Carnets sur sol

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mardi 27 septembre 2011

Le disque du jour - XL - Intégrale des symphonies de Schumann - [Sawallisch / Dresde]


Une fois n'est pas coutume, creusons un sillon qui a déjà tout du cratère.

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Un consensus surnaturel

En réécoutant l'intégrale Sawallisch des symphonies de Schumann, je me fais, comme à chaque fois depuis que j'ai découvert cette interprétation, assez tôt dans ma fréquentation de ces oeuvres, la remarque de son urgence (dramatique en diable), de sa beauté plastique, de sa spacialisation (réverbération agréable mais remarquable netteté des timbres et des strates), et aussi, ce qui est encore plus rare, de sa qualité d'évocation poétique.


Wolfgang Sawallisch avec la Staatskapelle de Dresde, enregistrés pour EMI dans la Lukaskirche par les glorieux ingénieurs du son est-allemands. On trouve très facilement des extraits en ligne, voire l'intégralité (gratuitement et légalement) en flux chez MusicMe ou Deezer.


J'ai tendance à considérer que la comparaison n'est pas le bon moyen de juger une interprétation. Elle l'est lorsqu'il faut choisir pour en acheter une première, évidemment (écouter des extraits, et choisir ce qu'on a le plus envie d'entendre...), mais pour ensuite décerner les palmes ou à tout le moins prodiguer des conseils... seul l'usage est révélateur.
Usage qu'il faut bien sûr pondérer selon les attentes prioritaires de chacun pour conseiller efficacement.

Néanmoins, considérant que le moelleux et la largeur qui plaisent aux néophytes ou aux tradis y voisinent avec l'urgence et la clarté prisées des "musicologistes", et tout cela avec une grande présence et une réelle puissance de suggestion... c'est une recommandation qu'on pourrait faire à l'aveugle.

Sa réputation de suprématie paraît tellement justifiée qu'on peut avoir l'impression qu'en dire ce bien-là reviendrait à vanter la mélancolie singulière des plus grandes pages de Mozart. A peu près tout le monde est d'accord là-dessus, une sorte de poncif qui se révèle absolument véritable, une incarnation du consensus.

La qualité proprement indémodable de cette version est d'autant plus étonnante que j'en partage l'admiration avec des mélomanes aux goûts très contrastés, y compris... moi-même. Car la réécoutant de façon espacée, entre d'autres expériences schumaniennes au fil des années, j'y retrouve toujours la même émotion, alors que mes goûts en matière d'interprétation ont pourtant changé à de multiples reprises au cours des années.

Et, le plus intrigant, j'en ai été touché de la même façon, par les mêmes éléments et les mêmes effets, à l'époque où j'aimais mes symphonies de Mozart amples, à la façon de Britten ou d'Abbado-Berlin, et admirais sans adhérer complètement les versions sans vibrato des cordes, qu'à celle où je défendais l'intérêt de la (récente) lecture Minkowski, et considérais que Mackerras-Prague-Chamber ou Gardiner constituaient un équilibre enviable.

Pardon pour le ton un peu personnel de cette notule, mais je crois qu'il rend compte de l'étrange vertu de ce coffret, quelque chose d'une universalité - à laquelle je ne crois pourtant pas du tout...

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Alternatives

Il se trouve que, même individuellement, les symphonies de l'intégrale Sawallisch sont toutes parmi les meilleures versions que j'aie pu écouter, et presque toujours la plus exaltante. Il n'y a guère que pour la Quatrième, où éventuellement Furtwängler / Berlin (dont je ne suis pas du tout un acharné habituellement) peut rivaliser. Ce à quoi j'ajoute la porte ouverte pour une autre lecture qui incarnerait l'idéal, et que j'ai entendue en concert, mais dont il ne subsiste rien : George Cleve parvenait à exalter comme personne l'orchestration schumanienne, les cordes agitaient, les bois coloraient, les cuivres accentuaient, le tout dans une tension exaltante et lumineuse, une éloquence proprement stupéfiantes.

Au niveau des intégrales, cependant, trois autres me paraissent dignes d'être signalées et écoutées, même lorsqu'on a entendu l'évidence Sawallisch.

