Carnets sur sol

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[Avant-concert] Les grands cycles du piano français : Schmitt, Hahn, Decaux, Dupont, Debussy, Ravel, Inghelbrecht, Le Flem, Koechlin, Samazeuilh, Tournemire et Migot


Les Heures dolentes de Gabriel Dupont sont données ce mercredi à l'Amphi Bastille.

Pour ceux qui seraient intrigués sans avoir écouté les disques, on peut se reporter à cette vieille notule autour des mélodies (avec extrait sonore). Ses opéras, dans des styles très différents – du vérisme de La Cabrera, très apprécié en son temps, à la veine épico-orientale d'Antar (extrait là) – n'ont pas encore eu les honneurs du disque. En revanche, en musique de chambre, on trouve son Poème pour piano et quatuor à cordes, et ses deux grands cycles pour piano.

Ceux-ci s'inscrivent dans la veine française des grands cycles pittoresques pour piano seul, sous forme de vignettes, travaillant la couleur harmonique et le figuralisme évocateur – au contraire de la littérature germanique, concentrée sur la forme abstraite du développement d'idées purement musicales.

C'est tout un pan du patrimoine pianistique, parfois de premier plan, qui est ainsi absent des salles et à peine représenté au disque. Dupont figure parmi les premiers à exploiter ce type bien particulier.

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Ont à ce jour été édités commercialement :

Florent SCHMITT : Les Crépuscules (1898-1911).
Comme les Clairs de lune de Decaux, les Miroirs de Ravel et les Images de Debussy, ce sont encore des recueils courts et un peu dépareillés, où les points communs restent lâches entre les pièces qui ne forment pas de réelle progression. Néanmoins une très belle œuvre thématique, avec des couleurs harmoniques originales et superbes, comme toujours chez Schmitt.
Il en existe plusieurs versions (Wagschal chez Saphir est excellent).

Reynaldo HAHN : Le Rossignol Éperdu (1899-1910).
C'est le premier cycle véritable, une très vaste fresque de plus de deux heures, répartie entre quatre livres (« Première Suite », « Orient », « Carnet de voyage » et « Versailles »), qui exploitent toute l'étendue des possibles pianistiques, avec énormément d'aspects et de techniques différents. Cette volonté totalisante se réalise sous forme de catalogue, mais avec un soin de l'évocation, de la couleur, du climat, très particulier, et typiquement français. Peut-être le plus ambitieux de tous, avec Les Clairs de lune et Les Heures persanes.
Deux versions : Earl Wild (Ivory Classics) et récemment Cristina Ariagno (Concerto).

Abel DECAUX : Clairs de lune (1900-1907).
Quatre pièces qui exploitent l'atonalité franche (les deux premières), en 1900. On ne trouve rien d'autre d'aussi radical, à ma connaissance, avant Erwartung (1909) et le Sacre du Printemps (1913), avec une avance d'une ou deux décennies sur toutes les grandes recherches hors de la tonalité traditionnelle, sans que Decaux semble s'être illustré par ailleurs dans la composition. Surtout un professeur, et d'autres de ses pièces sont beaucoup plus académiques. Pourtant, ces pièces ont un pouvoir atmosphérique rare – en particulier la troisième, « Au cimetière », qui alterne atonalisme et lyrisme de glas.
Ce cycle, ces deux dernières années, est joué de temps à autre à Paris (par Kudritskaya cette saison à Orsay, par Bavouzet la saison prochaine au Louvre... et il me semble l'avoir vu passer ailleurs). C'est le mieux enregistré de sa famille : Chiu chez Harmonia Mundi (1996), Girod chez Opes 3D (2001, épuisé), Hamelin chez Hyperion (2006) ; les deux dernières versions sont tout à fait remarquables.

Gabriel DUPONT : Les Heures dolentes (1905).
Le premier cycle publié, et aussi le premier à ménager une forme de contnuité – sur près d'une heure. Les pièces s'enchaînent selon un ordre logique qui raconte les épisodes de la maladie, avec des moments particulièrement spectaculaires (les délires cauchemardesques), un figuralisme permanent (mais sous forme d'esquisse plutôt que d'imitation, un peu comme chez Schubert). L'ensemble est un sommet de l'esprit « illustratif » français.
Assez nombreuses versions à présent : Blumenthal, Girod, Naoumoff, Lemelin, Paul-Reyner...

Claude DEBUSSY : Premier Livre des Images (1905).

Maurice RAVEL : Miroirs (1904-1907).

Claude DEBUSSY : Second Livre des Images (1907).

Désiré-Émile INGHELBRECHT : La Nursery (1905-1911).
À rebours des cycles « sérieux », une série d'arrangements délicieux. Quelques extraits dans cette notule (Lise Boucher chez Atma).

Maurice RAVEL : Gaspard de la nuit (1908)

Gabriel DUPONT : Les Maison dans les dunes (1908-1909).
Versant lumineux des Heures dolentes ; un peu plus court, un peu moins spectaculaire, mais tout aussi abouti, avec la contemplation émerveillée de paysages plaisants, au gré de recherches de figures pianistiques et de couleurs harmoniques adéquates.
Là aussi, de rien auparavant, les versions se sont accumulées en moins de dix ans : Girod, Naoumoff, Kerdoncuff, Lemelin, Paul-Reyner. Je recommande Kerdoncuff (Timpani), en particulier pour débuter : jeu très harmoniques, qui fait très bien entendre le contenu des accords, et les changements de textures sont spectaculaires (on entend des traits translucides, je ne vois même pas comment c'est techniquement possible). Sinon, Girod, avec plus de rondeur, fait de très belles nuances, et ses Dupont ont été réédités il y a quelques semaines par Mirare. Ou bien Naoumoff (intégrale chez Saphir), dans une perspective plus narrative et cursive, sur un piano plus cassant.

