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Charpentier - Médée, the girl next door - (Haïm, Audi, Meese, TCE 2012)


Début de saison en forme d'orgie : trois tragédies lyriques (dont deux inédites), un Strauss pas trop fréquent, un superbe Tristan, les meilleurs Kurtág par les meilleurs kurtáguiens...
Corollaire inévitable, les moindres satisfactions paraissent des déceptions.

Il faut donc préciser que toutes les réserves que je serai amener à formuler portent sur un plan général, sur ce que je considère comme des erreurs de priorité ou des fourvoiements esthétiques. La valeur individuelle des interprètes (du plus haut niveau) n'est pas mise en cause, ni d'ailleurs le plaisir pris à la soirée - on peut difficilement sortir mécontent lorsqu'on entend une oeuvre fantastique très correctement jouée.
En revanche on peut être un peu frustré de ce que l'accumulation de tels moyens produise, en fin de course, l'impression de diminuer l'oeuvre plutôt que de l'exalter réellement. Et c'était le cas ce lundi.

Attentes : l'oeuvre et les forces en présence

Il en va un peu ainsi de cette Médée. L'oeuvre est, en soi, l'une des tragédies en musique les plus réussies de tout le répertoire. Et, si j'abstrais ma propre subjectivité, je la citerais peut-être comme l'exemple le plus abouti du genre tout entier, réunissant à elle seule de la déclamation ciselée, des scènes de caractère saisissantes, une qualité mélodique hors du commun, une assez grande densité harmonique, des originalités instrumentales, des divertissements courts mais marquants.
On y trouve notamment l'un des livrets les plus noirs, mais aussi des plus vigoureux dramatiquement, l'une des plus belles scènes infernales de tout le répertoire opératique, des récitatifs majestueux parcourus d'effets étonnants, le plus beau duo d'amour de l'histoire de la musique (avec, soyons, généreux, l'acte II de Tristan), et aussi l'une des fins les plus marquantes de l'histoire de l'opéra. Seul le Prologue est sensiblement moins intéressant, en grande partie à cause du texte platement explicite, Thomas Corneille ne s'étant pas embarrassé d'allusions pour brosser les souliers du souverain.

De ce fait, cette production était l'une des soirées les plus attendues, ici, de toute la saison. Avec quelques petites inquiétudes : Pierre Audi, bon metteur en scène sobre par ailleurs (le Ring à Amsterdam, La Juive à Paris), n'a jamais rendu justice à la tragédie lyrique, avec des Rameau (aussi bien Castor et Pollux que Zoroastre) particulièrement plats, déstructurés et ennuyeux ; Emmanuelle Haïm que j'aimais énormément en retransmission m'avait parue un peu placide en salle pour Hippolyte et Aricie ; Michèle Losier, intensément admirée en retransmission également, s'était révélée assez opaque et uniforme, avec une diction assez lâche, dans le Prince Charmant de Cendrillon de Massenet. Mais rien qui puisse réellement gâcher le plaisir.


En retransmission, le spectacle sonne considérablement plus convaincant qu'en salle.


Déceptions multiples

Globalement, malheureusement, sans doute aussi la faute à une fréquentation trop intense de l'oeuvre pour être impressionné par sa nouveauté (ainsi qu'à une journée assez intense avant le concert), j'avoue ne pas avoir été tout à fait emporté.

Plusieurs paramètres sont en jeu.

Emmanuelle Haïm et Le Concert d'Astrée se révèlent ici encore assez lisses. Alors que sa gestuelle exprime très bien les appuis des mesures, on les entend assez peu, et à l'exception des divertissements, cela danse peu, les couleurs restent homogènes, les contrastes discrets. On a presque l'impression d'entendre une interprétation romantique, avec ces grandes masses, ce legato permanent, ce fondu orchestral. L'effectif assez large (plus respectueux des conditions d'époque, même si je trouve toujours plus satisfaisants les ensembles réduits) n'y est pas pour rien non plus, mais ici, il n'était pas tellement supérieur, pour les cordes, à ce que font actuellement Christie, Niquet ou Rousset dans les opéras de la même période.
Plus problématique encore, j'ai l'impression d'une lecture très séquentielle de la partition, où les épisodes paraissent des vignettes déliées de la poussée dramatique d'ensemble - et pourtant les tableaux sont peu caractérisés les uns par rapport aux autres.