Suite de la notule.

dimanche 25 septembre 2011

Eros Maçon


Plein d'impudence dans la forêt de cannelle,
Affichant sans remords une feinte candeur,
Les stylobates nus font rougir les lamelles
Que les rinceaux mal gardent des regards moqueurs.

Aussi pernicieux que corbeaux sans entraves,
Sans rien dire à personne ils osent à la fois,
Narguent les chastetés moites de l'architrave,
Et leur visible rien nous fait blêmir d'effroi.


Suite de la notule.

samedi 24 septembre 2011

Fin de travaux


Le compte-rendu sur la Salomé de Steinberg / Engel a été complété avec un mot sur la réalisation de la Danse des Sept Voiles et sur l'interprétation musicale.

jeudi 22 septembre 2011

R. Strauss - Salomé d'intérieur - (Steinberg / Engel / Denoke / Uusitalo, Bastille 2011)


Alors qu'il est rarissime que je me déplace à l'Opéra pour y assister à un titre déjà vu en salle (je ne l'ai fait, à ce jour, que pour le Vaisseau Fantôme et Atys...), j'ai lu un très grand nombre de critiques ou de témoignages signalant la faiblesse de la mise en scène d'Engel, en particulier par rapport à l'ancienne de Dodin.

Et il se trouve que j'ai remarqué l'inverse. D'où mon petit mot.

D'abord, le principe de faire alterner plusieurs productions d'une même oeuvre lorsqu'elles demeurent en état de marche, celle de Lev Dodin ayant déjà servi plusieurs fois dans la décennie, me paraît une initiative séduisante, quel qu'en soit le résultat.

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1. Scénographie

La scène unique se trouve, à rebours du livret, dans un endroit fermé, éclairé par l'ajourement de fenêtres à moucharabieh.

Néanmoins, il s'agit bel et bien d'un espace d' "extérieur", par opposition au palais : une sorte de grange ménagée sous des voûtes hautes, sans mobilier, et peut-être ouverte sur l'extérieur (côté public). C'est l'endroit où Hérode fait installer à même le sol une nappe et quelques victuailles.

L'endroit n'a pas la poésie lunaire si bien réussie par Dodin (bien plus séduisant visuellement), mais il propose quelque chose de différent, assez étouffant, car, ainsi que l'est finalement la terrasse, elle demeure un endroit dont l'accès et la sortie de sont pas libres. La mise en scène d'Engel ménage un certain nombre d'entrées et sorties, indépendamment des personnages chantants, qui matérialisent cette vie de palais et cette impression d'être enfermé et épié.

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2. Direction d'acteurs

Alors qu'on pouvait s'attendre, après avoir lu les commentaires, et faisant face à une reprise, à un peu de statisme, à des poses convenues, on pouvait au contraire assister à de jolies trouvailles, qui éclairaient assez bien le texte - alors que Dodin, pourtant d'ordinaire plus aventureux que Engel, s'en tenait bien plus, et avec un certain bonheur, à la lettre du texte.

Bien sûr, vu la longueur des tirades et la façon "classique" d'Engel, certains moments - par exemple le dialogue entre Salomé et Jean-Baptiste - se révèlent un peu en deçà du potentiel du texte, un peu figés ou convenus.

Mais par bien d'autres aspects, de la vie et de la nouveauté sont apportées. Le personnage de Salomé suit une véritable évolution, d'abord primesautière (elle joue quasiment à cache-cache quand Jokhanaan quitte sa citerne), puis progressivement prostrée, dévorée par cette première déception amoureuse. Ce n'est pas hallucinant de profondeur, mais assez exact et vraiment bien réalisé.

