auquel les néophytes et les conservateurs la réduisent parfois, la « mise en décors », le fait que le plateau soit agréable à contempler.

2) L'animation du plateau, le fait que la direction d'acteurs ne laisse pas de place à l'ennui, rende la pièce vivante et fasse sentir la différence avec une lecture pour le théâtre parlé et une version de concert pour le théâtre chanté.

3) Le sens apporté par les choix du metteur en scène, qui éclairent d'une façon subtile ou inédite l'explicite écrit par le dramaturge ou le librettiste.

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4. Les types de mise en scène

Pour être clair, voici un classement (totalement indicatif et empirique) des types de mises en scène. Bien entendu, les frontières sont poreuses, mes définitions parfois contestables, et surtout chez un même metteur en scène, on peut varier de catégorie d'une oeuvre à l'autre ! Lorsque je ne cite le metteur en scène que pour certaines productions isolées, je le précise.

A. Littéral conservateur
Décors exacts, riches si possibles (robes larges, mobilier de style, velours, dorures, bibelots), qui doivent porter une partie de l'émotion par le seul visuel (on applaudit encore quelquefois les décors dans les productions grand public), faire voyager. Direction d'acteurs pauvre : les artistes sont en front de scène, ne bougent pas pendant leur air, ne font pas plus que ce qui est inscrit dans le livret (voire moins). Le seul type de mise en scène qui existait avant les années soixante-dix.
Type Strehler, Schenk, Del Monaco, Stein, Zeffirelli...

B. Traditionnel inventif
Décors exacts, mais le soin se porte sur la direction d'acteurs, et le but est l'efficacité théâtrale, ce qui peut inclure ponctuellement des audaces, des imprévus ou du second degré. On pourrait inclure dans cette catégorie les transpositions mineures - c'est-à-dire les transpositions dans un univers qui paraît également distant au spectateur d'aujourd'hui : La Clémence de Titus au XVIIIe siècle, les Contes d'Hoffmann dans le Paris de 1900, etc.
Type McVicar, Hytner, Sharon Thomas, Savary, Dunlop, Lehnhoff (Frosch, Elektra), Jourdan (Dinorah, Noé), Mussbach (Arabella), Villégier, Marelli...

C. Epuré
Le cadre contexte et spatio-temporel est gommé : peu de décors, on laisse l'action dans une époque indéterminée (éventuellement plus proche du présent que celle du livret) et en se concentrant (en principe, car tout le monde ne le fait pas !) sur la direction d'acteurs.
Type Frigeni, Braunschweig, Decker... ou plus idiosyncrasique, Freyer et Wilson, à cheval avec la catégorie suivante.

D. Transpositeurs / Novateurs
On change le cadre de l'histoire, on en modifie des détails, des dispositifs, mais sans changer le propos.
Type Kupfer, Guth, Fura del Baus, Bieito, Wieler & Morabito, Kušej, Freyer, Wilson... (les deux derniers entrant aussi dans la caégorie "épure")

E. Regietheater versant dynamiteur :
On déforme l'oeuvre telle qu'elle est écrite pour faire passer des messages ou raconter sa propre histoire.
Type Alden (Rinaldo), Konwitschny, Warlikowski, Schligensief, Tcherniakov, Neuenfels...

On trouve des choses réellement intéressantes dans les cinq catégories, même si, à mon sens, les trois centrales sont dans l'écrasante majorité des cas plus efficaces que les deux autres sur le plan théâtral.

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5. Et la Dame de Pique ?

Notes

[1] On appelle Regietheater, dans le milieu lyrique, les productions où le metteur en scène est tout-puissant et transpose le cadre de l'oeuvre, modifie l'intrigue, introduit des éléments subversifs, impose éventuellement des changements à la partition. Le phénomène est stimulant, mais souvent excessif et très contesté par le public - très minoritairement intéressé, concernant surtout les amateurs de théâtre "moderne", qui ne sont vraiment pas la majorité à l'Opéra.

Suite de la notule.

vendredi 15 juillet 2011

Interprétation et authenticité : Niccolò Paganini


En se baladant sur la Toile, un commando korrigan a fait une jolie trouvaille. Une notule avec extraits de partitions et extraits sonores, très accessible, et qui s'intéresse notamment à la mis en perspective historique des interprétations, au lien entre les oeuvres et leur contexte de création - sans prendre le moins du monde parti pour une position idéologique ou l'autre.

Je ne suis pas forcément d'accord avec l'intensité de la vénération affichée pour la version Hilary Hahn / Eiji Oue (placée comme supérieur à tout ce qui existe), mais tout le propos factuel est très stimulant.

