Carnet d'écoutes – Une référence pour le Cinquième Concerto pour piano de Beethoven : Curzon / BBCSO / Boulez (1971)
Par DavidLeMarrec, vendredi 9 août 2013 à :: Carnet d'écoutes - Intendance - Domaine symphonique - Musique de la période classique - Musique romantique et postromantique :: #2300 :: rss

Au commencement
Je l'avoue honteusement, j'ai mis le CD par pure curiosité, et pas la curiosité saine de la belle découverte, plutôt celle qui recherche l'insolite – quand elle n'anime pas – chez d'autres moins vertueux que moi – la médisance.
Oh, je n'attendais pas une horreur, les Haydn de Boulez avec le Symphonique de la BBC sont d'un maintien raide, mais très valables. [Évidemment, il y a le cas mythique de ses deux versions de Water Music, jouées à la tradi – illustration parfaite du paradoxe qui fait des compositeurs les plus modernes des conservateurs en matière d'interprétation, particulièrement parce que les musique les plus concernées ne les intéressent guère. Je n'ai pu écouter que celle de CBS, mais c'est une rigolade, non seulement tradi mais extrêmement empruntée.]
Extrait des deux premiers mouvements.
Orchestre
Disons que dans ce concerto débordant d'un romantisme précoce, on n'attendait pas de grands épanchements, voire une certaine raideur. Point du tout. Dès le début, l'accompagnement orchestral se caractérise par une forme de noble exaltation, contenue mais très présente, comme si quelque empressement couvait sous la surface. Je suppose que c'est l'effet de violons très lyriques et doux, presque lisses, tandis que les motifs de la petite harmonie et les accents des basses sont particulièrement mis en relief. Dans le mouvement lent, il ose même un vrai tempo adagio (qu'on entend souvent pressé à cause du un poco mosso) et des fondus très romantiques – ajouté à l'inégalité étrange de Curzon (les triolets font de singulières accélérations en crabe), on croirait vraiment entendre du Chopin. Le dernier mouvement se caractérise par des sforzandi nets, qui n'étaient pas encore à la mode en 1971, et on peut même parler d'une certaine flamme orchestrale. C'est mieux qu'une bonne surprise, c'est tout simplement la plus belle lecture orchestrale que j'aie entendue dans cette œuvre, sans furie, mais d'un charme presque capiteux.
Piano
Ce ne serait rien, vu la nature de l'œuvre, si le piano n'était pas à la hauteur. Et autant le jeu (très intéressant néanmoins) peut paraître un peu massif et dur en 1977 avec Kubelik et la Radio Bavaroise, autant Curzon est ce soir-là au sommet de ses moyens, chaque note timbrée (jusqu'au glas feutré de l'extrême grave à la fin du deuxième mouvement), une main gauche délicate et éloquente (des motifs rares apparaissent dans le troisième mouvement). Étant une prise sur le vif, il y a plusieurs traits qui se ratent, surtout à la fin du troisième mouvement (prise de risque maximale côté engagement et tempo, et accentuée pour la coda), mais la chose me paraît complètement vénielle eu égard à l'ensemble. On peut même dire que par rapport à l'intensité incroyablement lyrique de ses trilles du deuxième mouvement, il pourrait bien rater chacune de ses gammes sans avoir épuisé ses gains.
Dans la discographie, j'ai rencontré des pianistes de valeur égale, mais je n'en ai pas entendu qui bénéficient d'un accompagnement à ce point intéressant – d'autant plus précieux dans ce concerto où l'orchestre tient quasiment l'essentiel de la part mélodique et thématique. Oui, même Dresde et Vonk, même Szell et Cleveland (parfait, mais sans ce petit élan supplémentaire – qui l'eût cru de Boulez ?).

Couplage et discographie
Le Concerto pour piano n°26 de Mozart, capté en 1974, est beau, mais me convainc moins : Curzon est un peu charpenté et massif pour Mozart, et Boulez a davantage de difficulté à exalter les qualités de l'orchestre mozartien (l'énergie sous-jacente et le détail des profondeurs de l'orchestre ne sont pas essentiels ici). Le tout est disponible sur un album BBC Legends.
Il existe quantité d'autres remarquables versions, bien sûr ;
déjà, Beethoven est généralement très solide, et « sonne » tout de suite avec n'importe quelle interprétation médiocre (en tout cas à l'orchestre, le cas des quatuors et surtout des sonates étant plus délicat) ; ensuite, s'agissant d'une des œuvres les plus célèbres et révérées de toute la musique de concert, on dispose d'une infinité de témoignages, et des plus grands représentants de la technique pianiste ou orchestrale.
Je vois deux principales difficultés qui font la différence : la partie de piano est essentiellement constituée de traits, pas tous thématiques, qu'il faut maîtriser suffisamment pour les faire « parler » malgré tout, ou qu'il faut articuler parfaitement à l'orchestre (tenant une large partie du discours musical). Les très grands pianistes peuvent donc y étaler à bon droit leur imagination agogique ; les autres peuvent entrer en fusion avec le discours orchestral, ce qui fonctionne très bien aussi.
Second enjeu, le deuxième mouvement, dont la puissance de climat peut être très diversement réussie selon les versions.
Je voix donc, côté feu, Dubravka Tomšič, avec l'Orchestre Symphonique de Ljubljana dirigé par Anton Nanut (Vox). Seules réserves : mouvement lent un peu pressé, quelques duretés dans les accords du dernier mouvement. Côté danse, Peter Toperczer avec le Philharmonique Slovaque dirigé par Libor Pešek (également une édition économique, présente par exemple sous étiquette Classica Licorne ou Bella Musica) présente l'avantage de détachés sautillants très plaisants. Et puis tout de même Clifford Curzon / Radio Bavaroise / Rafael Kubelik__ (1977, Audite), même si le toucher n'est pas parfait.
Moins convaincu par Gilels / Cleveland / Szeel (EMI), d'une très grande rectitude ; par Rösel / Symphonique de Berlin [1] / Flor (Berlin Classics), qui exalte remarquablement les traits techniques avec beaucoup de charisme (et un peu d'ostentation), surtout desservi par le caractère terne, comme souvent, de Flor ; par Zacharias / Dresde / Vonk (EMI), piano moins extraordinaire et Vonk étonnamment peu impliqué ; par Novas / Bamberg / Perlea (Vox), une piano très lyrique mais manquant d'emportement, avec Bamberg en singulière méforme (étonnement un peu dépité, l'enregistrement promettait beaucoup). Toutes lectures qui restent complètement fréquentables, et qu'on pourrait même recommander.
Notes
[1] Comme il s'agit d'une parution Berlin Classics, je suppose qu'il s'agit de l'actuel Konzerthausorchester Berlin (naguère Sinfonie-Orchester Berlin) et non des Berliner Symphoniker (ancien Symphonisches Orchester Berlin).
Commentaires
1. Le mercredi 23 avril 2014 à , par subtil
2. Le mercredi 23 avril 2014 à , par DavidLeMarrec
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