[2013-2014] Programmes conjugués du CMBV et de Versailles
Par DavidLeMarrec, mercredi 1 mai 2013 à :: Baroque français et tragédie lyrique - Saison 2013-2014 :: #2244 :: rss
Evénements
Après dépouillement de la saison, le grand événement ne sera pas dû au CMBV : Herculanum de Félicien David par Hervé Niquet, le Philharmonique de Bruxelles et le Choeur de la Radio Flamande - avec Véronique Gens et Nicolas Courjal, pour ne rien gâter.
Je ne suis pas très convaincu, à ce jour, par les oeuvres de ce compositeur (aussi bien les grandes choucroutes solennelles que la musique de chambre), mais Niquet et Bru Zane nous ont davantage habitué à des révélations bouleversantes, même de gens inattendus, aussi j'y vais en appétit.
L'autre découverte, due à l'année Rameau (et encore à Niquet, que ferions-nous sans lui ?), sera un inédit, Les Festes de l'Hymen et de l'Amour (titre originel : Les Dieux de l'Egypte), un opéra-ballet héroïque à entrées - donc avec un livret forcément embryonnaire, même si Cahusac n'est pas un mauvais bougre. Je m'avoue beaucoup moins enthousiaste, ne goûtant pas le genre les livrets-prétextes, mais la scène d'engloutissement des pyramides est paraît-il particulièrement marquante. [J'ai dû mal à m'imaginer que cela apporte tellement une nouveauté fondamentale vis-à-vis de la Tempête d'Alcyone ou de l'éruption des Indes Galantes, mais je n'ai pas lu la partition, donc je ne peux pas dire.]
Opéras rares
1. Je ne reviens pas de n'avoir jamais précisément évoqué Les Danaïdes de Salieri, et j'ai prévu d'y revenir prochainement, mais l'oeuvre constitue clairement un des sommets de la tragédie réformée, très supérieure à la plupart des Gluck - à placer aux côtés d'Iphigénie en Tauride, d'Andromaque de Grétry, de Thésée de Gossec. Sa frénésie dramatique pousse à l'extrême les préceptes de Gluck, et en abandonne largement la pose immobile, même si le style hiératique du récitatif et de l'harmonie (quoique plus varié) demeure identique.
Un chef-d'oeuvre d'une intensité dramatique et musicale extrême, qu'il est heureux de pouvoir entendre dans de bonnes conditions, même s'il faut s'attendre à quelques alanguissements peu nécessaires, chez Rousset.
Distribution de feu, comme tout ce qui est programmé par le CMBV et Bru Zane, mais tout particulièrement ce soir-là : Wanroij, Velletaz, Talbot, Christoyannis, Dolié. On ne devrait pas s'ennuyer.
2. En version scénique, nous aurons Tancrède de Campra, comme je l'annonçais en février dernier. Olivier Schneebeli y dirigera ses Chantres et l'orchestre Les Temps Présents. C'est un grand succès d'époque qui fait son retour. Le metteur en scène, Vincent Tavernier, est un habitué des projets baroques ; il a beaucoup travaillé avec L'Eventail, a mis en scène La fausse Magie de Grétry pour les Paladins, ou encore Monsieur de Pourceaugnac avec la musique de Lully.
Côté chant, c'est un peu moins superlatif, mais devrait se laisser écouter : Arnould, Druet, Santon, Buet, Martin-Bonnet et même Sophie Favier dans de petits rôles - déjà admirée au Château en Clorinde.
Je ne résiste pas au plaisir de citer cette présentation de Chateaudeversailles-Spectacles.fr :
André Campra est incontestablement le plus grand compositeur d’opéra entre Lully et Rameau
Ben voyons. Et bien sûr, on a tout joué de Desmarest, La Coste, Destouches, Gervais ou Bertin de La Doué...
Pour ne rien arranger, je ne suis absolument pas d'accord, même en se limitant à ce qu'on connaît, pour dire que Campra serait objectivement supérieur à Desmarest ou Destouches. Et subjectivement, il est à mon gré le bon dernier du trio.
Dommage (et paradoxal) de voir la rhétorique du guide touristique parasiter la présentation des travaux du CMBV.
3. Persée de Lully, hors saison CMBV, sera donné dans la mise en scène de Marshall Pinkosky, déjà parue au DVD, et avec l'orchestre Tafelmusik de Toronto. Mais la distribution sera très différentes (des anglophones encore plus obscurs que la première fois). Mise en scène ingénieuse pour contourner les limitations de budget, mais qui risque de sembler étrange à Versailles.