C'est à propos du Premier Concerto pour violon en mi bémol majeur de Niccolò Paganini - et l'on y expose en particulier l'évolution de la sensibilité sur les questions de justesse, ou bien le changement de tonalité de ce concerto vers ré majeur (radical changement de couleur !).

C'est en anglais (ou en russe), mais très accessible, et c'est recommandé.

jeudi 14 juillet 2011

Carl NIELSEN - Première Symphonie - une version de référence inattendue


Les lutins ont déjà proclamé leur violente tendresse pour les premières Symphonies de Carl Nielsen. Ces oeuvres, à défaut d'être données au concert en France, ont vécu une intense fortune discographique ces dernières années - un guide discographique est en préparation.

Mais quelle ne fut pas ma surprise en découvrant, au détour d'une vérification de routine pour constater si l'on trouvait enfin une vidéo de symphonies de Nielsen hors des 4 et 5... une version de la Première (la plus négligée de toutes) qui surpasse toute les autres à mon goût, en tout cas pour son premier mouvement, l'un des plus beaux de tout Nielsen.

Et pourtant... il ne s'agit que de l'orchestre du lycée Saint-Anne à Valby (une portion de Copenhague). Qui accueille, certes, des étudiants plus âgés et extérieurs à l'établissement. Mais tout de même...


Il est d'usage de faire un effort d'originalité pour les photos d'orchestre, mais il faut bien admettre qu'ils se sont surpassés ici... les jeunes cervelles ont mouliné sévère.


Je suis effaré par la lisibilité, le feu, la logique structurelle (que j'entends mieux ici, même sans l'image, que n'importe où ailleurs)... Pourtant, instrumentalement, quoique fort bons, ce n'est pas parfait, pas du niveau d'un orchestre professionnel.

Ne vous laissez pas abuser par l'entrée en matière brouillonne (aussi bien pour la mise en place que pour la justesse), ça ne dure que quelques mesures.


(Les autres mouvements se trouvent sur la chaîne de l'orchestre, à la suite de celui-ci.)

Comment cela est-il possible ?

J'y vois plusieurs explications.

Suite de la notule.

Fête Nationale par Jean-Michel Damase


J'ai placé en ligne il y a quelques jours cet extrait tiré d'Eugène le Mystérieux, feuilleton musical de Jean-Michel Damase pour la radio (1963-1964), des scènes musicales sur des textes de Marcel Achard, d'après le roman Les Mystères de Pari d'Eugène Sue.

Il se trouve qu'il est particulièrement concordant avec l'ordre du jour, alors si certains aiment la couleur locale des éphémérides, en voici :


Illustration :
Combat pour l'Hôtel de Ville le 28 juillet 1830
de Jean-Victor SCHNETZ
1834, huile sur toile
Paris, musée du Petit Palais


Un hymne vraiment prenant, qui remplacerait avantageusement, aussi bien pour sa musique plus adroite que pour son texte plus positif, l'actuel. Il faudrait sûrement supprimer la référence réprobatrice à l'anarchisme, puisqu'il s'agit ici d'une marque de contexte du roman, qui excèderait le cadre fédérateur d'un hymne national.

L'hymne actuel ne sera pas remplacé - l'adoption de la ligne mélodique Berlioz sur "jusque dans nos bras" serait le maximum qu'on puisse espérer en matière d'ajustement...
Mais quoi qu'il en soit, musicalement, ce chant assez primesautier reste délectable hors contexte, c'est déjà beaucoup.

Sur le plan de l'exécution, vous noterez l'usage de [R] uvulaires non vibrés (quelquefois grasseyés en appui sur consonne, comme pour "patrie"), qui donne un aspect plus populaire à l'élocution - très nettement pour la basse, qui joue le Chourineur. J'aime beaucoup la façon, typique de l'école française, dont le ténor antériorise le [ou] : il prononce "bouge" en faisant tirer le [ou] vers le [u], la voyelle frémit réellement.

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Compléments :

  • Sur Les Mystères de Paris de Sue (avec illustration sonore de Damase).
  • Un parallèle entre Woyzeck et Les Mystères de Paris (illustrations de Gurlitt et Damase).
  • Hymne patriotique (moins bon enfant, mais rengaine obsédante...) de Charles VI d'Halévy, par l'équipe des lutins.
  • La Marseillaise de KODÁLY Zoltán : A szabadság himnusza.


mardi 12 juillet 2011

Massenet : Cendrillon vue de l'intérieur (B. de Billy / Covent Garden : DiDonato, Coote, Gutiérrez, Lafont)


Les lutins locaux ne sont pas des lecteurs très assidus des sites de chanteurs, à de rares exceptions près.