Ce qui a le plus suscité mon intérêt réside dans le traitement des personnages secondaires, en particulier l'étude du rapport entre Hérodiade et Hérode. D'habitude, ce sont des personnages de caractère, assez histrioniques, qui apportent de vives touches de couleur sur les plans aussi bien psychologique que musical.
Ici, Engel a ajouté un certain nombre de gestes qui racontent, avec beaucoup d'économie, toute une histoire de ce qui a pu se passer dans les années antérieures, entre ces deux époux qui ne s'estiment pas, mais qui ont conservé de leur union criminelle quelque chose d'une tendresse dictée par l'habitude. Le geste le plus fort de toute la soirée se trouve pendant ces quelques mots :

du, die schöner ist als alle Töchter Judäas ?

toi qui es la plus belle de toutes les filles de Judée ?

Hérode, tout en vantant Salomé, pose sa main sur Hérodiade, comme pour atténuer l'affront qu'il lui fait, un petit signe d'excuse : "ce n'est pas contre toi, tu as fait ton temps et elle est belle, mais je ne cherche pas à te comparer". De la même façon, Hérodiade s'empresse machinalement auprès d'Hérode lorsque celui-ci se demande s'il a froid - ce qui paraît a priori en décalage avec son statut de souveraine et ses paroles méprisantes, mais crée tout un arrière-plan de vie quotidienne moins conflictuelle derrière les deux personnages.

En somme, donc, sans rien de révolutionnaire, une mise en scène solide, avec de beaux détails (le vent surnaturel qui souffle du sable lors de l'ouverture de la citerne est assez joli !), parfois nourrissants. Et finalement plus de contenu que chez Dodin, que j'avais déjà beaucoup aimé, mais trouvé moins "instructif".

Seule la scène finale est assez vide, Salomé restant immobile dans son rond de lumière en front de scène, à genoux devant le plat.

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3. La danse de sept voiles

Suite de la notule.

mercredi 21 septembre 2011

Droits d'auteur et droits voisins en Europe : la vérité sur la dernière directive


Oui, je fais racoleur si je veux.

Il n'empêche qu'on a lu beaucoup de supputations plus ou moins justes sur la question. Aussi, fort d'une assez longue expérience en matière de ratiocinations pénibles autour du droit d'auteur (sans prétendre du tout à la spécialité, précisons), je me propose ici d'expliciter un peu les événements.

Je renvoie au lien ci-dessus pour les définitions de droits d'auteur et de droits voisins, ainsi que sur la façon dont on les comptabilise dans le temps (avec exemples concrets).

Et voici donc des éclaircissements, puissés à la source de la directive elle-même.

On y découvrira un petit scandale juridique que je n'ai pas vu soulevé jusqu'ici, mais aussi que cette directive n'a pas du tout été dictée, comme on l'a souvent entendu au Café du Commerce, par l'industrie phonographique, car à son détriment.

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1. Style

Je commence d'abord par signaler que je demeure assez dubitatif sur le style littéraire de la chose. Des alinéas entiers servent à exposer les motivations "morales" de l'acte. Certes, cela rend la démarche plus intelligible pour le citoyen soucieux de s'informer, mais il est sacrément étonnant de trouver des bouts de pédagogie (et parfois de comm') dans un texte législatif !

Au demeurant, ce n'est pas désagréable, cela permet d'éclairer les motivations du législateur et de rendre la logique d'ensemble plus sensible au commun des mortels - si tant est que le commun des mortels passe une fois dans sa vie une soirée à bavarder dans un coin de Toile de la question (certes fascinante) du droit d'auteur européen...

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2. Droits d'auteur

Suite de la notule.

dimanche 18 septembre 2011

Paris le 17 septembre : la vie en rose


Juste un mot pour dire ma stupéfaction enchantée devant l'accueil durant les journées du patrimoine - contrairement à leur réputation pas du tout bondées, même rue de Grenelle, très fluide samedi matin et début d'après-midi... Non pas que l'accueil dans les institutions parisiennes soit habituellement désagréable (sauf dans les cafés bien sûr, mais c'est quasiment devenu une forme de couleur locale...) ; néanmoins la chaleur de l'accueil aurait confiné à l'obséquiosité si elle n'avait pas paru aussi bon enfant.

