Éloge du belcanto
Par DavidLeMarrec, mercredi 16 mai 2012 à :: Citations passantes - Opéra romantique et vériste italien :: #1977 :: rss
— Comparez, dit-il, les productions sublimes de l’auteur dont je viens de parler [Beethoven], avec ce qu’on est convenu d’appeler musique italienne : quelle inertie de pensées ! quelle lâcheté de style ! Ces tournures uniformes, cette banalité de cadences, ces éternelles fioritures jetées au hasard, n’importe la situation, ce monotone crescendo que Rossini a mis en vogue et qui est aujourd’hui partie intégrante de toute composition ; enfin ces rossignolades forment une sorte de musique bavarde , caillette, parfumée, qui n’a de mérite que par le plus ou moins de facilité du chanteur et la légèreté de la vocalisation. [...] J’aime encore mieux la musique française, et c’est tout dire.
Honoré de BALZAC, toujours au début de Gambara (1837)
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Encore une rosserie contre les arts dans ce petit récit.
Ce qui frappe surtout, c'est combien Balzac frappe juste : la musique italienne du début du XIXe est peut-être la plus « paresseuse » de toute l'histoire de la musique savante occidentale. La composition y est réduite à l'usage stéréotypé de tournures très simples, ce qui était déjà le cas aux époques baroque et classique, mais sans guère de lien avec les textes mis en musique, et avec une pauvreté de moyen à peine croyable. Même d'un point de vue mélodique, il semble quelquefois que le Rossini sérieux, Donizetti et la plupart de leurs contemporains se satisfassent de n'importe quelle ligne conjointe banale.
La seule recherche de ces musiques n'est même pas mélodique, elle est vocale, comme une suite d'exercices destinée à mettre en valeur les gosiers.
Bien sûr, cette musique a tout de même de l'intérêt (je vais prochainement parler de Nicola Vaccai en tant que compositeur de talent), et il en existe sous forme de chefs-d'oeuvre ; toutefois, comparé à ce que produisent les allemands et même les français à l'époque, l'indigence de la musique lyrique italienne paraît assez redoutable, tellement prévisible et tellement déconnectée des sujets qu'elle traite.
En portraiturant le belcanto romantique sous les traits non pas de sublimes incarnations de chanteuses magnétiques, mais des facilités harmoniques de type 2-5-1-4-5-1-5-1-5-1-5-1-5-1, et des tournures rythmiques toujours identiques (la carrure une croche-deux doubles-six croches doit recouvrir 70% des cabalettes écrites à l'époque...), Balzac frappe une fois encore contre certaines évocations du sublime à la mode, avec une délectation dans la cruauté qui fait frémir.
Mais il tempère cependant en précisant que cette mauvaise humeur n'a finalement que peu d'effet, et qu'elle attaque finalement sur des aspects assez éloignés des préoccupations du public.
il se prit à battre en brèche la réputation européenne de Rossini, et fit à l’école italienne ce procès qu’elle gagne chaque soir depuis trente ans sur plus de cent théâtres en Europe.
Sa formulation donne même l'impression d'une absence de condescendance vis-à-vis d'une musique qui atteint son but en trouvant son public, sans juger cela dégradant.
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Mais à part ça, moi, j'aime bien le belcanto. (Surtout Bellini et Vaccai, mais on trouve d'autres choses intéressantes ici et là, même si le taux de bonnes surprises reste de l'ordre de 5%.)
Commentaires
1. Le vendredi 18 mai 2012 à , par Cololi
2. Le samedi 19 mai 2012 à , par DavidLeMarrec
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