Néanmoins, les représentations de Cendrillon de Massenet ayant reçu des critiques très mitigées, on est allé faire un détour du côté du carnet de Joyce DiDonato, chouchoutée par les médias mais aujourd'hui accueillie avec beaucoup de fraîcheur - trop tendu pour elle, lit-on.

... Et je suis enchanté d'y trouver un enthousiasme partagé pour cette partition, pour cette façon personnelle de ponctuer les interventions vocales, son climat très spécifique.

Par ailleurs, ce qu'écrit la chanteuse se révèle assez développé et fin, très loin des vagues impressions qu'on entend habituellement dans les entretiens accordés par l'un ou l'autre à la presse.

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Concernant les représentations, j'ai pu en écouter la radiodiffusion, et le résultat est assez convaincant. La direction d'orchestre gagne à la sècheresse de Bertrand de Billy, même si, avec un orchestre qui n'est pas comme les Musiciens du Louvre exclusivement attaché à sa personne, les détails sont moins inspirés. Le choeur est excellent (ce qui était le petit point faible de la production Lazar / Minkowski).

Les chanteurs sont globalement

Suite de la notule.

lundi 11 juillet 2011

Giacomo Meyerbeer - Les Huguenots - un nouvel état de la partition : fragments jamais joués (édition Ricordi, Minkowski Bruxelles 2011)


Ayant suivi avec beaucoup d'intérêt ces Huguenots bruxellois, et en particulier la radiodiffusion des extraits inédits, jamais représentés (même pour la création semble-t-il), les lutins souhaient revenir en détail sur ce nouveau matériau sonore, et aussi sur son traitement orchestral original par Minkowski (avec dans les deux cas des considérations positives ou négatives). Ayant pu lire le travail très précis de recension qu'avait déjà effectué Guillaume, je lui ai proposé d'écrire une notule sur le sujet, puisqu'il est à l'heure actuelle, l'édition Ricordi n'étant pas encore publiée, l'un des plus érudits sur ce nouvel état de la partition.

Les lecteurs réguliers de Carnets sur sol l'auront déjà lu, il commente souvent par ici, et tient lui-même salon dans un boudoir voisin (tenu secret).

Voici son texte. Je l'agrémenterai dès que possible des extraits sonores correspondants.

Qu'il soit remercié pour la qualité et la clarté de ses commentaires.




Les Huguenots de Meyerbeer à la Monnaie de Bruxelles – juin 2011 : un nouvel état de la partition
Par Guillaume.


Suite de la notule.

dimanche 10 juillet 2011

Zoltán KODÁLY - A szabadság himnusza (La Marseillaise)


Littéralement : L'hymne de la liberté. Arrangement hongrois avec de petits contrechants pointés qui donnent un semblant d'effet de canon. Très mignon.

Version mise en ligne par les lutins, une bande radio du choeur d'hommmes Béla Bartók de Pécs :


Kodály a aussi, au passage, écrit des choeurs a cappella bien moins anecdotiques, d'une simplicité assez merveilleuse - ce qu'il a écrit de mieux, à mon sens.

Mais la version mixte est ici plus convaincante (une strophe seulement), le Vikár Béla Vegyeskar est totalement déchaîné, devant un public français (Saint-Sébastien sur Loire) :

Suite de la notule.

Extension de la jubilation


La liste "jubilation cosmique" a été complétée ce jour (inclusion de Charpentier et Grétry, inexplicablement absents).

samedi 9 juillet 2011

Absurde


Comment sélectionner une liste de compositeurs ? Le classement numéroté est bien sûr impossible (disparité des corpus, natures différentes des modes d'écoute...).

Le principe alphabétique a été proposé chez d'aimables voisins. Complètement absurde, je lui trouve beaucoup de charme.

Suite de la notule.

vendredi 8 juillet 2011

Daniel Catán - Il Postino - Une nouvelle école d'opéra (et un nondernier rôle pour Plácido Domingo)


L'occasion, au détour de ces représentations autour du monde (et en l'occurrence au Théâtre du Châtelet), de s'interroger sur les façons de composer un opéra, au fil de l'histoire et aujourd'hui.

1. Public et contexte des représentations (le 30 juin) - 2. L'oeuvre - 3. Place dans l'Histoire - 4. Vers une nouvelle école du drame lyrique ?