Les huissiers ou responsables qui font la conversation spontanément à tous les visiteurs qui lèvent seulement un regard vers eux, et surtout, le plus étonnant, tous les agents de sécurité tout sourires, à telle enseigne qu'à chaque porte s'échangent des bonjours avec chaque nouvel arrivant. Une forme de réserve sociale, qui fait passer les français pour assez froids (non sans raison), semble s'être soulevée par magie pendant ces quelques heures.
Quelque chose d'une fraternisation délicieusement irréelle que je ne m'attendais vraiment pas à trouver ici - tous ces gens mobilisés, parfois exceptionnellement, un samedi à 8h pour rester debout, je les voyais plutôt bâiller ou maugréer. Et le public, de même, semble très attentif à ces efforts et ostensiblement reconnaissant, remerciant tout le personnel pour ce moment de partage.

Au demeurant, même dans les rues des ministères et ambassades du VIIe arrondissement, où l'on aurait attendu une foule assez bigarrée, le public reste globalement très typé "classes éduquées". N'ayant jamais auparavant visité lors de ces journées des lieux aussi célèbres, je m'attendais à une affluence plus disparate : on y croise beaucoup de retraités avec le dernier Géo sous le bras, ou des étudiants avides de culture... très peu de familles "moyennes".
Voilà qui donne encore à réfléchir sur la fracture culturelle : les offres conçues pour populariser les arts servent souvent aux plus informés des amateurs. Non pas que ce soit du gâchis, mais il y a de quoi repenser la destination de l'offre...

Une dernière remarque "à la marge", mon étonnement devant le calme qui règne dans les jardins des ministères : une forme d'îlot forestier immense enserré par les bâtiments officiels du septième arrondissement. Remarque certes tout à fait banale, mais percevoir par l'ouïe la substitution des vrombissements par le bruissement des arbres revêt quelque chose d'assez spectaculaire.

Volume / projection : la preuve par l'exemple


La différence entre volume et projection vocales peut paraître spécieuse aux mélomanes qui écoutent essentiellement des disques, ou ne fréquentent que des salles pourvues d'une bonne acoustique.

Dans les grandes salles (parisiennes, en l'occurrence), on a tout loisir en revanche d'observer cette distinction acoustique. Comme déjà exposé en détail, la différence entre le volume et la projection est très simple : le volume représente la puissance en décibels, alors que la projection désigne la concentration du faisceau sonore, la capacité à se faire entendre.

Exemple très concret hier soir : Paul Groves dispose d'une projection fantastique, la qualité du timbre se conserve partout dans la salle (Pleyel) avec une grande netteté. En revanche, lorsque les autres chanteurs, nettement moins bien projetés, se mettaient à chanter, ou lorsque choeur et orchestre vrombissaient, il était couvert car peu puissant.
Entre aussi en jeu une question de densité et d'efficacité d'harmoniques (la zone de fréquences du "formant du chanteur", particulièrement efficace pour solliciter l'oreille humaine, même derrière un orchestre), mais elle est plus complexe (voir par exemple ici).

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Beethoven - Missa Solemnis - Colin Davis / LSO (Pleyel 2010)


Décision, cette saison, de passer le moins de temps possible sur les comptes-rendus de concert, qui n'ont jamais été la vocation de CSS, pour rester sur des questions un peu moins éphémères autour des compositeurs, des oeuvres, des genres, voire des disques.

Tout de même un mot sur le concert d'hier soir, premier de la saison, pas du tout exhaustif, seulement quelques remarques. [Qui s'avèrent plus longues de prévu... il faudra vraiment me résoudre à ne plus chroniquer du tout les concerts, sous peine d'y consacrer l'essentiel des forces de Carnets sur sol et de ses lutins ouvriers.]

§ Oeuvre

Si je me suis déplacé pour entendre une oeuvre qui n'a rien d'une grande rareté, c'est tout simplement qu'il s'agit d'une oeuvre qui m'est particulièrement chère, et que j'avais envie d'entendre un jour en salle. L'affiche prometteuse m'a décidé.

Je reste toujours médusé de la virtuosité absolue d'une écriture capable de maintenir quatre-vingt minutes de jubilation continue et renouvelée sous divers climats... Et l'on y entend des portions du meilleur Beethoven, dans les fugatos choraux bien sûr, mais aussi dans l'écriture orchestrale qui évoque beaucoup les cinq dernières symphonies, en particulier impaires : alliages instrumentaux et ponctuations de la Cinquième, gammes ascendantes de la Septième, harmonies chorales de la Neuvième...