Claude DEBUSSY : Deux livres de Préludes (1909-1913).
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, Debussy n'est donc absolument pas pionnier dans ces Préludes, même s'il pousse la recherche de la couleur et de la singularité à son plus haut degré.

Paul LE FLEM : Sept prières enfantines (1911).
Elles s'inscrivent, à l'opposé, dans la recherche de la plus grande sobriété : pas d'ostentation digitale, harmonique ou même mélodique. Un petit cycle charmant, sans rechercher l'envergure.
Gravé par Girod pour Accord. Il existe aussi une orchestration, bien plus tardive (1946).

Florent SCHMITT : Les Ombres (1912-1917).
Langage proche des Crépuscules.

Charles KOECHLIN : Les Heures persanes (1913-1919).
Autre véritable cycle, qui décrit réellement un parcours à travers l'Orient. La musique sent la touffeur des étés généreux et les vapeurs lourdes de styrax, sans non plus verser dans la couleur locale simili-orientale alors à la mode. C'est à travers un langage personnel et tout à fait inédit que Koechlin bâtit ces vignettes évocatrices. Il faut en particulier entendre les mélismes infinis d' « À l'ombre, près de la fontaine de marbre » (XI), dans le goût des Nectaire et les couleurs résonantes des « Collines au coucher du soleil » (XIII), des sommets de la littérature universelle pour piano.
À ce jour, quatre versions, et on entend de plus en plus souvent des extraits en concert : Herbert Henck (Wergo 1986), Kathryn Stott (Chandos 2003), Michael Korstick (Hänssler 2009) et Ralph van Raat (Naxos 2011). À cela, il faut ajouter deux disques consacrés à la version orchestrée par le compositeur (qui perd l'essentiel de son charme, à mon humble avis) : Segerstam (Marco Polo) et Holliger (Hänssler). Je recommande Henck sans hésiter, pour la qualité des plans et de la suspension générale, mais Stott (plus ronde) et van Ratt (rond aussi, et rapide, par peur d'ennuyer le public dit-il, puisqu'il l'ose manifestement en concert !) s'écoutent très bien. Korstick est différent, la prise de son plus sèche laisse moins de place à la poésie, mais ici encore, beau jeu d'une assez bonne clarté.

Charles KOECHLIN : Paysages et Marines (1915-1916).
De même que pour les Heures, un beau travail de peintre d'émotions, sans la progression / procession de l'autre cycle, bien sûr. La version pour petit ensemble (flûte, clarinette, quatuor à cordes, piano), achevée un an plus tard, est plus chatoyante et entraînante.
Deux versions au piano (et davantage pour la version septuor) : Michael Korstick (Hänssler) et Deborah Richards (CPO). La seconde est particulièrement élégante.

Gustave SAMAZEUILH : Le Chant de la Mer (1918-1919).
Le moins intéressant de la liste. Même principe, mais la densité musicale y est moindre.
Existe par Girod (3D Classics, épuisé) et par Lemelin (Atma).

Charles TOURNEMIRE : Préludes-Poèmes (1931-1932),
dotés de titres mystiques. L'une des Å“uvres pour piano les plus virtuoses de tous les temps, dans une langue musicale totalement différente de l'Å“uvre pour orgue : c'est une réelle écriture pour piano, bardée de traits (souvent récurrents, d'où la dénomination de Préludes), mais avec un pouvoir évocateur et la volonté de créer un ensemble cohérent, une sorte d'univers propre. La diversité des moyens et des atmosphères est phénoménale, à telle enseigne que l'Å“uvre figurait dans la sélection des dix disques.
Bien qu'organiste, le disque de Georges Delvallée chez Accord est stupéfiant de robustesse et de finesse à la fois.

Charles KOECHLIN : L'Ancienne Maison de campagne (1933).
Plus apaisé et épuré que ses autres cycles, mais une autre très belle collection de moments convergents.
On trouve Christoph Keller chez Accord (réédité), Jean-Pierre Ferey chez Skarbo (épuisé), Michael Korstick (Hänssler), Deborah Richards (CPO).

Georges MIGOT : Le Zodiaque (1931-1939),
évocation thématique dans le style de ses confrères, moins personnelle que les meilleurs cycles, mais qui mérite l'écoute.
Existe par Girod chez 3D Classics (2001, épuisé) et Lemelin chez Atma (2004).

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Ces Heures dolentes représentent donc à la fois l'un des premiers cycles importants de la nouvelle esthétique française, et un parcours très abouti, collection de vignettes discrètes et puissantes à la fois, menées par un argument presque narratif. À découvrir, au disque, ou demain à l'Amphithéâtre Bastille par Nicolas Stavy.

Vous pouvez retrouver plusieurs de ces cycles dans le palmarès des putti d'incarnat consacré au piano solo. Ils représentent même la moitié des disques sélectionnés pour le défi « dix disques de piano solo ».


