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Carnet d'écoutes - Bruckner, la Huitième Symphonie pour orgue


Extraits ici.


En réécoutant encore cette symphonie (au demeurant celle que j'aime le moins chez Bruckner) dans la transcription pour orgue de Lionel Rogg, je suis frappé par le caractère à la fois vrai et faux de l'assertion qui décrit l'utilisation brucknérienne de l'orchestre comme fondamentalement organistique.

Je ne reviens pas sur les raisons de cette affirmation discutable, elles ont déjà été débattues ici même. Il ne s'agit pas vraiment de "pans" d'orchestre, comme on le dit souvent, mais plutôt de l'adjonction de registres. Donc, pourquoi pas à l'orgue, pourquoi ne pas revenir à la source de son inspiration ?

Pourtant (et la chose est fort logique), cela ne fonctionne pas. Du tout.

A l'orgue, il manque un effet essentiel de l'écriture orchestrale de Bruckner,

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A l'orgue, il manque un effet essentiel de l'écriture orchestrale de Bruckner, les effets de masse du crescendo. Même si son imaginaire est sans doute celui de l'orgue, il utilise les ressources de l'orchestre de façon infiniment plus souple qu'une « pédale d'expression » ne peut le faire. Les ruptures façon pianissimo subito sont aisément réalisables en changeant de clavier - pas les crescendos. Et cela rend le résultat complètement sans tension.

Pour que cela fonctionne, il faudrait sans cesse ajouter et retrancher des registres, pour modifier les couleurs et surtout les masses en permanence, avec la même facilité et la même immédiateté que dans un orchestre. Ce devrait être faisable, je serais curieux d'entendre ce résultat - même s'il manquera toujours les contrastes dynamiques fins entre pupitres, limités ici à deux dynamiques sur deux claviers. Mais en tout cas, la version Rogg passe tout à fait à côté de cet enjeu (et lasse très vite, dès le début du premier mouvement).

Considérer qu'on peut transposer Bruckner à l'orgue - et ce n'est pas faute de goûter le plaisir pervers des transcriptions insolites (à commencer par les brucknériennes) -, c'est méjuger du caractère profondément simple de cette musique (ou plus exactement, de cette expression musicale, l'analyse des partitions révélant des finesses techniques considérables). Sa jouissance se fonde en grande partie sur les contrastes entre effets de masse, sur la poussée de crescendos ou de tensions harmoniques, voire sur la simple réitération.

En tout cas, j'ai le sentiment, pour avoir été pendant de longues années assez tiède (en dehors des mouvements lents) sur les symphonies de Bruckner, tandis que j'ai toujours vénéré ses motets, d'avoir réellement accédé à ses beautés non pas lorsque je me suis penché sur les partitions ou sur la forme, non pas en partant en quête de l'interprétation idéale, mais tout simplement lorsque j'ai accepté les aspects primordialement acoustiques et physiques de son écriture. Contrairement à la plupart de ses auditeurs, la musique de Bruckner me paraît tout sauf intellectuelle.


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Commentaires

1. Le jeudi 22 novembre 2012 à , par Cololi

Mon dieu j'avais pas vu ça !

Il y a du vrai !C'est vrai les crescendo ne sont pas saisissant comme à l'orchestre. Mais je te trouve quand même bien sévère.

"mais tout simplement lorsque j'ai accepté les aspects primordialement acoustiques et physiques de son écriture. Contrairement à la plupart de ses auditeurs, la musique de Bruckner me paraît tout sauf intellectuelle."

Tout à fait d'accord. J'espère ne pas être classé dans cette catégorie d'auditeurs :)
Pour moi mystique ne veut pas dire intellectuel.

2. Le samedi 24 novembre 2012 à , par David Le Marrec

Bonsoir Cololi !

Pour moi, sans cette dimension physique, la poétique de Bruckner ne fonctionne pas, tout simplement. (Et puis la registration y est sacrément paresseuse, tu ne trouves pas ?)

Quand je dis "intellectuel", je veux juste faire remarquer que le public de Bruckner est généralement un public assez informé et cultivé, spécifiquement intéressé par la musique classique, par rapport à ceux de Mozart, Beethoven ou Verdi qui sont beaucoup plus variés. Ca s'explique très simplement vu l'ampleur en termes de durée et la nécessité de s'occuper un peu des enjeux structurels (alors qu'on peut tout à fait écouter une symphonie de Haydn ou de Mendelssohn sans s'interroger sur ses équilibres thématiques).
Et pourtant, le charme de la musique de Bruckner est très physique, assez primaire d'une certaine façon.

(C'est même un mysticisme hédoniste, on pourrait rapprocher ça de Messiaen de ce point de vue.)

3. Le dimanche 25 novembre 2012 à , par Cololi

C'est vrai que c'est pas le même public. Celà dit, il y a une grosse différence entre le public musique de chambre Mozart/Beethov et le public symphonie/opéra de Mozart/Beethov. Le 1° ne peut venir que pour la musique, l'autre ... car il vient écouter de jolis gosiers, se faire voir, ou siffloter l'ode à la joie (ou les autres thèmes ultra connus) ... ou la 40° ...
Naturellement celui qui se déplace pour la musique de chambre de Mozart/Beethov se déplacera pour Bruckner.