On y retrouvera la fascination de Beethoven pour les cadences parfaites à répétition (le V-I permanent du "Quoniam tu solus sanctus"), on y découvre aussi un goût débridé pour les trémolos de cordes (visuellement, cela paraît permanent !).

Et puis, plus profondément, la philosophie mystico-humaniste du compositeur éclate brillamment à certains moments, comme la lumière irradiante lors de l'énonciation d' "et homo factus est", évocation de la clef de voûte du système de valeurs de Beethoven. Même chose pour le retour des solistes après l'explosion finale du Credo, qui paraît un retour de la mesure humaine après une exultation plus générale, plus abstraite, plus cosmique.

Un vrai bijou, qui ne possède pas de pages faibles, même si les trois premiers ensembles (Kyrie-Gloria-Credo) sont les plus ouvertement débridés et peut-être aussi les plus intensément inspirés.

§ Orchestre

Suite de la notule.

dimanche 11 septembre 2011

Steve Reich, WTC 9/11 : oeuvre, controverses, enjeux


1. Matériel d'écoute intégral - 2. Motivations des lutins - 3. Genèse - 4. Dispositif musical - 5. Structure et temporalité - 6. Textes employés - 7. Commentaire de l'oeuvre - 8. Controverses visuelles - 9. Miroir d'une époque.

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1. Matériel d'écoute intégral

L'oeuvre est librement disponible en intégralité grâce à la station classique de la radio publique du Minnesota, jusqu'à lundi, et doit se trouver ailleurs légalement en ligne.

Attention, on trouve un certain nombre d'informations incomplètes ou erronées en ligne, que je m'efforce ici de compléter ou rectifier.

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2. Où l'on découvre les motivations des lutins

Je n'aime guère les notules de circonstance, où l'on se met à parler de quelque chose ou de quelqu'un parce que "c'est le moment", pour des raisons externes au sujet - typiquement la nécrologie d'un chanteur, lorsqu'au jour de son décès il est retiré depuis années... [Je ne blâme bien sûr pas ceux qui éprouvent le besoin de le faire - toutefois ceux qui avaient l'habitude de lire sur CSS autre chose que le sujet du moment seront bredouilles pour cette fois.]

Il se trouve cependant que je viens d'écouter, aujourd'hui même (tout simplement parce que ça sort dans les jours prochains et que j'avais le temps de le faire ce matin...), WTC 9/11 de Steve Reich, que je découvre que l'oeuvre est légalement disponible en ligne jusqu'au 12.. et que circulent quelques anecdotes autour de sa parution, que je trouve plutôt intéressantes. Ce sera l'occasion de rapides observations, davantage sur la réception que sur les événements, la journée se destinant à être chargée en la matière - je suis moi-même un peu penaud de ne pas proposer de respiration aux lecteurs de Carnets sur sol...

Si j'en ai le temps, je tâcherai de proposer autre chose de plus déconnecté dans la journée...


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3. Une genèse subjective

L'oeuvre est à l'origine (2009) une commande du Kronos Quartet [oui, une telle institution que son nom semble figé en anglais], pour une troisième collaboration avec le compositeur, et ne portait pas spécifiquement sur le 11 septembre. Le souhait principal était d'y adjoindre des voix pré-enregistrées.

Steve Reich a écrit à ce sujet qu'il songeait dès 1973 à un dispositif d'allongement des voyelles ou consonnes finales, mais que cela n'a techniquement été possible qu'à partir de 2001. Et qu'il souhaitait profiter de cette commande pour le mettre enfin en oeuvre.

Ce n'est qu'en songeant au sujet possible qu'il dit avoir trouvé évident le 11 septembre, puisqu'il en conservait un souvenir très vif, ayant vécu pendant vingt-cinq ans à quatre blocs du World Trade Center, et étant resté pendant des heures en contact téléphonique avec fils, belle-fille et petite-fille qui se trouvaient alors dans l'appartement.

