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mercredi 17 décembre 2014

Et le coq chanta


Spectacle syncrétique à partir des deux plus célèbres Passions de Bach, mis en scène par Alexandra Lacroix et dirigé musicalement par Christophe Grapperon (le chef de la compagnie spécialisée Les Brigands).

Principe scénique : entrelacer le récit de la Passion et une autre histoire indépendante, celle d'un dîner de famille — principe à la mode chez des metteurs en scène comme Warlikowski ou Tcherniakov, qui racontent volontiers une histoire parallèle à partir d'éléments de l'original. Au début séduisant (la famille, le long d'une table rectangulaire, redit les paroles de la Cène en la mimant quasiment), quelques belles images (le mausolée « infernal » de la seconde partie), mais rapidement, le propos devient moins intelligible et le visuel ne se renouvelle plus. On rencontre ainsi de multiples fois (avant ou après le procès) le récit du reniement de Pierre, à peine la crucifixion (hors de λαμα σαβαχθανι) et le spectacle, bien que s'achevant sur le chœur final de la Saint-Jean, ne se conclut pas réellement du point de vue dramatique.
Le moment le plus réussi est probablement le récit du jugement de Jésus fait sur un ton d'ivrogne des rues par Simon Pitaqaj : cela paraît inutilement tapageur sur le principe, mais s'incarne avec tellement de précision (jusqu'aux appuis gutturaux exagérés et aux consonnes qui passent mal dans les bouches empâtées) qu'il y a là quelque chose qui touche à l'exaltation (du conte ?) et plus du tout à l'irrévérence.


Principe musical : les musiques de Bach interviennent par touches, a cappella, ou accompagnées par des instrumentistes (multiples ou isolés) qui chantent les chorals et jouent la comédie sur scène, en plus des cinq chanteurs et des deux comédiens (qui disent des extraits des textes, traduits en français). À deux ou trois exceptions près (dont l'inévitable « Erbarme dich »), les airs ne sont pas chantés avec da capo, mais simplement esquissés, un bout de mélodie (avec ou sans parole) glissant furtivement çà ou là. Tous les aspects des Passions alternent : récit, scènes chorales dramatiques, airs, airs accompagnés de chœurs, chorals, sous des formes fragmentées, parfois sans instruments, ou sans voix, pas forcément avec toutes les parties, etc. C'est ce qui a motivé mon déplacement, à vrai dire : cette évocation par vignettes distordues met assez bien en valeur la grâce que l'on n'entend plus aussi nettement, au sein d'exécutions léchées, homogènes, prévues pour le concert.


¶ Autre intérêt majeur, la distribution formidable. Soprano charnu d'Aurore Bucher, contre-ténor puissant de Théophile Alexandre (la voix peu paraître aigre au début, mais elle parcourt l'espace avec une intensité que je n'avais jamais entendu pour ce type de voix, même chez les grands noms), ténor prometteur de François Rougier (quelques difficultés d'intonation dans les récits de l'Évangéliste mis à nu, mais c'est le dispositif qui veut ça, sans partition, en jouant la comédie, presque pas accompagné et dans des parties un peu sinueuses – ça passera avec l'expérience), les retrouvailles tant attendues avec la facilité ferme, limpide et légèrement mixée de Mathieu Dubroca (on en parlait en 2006 sur CSS, lorsqu'il faisait ses premiers solos publics pour compléter des productions de théâtre !), Pilate charismatique comme peu, et Matthieu Lécroart, vrai baryton pourtant (mais dont l'assise s'est développée au fil des années), plein d'autorité, pour ne pas dire glorieux, dans ces airs et plus encore ses récits de basse (Jésus) – belle composition scénique également.
Si la qualité de l'allemand est assez moyen (mais on ne peut pas tout exiger simultanément !), les six musiciens (hautbois, violon, alto, violoncelle, contrebasse, clavecin-orgue) sont remarquables, inscrit dans l'esthétique à la mode du jeu staccato, avec des espaces entre les notes, qui donnent encore plus d'aise intimiste à l'ensemble.

David Le Marrec

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