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Commentaires

1. Le mardi 22 avril 2014 à , par Passée des arts :: site

Bonsoir David,

Voici un passionnant tour d'horizon, dont je vous remercie. Une petite précision concernant le Dupont de Marie-Catherine Girod récemment paru (le 21 avril) chez Mirare : ce disque, dont elle partage l'affiche avec le Quatuor Prazak pour le Poème et le premier violon de ce dernier dans Journée de printemps, n'est pas une réédition mais bien un nouvel enregistrement réalisé à Prague en août 2013. Je parlerai dans les semaines à venir de ce fort bon enregistrement qui me semble une introduction assez idéale à l'univers d'un compositeur que j'apprécie beaucoup.

A bientôt et bien cordialement.

2. Le mercredi 23 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Jean-Christophe !

Oh, mais c'est une belle nouvelle, ça, un cycle de plus ! Merci.

3. Le mercredi 23 avril 2014 à , par Xavier

Pour moi les Heures persanes c'est Henck et rien d'autre, Van Raat est un massacre avec ses tempi précipités, tant que Stott et Korstick multiplient les erreurs de lecture. (et même sans cela, c'est moins beau qu'Henck)

4. Le mercredi 23 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

Comme ces déformations harmoniques ne s'entendent pas beaucoup sans partition (et même avec, pour le commun des mortels), c'est effectivement non pas l'exactitude, mais la poésie de Henck qui fera la différence. Sans hésiter pour moi aussi, mais si on a les autres sous la main, on peut quand même écouter, ça ne donne pas une fausse image de l'œuvre.

Moi, ce qui m'épate chez van Raat, c'est que s'il augmente les tempi pour ne pas ennuyer le public, ça veut dire qu'il l'ose en concert ! Et ça, c'est beau.

5. Le mercredi 23 avril 2014 à , par Palimpseste

Oh la belle notule...

Debussy évidemment, tout au-dessus de ce que je connais.

Ravel bizarrement j'accroche beaucoup moins mais le piano est encore ce qui m'a laissé la meilleure impression, il faudra que j'y retourne d'ailleurs.

Les Clairs de Lune de Decaux m'avaient énormément plu même si après avoir lu des commentaires parfaitement élogieux, je m'attendais à quelque chose d'encore plus sidérant.

De Dupont, j'ai très récemment découvert La Maison dans les Dunes. Petite déception. C'est très joli mais un peu simple ou plus exactement passe-partout, comme de la musique d'ambiance. Mais jolie.

Reste Koechlin. J'ai toujours préféré les versions orchestrées des oeuvres pour piano. C'est très clair pour les Paysages et Marines qui gagnent vraiment en charme dans leur chambriste. Cela dit, tu me donnes envie de me repasser les Heures Persanes et de me mettre L'Ancienne Maison de Campagne.

Il va y avoir du piano français au programme dans les jours qui viennent...

6. Le mercredi 23 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

Je ne suis pas si persuadé de la supériorité (objective, je veux dire) de Debussy, vu la richesse et la diversité de la concurrence. En tout cas, ce n'est clairement pas lui que j'écoute le plus souvent, ni avec le plus de plaisir.

Decaux s'écoute très bien, donc on peut trouver ça moins sidérant, mais considérant que ça arrive avant Pelléas, avant Salome, avant les recherches atonales des années 10-20, et qu'on fait tout un plat du Liszt atonal (que j'aime beaucoup au demeurant), il y a quand même de quoi être saisi. 1900, à l'époque Webern écrivait des mélodies dans le goût de Wolf...
Par ailleurs, je trouve que même sans la comparaison, l'ensemble est tout à fait saisissant.

Les Dupont on un côté « ambiance », oui, c'est lié à la manière française qui est un peu illustrative. Essaie tout de même les Heures dolentes, qui sont plus sombres et narratives.

Chez Koechlin, les Paysages & Marines gagnent clairement en coloris dans le version pour septuor, mais au contraire, les Heures persanes perdent la clarté de l'harmonie, et on échange finalement de la profodeur pour de la décoration, à mon humble avis. En tout cas, je m'ennuie ferme pendant la version orchestrée, alors que c'est la même chose – parce que je n'entends pas aussi bien le détail, les petites tensions. En concert, c'est sûrement différent.

Merci pour ces retours !

7. Le mercredi 23 avril 2014 à , par Palimpseste

"Je ne suis pas si persuadé de la supériorité (objective, je veux dire) de Debussy..."

Je parlais en toute subjectivité, parfaitement assumée bien sûr ;-)

" Par ailleurs, je trouve que même sans la comparaison, l'ensemble est tout à fait saisissant."

C'est tout à fait juste, je faisais un peu le pénible. Saisissant pour l'époque, évidemment mais le charme, bien que puissant, n' a pas opéré sur moi d'une façon aussi profonde et immédiate que je m'y attendais.

Alors au programme très prochainement:

Ravel - Miroirs
Koechlin - L'Ancienne Maison de Campagne
Koechlin - Les Heures Persanes (tu as bien réussi à me le vendre celui-là)
Decaux - Clairs de Lune
Dupont - Les Heures Dolentes

Par ordre de curiosité éveillée...

