Mystère ou miracle ? - aperture et couverture
Par DavidLeMarrec, samedi 28 janvier 2012 à :: Pédagogique - Portraits - Glottologie :: #1900 :: rss
Glottologie appliquée.
Voici quelque temps que je m'interroge sur la question de la couverture [1] chez Georges Liccioni jusque dans les rôles larges de sa carrière.
Il est impossible aux hauteurs où il chante cet extrait de Don Carlos de Verdi [2] (des la 3 et si bémol 3 tenus) qu'il ne protège pas ses aigus en voix pleine. Et pourtant, en plus d'être parfaitement naturelles, ses voyelles sont très ouvertes.
Ce n'est pas forcément incompatible dans l'absolu : le fait qu'une voyelle soit ouverte du moins de vue de la linguistique n'empêche (peut-être) pas que le mécanisme de protection de la voix puisse être activé. Le changement de voyelle (certains professeurs, assez nombreux et parfois assez prestigieux, prônent tout de bon le remplacement d'une voyelle par une autre) n'est qu'une astuce pour obtenir cette protection, mais rien n'indique qu'on soit obligé de totalement dénaturer ses voyelles pour l'obtenir (certains chanteurs couvrent audiblement, tout en articulant très bien dans l'aigu).
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Restent donc deux hypothèses :
a) Liccioni disposait...
Notes
[1] La "couverture" est la modification des voyelles en voix pleine, au moins au delà du passage, afin de protéger la voix à l'opéra. Dans le mode d'émission qui caractérise le chant lyrique, c'est en fermant et en postériorisant les voyelles qu'elle s'effectue généralement ([a] s'approchant de [o] est le plus fréquemment employé, mais il en existe d'autres parfois variables d'une école à l'autre, par exemple [i] ou [é] tendant vers [eu]).
[2] Avec Suzanne Sarroca en Elisabeth de Valois. Enregistrement radio de l'orchestre de la RTF dirigé en 1967 par Pierre-Michel Lecomte.
a) Liccioni disposait d'une voix exceptionnellement haut placée et naturelle, si bien qu'il pouvait chanter très haut sans couverture et sans dommage. L'exemple le plus célèbre de ce type de profil est celui de Giuseppe Di Stefano, qui contrairement à ce qu'on en dit souvent, a préservé assez remarquablement son instrument malgré le manque de couverture, les choix de rôles lourds que sa nature vocale initiale et les excès de sa vie personnelle.
La voix initiale et les choix de répertoire beaucoup plus mesurés de Liccioni confirment cette hypothèse. Toutefois, dans cet extrait, on entend clairement un chant qui n'est pas totalement "ouvert", mais au contraire tout à fait tenu. Peut-être qu'il n'avait besoin que de peu de couverture, mais il est très improbable qu'il n'en ait pas usé du tout.
b) Ce qui conduit à la seconde supposition, qui a ma faveur. La couverture, quoique peu audible, doit se réaliser chez lui (peut-être de façon minime) sans altérer la qualité des voyelles, c'est-à-dire de la façon la plus précise qui soit, utilisant exclusivement la fonction protectrice sans abîmer le chant lui-même.
Une écoute attentive révèle d'ailleurs qu'il utilise des [a] plus postérieurs et fermés (presque des [o]) sur certaines voyelles) lors de plusieurs attaques, avant que le [a] ne s'ouvre et ne s'épanouisse avec ton timbre ouvert.
Le moment le plus périlleux dans cette perspective technique se trouve sur "le ciel avare ne m'a donné qu'un jour", et on y entend l'attaque plus ronde ainsi que le maintien très légèrement postérieur de ce qui reste complètement un [a]. Du très grand art.
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En tout cas, indépendamment de ses qualités artistiques (luminosité, présence, articulation verbale), la réalisation technique en est vraiment incroyable.
Lorsqu'on le voit chanter, on note une autre discordance avec les préceptes habituels : il n'ouvre pas beaucoup la bouche en hauteur (sans doute pour concentrer le son), mais beaucoup en largeur (ce qui facilite la clarté effectivement). De façon fortuite, cela favorise visuellement l'analogie avec le sourire plus qu'avec la morsure, ce qui n'est pas désagréable non plus. Il supportait très bien le gros plan.
Voir par exemple ici (dans une de ses grandes incarnations, Mylio du Roi d'Ys) - en audio, l'intégrale radiophonique de 1967 avec Andrée Esposito est plus brillante encore.
Et sa maîtrise soulève la question de l'apprentissage de la couverture tel qu'il existe majoritairement aujourd'hui - comme un préalable, pour ne pas dire un absolu du chant lyrique. Alors que Liccioni semble prouver que cette couverture n'implique absolument pas d'être audible, qu'il s'agit essentiellement d'ajuster certains placements dangereux induits par la position habituelle des voyelles incriminées.
Commentaires
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