Carnets sur sol

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Éthique de la corruption


Du fait de l'efficacité de la propagation virale des informations sur la Toile, les organisateurs de concert visent depuis une poignée d'années (deux ou trois, guère plus) les relais d'opinion qui permettent de faire une promotion gratuite.

Cette promotion a une diffusion fortement aléatoire, mais elle est en revanche qualitativement plus forte qu'une affiche ou un flyer, parce qu'elle se pare à la fois de l'autorité de celui qu'on a l'habitude de lire et de l'indépendance de l'amateur qui n'est pas rémunéré par la salle.

Aussi, les carnets musicaux ont été progressivement sollicités lorsqu'il s'agit de finir de remplir une salle.

Mais, m'émerveillant, de la maladresse de certains départements de communication, j'ai fini par prendre la plume lorsqu'un semblable courrier a atterri chez moi.

À la relecture, je crois que je j'ai probablement paru un peu cassant, mais je suis parti du principe que je rendrais plus service à un professionnel en lui exposant sans ambages l'effet produit par ce type de courriel (plutôt indignation qu'attendrissement), qu'en lui dorant la pilule. Ce n'était peut-être pas suffisant, j'ai un peu honte de montrer ce que j'ai dit... quelques arrondissements d'angles n'auraient peut-être pas été superflus, on a beau être professionnel, on n'en est pas moins homme.

Nous organisons le concert du jeune violoniste F*** qui aura lieu Salle V*** le mardi xx décembre prochain, et nous vous serions ravis si vous pouviez communiquer sur cet événement sur votre blog. Vous trouverez ci-dessous les informations utiles, et en pièce-jointe le visuel.

Ce qui produisit :

Je me permets de vous répondre, plutôt pour un conseil dont, je l'espère, vous pardonnerez l'effronterie.

À mon humble avis, contacter les carnettistes en leur proposant de faire votre comm' à votre place n'est pas un très bon standard. Personnellement, je me sentirais même plutôt agacé (toutes proportions gardées, bien sûr, puisque vous me faites l'honneur de me considérer comme intéressant) que non seulement on veuille dicter ma ligne éditoriale (alors que je ne suis rémunéré par personne), mais qu'en plus la recommandation n'ait que peu de lien avec le contenu de mes propres carnets. On n'a même pas la vanité d'être lu.

Changer les pratiques prend un peu plus de temps qu'envoyer un courriel à tous les membres du fichier « carnettistes classiques », mais comme je fréquente deux-trois autres personnes semblablement sollicitées, et que j'ai reçu d'autres propositions, je me permets quelques pistes.

=> Le ciblage est très important. Il donne l'impression d'être lu.
En l'occurrence, j'apprécie énormément les qualités musicales de F***, mais je ne crois pas jamais l'avoir dit sur Carnets sur sol, et son orientation actuelle vers les tubes & pièces caractéristiques pour violon est assez à l'opposé de ma « ligne éditoriale », plutôt tournée vers les incunables et bizarreries. Ce faisant, il y a peu de probabilité pour vous que j'en parle.

=> La contrepartie n'est pas négligeable.
Vous demandez à un bénévole de prendre de son temps et d'infléchir sa ligne éditoriale, pour vous. Pour espérer que cela fonctionne, il faut une contrepartie. Cela peut passer par l'octroi de places de presse, de visites spéciales de la salle, de tarifs réduits, de citations sur le site de la salle... peu importe, il n'y a pas forcément besoin que ça coûte quoi que ce soit, mais cela donne l'impression au petit carnettiste (en général un petit amateur émerveillé comme un lapin dans les phares) d'être important, ou en tout cas pris en considération. De public muet, il devient faiseur d'opinion – même si, vu que moins de trente personnes le lisent vraiment régulièrement, c'est tout à fait illusoire.
Le simple fait d'envoyer des courriels réguliers avec des offres réservées (même tout à fait dérisoires) donne cette impression d'être bichonné.

Je vous rassure, à part le TCE, peu de monde fait ce travail efficacement à l'heure actuelle. J'ai même eu, dans le genre mailing hasardeux, Pleyel qui prétendait m'avoir parlé sur Twitter, alors que je n'y avais même pas de compte ; le reste du message était similaire au vôtre, me demandant de parler des concerts qu'ils avaient envie de remplir ou qui leur servaient de relais de prestige.

Exemple de possibilités :
=> « Nous lisons avec attention » (peu importe si c'est faux) « votre carnet et voulons vous proposer une visite de la salle / une rencontre de l'artiste après le concert / etc. » Même pas besoin d'offrir deux invitations en première catégorie pour obtenir l'effet voulu, même si le plus efficace est, évidemment, la petite corruption à laquelle les carnettistes ne sont pas habitués. Ils auront forcément peur, par décence ou par intérêt, de mordre la main qui les nourrit.
=> Choisir un concert plus en lien (mais cela réclame un envoi plus individuel des courriels) : par exemple, en ce qui me concerne, vous auriez pu mentionner le concert Dupont (je vous ai déjà fait de la publicité pour celui-ci de toute façon), le concours Vernes, le récital franco-décadent de Dessay, etc. Toutes choses qu'un rapide feuilletage du site permettait de recommander avec davantage de justesse qu'un concert de standards violonistiques.

Je laisse le reste à votre créativité.