8. Le jeudi 24 avril 2014 à , par Xavier

Pour Decaux, si on veut être précis, seul Minuit passe date de 1900.
La Ruelle est de 1902, la Mer de 1903 et le Cimetière de 1907.
Ca ne change pas grand chose bien sûr, on est d'accord... mais "avant Pelléas", pas vraiment donc, surtout que la majeure partie de Pelléas a été composée entre 1893 et 1895, si je ne dis pas de bêtises.

Pour Koechlin, ok pour Stott et Korstick, ça reste très bien, mais pour moi Van Raat donne vraiment une fausse image de l'oeuvre.

9. Le jeudi 24 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

@ Palimpseste :

Sélection sans faille... difficile de ne pas trouver quelques satisfactions là-dedans.

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@ Xavier :

Complètement, j'ai été elliptique (la période de composition de Pelléas est plus étendue, mais se concentre dans le milieu des années 90 en effet). Je voulais dire par là que lorsque Decaux écrit ses œuvres les plus radicales (les deux premières pièces du recueil), il n'a pas encore lu ou entendu (en tout cas pas encore digéré, pour la seconde) Pelléas. Ça renforce le caractère totalement inédit de la chose. Les Clairs de lune n'ont été publiés qu'en 1913, donc factuellement, leur influence a dû être assez limitée (et à peu près nulle avant cette date, en tout cas).

Oui, j'ai vu que tu honnissais van Raat. :) Moi, ça ne me déplaît pas du tout. Mais de toute façon, en dehors de la découverte des nouvelles versions, je n'écoute que Henck, puisqu'il est tellement plus évocateur que les autres.

10. Le jeudi 24 avril 2014 à , par lu—

et pourquoi pas Vierne ?

et puis il y a des choses avant 1900, non ?

11. Le jeudi 24 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

Pourquoi pas Vierne ? Parce que j'ai écouté et joué ses pièces pour piano de façon dépareillée, donc je n'ai pas de vue dégagée sur sa production. Mais elle est effectivement très-digne d'intérêt, il doit y avoir plusieurs recueils qu'on peut ajouter, surtout que je n'ai pas parlé seulement des cycles « progressifs » comme les Heures dolentes ou les Heures persanes.

Avant 1900, oui, il y en a probablement... mais à la fois publiés et intéressants, je ne vois pas, spontanément. Il y en a plein d'autres de toute façon, les recueils de pièces pittoresques étaient même la norme... mais l'intérêt musical en est généralement très limité, ce sont plutôt des bluettes destinées aux musiciens amateurs pressés.

Si tu as des suggestions, je prends, je n'ai pas tout écouté bien sûr. (C'est en projet, une fois que j'aurai lu tous les livres.)

12. Le jeudi 24 avril 2014 à , par Ugolino le profond

Il me semble manquer les Estampes de Debussy, qui lancent le "nouveau piano" de Debussy et sont jouées suffisamment tôt (en janvier 1904) pour avoir une influence importante sur presque tous les compositeurs cités (d'autant que tous existent plus ou moins dans les mêmes cercles). C'est à mon sens le coup d'envoi d'une nouvelle manière de penser le piano et d'un nouveau rapport à l'imaginaire.
Bien que je ne sois pas du genre à prétendre que le compositeur consacré est forcément le plus grand, ici Debussy me semble "objectivement" écraser la concurrence - aucun ne va aussi loin que lui dans la transformation du rapport à la tonalité et aux capacités expressives du piano (voire de la musique).

Tout cela n'est-il pas l'enfant bâtard de Liszt (années de pèlerinage) et de Chabrier (pièces pittoresques) ?

13. Le jeudi 24 avril 2014 à , par lu—

DavidLeMarrec :
Pourquoi pas Vierne ? (...) surtout que je n'ai pas parlé seulement des cycles « progressifs » comme les Heures dolentes ou les Heures persanes.


jette un coup d’œil aux titres des Douze préludes, tu te rendras vite compte que c’est progressif — Tournemire aussi, d’ailleurs. ;)
et oui, c’est digne d’intérêt ; je préfère largement ça à Hahn, Inghelbrecht, Le Flem, Samazeuilh et Migot, et peut-être même (surement pour les deux premiers, mais c’est évidemment personnel — idiosyncrasique, dirais-tu) à Debussy, Ravel, Schmitt et Dupont.

et j’ajouterais également Roussel (Des heures passent, 1898 ; Rustiques, 1904).

Ugolino :
Tout cela n'est-il pas l'enfant bâtard de Liszt (années de pèlerinage) et de Chabrier (pièces pittoresques)


oui, je suis d’accord ; et pourquoi pas aussi Bizet (Chants du Rhin) et Alkan (Les Mois), et probablement beaucoup d’autres, c’est un répertoire que je connais mal (et qui ne m’attire guère).

***

suis-je le seul à préférer (nettement) la version Chiu des Clairs de lune ?

14. Le vendredi 25 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

@ Ugolino

Très juste, je ne pouvais pas mettre tous les Debussy-Ravel, mais celui-ci s'impose. Techniquement (dans l'écriture musicale, pas forcément dans le « pianisme »), oui, Debussy est clairement celui qui va le plus loin (à part Decaux qui est vraiment bizarre), la plupart des autres restent beaucoup moins corrosifs pour les logiques tonales. Koechlin et Tournemire font des choses audacieuses aussi, mais c'est un peu plus tard, et sans doute sous l'influence de son travail.