A cela venait s'ajouter la dimension visuelle, qui contribuait elle aussi à mettre de la distance.

Certains redoutaient la scénographie du plasticien Jonathan Meese. Elle est sans rapport avec le sujet, mais assez inoffensive : on voit des bouches et des yeux apparaître sous forme de collages, ou bien des motifs sérigraphiés, assez typique de ce que l'on pouvait faire dans les années soixante. Cela contribue plutôt, il est vrai, à rendre encore plus distante l'action, puisque le dispositif ne dialogue jamais avec la scène, ni pour crédibiliser les mythes qu'elle convoque, ni même pour la transposer à la façon du Regietheater. Mais la seule réserve véritable que je ferais est l'usage du jaune canari pour le du plateau : il renvoie trop la lumière et tire la salle de la pénombre en faisant briller les ors du plafond, ce qui nuit à ce qui pouvait reste d'illusion théâtrale.
Bref, représentatif de la tendance actuelle à vouloir faire oeuvre en méprisant, voire en ignorant tout bonnement ce que l'on est censé servir. Sans grand intérêt de mon point de vue.

La mise en scène de Pierre Audi, dans une veine similaire, côtoyait les abîmes. Non pas que cela soit mauvais ou scandaleux, juste - et Dieu m'est témoin que je répugne à utiliser ce genre de vocable - extrêmement médiocre. Oh, certes, il a dirigé ses acteurs, et il y a beaucoup d'animation sur le plateau (quitte, quelquefois, à parasiter la musique). Mais il n'existe aucune forme de lien palpable entre l'oeuvre en général, les scènes en particulier, et ce qu'il fait sur scène. Une forme d'agitation sans objet, qui aurait pu être appliquée de la même façon à l'Italienne à Alger ou aux Dialogues des Carmélites... A ce degré d'absence de pertinence spécifique des gestes, des attitudes, des choix de disposition, on aurait pu laisser avec plus de bonheur les chanteurs se débrouiller, ils sont désormais formés théâtralement et capables d'improviser honnêtement.

Exemples d'absurdités (parmi la ribambelle de choses inutiles mais sans conséquence) :

