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Moussorgski - La Khovanchtchina - l'orchestration et les représentations à Paris (Serban, M. Jurowski, Bastille 2013)


Comment réussir une production d'un opéra aussi vaste et difficile ?

Ce n'est pas si inaccessible, apparemment.

1) Une mise en scène fidèle au texte, mais épurée, et surtout beaucoup d'animation scénique - superbe travail pour rendre toutes ces scènes massives et statiques sans cesse mobiles.

2) Embaucher des gens familiers du style et de la langue. A l'exception de Se-Jin Hwang (coréen) dans le petit rôle du confident de Golitsine envoyé prévenir Ivan Khovanski, tous les participants du plateau sont russes (ou bulgare, dans le seul cas d'Anastassov).

Conclusion : une lecture fluide d'une oeuvre monumentale, avec très peu de baisses de tension (essentiellement l'acte III, mais la raison porte essentiellement sur la dramaturgie de l'oeuvre originale). Et un grand naturel du rendu général, où les voix semblent parfaitement convenir à cette musique. La plupart d'entre elles se situent assez loin de mes inclinations ordinaires, mais leur pertinence ici ne souffre guère de contestation. Il n'est de toute façon guère possible d'exiger, dans non pas la nef, mais l'océan de Bastille, une articulation verbale exemplaire - on perçoit plus le son que le détail des voyelles (et encore moins les consonnes), et ce n'est pas vraiment la faute des chanteurs.

Orchestration Chostakovitch

En somme, ma seule réserve provenait de l'orchestration de Chostakovitch, qui ne m'a guère convaincu. On reproche beaucoup de choses au clinquant de Rimski-Korsakov, mais sa proximité stylistique paraît assez évidente, à défaut d'oser les alliages nouveaux de Moussorgski.

Ce qu'a fait Chostakovitch en revanche ne ressemble ni à du Moussorgski... ni au savoir-faire d'un grand orchestrateur du XXe siècle.

=> Le souci semble pour large part d'avoir été respectueux du caractère (antérieur) de l'oeuvre. Fort bien, mais ces moments avec aplats de cordes sont plutôt ternes, voire assez ennuyeux. Et Moussorgski n'aurait vraisemblablement jamais laissé passer, si on en juge à l'aune de Boris, ce type de coloris banal ou paresseux.

=> Très souvent, Chostakovitch utilise l'orchestre par blocs (cordes seuls, bois seuls, cuivres seuls), avec des effets de déséquilibre plutôt étranges. Non pas que ce soit moche, mais j'en vois mal la justification : ce n'est ni authentique, ni abouti comme il aurait pu le faire en orchestrant dans son propre style.

=> Enfin, certaines volontés d'effet me paraissent conçues en dépit du bon sens : ainsi ce métallophone qui double une romance à l'acte III... il évident que la chanteuse va vouloir (et à juste titre) donner un peu de liberté agogique à sa phrase. Or la culture rigoureuse du percussionniste et surtout l'attaque extrêmement précise de l'instrument vont fatalement se trouver sans cesse un peu à côté (parce que trop exacts, justement). Par ailleurs, ce n'est pas forcément beau - de même pour l'arrivée soudaine d'un accord de piano ou de quelques mesures avec les deux harpes.
Ce n'est pas une catastrophe, mais il est dommage de payer des droits alors qu'on pourrait utiliser le matériel bien meilleur de Rimski.

Chanteurs

Sans surprise, j'ai surtout été séduit par les émissions les plus claires du plateau : à commencer Nataliya Tymchenko en Emma, rôle très payant, mais servie par un timbre corsé et une émission très franche, très différente de tous les autres, un vent de fraîcheur. De même, Vsevolod Grivnov (Golitsine), haut placé, se trouve quelque part entre Kozlovsky et Rugämer, et son aisance à franchir la rampe sur une voix limpide fait plaisir à entendre.

