Discographie - Le concerto pour violoncelle d'Elgar sans Du Pré
Par DavidLeMarrec, samedi 3 novembre 2012 à :: Discographies - Discourir - Le disque du jour - Domaine symphonique - Musique romantique et postromantique - Musiques du vingtième siècle :: #2114 :: rss
(Partielle : plutôt une proposition de parcours.)
Parce qu'on a tous envie de se laisser dégouliner de temps à autre, de s'érabliser avec délices dans une mer de sucres visqueux... un petit concerto pour violoncelle d'Elgar ne fait pas de mal. Ce n'est pas virtuosement orchestré (tutti patauds), c'est plus rhapsodique que cérébral, mais ça fonctionne très bien lorsque l'humeur concorde avec la grandiloquence sans subtilité.
Personnellement en tout cas, je suis très client, et j'en ai fréquenté de plus baroqueux ou de plus rigoristes que moi qui aimaient à s'abandonner à ce concerto où triomphent à la fois le mauvais goût post-romantique anglais (trois tares simultanées) et une forme d'émotion assez naïve, qu'on pourrait rapprocher de l'exaltation devant les grands espaces d'une vallée boisée, ou l'inquiétude grisante du vaisseau perdu au creux de la mer par temps gris.
Comme beaucoup aussi, j'ai longtemps cru, sans vraiment le vérifier, que la version Du Pré / LSO / Barbirolli (qui n'était pas ma première, je précise) réglait d'une certaine façon la question, tant l'emphase coutumière de la soliste convenait si parfaitement à cet univers-là. Et plus que dans l'importe laquelle de ses autres versions avec d'autres chefs.

Et puis, parce qu'on gagne toujours à chercher un peu autour de ce qui est indépassable, manière de bousculer ses certitudes et de percer d'autres voies, j'ai découvert qu'il en allait autrement.
Au fil du temps, nos goûts changent, je ne parviens toujours pas à savoir si c'est en mieux. Et je me suis progressivement détourné de Jacqueline Du Pré. D'abord dans d'autres répertoires, particulièrement ses Sonates pour violoncelle de Brahms, d'un son extraordinaire, si ample qu'on pourrait s'y perdre pendant des années, mais aussi d'une grande robustesse, un peu lisses à force d'être toujours intenses. Là aussi, en allant un peu chercher, j'ai découvert d'autres lectures d'apparence moins généreuse, plus élégantes (par exemple Thedéen / Pöntinen), où la demi-teinte et la pudeur avaient leur place.
Pour Elgar, je ne souhaite pas le moins du monde défaire le mythe : la symbiose des (mauvais ?) goûts est d'une certaine manière assez inégalable entre Du Pré et Elgar. Néanmoins, lorsqu'on y revient avoir s'être un peu libéré l'oreille du modèle, on peut être moins persuadé de son caractère absolu. J'y entends, en fait, un phénomène assez proche des interprétations de Callas : le moindre portamento y est souligné, les effets de style y sont en tout cas extrêmement visibles, et les moments forts sont très ostensiblement soulignés - une forme d'expression au stabilo. A l'opéra, cela produit pour effet de renforcer les mots ou les notes qui sont déjà forts, et qui "sonnent" d'une certaine façon déjà seuls.
Or, avec un son aussi profond, pour l'une et l'autre, un timbre aussi personnel, une présente aussi prégnante... était-il vraiment besoin d'ajouter ce surcroît de pathos, comme pour bien nous dire où il faut s'émouvoir ? Les moyens artistiques de ces deux musiciennes étaient suffisants, à mon sens, pour ne pas avoir recours à ce type d'emphase un peu "carrée".
Il existe donc d'autres façons d'aborder ce concerto. La parution de Mørk / Birmingham / Rattle (Naïve) avait fait quelque bruit, et il est exact que la vision en est très différente - comme toujours avec ce violoncelliste, nette, assez froide, et le son étroit et tendu contraste avec la générosité sans limites de Du Pré, assurément. Mais l'intérêt de couper du sirop d'érable avec des légumes verts m'échappant un peu, j'avoue ne pas changer de came pour si peu.
D'autres lectures m'ont davantage convaincu, et même plus que Du Pré en théorie ; toutefois je ne suis pas persuadé, pour des raisons similaires, d'y revenir si souvent. Bengtsson / Symphonique d'Islande / Jacquillat (Danacord) et Thedéen / Malmø / Markiz (BIS) regardent beaucoup plus du côté de la délicatesse, de la poésie mélancolique, tout à fait dénuée de tristesse au demeurant. La réalisation du premier n'est pas aussi parfaite que les autres (prise de son essentiellement), et le second accuse peut-être quelques baisses de tension, mais le principe est intéressant. Avec un violoncelle plus fruste mais un orchestre extrêmement inspiré, Wallfisch / Liverpool / R. Dickins (Nimbus) creuse le même sillon.
Dans cette perspective, c'est à Noras / Radio Finnoise / Saraste (Finlandia) que je donnerais la palme. L'orchestre est splendide, et comme toujours avec Saraste, au profit de couleurs très lumineuses (ici assez pastorales), tout à fait inhabituelles dans ce concerto qui ne perd pourtant rien en solennité. Les deux compères s'autorisent de réels moments de rêverie suspendue, sans jamais relâcher la tension. De quoi renouveler très conséquemment sa vision du concerto, des moments qui semblaient transition entre deux éclats chez Du Pré deviennent le coeur du discours, avec une qualité de contemplation remarquable.
Néanmoins, l'ivresse elgarienne étant ce qu'elle est, on peut retrouver les mêmes plaisirs défendus qui nous faisaient chérir Du Pré dans une version qui allie ce magnétisme du timbre, cette grandeur de la phrase à une sobriété dépourvue de tout phrasé baveux ou complaisant. La présence magnétique Callas avec le port de Tebaldi.
Cette petite merveille n'est pas bien ancienne, il s'agit de la version Gastinel / Birmingham / J. Brown (Naïve), dont l'ample intensité n'est jamais poussée jusqu'à la complaisance ou l'excès de bonne volonté expressive.
Elle a en tout cas, à l'usage, complètement remplacé Du Pré dans mes écoutes.
Ce disque est librement disponible à l'écoute, avec un joli couplage original (concerto de Barber), et je ne saurais évidemment trop vous recommander de le découvrir.
Cliquez sur la pochette pour aller écouter l'album.
Si vous avez l'âme à cela, bien sûr. Les êtres qui ne conservent plus la moindre trace de fange sous leurs semelles spirituelles s'en dispenseront. Ils voudront peut-être plutôt aller s'abreuver aux épures, lumineuses jusqu'à l'insoutenable, du Requiem de Févin-Divitis dont une seconde version (Organum, après Doulce Mémoire) paraissait au début de cette année. Et dont je n'ai toujours pas eu le temps de faire état. [1]
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