Après, pour les capacités expressives, ça se discute forcément, puisque c'est subjectif – je trouve son piano très froid, à vrai dire, il y a quelque chose du « tour de force », mais si ça n'a rien d'artificiel. Et puis les recueils sont tellement dépareillés, je les aime surtout en pièces détachées, incluses dans un récital.

Effectivement, il faut sans doute remonter à Liszt, Chabrier et quelques autres qui ont eu leur rang dans l'estime d'alors sans passer à la postérité. Mais le résultat est tout de même sacrément différent.

15. Le vendredi 25 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

@ Lucien

suis-je le seul à préférer (nettement) la version Chiu des Clairs de lune ?

Tu es le seul de nous deux, ce dont il ne faut pas tirer de conclusion hâtive. Je suis sûr que sa grande tante aussi trouve sa version meilleure.

Je me suis limité effectivement à la partie intéressante du répertoire, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de recueils de ce type avant (bien au contraire, les collections de bluettes à titre, il y en a des cartons). Effectivement, j'aurai pu citer Alkan (même la Sonate Les Âges, finalement), mais c'est un peu éloigné dans le temps et le style.

Oui, c'est vrai, difficile de faire plus progressif que Tournemire ; le titre de « poèmes » indique sans doute plus le rapport lâche à son argument (c'est tout sauf figuratif !) que l'absence de construction « narrative ».

J'essaierai effectivement Vierne, ça s'impose. J'ai des disques de Roussel, mais je ne crois pas être allé très avant, ça fait longtemps que je me dis que je dois le faire – étrangement, je ne me sens pas chez moi, alors que j'aime beaucoup sa musique de chambre et une large part de sa musique symphonique (mais pas beaucoup la mélodie ni l'opéra).

Merci pour ces pistes !

16. Le vendredi 25 avril 2014 à , par Palimpseste

Ravel

Ah ben cette notule aura déjà eu une vertu majeure: me rappeler à quel point j'aimais Miroirs. J'avais loué un CD il y a au moins sept ans et ça m'avait totalement fasciné. Puis j'étais passé à ses oeuvres orchestrales et là, grosse déception. Je ne sais pas pourquoi mais je n'y ai jamais accroché pleinement (idem avec la musique de chambre d'ailleurs, trio mis à part). De fil en aiguille, j'ai fini mettre ces pages dans le même placard alors que c'est si beau. Je vais me procurer ça très vite. Le disque de Chiu a aussi les Decaux, en voilà une belle piste. Sinon, Rogé? Tharaud? Collard?

Koechlin

Tu as vu juste pour Les Heures Persanes: la version piano est plus tranchante (toutes proportions gardées, hein, ça reste du Koechlin...) et on évite la joliesse torpide qui avait fini par me lasser à l'orchestre.

L'Ancienne Maison de Campagne est une fameuse surprise par ailleurs. C'est vraiment à un Koechlin différent qu'on a affaire là. Il délaisse un peu ses longs empilements capiteux pour un discours plus linéaire, presque classique et c'est vraiment bien.

Bon, bon, Decaux et Dupont maintenant.



17. Le vendredi 25 avril 2014 à , par lu—

DavidLeMarrec :
(...) bien au contraire, les collections de bluettes à titre, il y en a des cartons (...) mais c'est un peu éloigné dans le temps et le style.

en fait je suis entièrement d’accord, commencer la liste plus tôt n’aurait pas de sens ; c’est simplement la sensation Dupont est le premier qui me dérangeait un peu.

18. Le vendredi 25 avril 2014 à , par Ugolino le profond

"Rogé? Tharaud? Collard?"
C'est joué aussi par des pianistes sérieux.

19. Le vendredi 25 avril 2014 à , par Palimpseste

Ugolino le ronchon :
"Rogé? Tharaud? Collard?"
C'est joué aussi par des pianistes sérieux.



Des noms, des noms!

20. Le vendredi 25 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

@ Palimpseste

Très content de lire ce double retour sur Koechlin ! Effectivement, la Maison regarde vers une forme d'épure, on peut presque parler de classicisme, c'est vrai.

J'écoute très rarement le piano de Ravel, à part les Miroirs, précisément – et quelquefois Gaspard, pour me convaincre que, non, décidément, ça ne me touche pas beaucoup. (D'ailleurs je voulais mettre Gaspard dans la liste, je m'aperçois que je ne l'ai pas fait.) Autant pour Debussy (qui n'est pas forcément mon secteur de prédilection pour autant), j'aurais des recommandations fondées un minimum sur l'écoute de la discographie, autant pour Ravel, je ne peux pas beaucoup plus que mentionner mes propres habitudes d'écoute.

Donc, pour ma part, j'aime beaucoup Bavouzet chez Gold MDG : tous les doigts qu'il faut, mais avec énormément de détachement et de sobriété. Par ailleurs, Gold MDG a l'avantage de prises de son très naturelles qui sont particulièrement agréables pour le répertoire avec piano.