Pardon pour l'intrusion dans vos pratiques professionnelles, mais plutôt que de râler dans mon coin sur la désinvolture de la communication des salles, autant vous dire très gentiment ce qui me semble ne pas fonctionner dans cette méthode.

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Certaines maisons, dont le prestige assurent le remplissage, ne communiquent tout simplement pas chez les petites mains en ligne (vu les remplissages de Garnier à 105% pour n'importe quel spectacle, il est même scandaleux de considérer la dépense en panneaux publicitaires...), comme l'Opéra de Paris ou la Cité de la Musique.

D'autres maîtrisent vraiment la communication à la perfection, comme le Théâtre des Champs-Élysées ou la Caisse d'Épargne (via son programme « Esprit Musique ») : on vous offre deux des meilleures places du théâtre, on vous accueille personnellement, on vous remercie pour ce que vous écrivez ou on relaie généreusement votre prose sur les réseau... tout en n'ayant jamais réclamé explicitement de contrepartie.

Par principe, je n'accepte pas ces propositions... mais si elles entrent dans le cadre de spectacles que j'ai prévus de voir et dont j'ai prévu de parler, ou pour lesquels j'hésitais (et qui me permettent, avec les deux places, d'inviter un néophyte dans les meilleures conditions), j'acquiesce. Évidemment, le pari est que l'on va forcément en parler, plutôt influencé en bien par la générosité de l'accueil, et donner envie d'aller voir un spectacle dont des places restent à vendre.
Ça ne coûte rien à la salle qui n'aurait de toute façon pas vendu ces places, ça donne l'impression au carnettiste qu'il est un VIP en voyant son billet « invitation valeur 490€ », il rentre de bonne humeur, écrit un dithyrambe ; et tout le monde est content.

D'autres, moins libéraux (moins corrupteurs ?), ne proposent pas de contrepartie, mais donnent envie de parler de leurs spectacles. L'Opéra de Lyon est très fort à ce petit jeu : grâce à leurs concepts, à la qualité de leurs données, à la personnalisation de leurs propositions, ils donnent envie de contribuer à l'événement. La récompense n'est pas annoncée, mais après avoir relayé une information par le passé, une réduction substantielle était proposée sur des places (ce qui ne coûte vraiment rien à la salle, et lui permet même de vendre quelques sièges de plus). Mais le message personnalisé de remerciements, mine de rien, est au moins aussi valorisant que l'offre de places. Il donne l'impression à celui qui, de la porte, a l'impression d'entrevoir un monde enchanté (alors que, comparé au monde du spectacle, c'est le monde civil qui est enchanté !), de pouvoir enfin en être, de compter. D'être un artiste, finalement.

Ces gens-là ont bien cerné les faiblesses narcissiques et le potentiel bon enfant du carnettiste, et l'exploitent avec adresse sous un très beau masque de dignité. Tout le monde se sent grandi.

C'est sans doute le modèle à suivre pour les salles qui veulent communiquer. Alors je laisse traîner ces considérations en ligne.

P.S. : Pour les salles désirant me corrompre, voici une liste des spectacles susceptibles d'approbation pour cette saison. J'accepte aussi les chèques-vacances et les avantages en nature de moins de 26 ans.


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Commentaires

1. Le mardi 10 décembre 2013 à , par Jeremie

David, c'est mignon. :)

(Par mignon, je veux évidemment aussi dire naïf.)

2. Le mardi 10 décembre 2013 à , par Olivier

Bonsoir,

Ce n'est qu'un signe de la réussite de vos carnets; et après tout, pourquoi ne pas accepter? Car, vos suggestions de début de saison, rappelées mensuellement, qui sont de qualité, contribuent à la découverte d'oeuvres et d'artistes.

3. Le mercredi 11 décembre 2013 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Olivier !


Non, non, c'est un procédé qui est commun pour essayer de mettre la Toile (de plus en plus la source principale de renseignement sur les spectacles – pardon, mais qui lit La Terrasse ?) de son côté. On met les adresses de sites une fois dans un fichier, et hop, on contente tout le monde : les propriétaires de sites se sentent importants (« faiseurs d'opinion », rien que ça), et les salles disposent d'une publicité gratuite (ou pour un coût très inférieur à une campagne publicitaire équivalente).

Celles qui vont jusqu'à mener un échange personnalisé donnent effectivement bien mieux cette illusion d'intérêt de ce qu'on écrit. Mais ce n'est pas une découverte : la notoriété et la qualité ne sont pas corrélées.

Évidemment, comme cela se limite aux sites un minimum lus, on peut supposer qu'ils ont un intérêt quelque part pour maintenir un lectorat... mais ce lectorat, quelles que soient ses raisons, préexiste au fichier des salles, à mon avis.
Il n'empêche qu'il est extrêmement agréable d'être courtisé par les salles qui le font bien et qui donnent, réellement, le sentiment de compter. Mais je ne crois pas qu'on puisse le porter en étendard comme une preuve de qualité.


De toute façon, en ce qui me concerne, la réussite de ces carnets se manifeste essentiellement par le plaisir que j'ai à y écrire ou à y échanger, donc dans cette perspective, je les considère parfaitement aboutis, et me déclare fort satisfait de moi-même. :)

Si, en plus, cela peut permettre de piquer la curiosité sur certaines zones peu courues du répertoire... c'est merveilleux.

Et si pour cela les salles veulent m'offrir des places... grand bien me fasse (mais à ce degré de satisfaction, c'est presque indécent).

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David Le Marrec

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