Tous (à commencer par les seconds rôles, tous très bons, et les ténors particulièrement) sont de grande tenue. Techniquement, c'est Orlin Anastassov (Dosifeï [1]) qui mène le bal : la voix, quoique très sonore, n'est pas immense, mais la densité du timbre, sa tenue permanente, impressionnent. Pour le volume, c'est Sergey Murzaev (Chakloviti) qui semble avoir un amplificateur greffé : un énorme bloc, fondé sur un grave très fourni pour un baryton, est projeté comme un roc vers le public, assez impressionnant (même si le détail est forcément gommé par ce déluge d'harmoniques). J'étais particulièrement étonné dans la mesure où j'avais lu qu'il était inaudible en Carlo di Vargas dans La Forza del Destino, dont les masses orchestrales ne sont vraiment pas comparables ! En tout cas cela ne correspond nullement aux descriptions de "baryton trop lyrique" ou "trop léger" que j'avais pu lire d'un oeil distrait (sans y prêter trop foi, mais à ce point !).

Gleb Nikolsky [2] (Ivan Khovanski) dont j'avais admiré les talents de diseur dans le rôle infiniment plus facile de Grémine, s'affronte ici à plus forte partie. Dans un rôle qui réclame beaucoup d'autorité sonore, une très solide assise grave, mais qui fait chanter en permanence dans le haut de la tessiture, le détail des mots s'est perdu. La voix semble aussi un peu vieillie (elle vibre sur le timbre, et les tenues finissent sur la trame de la voix), mais la maîtrise de l'instrument demeure, et la présence vocale et scénique reste considérale, ce qui est l'essentiel pour ce rôle meurtrier. J'espérais plus, mais j'ai déjà eu beaucoup. La laideur du timbre n'est de toute façon pas un obstacle, et contrairement à d'autres (Vedernikov chez Simonov par exemple, hideux mais impressionnant), le chanteur ne s'en contente pas pour s'exprimer.

La voix de Larissa Diadkova (Marfa), que j'aime énormément en retransmission, laisse toujours entendre en salle cette petite acidité, comme si la voix poussait légèrement, mais la volupté du timbre et la force de l'incarnation l'emportent toujours.

Enfin, pour la première fois j'entendais Vladimir Galouzine (Andreï Khovanski), que j'aimais beaucoup dans sa jeunesse (Gricha Otrepiev avec Abbado), et qui a depuis pris la voie d'une émission très sombre et métallique. Je m'étais laissé dire que son volume impressionnait, mais (déclin amorcé ou comparaison rude avec un plateau remarquable) il est en réalité en deçà de tous les autres premiers rôles ; la voix sonne en effet mieux qu'en retransmission, un véritable dramatique, avec beaucoup d'harmoniques qui descendent assez profond. Mais, pour un ténor, très peu d'éclat - on devine néanmoins les éclairs que pouvaient lancer son émission plus libre de jadis.
Pas forcément à la mesure de son immense réputation, mais beaucoup plus convaincant qu'en retransmission, et en tout cas sans laideur.

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Finalement, ce n'est pas si compliqué de bien distribuer une oeuvre, il suffit de ne pas chercher à recomposer une salade macédonienne pour obtenir non seulement du volapük, mais de surcroît des voix contraintes et dépareillées. Et une mise en scène mobile mais sans prétention d'ajouter des messages inédits (souvent très prêchi-prêcha de surcroît) fait aussi beaucoup pour la réussite d'une soirée !

Notes

[1] Ne me demandez pas de cohérence sur les transcriptions... certains noms restent figés à l'anglaise, d'autres changent selon la langue, d'autres encore ne respectent ni la logique anglaise ni la logique française, mais sont toujours écrits comme cela... J'essaie de rester proche des usages acceptés, mais le désordre qui règne dans les translittérations russes est assez insupportable. Pas par principe, simplement parce que cela rend les recherches extrêmement fastidieuses, a fortiori à présent que tout se fait par mots-clefs informatisés, même dans les bibliothèques.

[2] Cf. note 1.