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1. Public et contexte des représentations

Comme prévu, l'étiquette opéra contemporain était répulsive pour le grand public, et l'étiquette musique de film était négative pour la critique. Il restait d'ailleurs pas mal de places, ce qui est étonnant pour une apparition de Domingo - alors que même le lied fait salle comble avec Kaufmann, certes au faîte de sa gloire vocale.

C'est bien cette double appartenance qui intéressait les lutins, qui se sont rendus (en petit comité) parmi la meilleure société qui assistait à l'une des dernières apparitions vocales de Plácido Domingo - du moins avant l'amorce de sa nouvelle carrière de basse profonde.

Le public a réservé un accueil très enthousiaste - debout, et faisant relever le rideau très longtemps après le retour des lumières dans la salle - qu'on peut attribuer assez vraisemblablement à la présence de la légende vivante sur scène, mais c'est aussi un signe que l'oeuvre n'a pas déplu (peut-être la référence filmique a-t-elle aussi été appréciée ?).
C'était manifestement, aussi, un public plus "ingénu" que le public d'opéra habituel, pas un public de spécialistes, mais plutôt la nouvelle cible du Châtelet de Choplin, un public un peu plus familial, de curieux qui ont envie de faire une expérience à la croisée des styles, de se laisser surprendre.
Cela consiste certes, aux yeux des amateurs d'opéra, à se priver d'une partie de l'offre lyrique traditionnelle, mais on y gagne une offre qui n'existait pas et qui mérite vraiment d'être proposée : comédie musicale, créations à la croisée des styles (témoin la comédie musicale de Villa-Lobos la saison passée, Pop'pea la saison prochaine), opéras contemporains hors des sentiers de la modernité habituelle (The Fly de Howard Shore, Le Vagabond ensorcelé de Rodion Chtchédrine), et tout de même quelques oeuvres lyriques traditionnelles, parfois rares (Les Fées de Wagner, Cyrano de Bergerac de Franco Alfano)...

Bref, contrairement à ce qu'on avait beaucoup lu ou entendu chez les mélomanes, la gent farfadesque souhaitait vivement s'y rendre, et avec un a priori assez positif de surcroît.

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2. L'oeuvre

L'oeuvre a été accueillie favorablement par le parterre poulpiquisant. Il s'agissait, conformément aux attentes, d'une écriture de type filmique : un langage assez consonant, où domine le lyrisme des cordes. Et aussi d'autres choses plus profondes, sur lesquelles on revient tout de suite.

D'un point de vue structurel, il faut saluer l'usage de la poésie de Neruda, prétexte à air ("Desnuda"), noeud de l'action (le plagiat victorieux de Mario), ou encore ponctuation de l'action. C'est généralement la faiblesse des oeuvres dramatiques qui font hommage à un artiste : la vie de l'artiste n'est pas la plus passionnante, et rien ne peut traduire la spécificité d'un peintre ou même d'un musicien ancien dans un opéra... On reste au degré le plus superficiel, à la paraphrase en somme.
Or ici, la poésie de Neruda innerve tout le drame et en nourrit même l'intrigue, une belle réussite, une belle plus-value, qui met en valeur l'usage de la langue espagnole, rare à l'opéra (Albéniz lui-même composait en anglais...).

N'ayant pas encore ni lu le roman originel, ni vu le film-source (c'est en projet), impossible de juger de l'adaptation lyrique, il y aura peut-être matière à nouvelle notule dans ce cas ; néanmoins, en l'état, le livret fonctionne bien malgré la fragmentation de ses scènes (des changements de lieux brutaux, peu "théâtraux"). Le découpage en actes reste certes artificiel, et le pourquoi de l'oeuvre attend le troisième et dernier pour se manifester - néanmoins, on s'attache à cette routine avec les personnages, dans un sujet peu tendu et peu paroxystique, inhabituel à l'opéra.

L'écriture vocale n'est ni d'un récitatif très véridique, ni d'un mélodisme particulièrement inspiré : la ligne vocale s'intègre à la musique, sans relief spécifiquement faible ni accusé.

L'oeuvre culmine dans le récit (matérialisé par un véritable flash-back musical) de la mort de Mario dans la manifestation où il lit son poème : la gestion des masses sonores, le choeur s'entrechoquant avec l'orchestre, constitue réellement le moment fort, musicalement, de toute l'oeuvre (plus banale, d'une certaine façon). C'est aussi le moment fort du point de vue de l'émotion, mais de façon assez déconnectée de la musique, étrangement : la musique impressionne et la situation touche, séparément.