Interrogé au sujet de son projet par Kurt Andersen, Reich a explicitement écarté l'idée d'une pièce "sur" le 11 septembre, assurant qu'il parle ici d'une histoire personnelle, pas du sujet médiatique - même si pour l'auditeur, la chose me paraît sujette à caution, j'y reviendrai.

C'est en tout cas à partir de ce point de départ personnel que Reich décide de récupérer les enregistrements des communications (depuis longtemps rendus publics) de la sûreté aérienne (NORAD) et des pompiers de New York (FDNY), et de les mêler à des entretiens qu'il réalise ensuite avec ses proches. [Il est à noter que les notives mentionnent souvent les "aiguilleurs du ciel", mais il s'agit bien de la défense aérienne et pas de la "tour de contrôle" civile...]

Le titre, tout en abréviations, représente comme un cartouche symbolique, potentiellement polysémique, et Reich en a profité pour citer dans ses écrits le mot de son ami compositeur David Lang, donnant également WTC le sens de "World to Come" ("un monde à venir").

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4. Dispositif de l'oeuvre

Elle est écrite pour un effectif en tuilage qu'on peut décrire de la sorte :

  • un quatuor à cordes qui joue l'oeuvre sur scène
  • une bande pré-enregistrée qui comprend
    • deux quatuors
    • des voix :
      • parlées :
        • sûreté aérienne (NORAD : North American Aerospace Defense Command)
        • pompiers de New York (FDNY : New York City Fire Department).
        • entretiens réalisés en 2010 avec des amis de Steve Reich sur leurs souvenirs du 11 septembre 2001.
      • chantées (Exode 23,20 et Psaume 121,8) :
        • un chantre d'une grande synagogue de New York.
        • Shmira (voir ci-après)
          • par deux femmes juives de New York, plus tard en septembre.
          • par la violoncelliste Maya Beiser, quelque part ailleurs.


Le dispositif évoque furieusement Différent Trains (1988), à la nuance près qu'il ne me semble pas y avoir entendu de voix chantées : trois quatuors, dont deux enregistrés, des voix sur bande.

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5. Structure de l'oeuvre

Bien qu'à tempo égal pendant toute l'oeuvre, Reich a disposé sa musique sous forme de trois mouvements joués attacca (c'est-à-dire sans pause), chacun évoquant une facette différente du sujet.

Suite de la notule.

Technologie d'avant-garde : le BOOK


Parmi les nombreuses parodies du marketing lié aux nouvelles technologies d'information & communication (généralement ciblées sur le líder Apple), celle-ci se révèle un vrai petit bijou, remarquablement pertinent :


Tiré du site Leer está de moda - merci à Gr3e d'avoir signalé cette jolie friandise.

jeudi 8 septembre 2011

Boulez et l'intelligible



Pierre Boulez, lui aussi circonspect face à l'abstraction.


La figure de Pierre Boulez constitue une forme d'emblème, ou à tout le moins de repère, sur lequel se cristallisent régulièrement les débats entre mélomanes. Boulez se révèle ainsi une porte d'entrée naturelle et pour ainsi dire accessible à tous de problématiques très larges et stimulantes, telles que la nécessité de l'héritage, la définition de la musique, la part de la technique dans son élaboration, son intelligibilité. C'est ce dernier enjeu que je voudrais considérer ici, grâce à ce prétexte commode.

Pour plus de clarté, je précise immédiatement que je suis assez sensible à sa musique (en tout cas assez vivement à certaines de ses oeuvres), et dans le même temps très circonspect sur ses méthodes de composition : mon propos n'est donc certainement pas à charge, pas plus qu'il n'émanerait d'un zélateur inconditionnel. Il ne prétend pas à la vérité ni même à l'équilibre, mais mon ambivalence sincère à son égard permet de m'exprimer de façon assez confortable, sans être soupçonné de chercher à défendre un camp.

