Les musiques de film en concert - le défi - l'ambition totalisante de Lühl
Par DavidLeMarrec, samedi 23 mars 2013 à :: Discourir - Disques et représentations - Musicontempo - Genres - Théâtre filmé (et autres cinémas) - Musique de scène - Musiques du vingtième siècle :: #2225 :: rss
1. Le noeud du problème - 2. Star Wars : l'héritage - 3. Star Wars : l'ambition de Lühl - 4. Vers des solutions.
Extraits des épisodes I et III : "Aventures de Jar Jar Binks", et batailles finales dans les arrangements du disque de Lühl. (Voir ci-après pour références.)
1. Le noeud
Le plus grand problème, avec les bonnes musiques de film, est qu'elles peinent à vivre seules : les suites tirées des bandes originales célèbres sont généralement une suite de jolis thèmes sans lien entre eux. De ce fait, on perd non seulement le contexte "dramatique" et émotionnel, mais aussi la façon de déployer les thèmes à travers l'oeuvre. Il en va de même pour les transitions, et plus généralement les moments "atmosphériques" plus que thématiques, souvent masqués par les paroles et surtout les bruitages, alors qu'ils contiennent souvent les plus belles pages de la partition.
Evidemment, ces musiques ne sont pas forcément conçues pour s'épanouir sous forme développée, mais le principe de l'extraction de moments dépareillés est toujours extrêmement frustrant, en ce qu'il réduit le pouvoir de cette musique à un instant précis, à une sorte de cliché, d'auto-caricature volontaire. Les compositeurs concernés n'ont pas le temps, l'opportunité ni peut-être le métier (dans cet exercice précis) pour écrire une symphonie complète fondée sur ces thèmes, intégrés dans une belle forme-sonate ou du moins dans une forme vaste et cohérente. Mais il est dommage que les compositeurs de concert (pas toujours aussi inspirés dans les mélodies et les couleurs) ou les arrangeurs ne s'en soient pas emparé.
Dans le meilleur des cas, on peut disposer de bandes originales très bien construites, avec des transitions longues et raffinées, une grande continuité musicale, comme c'est le cas pour The Sea Hawk de Korngold, où la version intégrale de la partition révèle la présence à peu près permanence de la musique, avec une succession de nuances, d'évolution, de retours, comme une immense symphonie.
Mais ces cas sont excessivement rares, même à l'époque de Korngold ; même chez Korngold. Il faut dire une cela réclame une qualité comme compositeur et une quantité de travail assez surhumaines. Même quand on compose en "bureau", comme cela se fait aujourd'hui sur de gros films.
La plupart des autres écrivent une musique qui n'est pas viable seule - trop discontinue dans le film, trop faible dans les moments de "remplissage", ou encore (pour les meilleures) trop réductrice une fois arrangée en suite orchestrale.
Ceux qui ont essayé la transformation de leur oeuvre en symphonie ont rarement réussi - témoin Howard Shore. Et pourtant, il a écrit un fort bel opéra (The Fly), qui dénote une réelle imprégnation des couleurs musicales du vingtième siècle, ainsi qu'une capacité à tenir un discours dense sur une longue durée. Pas précisément un petit compositeur à ficelles, toujours bon à écrire quelques enchaînements tire-larmes.
Il n'en demeure pas moins que sa symphonie tirée de la BO du Seigneur des Anneaux est d'une fadeur complaisante plutôt décourageante - rien de mal écrit, mais rien de marquant, même en ayant vu les films. Il est vrai que l'original était très bien calibré pour l'accompagnement, et pas vraiment saillant en tant que musique. Mais on aurait pu attendre un effort de réécriture, de développement, de reconstruction à partir des atmosphères originales. Au contraire, on entend surtout une suite de jolies mélodies. Oui, je demandais sans doute beaucoup, si j'espérais un fugato sur le motif des nazgûl.
Et après tout, ce genre de production ne s'adresse pas vraiment au public habituel des concerts.
Pourtant, lorsqu'on joue John Williams à Pleyel, on y trouve beaucoup d'habitués de Beethoven ou de Wagner, et peut-être plus que des ados exaltés. Donc on pourrait faire plaisir à tout le monde...