Sans avoir rien d'extraordinaire, l'oeuvre est réellement séduisante.

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3. Place dans l'Histoire

Il est particulièrement intéressant de s'attarder sur la construction de l'oeuvre. Daniel Catán n'est pas un compositeur prestigieux, dans le sens où il n'écrit pas dans un style neuf, ni des oeuvres qui représenteraient l'aboutissement d'un style, même conservateur (il est parfois qualifié de "néo-romantique", si ce terme a un sens).

Et son type d'écriture s'apparente ici à de la musique de film. On pourrait le rapprocher de Marius et Fanny de Vladimir Cosma, qui était une très belle réussite dans un style anti-classique d'une certaine façon. Ce qui signifie ?

Voyons cela :

Traditionnellement, l'opéra s'écrit dans une alternance entre récitatifs (pour faire progresser vite l'action, on suit les inflexions de la voix parlée) et "numéros" (les moments de bravoure vocale et musicale : airs et ensembles). A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les finals s'émancipent et deviennent de la musique en continu, faite de récitatifs accompagnés à l'orchestres, de tirades, d'ensembles, le tout de haute teneur musicale.

Puis arrivent les premiers drames en musique à flux continu - Rossini (Guillaume Tell, 1829), plus encore Meyerbeer (Robert le Diable, 1831) et Wagner (''Der Fliegende Holländer, 1843), où les récitatifs sont tellement soignés et tellement intégrés au reste de la musique (Meyerbeer interrompt ses numéros par ses récitatifs, Wagner fait conclure ses airs par des récitatifs, bref impossible de les retirer) qu'on doit les considérer au même titre que les numéros, comme de la "musique pure".
En suivant cette voie, les compositeurs vont épouser tout simplement les contours du drame, en utilisant les moyens que réclament telle ou telle situation (en particulier les français à partir de Chausson et d'Indy, et les germaniques après Wagner, mais aussi Puccini...).

Enfin, les compositeurs vont pour certains développer, en particulier à la suite de Wagner (décidément central à tout point de vue dans l'histoire de l'opéra...), une substance musicale progressivement au fil d'une même scène, voire de l'opéra tout entier (leitmotive, mais aussi matériau thématique propre à un moment précis).

L'opéra a dont deux façons de s'écrire :
=> à "numéros", mais cela ne se fait plus, sauf dans l'opérette / comédie musicale (mais de façon évidente, à cause des dialogues parlés - de plus le genre ne descend pas de l'opéra, en réalité) ;
=> de façon linéaire, en suivant le drame ;
=> en maintenant la tradition du développement en musique classique, au moins en conservant une couleur commune dans l'oeuvre, et en conservant des unités de matériau thématique au moins au sein d'une même scène.

Les trois prositions peuvent se nourrir les unes des autres et cohabiter. Dans Die Walküre de Wagner, les trois se rencontrent : on dispose bel et bien de vestiges de l'alternance récitatif-air (typiquement les "Adieux de Wotan", précédés d'un "récitatif" moins mélodique avec Brünnhilde), mais tout est conçu pour suivre le texte, dans ses plus petites inflexions... et cependant jaillissent des motifs récurrents qui structurent l'oeuvre de façon plus globale.

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4. Vers une nouvelle école du drame lyrique ?

Ce qui surprend est que Daniel Catán, malgré une certaine unité de ton (mais plus par style propre que par choix spécifique de couleur), malgré certaines parentés mélodiques (ici aussi, pas forcément volontaires), et malgré aussi certains retours thématiques (ponctuels et bien trouvés), n'adopte réellement aucune des trois propositions.

Bien sûr, on y trouve des moments identifiables comme des airs ("Desnuda", typiquement) ou des duos (le duo d'amour qui précède le mariage, à l'acte II, également pénétré du sonnet). Mais la musique n'épouse pas au plus près la déclamation, loin s'en faut, et ne développe pas non plus un discours musical élaboré.

En réalité, et c'est là que la chose devient intéressante, Catán traite son opéra comme un film, exactement comme Cosma. Ses unités ne sont pas musicales ou vocales, ce sont des unités d'action. Chaque scène a sa musique (certes pas très typée d'une scène à l'autre, même si l'on dispose des interventions du phonographe et du très beau lyrisme orchestral qui accompagne la séance d'enregistrement des sons d'Italie). Les scènes ne sont pas subtilement liées, elles se juxtaposent plutôt.