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Commentaires

1. Le mercredi 23 janvier 2013 à , par Lavinie :: site

AH!
La Khovanchtchina!!
Боже мой!!!
J'en rêve depuis que j'en ai joué des extraits avec l'orchestre du lycée.
L'actuel chef du Wiener Staatsoper étant l'ancien chef de Bastille...

2. Le jeudi 24 janvier 2013 à , par David Le Marrec

Боже мой!!!

Le gimmick de l'oeuvre, c'est plutôt le Спаси бог d'Ivan. <]:o)

J'en rêve depuis que j'en ai joué des extraits avec l'orchestre du lycée.
L'actuel chef du Wiener Staatsoper étant l'ancien chef de Bastille...

C'est une coproduction avec Florence-Maggio, désolé.

Mais l'oeuvre est donnée de temps à autre, à défaut d'être un standard ce n'est pas une absolue rareté, donc tu devrais avoir l'occasion de la voir sur scène un jour...

3. Le samedi 26 janvier 2013 à , par Raphaël

Le problème de la version Rimski, si je me souviens bien, c'est qu'il y a beaucoup de coupures donc je ne suis pas sûr que ce soit plus satisfaisant... La meilleure solution serait peut-être de prendre la partition de RK en conservant l'orchestration de Chosta pour les parties coupées ?

Je me suis fait la même réflexion que toi concernant les couleurs orchestrales, assez fades, pas du tout moussorgskiennes, et le métallophone à l'acte III. Il y a aussi plusieurs pages où l'on sent, dans l'écriture, une volonté de "faire russe", le petit moment de couleur locale obligatoire. Mais l'orchestration semble contredire ce caractère, ce style, comme si Chostakovitch jugeait ça trop vulgaire...

4. Le samedi 26 janvier 2013 à , par Raphaël

Le problème de la version Rimski, si je me souviens bien, c'est qu'il y a beaucoup de coupures donc je ne suis pas sûr que ce soit plus satisfaisant... La meilleure solution serait peut-être de prendre la partition de RK en conservant l'orchestration de Chosta pour les parties coupées ?

Je me suis fait la même réflexion que toi concernant les couleurs orchestrales, assez fades, pas du tout moussorgskiennes, et le métallophone à l'acte III. Il y a aussi plusieurs pages où l'on sent, dans l'écriture, une volonté de "faire russe", le petit moment de couleur locale obligatoire. Mais l'orchestration semble contredire ce caractère, ce style, comme si Chostakovitch jugeait ça trop vulgaire...

5. Le samedi 26 janvier 2013 à , par David Le Marrec

Bonjour Raphaël,

Je n'ai pas lu à ce jour qu'il y ait des parties non orchestrées par Rimski, mais c'est possible. La solution serait donc d'adopter l'orchestration Rimski tout en confiant les parties manquantes à un orchestrateur compétent - si quelqu'un pouvait faire ce que Denisov a fait avec Rodrigue & Chimène, ce serait formidable !

Concernant le métallophone, je me suis en fait aperçu, en allant regarder un peu le détail des différents états de la partition, que ce serait l'un des seuls extraits orchestrés par Moussorgski ! Sauf à ce que Chosta l'ait récrit, bien sûr, mais j'étais vraiment étonné que ce soit un moment authentique - car cela non seulement ne ressemble pas du tout à du Moussorgski, mais de surcroît atteste d'une familiarité limitée avec les contraintes de l'opéra au XIXe siècle.

Sinon, belle production, n'est-ce pas ?

6. Le samedi 26 janvier 2013 à , par Michel

Bonjour,
le livret en français existe-t-il sur le web ?
merci pour vos analyses très intéressantes.
Michel

7. Le lundi 28 janvier 2013 à , par David Le Marrec

Bonsoir Michel,

Je ne crois pas qu'il existe de livret français en ligne. En revanche on le trouve en espagnol sur Kareol.es, formidable ressource en la matière. Même sans être bon lecteur en espagnol, je crois que ça peut se lire assez aisément pour débrouissailler un peu l'intrigue.

Bonne soirée !