  • à force d'actualisation neutre, les allégories (sans attributs, sans époque, sans rôle) qui prennent la parole dans le Prologue paraissent très étranges, sans propos ;
  • les déplacements parasitaient souvent la musique dans les moments où elle fait l'action, comme pour les battues de cordes dans "Un dragon assoupi" (I,1), tandis que d'autres moments plus propices à la scène paraissent plutôt sous-exploités ;
  • les soldats de Créon, tout au long de l'histoire, sont représentés rampants, exactement comme lorsqu'ils sont envoûtés, exactement comme les démons de l'Enfer. Il était trop compliqué de gérer une alternance debout / couché ?
  • de même, la défaite de Créon se produit en contradiction avec le texte (ce que dit le livret s'exécute en décalage, en fait), comme si Audi était en train de lire le texte et se rectifiait en cours de représentation !
  • sans que cela n'apporte rien à ce qui est dit, Audi impose tout de même à Anders Dahlin, pendant le magnifique duo Créüse-Jason de l'acte IV, de chanter en travers d'un support dur et rectangulaire (donc même pas correctement allongé), la tête en bas. Celui-ci s'en tire avec les honneurs, mais la voix se tend forcément un peu, on ne peut tout simplement pas chanter avec le corps en A (la tête se trouvant sur le second pied du A) ! Et tout cela pour ne rien dire ;
  • il est vrai que je trouve souvent les rapports sociaux de type aristocratique très mal représentés (très tactiles, de façon anodine ou non), mais on atteint ici des sommets ; Jason, dès la première rencontre, culbute la princesse. Cela contrevient bien sûr au contexte historique de la fable d'origine et de la pièce de théâtre, mais surtout, cela viole explicitement le texte : Créüse tente, dans cette scène, de profiter de la déclaration de Jason sans s'engager en retour. Et pendant ces finesses rhétoriques, avant même l'aveu, on voit Jason lui écarter les jambes et tomber à genoux (pour mettre son bassin à bonne hauteur, comme de bien entendu). Ca aurait été la fin du premier acte de Wozzeck, ou la rencontre de Lady Macbeth de Mtsensk, on aurait pu considérer ça comme un euphémisme scénique, mais avant même un premier aveu, on peut considérer que c'est du simili-érotisme (moche) à bon marché ;
  • en obligeant Michèle Losier, pourtant un vrai tempérament dramatique, à jouer les femmes fragiles, le changement de Médée (et toutes ses allusions à son passé !) devient incompréhensible, arbitraire, gratuit (alors que le livret et la musique le préparent remarquablement). Et comme sa diction est déjà assez molle et sa voix trop lisse, le personnage glisse vers la fadeur ;
  • les robes de Médée obéissent à une logique obscure ; il n'était pas absurde de la faire basculer de la jeune fille (acte I, jupe) à la femme vengeresse (acte II, robe du soir) en aboutissant au monstre froid (acte V, manteau de cuir rouge), mais à l'acte III où se produit le changement de paradigme, on la voit revenir dans une tenue similaire à l'acte I. Message totalement brouillé - et puis cette fillette qui invoque gentiment les enfers...


Seule relative réussite, le grand divertissement de l'acte II, difficilement statique, et très animé ici, avec quelques évocations plutôt réussies de l'omniprésence (et du pouvoir dévastateur !) de l'Amour.

En plus, le résultat est d'un clinquant particulièrement moche (et désuet), typique des maisons bourgeoises à dorures et gadgets qu'on trouve dans les films "sociaux" de Tati, Molinaro ou Zucker. Mais sans aucun élément qui permettrait de recontextualiser un peu plus précisément : uniquement de l'habillage censément intemporel, mais déjà totalement has-been depuis quelques décennies, et qui dissout la logique du texte sans apporter le moindre sens en échange.

Même si j'avoue avoir peu regardé la scène vu l'absence à peu près totalement d'intérêt à ce que j'y voyais, on s'explique mieux que la musique aussi manque d'électricité, si rien ne se passe sur scène de pertinent : pour être emporté, il faut donc d'abord se détacher de ce que l'on voit, exercice assez contradictoire.

... et distribution étrange

Emmanuelle Haïm est pourtant une habituée du plus haut niveau en matière de formation des chanteurs, ayant suivi au plus près, avec Christie puis avec Rousset, la formation de chanteurs à l'esthétique de ce répertoire. Elle aurait donc dû être capable de sélectionner les bonnes personnes, ou bien être capable de rendre aptes à ce répertoire des non-spécialistes de haut niveau. Malheureusement, il n'en est rien, et c'est peut-être ce qui gêne le plus dabs cette soirée.

D'une manière générale, les quantités au sein des vers, les appuis et consonances sont chantés avec une grande indifférence par Losier et Degout, et même chez les spécialistes de ce répertoire comme Karthäuser et Naouri. Tout est rond, ferme, homogène, les voix sont très couvertes, le chant très lié et uniforme, les voix assurées mais lisses et inexpressives. Avec ces voix égales, on aurait mieux fait de jouer un Vivaldi ou un Donizetti, on aurait été plus proche de l'esthétique.