Pour Rogé, si j'en juge par le répertoire similaire qu'il a enregistré (Debussy ou Poulenc, par exemple), c'est une valeur sûre, mais à mon avis Bavouzet sera plus intéressant. Concernant Tharaud, c'est un peu rond pour mon goût dans ce répertoire : Ravel est déjà naturellement flatteur, autant avoir quelque de chose de tranchant, sans trop de concession au joli.
Quel(le) Collard ? Si c'est Jean-Philippe, je serais très tenté en effet.

21. Le vendredi 25 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

Ah oui, et puis pour Chiu, je n'ai tout simplement écouté que le Decaux sur le disque, donc je ne peux pas dire. Mais pourquoi pas, ça fait une bonne version de Decaux et sans doute (vu l'aspect très ravélien du quatrième Clair) une bonne de Ravel.

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@ Lu— :

Quand je disais premier, c'était par rapport à la structure progressive moins évidente chez les prédécesseurs (davantage des vignettes autour d'un thème commun). Mais effectivement, on pourrait y opposer les Âges et les Mois d'Alkan. Et peut-être d'autres, mais je me contente de parler de ce qu'on peut écouter au disque, sinon la tâche serait immense (et frustrante).

22. Le vendredi 25 avril 2014 à , par lu—

DavidLeMarrec :
(D'ailleurs je voulais mettre Gaspard dans la liste, je m'aperçois que je ne l'ai pas fait.)

vraiment ? :þ

23. Le vendredi 25 avril 2014 à , par lu—

bien ;

(je reprends la liste, même si j’aimerais y ajouter Roussel — qui moi aussi me laisse un peu froid — et surtout Vierne.)

Florent Schmitt, Les Crépuscules
un cycle que j’aime beaucoup, mais qui je ne sais pas trop pourquoi ne me convainc pas entièrement.

Reynaldo Hahn, Le Rossignol Éperdu
comme je le disais aux goblin awards piano, je suis assez sceptique, et je cherche toujours l’énormément d’aspects et de techniques différents. mais soit.

Abel Decaux, Clairs de lune
vraiment magnifique, du début à la fin. des passages très modernes et d’autres dans la tradition. j’aime surtout les deux premières pièces, qui je trouve s’enchainent remarquablement.

Gabriel Dupont, Les Heures dolentes
très séduit à la découverte, progressivement déçu par la suite. il m’a finalement semblé que l’œuvre ne m’intéressait que pour la treizième pièce, si bien que cela fait longtemps que je n’ai pas écouté les autres ; à faire.

Claude Debussy, Images
je ressens bien le talent et l’intérêt, mais je crains que cela ne me parle que peu.

Maurice Ravel, Miroirs
mmh…

Désiré-Émile Inghelbrecht, La Nursery
le (très) peu que j’ai entendu ne m’attire guère.

Maurice Ravel, Gaspard de la nuit
Ravel me séduit toujours peu, mais cette œuvre (probablement celle que je préfère du compositeur) m’intéresse quand même, surtout pour Scarbo.

Gabriel Dupont, La Maison dans les dunes
peu écouté ; moins aimé que son premier cycle.

Claude Debussy, Préludes
je ne sais toujours pas quoi penser des Préludes… certains me transportent, j’en aime quelques-uns modérément et d’autres me paraissent absolument fades et plats.

Paul Le Flem, Sept prières enfantines
un vague souvenir, pas vraiment positif.

Florent Schmitt, Les Ombres
il faudrait que je réécoute pour en dire plus, mais j’aimais moins que les Crépuscules.

Charles Koechlin, Les Heures persanes
sublime.

Charles Koechlin, Paysages et Marines
toujours pas écouté.

Gustave Samazeuilh, Le Chant de la Mer
bah, je ne sais pas.

Charles Tournemire, Préludes-poèmes
que dire ! que dire !

Charles Koechlin, L’Ancienne Maison de campagne
j’aime un peu moins que les Heures, mais il y a des choses vraiment remarquables.

Georges Migot, Le Zodiaque
je ne sais plus si j’ai écouté, ce qui n’est pas bon signe si c’est le cas.

24. Le vendredi 25 avril 2014 à , par lu—

ah, et je voulais ajouter que les trois cycles que je préférais étaient sans aucun doute, dans un ordre indéterminé : les Clairs de lune, les Heures persanes et les Préludes-poèmes. :)

25. Le vendredi 25 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

Si je devais absolument n'en garder que trois, ce seraient probablement ceux-là. |:-o

Effectivement, il y a bien Gaspard, mais je me suis dispensé de l'introduire, il y a suffisamment de glose là-dessus pour ne pas me mettre en peine. Déjà que j'étais censé me contenter de dire « allez voir Dupont, c'est bien »...

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Sur tes commentaires.

Schmitt manque peut-être, surtout si on l'écoute à proximité des autres, d'une couleur très spécifique, de quelque chose qui le singularise, alors qu'on entend de l'excellente musique, peut-être insuffisamment incarnée. Très peu mélodique/thématique aussi, sans être aussi évocateur que Decaux ou Debussy.

Je partage un peu ton impression sur les Heures dolentes de Dupont : ça devient particulièrement intéressant dans les délires nocturnes, si bien que je me limite souvent, moi aussi, à ces épisodes-là, qui font vraiment le sel du cycle.

