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Les symphonies de David Diamond


a) Carrière et corpus

David Diamond (1915-2005) est particulièrement intéressant en raison de son emplacement, en particulier dans les années quarante, au coeur du style américain. En l'espace de cinq années, de 1941 à 1945, il produit quatre symphonies qui parcourent de façon assez large les caractères de la musique américaine.

Ses oeuvres étant tout sauf libres de droits et bien distribuées, je n'ai eu accès qu'aux oeuvres enregistrées, c'est-à-dire, concernant les symphonies, les quatre premières et la Huitième.

Malgré sa confidentialité aujourd'hui, et ce que raconte sa légende (victime des sérialistes absolus, en exil en italie dans les années 50 et 60), il a connu de son temps un parcours brillant : enseveli sous les distinctions aux Etats-Unis, puis élève de Nadia Boulanger à Paris, il quitte la France en 1939 avec la guerre, et se prépare à composer sa première symphonie. Pour s'assurer de la création, il contacte trois chefs. Dmitri Mitropoulos est le premier à répondre, et il crée l'oeuvre en décembre 1941 avec le New York Philharmonic. Il suffit d'observer les noms des créateurs pour s'apercevoir du caractère tout à fait exagéré de sa présentation comme un musicien négligé de son vivant, même pendant les années d'exil italien :

  • 1940 - Symphonie n°1 - Dmitri Mitropoulos, New York Philharmonic (1941)
  • 1943 - Symphonie n°2 - Serge Koussevitzky, Boston Symphony (1944)
  • 1945 - Symphonie n°3 - Artur RodziÅ„ski & Chicago Symphony avaient promis une exécution, mais la création a finalement lieu par Charles Munch & Boston
  • 1945 - Symphonie n°4 - Leonard Bernstein (remplaçant Koussevitzky souffrant), Boston Symphony (1948)
  • 1960 - Symphonie n°8 - Leonard Bernstein, New York Symphony (1961)


Comme auteur maudit, on a déjà vu pire. Diamond a aussi émis l'hypothèse que son double statut de juif et d'homosexuel déclaré aurait pu lui nuire dans la carrière, ce qui n'est pas exclu en effet.

Tout n'est pas d'égal intérêt dans ce corpus, et ce sont surtout les symphonies 1 et 3 qui retiennent l'attention - la Quatrième, chère à un lecteur fidèle (à l'intention duquel cette notule est largement destinée), vaut surtout par sa grande luminosité et son optimiste, assez roboratifs.

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Extrait de la Première Symphonie de Diamond (G. Schwarz, Seattle SO, Naxos).


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b) Les symphonies
Symphonie n°1 (1940)

Trois mouvements. La plus convaincante du cycle.

Le premier mouvement s'articule autour d'un thème extrêmement simple (trois notes ascendantes, une tierce mineure et une seconde majeure : si ré mi), avec un entrain motorique remarquable. Malgré sa grande tonalité, les notes étrangères s'accumulent, dans une ambiance plus modale que tonale, qu'on pourrait comparer à l'instabilité de Britten, mais doté d'un caractère beaucoup moins incertain, une musique plus nettement poussée vers une direction, un but.
Le deuxième, comme tous ceux de ses symphonies, est d'un déroulé lent, jamais immobile en revanche, d'un lyrisme intense et doux, très caractéristique de cette manière américaine.

Un des charmes de cette oeuvre réside dans le caractère motorique, toujours animé, même dans les tempi modérés ; on peut avoir l'impression à plusieurs reprises, dans les mouvements extrêmes, d'entendre une mélodie populaire embryonnaire derrière laquelle retentissent des échos partiels de fanfares. L'empreinte de Charles Ives paraît de toute façon évidente dans l'ensemble de ces pièces.

Symphonie n°2 (1943)

Quatre mouvements.

La Deuxième Symphonie quitte largement cette esthétique "folklorique" d'avant-guerre pour un ton plus sombre, avec notamment de très beaux chorals de cuivres où l'on sent l'influence de Mahler et Ives à la fois. Caractéristique du compositeur, on sent jusque dans ses élans funèbres quelque chose de positif, de presque réjouissant, tout à fait à rebours des compositeurs européens qui expriment la jubilation à l'aide de musiques extrêmement chargées et tourmentées.
En revanche, dès le dernier tiers du premier mouvement, l'unité de ton pèse un peu : le propos semble assez peu se renouveler, même dans les trois autres mouvements. Le mouvement lent, par exemple, issu des mêmes recettes que les trois autres premières symphonies, apparaît sensiblement moins séduisant que ses congénères.