Pourtant, Haïm a bel et bien assisté à des jours entiers de formation de chanteurs lyriques, et maîtrise par coeur des rôles entiers, en quelques cours de chant elle pourrait elle-même courir les scènes... Mais elle semble avoir été complètement indifférente à cet aspect lors de la préparation du spectacle. Autant on peut discuter le choix des voix trop épaisses et trop grises (et je le fais !), autant il était possible, avec n'importe quel matériau de départ, de soigner les appuis de la déclamation. Car avec des chanteurs de ce niveau technique, et sensibles au texte (tous des spécialistes de la mélodie française !), quelques conseils eussent suffi à changer radicalement l'aspect général de la soirée.

Ce que l'on entend ?

Michèle Losier (Médée), assez limitée en volume, émission très nord-américaine (résonance arrière, on entend assez bien le québécisme), peu de rayonnement, diction assez floue, appuis très faibles sur les consonnes, une seule couleur de voyelle (sorte de [eu] permanent), et surtout entravée par les indications absurdes de la direction d'acteurs. Lorsque Pierre Audi l'autorise enfin à jouer Médée et ses emportements, à l'acte V, on entend quelque chose de toujours aussi opaque, mais qui est réellement convaincant !

Stéphane Degout (Oronte), dont l'assise grave très soulignée et l'émission un peu grasse et pâteuse pour le répertoire ne conviennent pas aussi bien que pour Thésée dans Rameau - pour lequel ce profil était pertinent (à défaut d'être celui que j'aime spontanément). En revanche, lui jouait avec conviction et intensité.

Sophie Karthäuser (Créüse), tout à fait valeureuse, mais ici encore une voix un peu cotonneuse, sans impact physique fort, toujours ronde, lisse, comme atténuée - malgré une certaine largeur de voix inhabituelle dans ce répertoire. Et la déclamation qui sonne comme de la prose, aucune consonnance n'étant soulignée.

Laurent Naouri (Créon) poursuit sa descente caverneuse, avec une voix qui se repose de plus en plus sur son "halo" grave et plus du tout sur le tranchant des harmoniques supérieures. Les accents sont rudes et très occasionnels, ici encore on entend mal la logique du vers. En revanche, contrairement aux précédentes expériences (La Haine, Gernot...), voix très sonore. Un Créon très peu noble, mais pour tous ces paramètres, la mise en scène l'empêche effectivement de faire valoir le moindre estelin d'élégance.

Même Benoît Arnould sonnait très sèchement, tel que je ne l'avais pas entendu depuis longtemps, un mauvais soir sans doute.

Satisfactions & autres rôles

Anders Dahlin (Jason), qui m'a toujours paru un rien pâle, est le seul des rôles principaux à se révéler d'un style impeccable - et, alors qu'il est le seul non francophone, à servir la déclamation française. La voix a relativement peu d'impact - ou plus exactement, un impact intermittent (fortement projetée seulement pour les nasales et les [eu]) selon les voyelles. Et, bien sûr, son émission très légère, souvent aux confins de la voix de tête, lui interdit la véritable véhémence.
Néanmoins, ce Jason élégant, un peu hautain et pas du tout héroïque convainc pleinement, et sert très bien les magnifiques lignes mélodiques de son personnage.

A cette exception près, c'est dans les petits rôles qu'il faut chercher les satisfactions. Elodie Kimmel, dans le minuscule rôle de Cléone (la suivante de Créüse), est la seule de tout le plateau à faire entendre une véritable déclamation maîtrisée de bout en bout, avec des équilibres et une éloquence hors du commun. Pour ne rien gâcher, la voix est très belle, à la fois claire, tranchante et dotée d'une assise très stable. D'autant plus admirable qu'elle est manifestement l'une des rares à ne pas avoir bénéficié de la formation aux côtés d'un grand chef spécialiste.

Katherine Watson fait une impression très positive dans l'air italien du II (avec un fort accent français tout à fait délicieux dans ce contexte) et dans l'apparition spectrale du IV, beaucoup de maîtrise et de grâce à chaque fois. Elle est pourtant britannique, mais issue du Jardin des Voix (Ve, en 2009).