Cette "nouvelle" façon (surtout due à des compositeurs non spécialistes) est tout de même ancienne, on peut la remonter sans problème à l'Opéra d'Aran de Gilbert Bécaud (1962), qui ne fait pas le moins du monde école, mais qui est le premier d'une liste d'opéras au ton "grand public", renouant avec la facilité d'accès des siècles précédents. La contamination de la comédie rend parfois les frontières ténues, comme Call me Ishmael de Gary Goldschneider (composé de 1987 à 2003), et on avait déjà souligné l'influence inverse, de l'opéra sur la comédie musicale (Les Misérables de Schoenberg / Boublil).
Le côté séquentiel se retrouve aussi dans des oeuvres bien plus inscrites dans le XXe siècle "savant", comme 1984 de Maazel, où les différents tableaux sont également très segmenté, sauf l'acte III, immense arche insoutenable, dans une style chostakovitchobergien assez terrifiant, au meilleur sens du terme. Ici aussi, on n'entend pas un opéra traditionnel aux actes I et II (indépendamment du mélange des genres avec incursions, désormais habituelles, du jazz et de la chanson populaire).

J'avais été assez dubitatif (surtout que le poème était écrit dans une langue d'une assez grande maladresse) en écoutant Cosma, parce que j'y voyais toutes les faiblesses d'écriture (prenant un procédé, il l'éreintait sur dix minutes, le temps de sa scène, et pliait sa prosodie à sa trouvaille musicale)... mais en réalité, cela fonctionne assez bien pour créer du climat. Quelque chose en phase avec notre temps de zappeurs, en tout cas, ces saynètes cloisonnées.

Il Postino n'atteint pas l'intérêt ni le charme de Marius et Fanny, et ne mérite pas forcément d'être redonné, mais j'y retrouve ces qualités et cette nouvelle méthode d'écrire un opéra. Peut-être par faiblesse, manque de méthode ou de culture (?) au départ, mais le résultat ouvre une voie intéressante.
En tout cas une alternative plus viable auprès du public que l'opéra défragmenté, antiprosodique et antidramatique, qui prévaut chez beaucoup de compositeurs aujourd'hui (qui essaient d'assujetir le théâtre à leur style musical - ce qui est mal). Bien sûr, pas tous, mais le fait qu'un théâtre musical d'avant-garde cohabite avec un théâtre musical qui provienne du même héritage, mais se destine à une écoute plus facile et à un public plus large, me paraît très sain et stimulant. Les deux sont utiles, surtout s'ils existent simultanément.

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5. Et Domingo ?

Ah oui, puisque 95% des requêtes qui vont aboutir ici le seront vraisemblablement pour avoir de ses nouvelles : il va très bien. En tant que provincial jusqu'à une date encore fraîche (et pas spécialement à l'affût des "grandes affiches"), je l'entendais pour la première fois, et j'ai été frappé par son volume sans effort et son éclat (alors qu'il sonne désormais un peu lessivé en retransmission). Même avec l'imagination, on peine à se représenter l'électricité qu'il devait dégager il y a dix ans, sans parler des années 70 et 80... En l'état actuel, ça ne méritait sans doute pas l'ovation si insistante du public, mais eu égard aux services rendus et à l'énergie, malgré son record absolu du nombre de rôles abordés, pour en aborder toujours de nouveaux à son répertoire, y compris des créations...

La mise en scène de Ron Daniels, tout à fait littérale, ménage quelques beaux moments. D'abord l'effet de zoom lorsque la partie mobile du plateau s'approche du spectateur (effet qui est un peu trop répété par la suite), ensuite et surtout la très belle trouvaille de la projection, pendant les enregistrements des sons d'Italie, sur deux supports simultanément : le fond de scène, mais aussi le rideau translucide devant la scène, si bien qu'on éprouve l'impression de nager réellement dans cette eau, comme enfermé dans la projection - assez impressionnant. Nul doute que le procédé n'est pas neuf, néanmoins il était non seulement très à propos, mais surtout remarquablement réalisé.