Inghelbrecht n'est clairement pas pour toi, mais ça parle à ma veine populaire... le premier disque de ballades de Dumestre a tourné en boucle chez moi, je consomme avec gourmandise du fado, du musical ou des chants occitants. Ça parle plutôt à cette veine-là qu'à ma veine Notations-de-Boulez, très clairement.
Pareil, Le Flem, Migot et Samazeuilh sont sans doute trop gentils pour toi. Ils sont moins importants aussi, même si j'aime beaucoup ces Le Flem personnellement.

26. Le vendredi 25 avril 2014 à , par lu—

DavidLeMarrec :
Si je devais absolument n'en garder que trois, ce seraient probablement ceux-là. |:-o

tu as vu un peu comme j’ai bon gout ? :p

DavidLeMarrec :
chants occitans

qui sait... *siffle*

27. Le vendredi 25 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

Que semiam sus la nosta tèrra, mainats que cantan e tot que viu !

Pas sûr que me choisir comme étalon du bon goût soit le meilleur placement d'avenir, mais admettons.

28. Le samedi 26 avril 2014 à , par lu—

Au fait, à propos de Decaux, personne ne pense à remettre en cause les dates d’écriture ? Est-ce qu’un professeur peut écrire une pièce radicalement moderne, la laisser trainer dans une armoire et la publier 13 ans plus tard, sans toucher à une seule note ? J’ai vraiment du mal à y croire, je dois dire.
Le cycle reste remarquable si écrit en 1913, mais...

D’une manière générale, je suis toujours étonné de la quasi absence de questions de ce type en musique. Ou bien la philologie de la musique est-elle si obscure qu’elle opère à ce point à l’abri des regards ?
Ouvrez n’importe quel roman dans une édition à peu près correcte, vous trouvez des centaines de variantes en notes. Une œuvre n’est pas unique, elle existe dans des dizaines de versions, plus ou moins validées par l’auteur, à des moments plus ou moins éloignés, parce que la plupart des écrivains passent leur temps à modifier et réaménager leurs écrits, au moins à chaque édition. L’éditeur doit comparer, choisir, corriger, etc. Il est face à des problèmes insolubles : la version d’une œuvre qui a marqué les esprits, qui a peut-être révolutionné la littérature — celle dont il parle dans sa préface —, c’est la première ; mais pour respecter l’auteur il devrait prendre la dernière voulue par ce dernier, etc.

La musique échapperait-elle à tout cela ?
On enregistre la Concord de Ives (et on lui donne une date canonique) ; bien, mais laquelle ? On enregistre les Clairs de lune...
C’est la même chose avec mes modestes recherches sur les précurseurs du dodécaphonisme. Bien souvent les auteurs qui en parlent sont si contents de leur découverte qu’ils en oublient de se demander si Golyscheff a bien composé son trio en 1914, si Hauer a commencé ses recherches aussi tôt qu’il ne le prétend, etc.
Il est en effet plus gratifiant de croire, mais...

29. Le samedi 26 avril 2014 à , par Ugolino le profond

Lu-, ces questions existent pourtant bel et bien. Il y a de nombreuses éditions critiques des partitions. Et les questions philologiques s'imposent de plus en plus à mesure que l'on recule dans le temps (ce qui est la même chose en littérature d'ailleurs : l'exemple que tu donnes des "dizaines de versions" n'est pas vraiment valable pour les œuvres du XXème siècle). Après, il faut qu'un musicologue ait la volonté et le temps de se pencher sur une question de ce type comme le cas de quelqu'un comme Decaux (et j'ai tendance à me poser la question aussi ici).

L'exemple de Ives est pertinent, car il y a eu une polémique lancée à la fin des années 80 par un universitaire américain qui prétendait que toutes les dates "officielles" (données par Ives, mais 30 ans après la composition des oeuvres) étaient fausses, et que les oeuvres avaient été écrites bien plus tard qu'il ne l'avait prétendu (et que c'était un imposteur).
D'autres musicologues ont répondu (même si la thèse était fondée sur du vent dès le départ), en reprenant les manuscrits, réajustant légèrement les dates d'Ives et confirmant la période (la majeure partie de son oeuvre est écrite entre 1907 et 1919).
Depuis, il y a eu de nouvelles éditions critiques des partitions et une mise à jour régulière du catalogue de James Sinclair, qui est aujourd'hui quasi-intégralement crédible.

Cependant, pour la Concord, il n'y a jamais eu de doute sur la date : c'est la seule partition avec les 114 songs publiée à l'époque de l'écriture, en janvier 1921, mais donnée à l'éditeur début 1920, ce qui place l'écriture de l'oeuvre au plus tard en 1919 (et la date officielle est 1916-1919). Il y a eu une deuxième édition révisée en 1947, mais les changements opérés par Ives sont mineurs.

30. Le samedi 26 avril 2014 à , par Ugolino le profond

"Des noms, des noms!"

Je ne goûte que peu Ravel, mais dans Miroirs, Marcelle Meyer me paraît d'une toute autre trempe que les autres cités. Sous ses doigts, cette oeuvre serait presque belle (et les oiseaux y sont vraiment tristes, au moins).

31. Le samedi 26 avril 2014 à , par lu—

Ugolino :
Lu-, ces questions existent pourtant bel et bien. Il y a de nombreuses éditions critiques des partitions.