Enfin, Aurélia Legay (Nérine, la confidente de Médée), que j'avais crue à court de voix depuis quelques années (successivement dans Villa-Lobos, Massenet et Rameau !), montre tout ce qu'elle a retiré de la domestication de sa voix ample auprès de Christie (Ambronay) puis de Minkowski. Par ailleurs, comme toujours, elle ravit l'espace scénique dès qu'elle s'y trouve.

Quant à Clémence Olivier, il s'agit d'une petite voix semi-enfantine comme les aimait Christie au tournant des années 2000 (Daneman, Brahim-Djelloul, Boncompagni), qui remplit tout à fait sa fonction dans le petit air de l'Amour.

Le Choeur d'Astrée fait aussi partie des satisfactions : les parties féminines sont toujours assez opaques et lisses, mais les parties masculines, très mises en valeur par l'oeuvre, dispensent de belles couleurs - et on n'entend pas de décalages gênants comme dans Hippolyte.

Pour l'anthologie

Un élément était en revanche à marquer d'une pierre blanche : le continuo.

Une viole de gambe, un violoncelle, une basse de violon, une contrebasse, deux théorbes, un clavecin, utilisés alternativement selon les besoins expressifs. Les répliques importantes que la mise en scène parasite ou que la déclamation laisse passer, ces musiciens les soulignaient, de façon parfois tout à fait extraordinaire. Ainsi pour des moments lyriques comme "Un dragon assoupi, de fiers taureaux domptés" (I,1) ou "Cette robe superbe où partout nous voyons, / Du Soleil votre aïeul éclater les rayons" (I,2) ; une superbe viole semi-concertante pour "Mon coeur qui s'applaudit d'une illustre victoire" (II,6) ; et surtout, pour des moments dramatiquement essentiels comme "Il faut donc me résoudre à ce depart funeste" (III,2) où Médée met une dernière fois à l'épreuve Jason avant de basculer dans une autre forme de toute-puissance - dans le mal absolu cette fois, et non plus pour servir un but.

Le plus incroyable se trouve dans la même scène, lorsque Jason, tout en mentant effrontément, laisse échapper cette vérité :

Ce qu'a fait votre amour gravé dans ma mémoire...

De la reconnaissance et du souvenir dans la même phrase, pour un amoureux supposé... Alors le continuo enfle soudainement, comme si le mot sonnait en révélation à Médée. Saisissant.

L'usage des effectifs était en effet très bien géré, notamment la profondeur (ajout de la contrebasse) et l'épaisseur (ajout de la basse de violon) des cordes graves, menées par un gambiste miraculeux (et très sonore !). Deux très beaux théorbistes aussi, et le claveciniste jouait dans une veine assez proche de ce que font Béatrice Martin (Arts Florissants) ou Christophe Rousset, avec beaucoup de développements mélodiques et d'échos (avec ici, une limite parfois franchie en direction du badinage).

De même, les divertissements étaient en général très réussis, bien dansants et très convaincus, à défaut de profondeur. (Mais la scène guerrière du I, privée de sa reprise et prise à un tempo incompatible avec la marche - Christie II et Niquet se trouvaient déjà sur la limite haute -, ne fonctionnait pas totalement à mon sens.)

Bilan

Un peu d'insatisfaction, parce qu'avec des musiciens et chanteurs de cette trempe, avec cette dépense dans les décors, on aurait pu donner une version superlative, alors qu'on a l'impression que le temps de répétition n'a pas complètement été mis à profit. Sans doute faut-il voir aussi du côté du planning des représentations - Christie fait généralement des tournées dans la France entière, si bien que le spectacle termine très aguerri. Mais les débuts des productions Christie ou les très nombreux one-shot-concerts de Niquet (clairement le chef le plus prodigue en nouveautés françaises, et de toutes les périodes !) n'ont pas cet aspect froid - comme si les artistes avaient un peu sous-sollicité leur enthousiasme et leur désir d'exceptionnel.