Symphonie n°3 (1945)

Quatre mouvements.

Dans cette symphonie, Diamond fait sentir la plus grande variété de procédés. Dès le premier mouvement, on y entend des tentations minimalistes (le début de l'oeuvre évoque assez « Batter, my heart » du bien plus tardif Doctor Atomic d'Adams), des rythmes débridés (très parents de ce qu'on peut trouver dans On the Waterfront de Bernstein, là aussi postérieur), avec des ponctuations de piano qui doivent beaucoup à Stravinski, et un lyrisme très développé aux cuivres au milieu de cette agitation, sur une harmonie qui n'est pas chiche en notes étrangères (ici encore, on peut songer à un Britten beaucoup plus franc et décidé). Une sorte de War Requiem qui aurait mangé du Bernstein.

Le mouvement lent, moins suspendu que dans les symphonies 1 et 4, explore de très belles textures, dont le mystère n'est pas sans évoquer « The Painted Desert », le mouvement le plus original de The Grand Canyon Suite (Ferde Grofé). Malgré tout, il ménage un peu de repos, avec une atmosphère "adagio de Barber", avec la même qualité de tension harmonique, mais des sentiments moins univoques.

Le troisième mouvement prolonge la veine rythmique, brittenienne et militaire, du premier mouvement, au moyen de nombreux échos guerriers qui émanent par bribes de différents lieux, comme distordus, mi-gais mi-terrifiants.

Enfin, le dernier, mouvement lent, achève la symphonie de façon très douce (notamment un magnifique solo de clarinette suspendu, parent évolué du cor anglais de la Neuvième de Dvořák), mais toujours sur ces accords riches de quatre sons (au lieu de trois pour l' "accord parfait" traditionnel).

Clairement la symphonie la plus riche de Diamond.

Symphonie n°4 (1945)

Celle-ci dispose d'un programme, fondé sur les représentations de Gustav Theodor Fechner - pionnier psychophysicien du XIXe siècle, qui a notamment travaillé sur la décorrélation entre l'intensité physique et l'intensité ressentie d'un stimulus.

Ici, trois mouvements :

  • I - Sommeil permanent (avant la naissance)
  • II - Alternance de sommeil et d'éveil (vie)
  • III - Eternel éveil (après la mort)


Malgré le fort contraste que suggère cette organisation, cette symphonie est au contraire d'une grande unité de ton, très allante et lumineuse. Tout en fouillant moins profond que les Première et Troisième, elle fait entendre, ici encore, une musique « saine », qui communique avant tout des émotions positives. On pourrait presque parler de légèreté, concernant cette Quatrième.

Symphonie n°8 (1960)

Deux mouvements.

Créée à New York peu après sa composition, mais écrite durant les années italiennes, cette symphonie atteste d'un changement profond, sinon dans le langage (toujours assez peu novateur), du moins dans le ton. Beaucoup plus sonore, beaucoup plus extérieur, quelque chose de cette ingénuité semble s'être perdu - comme dissimulé derrière une forme d' « objectivité tonale », de déroulé un peu gratuit qui évoque assez le Hindemith des mauvais jours, transposé dans un langage américain.
Le mouvement lent, à variations, adopte un ton assez lunaire, très loin de la chaleur de ses habituelles ambiances nocturnes - la parenté paraît beaucoup plus vivace avec Chostakovitch qu'avec Barber.

A titre personnel, je n'ai pas été très intéressé. Quitte à écouter de la musique déprimée, autant bénéficier de la densité musicale que Berg ou Chostakovitch y ont adjoint.

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c) Conseils

Toutes ces oeuvres ont été (remarquablement) enregistrées par Gerard Schwarz et l'Orchestre Symphonique de Seattle, chez Naxos, avec une belle finition instrumentale et un très bon confort sonore. La Quatrième se trouve également dans un album américain de Bernstein avec le NYPO (Sony) : Troisième de Roy Harris, Deuxième de Randall Thompson.

La Première Symphonie, pour son grand charme et sa poussée continue, la Troisième pour sa variété et son aboutissement, méritent d'être écoutées en priorité. La Quatrième est assez réussie aussi, quoique sensiblement plus "décorative".