8. Le jeudi 31 octobre 2013 à , par Xav

Le GROS problème de la version Rimsky, c'est que celui-ci a : coupé, transposé, transformé les lignes mélodiques, les harmonies, les tessitures... Un vrai massacre si l'on compare avec la partition piano/chant de Moussorgsky +une orchestration assez clinquante et décorative. Chostakovitch, lui, a respecté TOUTES les notes de Moussorgsky. On peut ne pas aimer son orchestration, moi je l'aime beaucoup car elle donne un dramatisme et une noirceur qui conviennent très bien à cette œuvre. Concernant la chanson de Marfa avec le "métallophone", si MOussorgsky l'a bien orchestrée, on a entendu l'orchestration de Chosta à Bastille. Prozit !

9. Le jeudi 31 octobre 2013 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Xav,

Je parlais du point de vue du résultat, pas de la fidélité. Et Chostakovitch, même en respectant la lettre, sonne étrangement en décalage avec l'esprit en plusieurs endroits.

Je ne suis pas sûr de bien lire votre conclusion sur le métallophone : vous voulez dire qu'il n'y en a pas chez Moussorgski ?

10. Le jeudi 31 octobre 2013 à , par Xav

Bonjour David,

Pour ma part, fervent admirateur de Moussorgsky, la fidélité passe au-dessus de tout. A quoi bon faire quelque chose de "joli" si c'est en contredisant à chaque mesure le texte de Moussorgsky ? C'est alors davantage du "Rimsky à partir de Moussorgsky" que du Moussorgsky... Nul ne sait comment Moussorgsky aurait orchestré Khovantchina, sans doute aurait-il fait quelque chose de différent de Boris car le sujet est différent, la prosodie également ainsi que le découpage (davantage de pages purement orchestrales dans Khovantchina que dans Boris). Je trouve Chostakovitch très sombre, rauque comme il convient, selon moi, pour Khovantchina. Mais bon, je déteste tellement ce qu'a fait Rimsky...

Il n'y a pas de "campanelli" chez Moussorgsky en effet.

11. Le samedi 2 novembre 2013 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Xav,

Merci pour les précisions... et la prise de position. Que je ne partage pas d'ailleurs, dans la mesure où si ça fonctionne (et qu'en plus ça n'est pas totalement différent du style de départ), la fidélité ne m'importe que secondairement, à titre de documentation ou d'érudition.

Et, précisément, Chostakovitch ne me paraît ni vraiment crédible stylistiquement, ni toujours opérant dans les faits – pour du Chostakovitch, c'est d'un manque de chatoyance vraiment étonnant, même comparé à l'époque adaptée (c'est plus orchestré comme du Borodine, voire pire, qu'à la manière de Moussorgski ou Rimski).

Merci pour cette intéressante divergence !

12. Le samedi 2 novembre 2013 à , par Xav

Etonnant... La fidélité à la partition est pour moi la chose la plus capitale qui soit pour un interprète, pas la chatoyance pour l'auditeur...

Concernant le "style de départ", il est bien difficile à évaluer. Si l'on se réfère aux orchestrations de Moussorgsky lui-même (Boris et les 2 versions d'Une Nuit sur le mont chauve), il n'y a rien de plus opposé à l'art - chatoyant pour le coup - de Rimsky. Moussorgsky est tout sauf chatoyant. Chostakovitch n'est pas chatoyant, en cela, il est proche de Moussorgsky. Mais je comprends qu'on n'apprécie pas son travail. Pour moi, il ancre l'œuvre dans le XX° s. alors que Rimsky ramène ça à un joli opéra typiquement XIX° s. Or si l'on songe à Boris, on est déjà dans le XX° s. avec une telle œuvre... Moussorgsky n'aurait certes pas orchestré comme Chosta, mais il n'aurait absolument pas orchestré comme Rimsky, ça c'est encore plus certain (et surtout, il aurait respecté son propre texte chant-piano !).

(Borodine n'a pratiquement rien orchestré lui-même. "Dans les steppes de l'Asie centrale" est sans doute une des seules œuvres complètes qu'il ait orchestrée à 100 %).