Au demeurant, dans une salle aussi peu remplie, on aurait pu prendre tous les risques, comme par exemple confier le rôle-titre à une chanteuse encore moins célèbre et plus adéquate (ou sensiblement de la même notoriété, comme, au hasard, Blandine Staskiewicz). Et il y a fort à parier qu'avec de jolis costumes ou une chanteuse plus réputée dans le milieu (après tout, Guillemette Laurens ne l'a jamais chantée, il me semble), on aurait un peu plus rempli, quitte à ne pas forcément faire mieux !

Néanmoins, le résultat était fort honnête, et le plaisir d'entendre Médée en salle, et à plus forte raison au Théâtre des Champs-Elysées, qui est à mon sens la meilleure salle de la région pour entendre les tragédies lyriques (pourvu qu'on ne soit pas placé dans un recoin ouaté), demeurait une bénédiction en soi.


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Commentaires

1. Le jeudi 18 octobre 2012 à , par rhadamisthe :: site

Bonjour !
Je rebondirai simplement sur deux points. D’abord, considérer cette Médée de Charpentier comme une des plus grandes réussites du répertoire prête à débat. En maints endroits, la déclamation est un peu archaïsante, rappelant plus l’air de cour que le modèle lullyste. Bon, ça n’est pas si grave que la piètre qualité du livret, qui est confus à force de vouloir remplir — désolé pour Thominou* Corneille que j’aime beaucoup par ailleurs, en particulier dans Le Berger extravagant. Même si je suis d’accord pour dire qu’il y a des passages absolument splendides ! (Eh oh, c’est du Charpentier quand même…) Question d’attentes et de goûts aussi.

Par ailleurs, le continuo. Ça m’agace sérieusement ces fantaisies de continuo de hop hop hop, mettons un violoncelle et une basse de violon, n’importe quoi quand on sait qu’à l’époque le violoncelle, c’est niet, et qu’en plus dans le continuo on ne mettait pas de basse de violon, mais des violes. Et moult théorbes (trois je crois), deux clavecins il me semble à l’ARM… Autrement dit : quand on veut faire de l’historiquement informé, on peut quand même faire l’effort de se renseigner sur ce qui est le plus facile à trouver, à savoir qu’y avait-il dans le continuo de l’ARM !

* Oui, je donne des petits surnoms aux gens…

PS. Tout à fait d’accord pour le Castor et le Zoroastre de P. Audi, j’ai pas du tout adhérer à ces machins déstructurés et sans ligne de force dramaturgique.

2. Le vendredi 19 octobre 2012 à , par David Le Marrec

Bonsoir Rhadamisthe !


Bien sûr que mon choix prête à débat. Pour certains, c'est Atys, pour d'autres, ce sera un Rameau (lequel d'ailleurs, ils ont tous leurs imperfections, surtout au niveau du livret ?), pour quelques élus, c'est Callirhoé... Si je parle de mon cas personnel, je citerais sans doute plutôt Didon de Saintonge-Desmarest, Philomèle de Roy-La Coste, Callirhoé de Roy-Destouches ou Pyrame de La Serre-Francoeur & Rebel. Mais Médée, dans l'absolu, me paraît cumuler les avantages.

Je vous concède volontiers un peu de raideur dans certaines parties déclamées - ça n'a pas toujours l'aisance des meilleurs Lully, mais c'est plus varié aussi ! -, en revanche je ne suis pas sûr qu'il faille imputer les particularités de la déclamation à l'influence de l'air de cour. Au contraire, on sent la tentation des ariettes ornées ultramontaines même dans les récitatifs, et puis tous ces effets d'orchestration, ces petites finesses harmoniques... Dans certains récitatifs, la ligne de basse est tellement lyrique qu'elle semble un second soliste.

Je vous rejoins aussi sur l'aspect profusif, voire confus, des allées et venues des personnages, avec à de multiples reprises les mêmes tête à tête pour dire la même chose. Mais précisément, le sujet démesuré se prête bien à cette absence d'équilibre, et quelque chose qui m'aurait déplu pour ''Armide'' me séduit beaucoup pour Médée. On peut évidemment mettre ces aspects abscons au débit du poète - mais quand le résultat est convaincant, je ne le fais pas.