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Commentaires

1. Le dimanche 11 novembre 2012 à , par Ugolino le Profond

Si je dis que je suis fan de la 107ème symphonie de Segerstam, tu me fais un topo sur le corpus ?

2. Le dimanche 11 novembre 2012 à , par David Le Marrec

Tu me devras juste venir me payer tes respects (le gros bisou sur les deux joues reste optionnel) la prochaine fois que tu me verras.

Sans problème, je te les présente toutes, celles qui sont disponibles à la FNAC.

3. Le dimanche 11 novembre 2012 à , par Arnaud Bellemontagne

Mille mercis David , tu ne peut imaginer à quel point je suis heureux de lire cette notule sur ce compositeur qui me touche tant!!! =)

Sur tes bons conseils, je viens de me commander toute la série Naxos consacrée à Diamond.

Pour revenir à Diamond, c'est curieux parce que sa musique est à mille lieues de la densité haletante et de la prodigieuse maîtrise orchestrale et architecturale des Mahler, Berg, Schoenberg que je chéris tant et pourtant elle me mobilise et me parle avec une intensité que j'ai bien du mal à mettre en mots...
Je crois que c'est du comme tu le dis plus haut à la luminosité et à l'optimisme qui s'en dégage.
Bref, voila un compositeur qui à une connexion privilégiée avec mes dispositions affectuelles les plus euphorisantes.
Quant à savoir pourquoi...

Encore merci!
:)

4. Le dimanche 11 novembre 2012 à , par David Le Marrec

Au contraire, merci à toi, je n'aurais pas forcément pris la peine de 'systématiser' autour de Diamond sans toi. Je suis tout à fait d'accord, c'est une musique très "positive", même dans son expression des affects tristes, très "saine" d'une certaine manière. Et puis il y a cette profusion à laquelle tu es si sensible.

Mon conseil, mon conseil... je ne t'aurais pas forcément recommandé d'acquérir les volumes consacrés à la Huitième d'une part, aux 2 & 4 d'autre part, puisque tu disposes déjà de la Quatrième. Pour les reste, oui, les Première et Troisième devraient t'enchanter vu que tu aimes déjà la Quatrième, et la Première d'Elliott Carter, toutes choses tout de même assez parentes. Tu as déjà été du côté de Charles Ives ? C'est encore plus ambitieux, plus cosmique. D'un impact moins direct, plus cérébral, mais côté richesse, tu devrais être comblé. Essaie par exemple les symphonies 2 et 4, tu dois en avoir certaines dans ton coffret, non ? J'avais beaucoup aimé la Deuxième par Bernstein, précisément.


(Au passage, comme je n'aurai pas l'occasion de passer prochainement :
- pour Mendelssohn, ce qui devrait te plaire le plus à présent serait Elias, un grand oratorio plein de démesure, de fugues et de jubilation, une sorte de Gurre du premier XIXe ; il existe chez Brilliant un couplage très peu cher avec Paulus qui est de la même eau, par Rilling, excellent. Et si tu en sens le courage, le Sixième Quatuor Op.80 est tout de même d'une ardeur et d'une tension continues qui pourraient te séduire. A vérifier ;
- pour Roussel, tout s'ouvre à toi si tu aimes la Troisième. La Première est plus "gentille", commence plutôt par la Deuxième (la plus belle), puis la Quatrième. Côté poèmes symphoniques, Pour une fête de printemps et le Festin de l'Araignée. Personnellement, c'est Enéas que j'écoute le plus, une grande fresque épique avec choeurs, mais je ne suis pas sûr de ce que tu en penserais - ça m'évoque plus la Sixième de Tournemire que tes écoutes habituelles. Là aussi, si tu veux essayer, mais c'est peut-être plus difficile, il y a la Seconde Sonate pour violon et piano, une sorte de jazz débridé et dégingandé.)

A bientôt... mes amitiés à ton banquier.

5. Le lundi 12 novembre 2012 à , par Arnaud Bellemontagne

Concernant Ives il faut que je réecoute, ce mélange de complexité formelle et de populisme idiomatique m'avait un brin decontenancé au premier abord.
Je m'empresse de noter scrupuleusement tes pistes concernant Mendelssohn et Roussel.

Encore merci =)

Arnaud

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