13. Le dimanche 3 novembre 2013 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Xav,

Pour un interprète, c'est possible ; mais je parlais dans cette notule du point de vue de l'auditeur... et dans ce cas, surtout dans le cadre d'une réorchestration, la fidélité importe considérablement moins.

Pour le style de départ, on dispose tout de même des autres œuvres de Moussorgski ; assurément, cela ne ressemble à l'éclat de Rimski, mais dans les œuvres qu'il a eu le temps de travailler de fond en comble, comme Boris ou le Mont Chauve, le soin de la couleur est très important, loin des flux assez ternes mis en œuvre par Chostakovitch dans son orchestration – et puis, soudain, çà et là, des bizarreries vingtième. Les parties les plus « crédibles » de la version Chostakovitch m'évoquent plutôt l'état des deux numéros orchestrés de Salammbô...

(Borodine était là pour analogie seulement, puisqu'il a quand même orchestré des bouts de trucs.)

Mais il y a bien sûr là, peut-être plus qu'une question de principe, une vraie question de goût personnel.

14. Le mardi 5 novembre 2013 à , par Xav

Je n'ai pas bien compris la première ligne...

15. Le mardi 5 novembre 2013 à , par DavidLeMarrec

Oui, je crois qu'elle sera plus claire en précisant qu'elle répond à votre propre première ligne. :)

16. Le mercredi 6 novembre 2013 à , par Xav

J'avais bien compris, mais je n'ai toujours pas compris... :-s

17. Le mercredi 6 novembre 2013 à , par DavidLeMarrec

Pour l'interprète, la fidélité est un devoir (ça se discute, mais on peut le prendre pour principe) ; pour l'auditeur, le résultat importe avant tout. En l'occurrence, comme je parlais du point de vue de l'auditeur, ce ne sont pas tant les lignes mélodiques modifiées et la fidélité de l'orchestration que leur efficacité en scène qui m'intéressent. Chosta a une démarche plus respectueuse, assurément, mais le résultat étant à la fois plus étrange et moins tendu qu'un bidouillage de Rimski, il n'a pas forcément ma faveur.

18. Le mercredi 6 novembre 2013 à , par Xav

Alors nous sommes totalement en désaccord.
Pour moi, la fidélité importe par-dessus tout. On ne change pas une note, on ne coupe pas, on n'aménage pas, etc. Mais bien sûr, on "interprète" à partir d'une partition.
Sinon, c'est trahir le compositeur, et l'auditeur. Car sinon, l'auditeur va penser que La Khovantchina version Rimsky c'est un opéra de Moussorgsky, alors qu'en fait c'est pratiquement une autre œuvre... de Rimsky. Pour ma part, il m'est impensable de considérer une interprétation sans me référer à la partition...

19. Le mercredi 6 novembre 2013 à , par DavidLeMarrec

C'est une position intellectuellement séduisante, et il est heureux que les interprètes soient formés à cette rigueur-là, pour éviter le n'importe quoi. Néanmoins, dans le résultat, la fidélité n'est pas forcément ce qui procure de la satisfaction. D'autres paramètres entrent en compte, surtout lorsqu'il s'agit d'une œuvre inachevée, qui ne peut être, par essence ce qu'elle aurait dû être.

Je ne dis pas que les bidouillages soient souhaitables... mais s'ils me satisfont plus que d'autres entreprises plus sérieuses, alors ce n'est plus une question capitale. Pour moi, les œuvres sont faites pour être opérantes ; je ne suis pas pour les altérer, parce que cela rendrait tributaire de la subjectivité du premier interprète venu ; mais si dans les faits les altérer les rend plus agréables, je ne vais pas partir en croisade (contre Rimski en l'occurrence).