Pour le continuo, je m'étais dit, pour Hippolyte, qu'il était nécessaire de remplir Garnier (là, le récitatif était soutenu par plusieurs violoncelles !), et effectivement un effectif trop simple n'aurait pas convenu. Quand on voit la souplesse des effectifs selon les circonstances (et l'Académie n'étant pas le seul lieu de représentation, qui pouvaient avoir lieu aussi par extraits et en formations réduites), on n'est pas forcément amené à exiger le même nombre de cordes (personnellement, je trouve que c'est trop de monde pour une musique aussi "pauvre"). Et eu égard à la taille des salles, la viole de gambe seule peut sonner malingre (pas ici, parce que le gambiste projetait admirablement le son, ce qui n'est pas si fréquent). Plusieurs, je n'ai jamais entendu, c'est peut-être très bien.
En tout cas, authentique ou non (ce qui n'est pas mon intérêt premier), ça fonctionnait très bien, et plutôt dans l'esprit circonvolutif de Charpentier.


PS. Tout à fait d’accord pour le Castor et le Zoroastre de P. Audi, j’ai pas du tout adhérer à ces machins déstructurés et sans ligne de force dramaturgique.

Eh bien, dans Médée, c'était plus mobile, mais encore plus creux ! Et non seulement il ne se passait rien, mais en plus c'était moche.


Merci pour ces fines remarques !

3. Le dimanche 28 octobre 2012 à , par rhadamisthe :: site

Bon, évidemment, je suis pas vraiment d’accord avec vos choix pour un “exemple le plus abouti du genre [de la tragédie en musique] tout entier”, parce que je vais forcément chercher quelque chose qui se conforme au canon du genre (et n’en évite donc pas les difficultés d’une façon ou d’une autre) avec un bon poète et un bon musicien.

Car souvent les œuvres qui séduisent le plus sont celles qui ne se conforme pas au canon : du genre :
Atys, intrigue très resserrée, c’est exceptionnel ;
Roland, acte V dramaturgiquement inepte ; Armide, acte IV dramaturgiquement inepte ;
Callirhoé, ça marche à peu près mais le divertissement final est éludé ;
Après, il y a aussi des affaires de goûts (personnellement, j’en ai peu pour Roy, et je trouve La Serre très médiocre aussi…). Du coup j’irais sans doute chercher la parfaite tragédie en musique qui colle aux exigences du genre du côté de Vénus et Adonis de Jean-Baptiste Rousseau et Henri Desmarest, ou peut-être Tancrède d’Antoine Danchet et Campra (je m’en souviens plus bien, l’enregistrement par ailleurs est difficilement supportable…), ou peut-être même Thétis et Pélée de Fontenelle et Pascal Collasse… Hippolyte, dans son genre, est pas mal, mais le dernier acte fait une fin assez faible, dramatiquement. Bref, ce ne sont que quelques considérations personnelles.

4. Le dimanche 28 octobre 2012 à , par David Le Marrec

Bonsoir Rhadamisthe !

Merci pour ces passages toujours hautement stimulants. :)


parce que je vais forcément chercher quelque chose qui se conforme au canon du genre

Pas forcément, on peut tout à fait être abouti en étant original, ça paraît même être une condition nécessaire pour nous qui sommes toujours marqués par l'idéologie romantique en matière de création...
Et puis, dans cette perspective, cela voudrait dire que tous ceux qui sont influencés par l'Italie (Charpentier, Campra, Destouches, Rameau !) seraient à exclure du "plus abouti" - en fait, il faudrait en rester à Lully, éventuellement l'étendre à Desmarest. Pourquoi pas la tragédie favorite du roi, tant qu'on y est, ça règlerait la question. :)

Donc, si c'était ambigu, bien évidemment, c'est une proposition personnelle. Non pas que ce soit forcément mon opinion (pour moi, ce serait plutôt Didon, Callirhoé ou Pyrame, voire Philomèle si j'en juge par la seule partition), mais son aboutissement "objectif" (sur les critères que je nomme tout de suite) se fait selon des attentes qui ne sont que les miennes, en effet.