Sinon, Jean-Yves Ossonce a fait ce qu'il a pu avec ses talents de phraseur lyrique pour tirer ce qu'il pouvait d'un fort bon Orchestre Symphonique de Navarre dans une partition pas toujours adroite (écriture en accords, peu contrapuntique, ce qui cordes aidant, crée l'impression de longs aplats à peine parcourus de colorations de cors...), le Choeur du Châtelet se révèle plein de relief, Cristina Gallardo-Domâs (Matilde Neruda) paraît un peu fatiguée (la voix s'est aigrie, et on lui confie désormais les rôles d'épouse, mauvais signe), Amanda Squitieri (Beatrice Russo) se révèle vaillante et maîtrisée malgré ses opacités et son timbre un peu dur, Patricia Fernandez (la tante Donna Rosa) tire le profit scénique d'un beau rôle de caractère (la seule "opposante", et gentille en plus) malgré une voix vraiment moche pour son âge, Victor Torres (Giorgio) sonne assez bien dans sa langue, moins fruste qu'à l'accoutumée, Laurent Alvaro développe toujours de façon plus impressionnante sa stature vocale (grosse projection), et en Mario Ruoppolo Daniel Montenegro (j'aurais choisir Charles Castronovo, mais l'alternance n'était pas indiquée et mes disponibilités étaient limitées) a un joli timbre un peu sombre, façon Castronovo, mais assez mal projeté, se diffusant réellement mal dans la salle - incarnation scénique en revanche de qualité.

Voilà, hop, tout le monde est servi.

Et la réflexion sur le genre opéra a gagné un peu de grain à moudre avec cette oeuvre.

L'Opéra et le Musée


(Vidéo suit.)

Le respect scrupuleux de la lettre, dans la musique classique, me laisse dubitatif.

Je ne suis pas le seul à m'interroger sur le culte du texte : tout arrangement est une subversion, et si l'on coupe ou transpose volontiers visuellement dans les opéras, on ne changera pas un mot, quitte à être en distorsion complète avec ce que l'on montre. Si l'on voit Leporello sniffer un rail que lui offre son maître, pourquoi conserver le texte qui dit "deniers" ? Autant se mettre en accord avec ses déformations.
Et ne parlons pas des traductions, qu'on n'ose plus jouer malheureusement.

Certains accusent même cette habitude de faire de la musique un musée, où l'on n'époussette les idoles qu'en tremblant, le jour où on les sort pour leur parade annuelle. On va jusqu'à faire porter au culte du solfège l'explication du supposé déclin vocal (1,2,3), ou du lieu commun de la fadeur des pianistes d'aujourd'hui, qui seraient tout verrouillés des coudes tellement ils redoutent la fausse note.

Et il est vrai qu'aujourd'hui la sélection se fait davantage qu'autrefois sur les qualités solfégiques pour les chanteurs (même si elles demeurent moins exigeantes dans cette discipline-là), et que la fausse note pour un instrumentiste est totalement proscrite, même en contrepartie d'une vision transcendante.

Je ne vais pas trancher ici, c'est une question de priorité personnelle, et j'ai déjà montré que je ne croyais pas au déclin, et que je n'attachais pas non plus une importance particulière à l'exactitude tant que l'esprit demeure.

Mais je voudrais soumettre cet extrait très révélateur :

Suite de la notule.

Joie


Je viens de découvrir l'existence d'un label de musique nommé Marsyas.

Rien que ça, ça fait du bien.

Concert gratuit le 9 juillet


L'Opéra de Massy donne un récital hors les murs, en la vaste église de Saint-Sulpice-de-Favières (Essonne, à 20h30), d'un gothique rayonnant assez aéré. Pas certain du tout que l'acoustique y soit optimale, je conseille de ne pas arriver tard pour se trouver placé le plus près possible.


Concert accompagné au piano par Laetitia Jeanson, qui comprendra deux parties, consacrées prétendument aux "plus grands airs du répertoire", mais qui contient en réalité des duos, et des choses rarement proposées en récital.

En première partie, du Mozart (Noces, Don Giovanni, Flûte) ; en seconde, "air" de Blanche (Dialogues des Carmélites de Poulenc, pas franchement un standard des récitals de tubes), air du Prince Yeletski (Dame de Pique de Tchaïkovsky), grande scène de Tatiana (Eugène Onéguine), les deux airs-cultes de Carmen (la Habanera et le Toast), et le rare duo Leïla / Zurga des Pêcheurs de perles du même Bizet.

Un programme très sympathique, et avec quelques moments inattendus.

Côté voix, on diposera de Claire Servian (jamais entendue pour ma part, mais le fait qu'elle chante à la fois Blanche, Tatiana et Carmen indique un soprano lyrique large ou sombre, en principe) et d'Olivier Ayault, un baryton réellement excellent : mordant, coloré, diction parfaite.