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1. Le pouvoir de l'orchestration

Un des faits frappants, chez les amateurs de Boulez, est que la majorité aime les oeuvres les plus chatoyantes pour orchestre, mais bien plus rarement (les plus radicaux, souvent) les oeuvres pour piano. Il n'est que de considérer les Notations, assez peu prisées au piano, mais admirées, souvent même des sceptiques, en version orchestrale.
Ce n'est pas tout à fait justice, au demeurant, parce qu'on retrouve la même écriture à strates dans la version originale pour piano, même s'il est évidemment plus difficile de les colorer de façon aussi aussi différenciée qu'à l'orchestre.

Je soupçonne quelquefois que ce qui plaît dans Boulez est précisément son univers orchestral, l'un des plus chatoyants et virtuoses de toute l'histoire de la composition, d'une finition plastique exceptionnelle. On aime les Notations, on aime Pli selon pli... bien moins, en règle générale, Le Marteau sans Maître ou les Sonates pour piano.

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2. L'écoute dévoyée

Si bien que j'en viens à m'interroger sur la façon dont on écoute Boulez. Si j'en juge par ma pratique, je rétablis instinctivement des pôles - autrement dit, des fonctions de tension-détente, comme dans la tonalité. Or le dodécaphonisme sériel entendait précisément supprimer ces pôles, cette "hiérarchie" des notes, en éliminant les répétitions - d'où le concept d'une suite des douze sons disponibles dans la musique occidentale (la série dodécaphonique).

Ces pôles n'apparaissent pas dans le propos musical lui-même, puisqu'on n'y trouvera pas de répétitions, mais dans les dynamiques (piano, forte) et dans les textures orchestrales plus ou moins sèches, plus ou moins fournies, etc. Le sérialisme intégral de la jeunesse de Boulez avait précisément pour objectif d'éviter ce type de biais, en assignant aux timbres et aux intensités une périodicité égale...

Dans la perspective de composition de Boulez, malgré toute l'admiration que j'ai pour sa musique - plus en tant qu'auditeur "ingénu" qu'en tant qu'observateur de la vie musicale -, j'ai vraiment l'impression de trahir son projet en l'écoutant de façon "tonale".

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3. Le sens du détail

Et les autres auditeurs ?

On se dit qu'après tout, la plupart écoute Mozart de façon surtout "mélodique" et un peu "harmonique", mais que s'il trichait avec forme-sonate (exposition, deux thèmes, développement, etc.), beaucoup ne l'entendraient pas, et pareil s'il y avait des fautes d'harmonie dans Elektra.

Néanmoins, pour Boulez, je soupçonne une différence de degré tellement considérable qu'elle devient une différence de nature : je n'ai croisé personne qui puisse entendre de près ou de loin la logique structurelle d'une oeuvre de Boulez - à l'exception de compositeurs eux-mêmes versés dans le dodécaphonisme. On aime pour le rythme de ses séquences, pour ses couleurs orchestrales, pour ses dispositifs ingénieux (typiquement Domaines, avec sa clarinette solo qui vient "provoquer" successivement quatre groupes instrumentaux)... mais on n'a absolument aucun accès à la logique de sa musique à l'écoute seule. De surcroît, cela reste valable dans une large mesure à la lecture, même s'il devient bien sûr possible de traquer les séries.

C'est une limite propre à beaucoup de compositeurs contemporains, et on pourrait faire le même reproche à bien d'autres compositeurs en amont : est-ce que Wozzeck de Berg laisse vraiment entendre, à la première écoute, une "poussée" précise ? Pour certains, oui, et pour beaucoup d'autres non. Je ne parle même pas de l'atonalité libre et très contrapuntique d'Erwartung de Schönberg, particulièrement retorse.
Même pour les fugues de toutes époques, on pourrait poser cette question, peu sont ceux qui entendent les parcours, même mélodiques, dans leur détail - c'est vrai !

Néanmoins, chez Boulez, comme cela concerne toutes ses oeuvres et que son esthétique cherche précisément à effacer les repères, le cas est particulièrement emblématique, à nouveau.