On peut se contenter d'un pot-pourri dans le cas où les thèmes sont très simples et tous parents les uns des autres - par exemple la collection de thèmes folklorisants en mode dorien dans Pirates des Caraïbes de Klaus Badelt. Tous ne sont pas de même niveau, mais celui-ci fonctionne parfaitement, par exemple (alternance de thèmes doux et vifs, tous parents, agencés dans un ordre différent de la narration), et "épuise" d'une certaine façon le sujet :
Cela dit, on pourrait peut-être faire une symphonie dans le genre "Zuiderzee", ou Première de Le Flem (ou façon américaine), avec ça, même si le matériau rythmique et harmonique reste rudimentaire.
2. Star Wars : l'héritage
Star Wars est un cas particulièrement intéressant : la partition est admirée par un très vaste public, y compris par les wagnéro-straussiens, les mahléro-holstiens et autres prokofiévisants. Le meilleur ne s'y trouve pas forcément dans ses thèmes principaux (profondément marquants, il est vrai), et en tout état de cause il y a beaucoup à prendre :
a) Dans les réutilisations fines des motifs - un peu courts, la plupart, pour être pleinement qualifiés de thèmes : ils n'ont pas de protase et d'apodose, ils sont vraiment des instantanés, des signaux, comme les leitmotive. D'où proviendrait la difficulté, d'ailleurs, d'en faire une symphonie ; il serait alors nécessaire de prolonger ces motifs jusqu'à en faire des thèmes, ou d'arriver à construire un vaste édifice sur du matériau aussi bref.
Un des exemples fameux se trouve dans la scène dite Binary Sunset, où les deux soleils se couchent à Tatooine. La concaténation des motifs est très réussie, passant doucement du motif de Luke à celui de la Force (notion pas encore évoquées à ce moment), puis à celui de l'héroïsme.
Orchestralement aussi, l'instrumentation est astucieuse : flûte légère (originellement sous un dialogue) pour Luke, renforcée par le basson qui prépare le timbre du cor solo pendant le motif de la Force (ce qui lui donne beaucoup de sa charge rêveuse), puis retour à la flûte pour une évocation de l'héroïsme encore un peu primesautière et juvénile.
En quelques instants, la combinaison des motifs a dressé une sorte de portrait poétique du personnage, donné de la perspective sur son avenir, etc. Evidemment, cela n'est pas exploitable en concert : tout se passe en moins d'une minute !
b) Dans les scènes de bataille de la trilogie originale (qui évoquent le Strauss le plus moderne, Prokofiev aussi), la musique (athématique) est particulièrement dense. Ou bien pendant les dialogues de la prélogie - très inférieure musicalement, mais les voix et les bruitages couvrent à peu près complètement les beaux moments qui existent, le plus souvent sous les dialogues...
Autant de choses prévues pour accompagner ou pour créer un climat, mais qui n'ont pas de "discours" autonome, et le plus souvent pas de thème.
Difficile donc, sauf à étudier les procédés d'écriture de Williams et à les réexploiter dans une symphonie (mais ce serait en réalité une composition originale !), de réutiliser en tant que tels ces moments - ou alors en se limitant aux plus thématiques, mais qui ne sont pas forcément les plus réussis.
3. Star Wars : l'ambition de Lühl
Parmi les multiples projets de redonner à ces compositions, dans le cadre du concert, leur prestige initial, Enguerrand-Friedrich Lühl, compositeur (classique) et arrangeur, a tenté une adaptation pour deux pianos qui se veut totale, fièrement revendiquée dans la notice.
Principes :
=> Remplacer les arrangements pauvres qui circulent - mais les pianistes du dimanche pourront difficilement jouer le travail de Lühl...
=> L'ensemble de la saga est traitée par ordre chronologique, avec choix des grands moments, et des morceaux longs, qui n'esquivent pas les raffinements et les petits développements.
=> Toutes les ressources des deux pianos sont mobilisées pour rendre compte des textures orchestrales : cordes pincées, percussions sur la caisse...
Le résultat est assez encourageant, parce qu'on a le plaisir d'entendre à la fois ces pièces autrement, et avec une ampleur autrement confortable qu'avec un pot-pourri de quelques minutes.