Pour le prix, on peut s'estimer gâtés, et la visite est conseillée.

mardi 5 juillet 2011

DSS


Du nouveau sur Diaire sur sol (du symphonique vingtième et contemporain) :

  • Rodion Chtchédrine (Shchedrin) - Carmen suite - Theodore Kuchar
  • Pehr Henrik NORDGREN - Summer Music - Juha Kangas / Turku PO
  • Pehr Henrik NORDGREN - Symphonie n°7 - Juha Kangas / Turku PO
  • Christopher Rouse - Symphonie n°2 - Alan Gilbert / Stockholm RPO
  • Karl Amadeus Hartmann - Symphonie n°5
  • Igor Stravinsky - L'Oiseau de feu - Yoel Levi
  • Igor Stravinsky - Le Sacre du Printemps pour orgue - Bernard Haas


A lire par ici.

Les plus beaux récitatifs - II - À la voûte azurée (Damnation de Faust, Berlioz)


Il y aurait long à dire sur les récitatifs de la Damnation de Faust, les plus subtils, les plus expressifs, les plus nus, les plus précis, les plus novateurs et accessoirement les plus beaux du XIXe siècle, de mon point de vue.

En voici un extrait particulièrement riche, soutenu seulement par les cors de la forêt prochaine, qui servent une réplique ironique de Méphisto et créent un climat étonnant - par la distorsion entre la liberté de la déclamation et l'archaïsme harmonique de l'accompagnement.

La tirade a cappella "Certaine liqueur brune" est tellement déroutante qu'elle a été coupée par le passé pour ne pas exposer les chanteurs à se perdre dans la mélodie - il faut retomber sur la bonne note qui est la fondamentale de l'accord, au redémarrage de l'orchestre.

Extrait sonore :

Suite de la notule.

dimanche 3 juillet 2011

Naji Hakim (°1955) - Rubaiyat


Comme on peut s'y attendre, une oeuvre pour orgue peut difficilement rendre le caractère aphoristique des Robaiyat d'Omar Khayyâm - à moins d'utiliser un format Kurtág (auquel il faudrait ajouter un humour un peu plus franc), ce qui serait très intéressant.


Or Naji Hakim écrit une grande forme en quatre mouvements, certes sur des motifs simples et obstinés (mais c'est son style, de même que cette tonalité un peu sinueuse qui ruisselle de façon parfois un brin bavarde), qui se succèdent tout en restant parents. Aussi, le sentiment persistant de solennité (la registration et l'harmonie ne sont pas franchement primesautières non plus) se trouve aux antipodes de l'impression directe et fugace que produit la lecture des spirituels Robaiyat. Etrange adaptation. (En réalité, on y entend pas mal de "tricot" organistique assez caractéristique.)

Paru chez Priory en 1992, avec d'autres compositions de Naji Hakim qu'il joue sur le Cavaillé-Coll du Sacré-Coeur de Paris, mais l'oeuvre a depuis été reprise par d'autres interprètes.

Pour un mot sur les Robaiyat de Khayyam - et leur adaptation réussie par Jean Cras -, voir ici.

Et pour entendre Ulf Norberg jouer l'oeuvre en ligne :

Suite de la notule.

Effet Bruxelles


Belle progression sur le mois de juin.

Atmosphères - III - "Positivité"


1. Une configuration rare

Avant la période romantique, on peut considérer que les émotions sont exprimées en musique de façon plus schématique, plus codifiée.

Mais à partir de la période romantique, lors du triomphe des affetti musicali, il est très rare que la musique soit complètement détachée d'émotions "négatives", ou au minimum mitigées (joie inquiète ou mélancolie douce, par exemple).
Et cela culmine au vingtième siècle, avec les virtuoses de l'ambivalence, tel Schreker qui dans ses Gezeichneten parvient à exprimer simultanément plusieurs sentiments contradictoires ; mais aussi avec la noirceur - ou du moins la violence - propre aux langages du vingtième siècle.

Aussi, les musiques expressives et porteuses d'émotions très positives, mais sans que le langage musical ne soit archaïsant ou schématique, sont-elles assez rares.
Un peu comme les comédies sentimentales dépourvues de niaiserie : ça réclame beaucoup d'adresse sans doute pour les écrire... et en tout cas pour les dégoter !

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2. Echantillon

J'en propose un exemple particulièrement frappant et roboratif :

Suite de la notule.

vendredi 1 juillet 2011

Diaire sur sol


On signale les dernières livraisons :

  • Asger Hamerik - Symphonie n°5 - Thomas Dausgaard
  • Carl Nielsen - Quatuors - Quatuor Vertavo
  • Schumann - Quatuor n°3 - Vertavo SQ
  • Giuseppe Verdi - Macbeth (Macbetto) - Daniele Callegari (Naxos)


... sur DSS.

David Le Marrec

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