C'est potentiellement à mettre en rapport avec ma fascination pathologique pour les transcriptions (et plus précisément les réductions) en tout genre. :)

20. Le jeudi 7 novembre 2013 à , par Xav

Ce n'est pas parce qu'une œuvre est inachevée qu'on peut se permettre n'importe quoi comme transformer les harmonies, les mélodies, les proportions, couper des centaines de mesures et bidouiller à droite à gauche. J'estime cela complètement malhonnête et j'ai du mal à comprendre qu'on excuse de tels agissements à condition que cela soit "agréable" et procure de la "satisfaction" (aux oreilles si je comprends bien) ! Chez Moussorgsky, rien n'est "agréable" (on n'est pas chez Bellini par exemple), tout est au service du texte et du drame. Placer son propre plaisir d'auditeur plus haut que le le respect au créateur : non et non ! Je trouve cela ahurissant, excusez-moi.

Evidemment, tout dépend de la nature de l'inachèvement car il n'y a pas UN seul type d'inachèvement. Mais nous parlions de Khovantchina en l'occurrence, où la partition piano-chant est complète à 95 %. IL n'y a aucune raison de toucher à ces 95 %. Quant à la transcription, c'est tout à fait différent et incomparable avec la problématique de l'inachèvement.

21. Le vendredi 8 novembre 2013 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Xav,

Je ne perds pas de vue que la musique (en particulier à l'opéra) est quand même écrite pour donner du plaisir, voire divertir. Entre un arrangement plutôt respectueux (encore que, comme je le disais, je ne sois pas vraiment convaincu de la congruence du style chez Chosta) qui n'est pas convaincant et un bidouillage convaincant, je suis au regret de choisir celui des deux qui fonctionne.

Évidemment, comme tout le monde, dans le répertoire qui a le plus ma faveur, je ne supporte pas ces changements, parce que je me sens trop étroitement lié au compositeur : quand on fait des coupures dans Armide, Les Huguenots, Elektra ou les Gezeichneten, ça me rend fou. Mais c'est parce que je suis sensible à ce qu'on perd... et pas forcément parce que c'est catastrophique pour l'œuvre et sa réception.

Je ne dis pas non plus que je souhaite le bidouillage (surtout que ceux de Rimski sont en général plus standardisés que les originaux très personnels de Moussorgski) ; mais lorsqu'on ne dispose que d'un choix fermé entre deux adaptations, ce n'est pas l'authenticité qui est mon sujet premier. On peut ne pas partager ce point de vue, bien sûr, mais je ne crois pas que ma perception amorale de l'œuvre d'art soit particulièrement rare ou scandaleuse. [Ce qui n'empêche nullement de s'en insurger par ailleurs, sinon à quoi bon discuter ?]

22. Le vendredi 8 novembre 2013 à , par Xav

Pour ma part, je ne considère pas la musique comme un divertissement avant tout, mais bon, chacun sa recherche.

Votre discours est vraiment curieux : "je ne supporte pas les tripatouillages sur ce que j'aime et connais, mais sur ce que je ne connais pas, peu importe pourvu que ça me donne du plaisir et peu importe après tout le compositeur et l'œuvre". Voilà qui n'est guère rigoureux...

C'est comme si quelqu'un vous présentait une toile devant laquelle vous avez un coup de foudre, puis vous découvrez des années plus tard qu'on vous l'avait présentée tronquée et avec des ajouts de couleurs. Vous trouveriez ça honnête ? Vous ne seriez pas en colère contre la personne qui vous avait présenté l'œuvre la première fois ? Autre chose : vous emmenez un ami voir une de vos toiles préférées, et vous réalisez qu'elle a été tronquée et recolorée, ça ne vous révolterait pas ?

Pour Khovantchina, on dispose de 3 orchestrations complètes - la 3° inédite et non enregistrée (la plupart des enregistrements transformant ces orchestrations de manière plus ou moins importante d'ailleurs) et de plusieurs orchestrations partielles ainsi que des propositions variées pour les finales inachevés. La situation est donc complexe et ne se résume pas à 2 simples adaptations.

Quant à justifier sa position parce que la plupart pense comme vous (car votre avis n'est pas rare dîtes-vous), excusez-moi mais tout cela n'est guère rigoureux une fois de plus et cela ne correspond pas à ma conception de la chose.

Sur ce, et devant de tels désaccords, je quitte la discussion. Bonne suite.

