Partitions : vers un nouveau paradigme ?
Par DavidLeMarrec, mercredi 16 janvier 2013 à :: En passant - brèves et jeux - Discourir - Vaste monde et gentils - Musique, domaine public :: #2178 :: rss
Jusqu'à une date très récente (il y a plus ou moins cinq ans), les partitions étaient un objet de luxe, rare, peu accessible, onéreux dès que l'oeuvre était longue, plutôt récente ou rare.
Depuis le milieu des années 2000 se produit une petite révolution, qui est en passe de changer en profondeur le rapport à l'objet et même, de façon plus large, à la musique elle-même.
Il faut d'abord s'entendre : ce changement n'affecte pas les auditeurs occasionnels, qui ne lisent pas une partition, ne souhaitent pas particulièrement se documenter sur ce qu'ils écoutent (musique de fond), ou ne sont pas familiers des ressources spécifiques de l'Internet.
Ce qui se déroule influera essentiellement sur les musiciens (de divers niveaux) et sur les mélomanes chevronnés, désireux d'entrer en contact avec le "contenu" de la musique.
Il y a moins de dix ans, la partition était un objet rare, précieux, un investissement qu'on réservait aux oeuvres les plus intéressantes, voire, pour les plus aventureux, à celles pas encore enregistrées... et on goûtait son privilège en feuilletant chez les libraires ou à la bibliothèque ces portées de portées qu'on ne pourrait pas acquérir.
Avec l'éclosion de sites de partage, et en particulier des plates-formes consacrées au domaine public comme IMSLP, ChoralWiki, Gallica... un flot immense de données est devenu accessible, sans inscription, sans délai. La plupart des oeuvres du répertoire étant tombées dans le domaine public, a fortiori aux Etats-Unis et au Canada où les limites n'atteignent pas les degrés absurdes de la France, et le fonds de ces sites informels et de ces institutions devant très large, il devient possible, pour n'importe quel CD, n'importe quelle radiodiffusion, d'ouvrir la partition pour voir ce qui se passe. Sans limite.
Pour que l'orgie soit complète, il ne reste plus que le confort du transport, car cette tonne de partition ne peut pas aisément être déplacée ou stockée sous forme de feuillets A4, et les utilitaires de lecture posaient encore des problèmes : les tablettes sont trop petites pour une lecture confortable, sans parler de la question des reflets, de la petite autonomie... difficile de partir en vacances ou dans un salon de musique lointain dans de telles conditions.
Le marché actuel tendant à la minaturisation y compris des grandes tablettes (témoin Apple), on pouvait douter d'y accéder un jour.
Mais l'espoir grandit et le but se rapproche :
- une première tablette au format A4, hors de prix (1000 ou 2000€, je crois), a paru il y a quelques mois ;
- les liseuses apportent tout le confort visuel et l'autonomie nécessaire, mais l'agrandissement du format est indispensable.
Ainsi, mi-décembre, Archos a sorti dans sa gamme économique Arnova un "Family Pad" de 13,3 pouces (la diagonale de l'A4 atteignant 14,6 pouces, on se situe peu ou prou dans la bonne mesure), à un peu moins de 300€. Ce n'est pas encore un tout petit prix, ce n'est pas encore au format liseuse, mais c'est déjà un outil utilisable : si la chose peut tenir confortablement sur un pupitre standard, tout le domaine public est virtuellement instantanément disponible pour tout musicien ou mélomane un peu junkie.
Comme Patrick Loiseleur le signalait à propos de l'univers professionnel, je ne suis pas alarmé de la rémanence du livre, amené à rester encore longtemps présent, et qui perdurera probablement comme objet de luxe - voire comme sécurité en cas de panne, toujours avoir un support physique pour ne pas être totalement privé de musique. En réalité, cette perspective de pouvoir lire et jouer la musique sans investir dans un achat, sans flétrir du papier, ouvre une sorte d'accès illimité à la connaissance. En tout cas plus largement que lorsqu'il fallait préparer les parties de chacun en amont, et décisivement pour ceux qui ne pouvaient pas entendre sans jouer.
Reste le sort des éditeurs, qui comme tous ceux qu'on appelle désormais les fournisseurs de contenu, sont gravement menacés s'ils ne peuvent plus vendre Bach, Mozart, Beethoven et Chopin. Mais j'avoue avoir peine, vu la politique paresseuse (pour ne pas parler de certaines stratégies d'extorsion) de certains d'entre eux, à les plaindre tous - il y a encore peu d'années, Durand vendait uniquement les Don Quichotte à Dulcinée de Ravel, l'incontournable du récital de mélodies pour voix masculines graves, en séparé (et au moins à 2€ la page).
Cela signifie que la création contemporaine devra sauto-éditer et ne pourra plus être rémunérée, même faiblement, par les partitions. Restent les concerts (et donc les subventions publiques).
Le domaine de la musique écrite n'est donc pas le plus cruel en la matière, mais après cette époque d'orgie culturelle (la force de frappe de la société de consommation combinée à la gratuité de la société de l'information), il est possible qu'une très grave crise d'évolution se produise, où seuls les producteurs les plus grand public et les plus attachants survivront.
A suivre.
Commentaires
1. Le mercredi 21 mars 2018 à , par Andika
2. Le mercredi 21 mars 2018 à , par DavidLeMarrec
Ajouter un commentaire