Des bons livrets et des bonnes musiques, il y en a d'autres, mais peu peuvent se flatter d'une telle mobilité harmonique (donc agréable à l'oreille lorsqu'on en écoute plus souvent que les spectateurs de l'époque et a fortiori, il est vrai, pour nous qui avons dans l'oireille des musiques ultérieures autrement complexes) et surtout d'une veine mélodique aussi extraordinaire. Là où Lully fonctionne avec des sortes de motifs à imbriquer pour faire des mélodies, Charpentier invente souvent de véritables lignes très lyriques... Et même dans le récitatif tempêtueux, comme au III ou à la fin.

— Roland, acte V dramaturgiquement inepte ; Armide, acte IV dramaturgiquement inepte ;

On peut discuter cela. Je serais d'accord s'il s'agissait de tragédie parlée, mais ménager un acte pour développer un affect (Roland) ou ajouter une respiration de caractère plus léger (Armide) peut tout à fait se défendre dans une perspective.

— Callirhoé, ça marche à peu près mais le divertissement final est éludé ;

Pas dans la version originale de 1712 ! De toute façon, ce n'est pas un réel problème. Ce n'est pas parce que Lully ne l'a jamais fait que cela constitue forcément une hétérodoxie. Je peine à suivre les auteurs qui le présentent comme une marque de subversion, alors que les exemples de ce type sont assez nombreux (Médée, Didon, Philomèle, Pyrame). Et un certain nombre, comme Armide, Polyxène, Tancrède, Idoménée, Pyrrhus... le rejettent en milieu d'acte pour s'achever librement sur le tragique. Même Platée, qui est censée être fidèlement parodique, utilise cette astuce.

Du coup j’irais sans doute chercher la parfaite tragédie en musique qui colle aux exigences du genre

En existe-t-il vraiment qui aient pu être représentées en se soustrayant aux règles élémentaires ? Je ne vois pas d'exemple, en tout cas avant qu'on commence à bidouiller Quinault en trois actes et autres versions littérairement à l'économie.

du côté de Vénus et Adonis de Jean-Baptiste Rousseau et Henri Desmarest

Je croyais que le livret devait être bon ? :) Cela dit, j'ai peine à juger de la musique dans l'unique version dont nous disposons, et que je trouve, au sens propre, inécoutable. Je n'arrive vraiment pas à me plonger dedans autrement qu'en faisant la vaisselle, tant tout y paraît é-nervé, indolent, insipide.

ou peut-être Tancrède d’Antoine Danchet et Campra

Une oeuvre extraordinaire, en effet. Mais très typé du côté "martial", en accord complet avec son livret d'ailleurs. Et harmoniquement, ça reste extrêmement carré, rien à voir avec les italianismes et les souplesses d'Idoménée (qui est plus inégal, mais qui contient plus de sommets à mon avis).

L'enregistrement Malgoire a un peu vieillie, mais je le trouve très attachant contrairement à ce qu'il a pu faire dans Idoménée et surtout dans ses premières Alceste (redoutables).


ou peut-être même Thétis et Pélée de Fontenelle et Pascal Collasse…

Je ne me suis pas suffisamment plongé dans la musique pour en juger (c'est prévu dans les prochains mois), mais pour ce qui est du livret, oui, très prometteur. Je suis très curieux de découvrir ce qui a tant enchanté les contemporains (et au delà).


Hippolyte, dans son genre, est pas mal, mais le dernier acte fait une fin assez faible, dramatiquement.

S'il n'y avait que le dernier acte... Si j'étais metteur en scène, pour l'acte II je costumerais Thésée en abbé.

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