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4. La souffrance du compositeur

Je me suis souvent demandé comment il percevait la façon dont les gens écoutent sa musique : c'est-à-dire qu'à part ses étudiants et une poignée de compositeurs (donc combien de personnes sur Terre ? quarante ? cent ?), tous ses spectateurs l'aiment pour de "mauvaises" raisons (hédonisme du matériau, joliesse de l'orchestration). Pis, ils l'entendent comme une musique polarisée, tout ce contre quoi il a lutté !

Fait-il semblant de ne pas voir la chose, s'en afflige-t-il, s'en accommode-t-il très bien, ou bien considère-t-il que l'intérêt de sa démarche permet justement de composer quelque chose de beau pour le public, bien qu'au delà de ses capacités de compréhension ?
Une vraie question à laquelle il ne doit pas être aisé d'obtenir une réponse sincère, mais sur laquelle je serais curieux qu'on l'interroge un jour : a-t-il conscience de cette distorsion, et comment le vit-il ?

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5. Limites de l'émotion esthétique

Tout cela mène à des conclusions un peu cruelles, mais qui me paraissent assez intéressantes - et fécondes si les compositeurs veulent bien se les poser, au delà des questions de chapelles esthétiques et politiques.

Posons la question frontalement : une note un peu accrochée dans Mozart, tout le monde l'entend. Le repérage en serait plus compliqué dans Richard Strauss. [Au passage, il existe des versions vraiment malmenées du point de vue de la partition, comme l'Elektra de Mitropoulos à Florence ou la Femme sans ombre de Böhm 1977 - versions au demeurant extrêmement stimulantes, ce qui pose encore d'autres questions sur le respect de la lettre !] Néanmoins on ne pourrait pas changer des accords entiers sans tout saboter. En revanche dans Boulez, si l'on remplaçait un accord par un autre, qui s'en apercevrait ? Qui en serait gêné ?

Et pourtant, l'oeuvre garde une cohérence qu'on peut apprécier (moi le premier), si on réécrivait la partition de façon aléatoire, on n'obtiendrait vraiment pas le même résultat. Son discours n'en demeure pas moins obscur, voire inaccessible. Et le plaisir, en ce qui me concerne, largement hédoniste ou plastique.

Cela me conduirait à dire - au moins en ce qui me concerne - que sa musique parle à une forme d'émotion inférieure à celle d'une musique dont on perçoit la structure : plus superficielle et incomplètement. Contrairement à une musique qui aurait un discours identifiable, une ligne directrice qu'on puisse suivre, même sans percevoir la logique du détail.

La seule oeuvre où je sens véritablement cette qualité chez lui est Dialogue de l'ombre double, où le babil crée une forme de langage glossolalique qui semble obéir à une logique qu'au fil du temps de la pièce on croit (illusoirement, bien sûr) apprivoiser.

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6. Bilan

J'ai bien conscience que ce que j'avance est à certains égards plus terrible que les imprécations des détracteurs, puisque cela revient à dire :

a) que tout le monde écoute Boulez pour de "mauvaises" raisons, aux antipodes de l'esprit qui préside à la composition de ses pièces ;

b) qu'il existerait potentiellement la même différence entre Boulez et un compositeur "lisible" qu'entre un bibelot (qui est joli, agréable à voir) et un tableau de maître (qui pourra en plus nous émouvoir, ouvrir des portes, etc.).

Néanmoins, après des années de familiarité - à l'écoute seulement, puisque ma pratique des partitions se limite à avoir testé les Sonates au piano -, j'en arrive à ces observations, qui restent des questions plus que des vérités, mais qui me paraissent en tout cas rendre compte d'une tension très réelle entre ces compositions et leur réception, même bienveillante.

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7. Prolongements


Evidemment, au cas par cas, on peut reposer ces questions pour beaucoup de compositeurs actuels, même ceux désignés comme néo-tonals. Avec des réponses contrastées (indépendamment des chapelles considérées), mais le canevas me paraît demeurer pertinent.

samedi 3 septembre 2011

Pascal COLLASSE : Achille & Polyxène en sons


La nouvelle partition, précédemment publiée et commentée, dispose à présent (comme promis) d'un extrait sonore pour l'illustrer : acte V d'Achille & Polyxène.

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Suite de la notule.

David Le Marrec

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