Oui, je me doute qu’elles existent. :/
C’est la question des dates qui m’étonne ; j’ai l’impression (d’auditeur moyen — et pas de lecteur — et qui ne demande qu’à être infirmée, comme dit l’expression consacrée), qu’on se contente souvent de prendre la date la plus ancienne que l’on peut trouver, sans se poser de questions.
Si j’ai pris l’exemple d’Ives, c’est aussi par rapport à la multitude de dates qu’on peut trouver, entre les œuvres antérieures (Emerson, etc.), les esquisses, la longue composition, les improvisations, les différentes éditions, les révisions, etc.

32. Le samedi 26 avril 2014 à , par Ugolino le profond

Mais Ives est un cas particulier parce que ses oeuvres n'ont pas été publiées à l'époque de leur composition, et qu'en plus son processus de composition était particulièrement tortueux. Pour la plupart des compositeurs, en dehors de leurs oeuvres de jeunesse, l'oeuvre est publiée dans la continuité de l'écriture. La date de première publication constitue généralement un bon indicateur de la date d'écriture de l'oeuvre.

33. Le samedi 26 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

La date de publication donne au moins la date après laquelle l'œuvre n'a pas pu être écrite, c'est déjà un bon début.

Sinon, difficile de répondre dans l'absolue, mais selon l'organisation des fonds, il doit être possible de confirmer les dates avec un peu de méthode, de génétique textuelle élémentaire, ou tout simplement ou lisant le courrier. Si Decaux parle en 1900 à sa grande-tante de « Minuit passe » qu'il a écrit la veille, on peut raisonnablement supposer que ce n'était pas une bluette dans le goût de Dubois à laquelle il aurait substitué un travail d'avant-garde en 1913.

Mais tu as raison de soulever ce lièvre : en musicologie, les auteurs qui s'adressent au grand public se recopient beaucoup entre eux, sans vérifier à la source, bien souvent. Et vu que les originaux de Decaux ne doivent pas être très accessibles (il existe une thèse en anglais où il doit en être question, mais je n'ai pas encore pu me la procurer), on peut soupçonner que les notices de disques reproduisent la date de l'éditeur.
En plus, effectivement, la date profite à tout le monde, parce que tout le monde a envie d'être émerveillé.

Ça n'empêche pas que c'est un cycle extraordinaire (je n'ai découvert la date qu'en ouvrant la partition, donc après ma découverte, et c'était déjà saisissant), mais ça changerait un peu les perspectives historiques, en effet.

D'une manière plus générale, avec l' « histoire-bataille » telle qu'elle est pratiquée dans les ouvrages généraux sur la musique (centrée autour des « grands compositeurs », plus que des usages et faits musicaux), on n'a pas vraiment accès aux détails de la naissance et de l'imposition des nouvelles esthétiques. Il faut aller chercher, au coup par coup, dans les ouvrages plus spécialisés pour trouver des réponses. Ou parcourir les partitions de tout ce qui était programmé dans la période, par soi-même. [Mais ça devient vraiment compliqué lorsque les œuvres sont encore sous droits et les langages musicaux disparates et complexes.]

34. Le mardi 25 novembre 2014 à , par Palimpseste

Salut David,

Petit retour sur cette excellente discussion à l'occasion de ma toute fraiche découverte des Crépuscules de Schmitt.

De la très belle musique, assurément dans laquelle j'entends des ornements proches de ceux de Decaux et un monde sonore pas éloigné de celui de Koechlin bien que le tout sonne quand même personnel. J'ai une faiblesse pour ces climats, et ces titres qu'on dirait extraits de poèmes symbolistes croisés dans une anthologie scolaire puis à demi-oubliés, même si comme lu- je garde un léger goût de trop peu.

35. Le mardi 25 novembre 2014 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir !

De trop peu… de quantité ? Parce que sinon, je ne vois pas ce qui manque… pas aussi prégnant que les Clairs de lune de Decaux ou les Préludes de Debussy, certes (encore que j'aime davantage que les Debussy !), mais à quel niveau se situerait le « trop peu » ?

36. Le mercredi 26 novembre 2014 à , par Palimpseste

J'ai trouvé ça moins coloré que Decaux ou Koechlin (et ne parlons pas de Ravel), plutôt dans des camaïeux ocre-gris.

Mais ça a indéniablement du charme, peut-être ai-je exprimé cette réserve d'une façon qui l'a fait paraître plus problématique qu'elle ne l'est vraiment.

Bref, pour clarifier: je compte bien me remettre ces Crépuscules car ils continuent de me trotter en tête depuis hier et ce genre d'atmosphères me plaît. Je ne les vois pas s'imposer avec évidence dès la première écoute, c'est tout.

37. Le mercredi 26 novembre 2014 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Palimpseste !

Ah oui, indéniablement, c'est moins typé que ceux que tu cites, et les couleurs beaucoup moins franches, effectivement blotties dans des replis de gris. C'est justement ce qui en fait le charme, je crois : une musique à l'abord plein de modestie, et qui échappe peut-être à l'évidence première, comme tu le dis.

Content que ça t'occupe plaisamment, en tout cas.

38. Le dimanche 17 janvier 2016 à , par David Le Marrec

Deux nouvelles parutions majeures de Joseph-Guy Ropartz (Dans l'ombre de la montagne, Un prélude dominical et six pièces à danser pour chaque jour de la semaine) et surtout Antoine Mariotte (Impressions urbaines, Kakémonos) viennent d'être disponibles. Commentées .

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