Le politiquement correct à la française
Par DavidLeMarrec, vendredi 11 novembre 2011 à :: Vaste monde et gentils - Langue :: #1861 :: rss
On parle souvent de l'irruption du politiquement correct dans les médias français, sorte de rengaine (politiquement correcte) depuis des (dizaines d') années. La chose a toujours existé, dans toutes les civilisations, ce qu'on nomme "tabous" dans les sociétés archaïques.
Mais il n'est pas certain qu'elle prenne le même tour en France qu'en Amérique.
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Je suis assez impressionné par le discours officiel de ce 11 novembre, dont j'attends avec impatience de trouver l'auteur. Remarquablement écrit, convoquant adroitement les poètes, s'adressant aux soldats désormais absents, débouchant progressivement sur la litanie des fondateurs de l'Europe politique, il consacre aussi le retour spectaculaire de l'imparfait du subjonctif dans la parole présidentielle. Le tout avec une dose d'ostentation qui n'excède pas le raisonnable.
Bien sûr, quelques dominantes politiques percent : sens du devoir, beauté du geste de ceux qui se sont donnés à la France avant même que d'être naturalisés (avec le pendant silencieux de l'anathème contre ceux qui ont reçu la nationalité et sont à la charge de la collectivité) : si ce n'était pas aussi bien écrit, ces phrases pourraient prêter à une très âpre polémique, tant elles sont clivantes politiquement.
Mais ce qui me frappe surtout, c'est la contradiction profonde des piliers de ce discours : le président parvient à la fois à faire l'éloge de l'honneur (le mot derrière lequel s'abritent toujours les militaires pour expliquer la légitimité morale de la guerre) et le procès de la guerre, à travers le panégyrique des soldats courageux et l'évocation de la vie sordide dans les tranchées. A travers aussi la mise en perspective des espoirs naïfs déçus du début de la guerre (la victoire facile) et la beauté de la réalisation finale (la paix et l'Europe). Et tout cela alternativement, presque en simultané.
Cette contradiction se cristallise dans l'hommage mesuré fait aux mutins de 1917 : la nation doit les honorer parce qu'ils sont allés au bout de leur courage avant de se révolter parce qu'ils n'en pouvaient plus. Avec l'idée sous-jacente qu'ils étaient d'une nature plus faible, et que leur épuisement ne doit pas effacer leur bravoure passée.
C'est donc à la fois une réhabilitation officielle... et le rejet implicite de l'objet de ces mutineries : on les loue audiblement pour ce qu'ils ont été, on les blâme doucement pour ce qui les a rendus célèbres.
Dans le même mouvement, on célèbre donc le courage militaire, on magnifie la beauté de la paix, et on défend la valeur des "pacifistes" pour d'autres raisons que pour leur pacifisme.
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Au delà du discours, que je trouve très beau et assez touchant, même si mon inclination personnelle m'aurait sans doute poussé vers une couleur plus dix-septiste, je suis frappé de cette façon française de manier le politiquement correct : ce discours a agrégé l'ensembles des sensibilités contradictoires, depuis les nostalgiques de la France qui se battait en Algérie jusqu'aux ennemis des frontières interétatiques.
Il n'y a pas réellement en France d'opinion indéfendable aux yeux de la société (deux seulement : le racisme et les viols d'enfant), on ne peut pas comme ailleurs y désigner l'athée ou l'hérétique comme bouc émissaire, ou y exalter la nation de façon univoque, aussi le politiquement va-t-il souvent se loger dans la langue de coton, qui permet tout simplement de satisfaire tout le monde.
Je m'empresse d'ajouter, bien sûr, que c'est le rôle d'un discours commémoratif de le faire, et qu'ici le cahier des charges était rempli non sans panache.
Pour aller plus loin sur la langue de coton, on peut lire cette ancienne notule sarcastique.
Commentaires
1. Le vendredi 11 novembre 2011 à , par Ophanin
2. Le vendredi 11 novembre 2011 à , par DavidLeMarrec
3. Le vendredi 11 novembre 2011 à , par Francesca :: site
4. Le vendredi 11 novembre 2011 à , par DavidLeMarrec
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