23. Le vendredi 8 novembre 2013 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Xav,

Pour ma part, je ne considère pas la musique comme un divertissement avant tout



Je suis effectivement souvent assez seul sur ce point en discutant avec d'autres geeks de la musique, comme on peut le prévoir. Mais enfin, la musique ne véhiculant pas d'idées et ne pouvant pas sauver le monde, j'éprouve de la difficulté à la traiter comme un sujet grave.

Votre discours est vraiment curieux : "je ne supporte pas les tripatouillages sur ce que j'aime et connais, mais sur ce que je ne connais pas, peu importe pourvu que ça me donne du plaisir et peu importe après tout le compositeur et l'œuvre". Voilà qui n'est guère rigoureux...



Ce n'est pas rigoureusement ce que j'ai dit. Je ne suis pas partisan des bidouillages, mais lorsque j'ai le choix entre plusieurs adaptations, je ne considère pas l'authenticité comme le seul critère pertinent.

C'est comme si quelqu'un vous présentait une toile devant laquelle vous avez un coup de foudre, puis vous découvrez des années plus tard qu'on vous l'avait présentée tronquée et avec des ajouts de couleurs. Vous trouveriez ça honnête ? Vous ne seriez pas en colère contre la personne qui vous avait présenté l'œuvre la première fois ?



Je ne crois pas. C'est déstabilisant pour la théorisation, mais est-ce que ça a une si grande importance ? Considérant que, sur Moussorgski, on ne peut jamais lire une notice sans y trouver mention (généralement vengeresse) sur les adaptations de Rimski. On n'est pas vraiment dans le domaine de la conjuration secrète. Donc, lorsque je suis informé (ou peux l'être) de ce que j'entends ou vois, non, je ne suis pas courroucé.


Autre chose : vous emmenez un ami voir une de vos toiles préférées, et vous réalisez qu'elle a été tronquée et recolorée, ça ne vous révolterait pas ?



J'ai déjà évoqué la chose dans ma précédente réponse : lorsqu'on se sent particulièrement proche d'un langage, oui, on se sent floué lorsqu'il y a coupures ou altérations. Mais cela ne signifie pas que ce soit forcément néfaste à l'œuvre dans l'absolu.


Pour Khovantchina, on dispose de 3 orchestrations complètes - la 3° inédite et non enregistrée (la plupart des enregistrements transformant ces orchestrations de manière plus ou moins importante d'ailleurs) et de plusieurs orchestrations partielles ainsi que des propositions variées pour les finales inachevés. La situation est donc complexe et ne se résume pas à 2 simples adaptations.



Je n'ai jamais dit cela, et j'en ai en effet écouté plus de deux (certains versions proposant des panachages, de toute façon). Vous parliez de Chosta vs. Rimski, je vous ai suivi. On peut étendre sans difficulté le propos à autant de variantes qu'on veut : l'authenticité n'est pas forcément la vertu la plus importante, de mon point de vue.


Quant à justifier sa position parce que la plupart pense comme vous (car votre avis n'est pas rare dîtes-vous), excusez-moi mais tout cela n'est guère rigoureux une fois de plus et cela ne correspond pas à ma conception de la chose.



Allons donc. N'est-il pas exotique d'aller se figurer, sur un site qui n'est guère qu'une collection de niches, que je cherche l'approbation de la majorité. Je dis simplement que ma position (qui vous étonnait, disiez-vous) est assez banale – donc peut-être révoltante, mais pas particulièrement originale. En revanche, c'est vrai, elle ne cherche absolument pas à être rigoureuse, mon objet n'est pas du tout, dans cet espace, de proposer une publication à vocation sérieuse (comme indiqué en haut de chaque page).

Sur ce, et devant de tels désaccords, je quitte la discussion. Bonne suite.



Je trouve au contraire les conversations d'autant plus intéressantes que les désaccords sont grands, mais je sens une pointe d'irritation dans ce dernier message, et mon but n'est certainement pas d'y contribuer. Bonne suite à vous.

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