Tu soulèves une contradiction. Mais je n'en vois pas pour ma part. "Séduction assez primaire" => tu parles de moments comme le début du dernier mouvement de la 8° c'est ça ? Pour ce genre de moment je veux bien te l'accorder. Mais enfin c'est très limité dans le temps. Celui qui veut entendre de la pompe, du spectacle va quand même s'ennuyer ferme avec Bruckner.

Hédoniste me gêne un peu, car on pense aux romantiques du coup, et Bruckner et Messiaen sont je trouve justement anti-romantique.

4. Le dimanche 25 novembre 2012 à , par David Le Marrec

Celà dit, il y a une grosse différence entre le public musique de chambre Mozart/Beethov et le public symphonie/opéra de Mozart/Beethov.

C'est tout à fait vrai, mais :

Le 1° ne peut venir que pour la musique, l'autre ... car il vient écouter de jolis gosiers, se faire voir, ou siffloter l'ode à la joie (ou les autres thèmes ultra connus) ... ou la 40° ...
Naturellement celui qui se déplace pour la musique de chambre de Mozart/Beethov se déplacera pour Bruckner.

Je ne suis pas d'accord avec ça. Tout le monde vient pour la musique (même les gens qui parlent de tout autre chose parce qu'ils ont été invités par le comité d'entreprise). Le public de musique de chambre, par essence, est plus averti (je ne suis pas si sûr que ce soit forcément moins accessible, mais il y a moins d'instruments, moins de couleurs, moins d'impact sonore), et celui de symphonie ou d'opéra plus grand public, mais ça ne veut pas dire du tout qu'il n'y ait pas de gens très informés pour un concert symphonique, ni qu'ils n'aillent pas voir du quatuor ou du lied par ailleurs.

Par ailleurs, le fait de se déplacer parce qu'il y a un truc connu, quand on n'est pas dans le trip découverte-transversale-du-classique comme nous, je ne vois pas ce que ça a d'infamant, bien au contraire - c'est souvent franchir le pas pour découvrir, même si ça reste sans lendemain.


Tu soulèves une contradiction. Mais je n'en vois pas pour ma part. "Séduction assez primaire" => tu parles de moments comme le début du dernier mouvement de la 8° c'est ça ? Pour ce genre de moment je veux bien te l'accorder. Mais enfin c'est très limité dans le temps. Celui qui veut entendre de la pompe, du spectacle va quand même s'ennuyer ferme avec Bruckner.

Ce n'était pas un jugement de valeur, j'ai hésité à écrire "primal". Oui, je parle par exemple des premiers tutti dans ses premiers mouvements, avec ses énormes unissons à tout l'orchestre. Je ne les critique absolument pas (plus encore, j'en suis assez client), mais c'est un type d'effet qui peut être ressenti par n'importe quel être humain (peu d'instruments doux deviennent tous les instruments forts), qui ne demande pas de se plonger intimement dans la grammaire musicale.

Evidemment, comme tu le dis, c'est loin de se limiter à cela, mais si on n'y est pas réceptif, je crois qu'on peut difficilement aimer Bruckner. En tout cas, parlant pour moi, c'était clairement une chose qui me manquait pour aimer les mouvements extrêmes de ses symphonies - l'autre étant, paradoxalement, la plongée dans la partition pour bien identifier les articulations thématiques.


Hédoniste me gêne un peu, car on pense aux romantiques du coup, et Bruckner et Messiaen sont je trouve justement anti-romantique.

Hédoniste en musique, ce serait plutôt pour moi la "beauté sans message" (je veux dire sans forcément viser une émotion particulière), et donc d'une certaine façon antiromantique (on le trouve plutôt chez les classiques et au XXe).
En revanche, je suis surpris que tu ne classes pas Bruckner parmi les romantiques, il a quand même toutes les caractéristiques pour en être (ne serait-ce que l'héritage évident de Mendelssohn et Wagner !). Et franchement, quand tu vois ce qu'il fait dans le profane vocal (Helgoland), le choix des textes, le parallèle entre les éléments déchaînés et les états de l'âme... si ce n'est pas du romantique, alors j'ai toujours pris Boulez pour la Reine de Saba.

5. Le lundi 20 octobre 2014 à , par Diablotin

Bonjour,

Pour ma part, je troupe que ça fonctionne assez bien, au contraire -au mois aussi bien que les transcriptions pour piano de Beethoven par Liszt, par exemple-, sous réserve d'écouter cela assez fort, plus fort en tout cas qu'une écoute domestique "normale" -mais bonjour les voisins !!!-. A volume moyen, il me semble qu'il y a trop de petits détails qui échappent à l'auditeur.

6. Le lundi 20 octobre 2014 à , par David Le Marrec

Bonjour Diablotin !

C'est possible. Pour moi, ça lisse vraiment trop. En revanche, Mahler fonctionne mieux (alors que ce devrait être l'inverse) — la Cinquième par David Briggs est une franche réussite. Mais dans tous les cas, ça dépend avant tout de l'arrangeur, et les arrangements de Rogg (même chose pour ses Wagner) sont rarement très intéressants : il ne reste que la surface, en quelque sorte.

Mais je n'ai pas essayé à très fort volume, c'est vrai. Merci pour le conseil !

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David Le Marrec

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