Avec plusieurs réserves :
=> Les morceaux restent tout de même écrits sous forme de très brèves juxtapositions thématiques, et même si l'on a le plaisir, au fil des morceaux, de retrouver des occurrences un peu métamorphosées de tel ou tel motif, le tout reste sous un aspect assez dépareillé et linéaire.
=> Il manque toujours les beaux moments de transition, d'atmosphère (en particulier les musiques de bataille athématiques).
=> Les recréations simili-orchestrales ne sont pas toujours très réussies : les tapotis sur la caisse manquent de mordant pour la caisse clair et de profondeur vis-à -vis des timbales, les clusters aigus pour imiter les cymbales sonnent très étrangeent - ridiculement ternes à côté de la capacité de la cymbale à couvrir l'orchestre.
Clairement pas les arrangements les plus inspirés que j'aie entendus : à force de vouloir imiter l'orchestre, on entend pas mal de trous dans le spectre sonore du piano...
=> L'exécution elle-même, avec notamment le compositeur, pèche (en particulier pour l'un des pianistes) par un toucher dur et cassant, assez prosaïque, qui ne permet pas véritablement de rendre justice aux atmosphères, et en particulier au lyrisme à cuivres ou à cordes...
Même si le parcours est plus intéressant qu'à l'accoutumée, et que le disque est vraiment recommandable, on n'a pas ôté toute frustration.
Paru chez Polymnie, avec le compositeur et Mahery Andrianaivoravelona (il n'y a vraiment pas de coquille sur la notice ?) aux pianos.

4. Vers des solutions
Je vois deux issues à notre problème, trois façons de tirer le meilleur musicalement de ces compositions dépendantes. Dans les deux cas, cela suppose qu'un compositeur compétent s'empare du matériau original pour bâtir une oeuvre nouvelle.
L'exhaustivité
C'est la plus commode. Si la partition le permet (longues sections continues, constance de la qualité), jouer l'intégralité de la musique, avec ses hauts et ses bas, permet d'entendre tout ce que le compositeur a fait, et qui est généralement discret, laissé au second plan par l'intérêt du spectateur pour l'action, et plus encore occulté par les bruitages envahissants.
On y découvre alors des retours de motifs ou des évolutions de matière musicale qui échappent souvent durant le film, même si, bien sûr, il peut y avoir des moments un peu trop accompagnateurs pour être joués seuls - pourquoi pas avec récitant, après tout ? Comme pour la musique de scène, en somme.
L'évocation.
Comment l'ont fait Elizabeth Joy Roe et Gregory Anderson, il est possible d'écrire, dans un style libre, des réminiscences du matériau premier, avec une succession, des harmonies, des transitions nouvelles. Cela permet d'adapter l'oeuvre aux impératifs du concert sans être lié par les durées et les effets du film. Et c'est plus accessible (et techniquement réalisable) que de composer une oeuvre formellement stricte.
J'avais déjà évoqué leur travail, et en particulier sur leurs Quatre Impressions de Star Wars, il y a bientôt deux ans. Quelques-unes des questions soulevées aujourd'hui y étaient déjà abordées.
Le développement
La troisième possibilité, et j'attends impatiemment que quelqu'un la réalise, consiste précisément dans ce que j'évoquais précédemment : l'adaptation des thèmes, carrures et couleurs harmoniques aux formes classiques. Cela suppose d'allonger les thèmes ou de redistribuer les motifs de façon très dynamique... et d'écrire 90% de musique nouvelle, sous forme de développements et transitions, en réutilisant seulement comme base les contenus explicitement joués dans le film.
L'idéal serait pour cela que le compositeur lui-même maîtrise ces constructions et se prête au jeu, mais pourquoi pas une réécriture par quelqu'un d'autres, vu que les aptitudes diffèrent assez considérablement. Des gens comme Williams ou Shore, en tout cas, en auraient les moyens techniques, mais ce ne semble pas être leur priorité, et leurs oeuvres "savantes" sont écrites dans un style beaucoup plus exigeant, totalement déconnecté de leur pratique filmique.
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Commentaires
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