Concerts
On aura les Requiem de Gossec et du Caurroy, quantité de concerts Rameau, dont des arrangements opératiques pour clavecins prometteurs (Weiss seul, puis Hantaï-Sempé en duo - ils excellent tous deux dans l'exercice), et des cantates (une série par Vidal, une série par Marzorati).
Le plus attirant reste le concert du Poème Harmonique (avec Sylvia Abramowitz à la viole) : le superbe Miserere de Clérambault pour trois voix de femme (Bennani / Lefilliâtre / Druet), et les Leçons de Ténèbres de Couperin. (Et le plaisir renouvelé, après cette saison où elle a été plusieurs fois sollicitée par les grands, de voir Hasnaa Bennani tenir des solos dans une soirée versaillaise plein tarif, deux ans après avoir quitté le CRR de Paris !)
Je ne suis pas sûr que Dumestre soit du meilleur goût ici, mais j'ai très envie d'essayer en tout cas !
Les Prix
Pour info, pour entendre Kaufmann dans le même programme que partout dans le monde, il en coûte entre 90€ (dernière catégorie !) et 350€ ; et il n'y chante que les Lieder eines fahrenden Gesellen, qui durent moins d'un quart d'heure. Je me demande quel effet cela peut faire, lorsqu'on est artiste, de finir dans une niche dorée, comme Bartoli - qui finit par ne plus passer qu'à Versailles pour son album annuel, avec des places de 90€ à 495€. Ne plus jouer que pour les riches - qui, souvent, ayant des responsabilités financières importantes, ne sont pas forcément les gens qui ont le plus le temps d'être éclairés en musique.
Ca me laisse particulièrement rêveur pour Abbado, jadis adhérent du Parti Communiste italien, qui allait jouer avec Pollini et Nono dans les usines... et qui aujourd'hui accepte de se produire à des prix majorés qui rendent ses concerts inaccessibles à beaucoup de mélomanes (alors qu'au prix normal, vu le remplissage, c'est déjà une bonne affaire pour les salles).
De ce point de vue-là, ces artistes ne me sont plus très sympathiques, s'enfermant dans une rareté un peu paresseuse - Bartoli innove à chaque fois (avec beaucoup d'éclat !), mais reprend pendant un an le même programme partout ; Abbado ne joue plus que quelques oeuvres de Mozart, Beethoven et Mahler (certes, pour raisons de santé, mais quelle aspiration au dépassement...) ; Kaufmann, lui, continue imperturbable d'enchaîner les prises de rôles risquées, les partitions écrasantes, les cycles de lieder exigeants (même si de ce côté, son programme de récital se renouvelle très peu), et de les jouer dans de vrais théâtres ouverts à tous. Il a l'air d'un garçon assez subtil, il faut espérer que le système ne le dévore pas tout cru en en faisant à son tour un produit hors sol, n'existant que par ses récitals Universal.
Entendons-nous bien : je suis très content que cela existe, si on peut remplir entièrement des salles à des prix prohibitifs, c'est autant de fait pour le financement (partiel) de cette danseuse de la vie culturelle qu'est la musique classique, qui capte énormément de subventions pour peu de public. Et comme mes priorités font que je n'aurais généralement pas l'intention d'aller voir ces concerts-là, même bradés, je ne me sens pas lésé. Mais je m'interroge sur le ressenti de ces artistes : une fois adulés, ils acceptent cela ? Ils ne regardent jamais le prix de places ? La majoration est-elle le résultat mécanique de leurs cachets délirants ?
Là où le phénomène est dommageable, c'est que même si l'on peut trouver sensiblement la même chose à petit prix (les symphonies du répertoire par Colonne ou Pasdeloup, ça reste très valable, et on peut même avoir l'Orchestre de Paris ou le Philharmonique de Radio-France pour pas très cher non plus !), le public occasionnel ou néophyte est rassuré par quelques noms qu'il connaît, et lorsqu'il regarde les tarifs de ces soirées, cela a plutôt tendance à l'éloigner... On se dit que la musique classique est comme tenir un haras ou créer un golf : un loisir qui nécessite une rente.
Commentaires
1. Le lundi 27 mai 2013 à , par Jérémie
2. Le lundi 27 mai 2013 à , par David Le Marrec
Ajouter un commentaire