Philharmonie de Paris : inauguration baroque
Par DavidLeMarrec, samedi 17 janvier 2015 à :: Saison 2014-2015 - Intendance :: #2608 :: rss
Ayant été quasiment menacé physiquement par plusieurs lecteurs, je suis obligé de sacrifier à une présentation de la nouvelle salle, alors même que tout a été écrit, et avec plus de faits comme de perspective (voir par exemple les dossiers du Monde, de Mediapart, de L'Œil…).
Et puis je dirai un mot de la troisième soirée d'ouverture, avec les tubes baroques français de Charpentier, Mondonville et Rameau par les Arts Florissants.
Sur le concept du projet lui-même, sur les logiques et biais tarifaires et programmatiques, voir les notules correspondantes.
1. Aspect extérieur
Vu la localisation reculée au bout d'une esplanade, pas vraiment visible à moins de s'approcher, on s'en moque un peu. Personnellement, je trouve ça vraiment moche de près : les oiseaux sont difficilement visibles, et même sous le porche, donnent l'impression d'un bâtiment qui aurait mal vieilli, avec ses taches d'humidité sur le haut des murs. De loin, sa masse anthracite esseulée semble mollement affaissée au fond d'une allée déserte. La verrière, plus réussie, évoque davantage un cocon d'insecte de science-fiction (ce qui ne donne pas forcément davantage envie d'entrer, mais a au moins un début d'allure).
Sans parler des horribles escalators extérieurs dont le gris standard n'est absolument pas harmonisé avec le reste.
2. Accueil et climat
En forme d'aéroport (une dizaine de portiques de sécurité), mais avec l'avantage énorme que par la suite, personne ne vous gêne avec les sacs (les vestiaires sont nombreux, mais vous pouvez emporter ce que vous voulez en salle — peut-être pas les poches sacs plastiques, je n'ai pas demandé). L'entrée est donc un rien contraignante, mais on se sent assez libre ensuite.
Par ailleurs, le personnel (totalement renouvelé par rapport à Pleyel) reste charmant, sécurité incluse. Malgré la fièvre de l'inauguration et la sensation des menaces, pas du tout le sentiment d'entrer dans une maison de paranoïaques comme chez Radio-France.
Le hall d'entrée est assez étroit du fait des travaux, et pour l'instant aucun mobilier n'est installé (il faut dire que les salons sont encore des champs de bataille et que les plafonds accusent encore des béances). Visuellement, il n'y a de toute façon rien à voir dans les communs, avec leur esthétique Damoclès : une multitude de lames métalliques, plantées assez près des têtes, tiennent lieu de plafond.
En revanche, ce qui est frappant, c'est qu'alors que la salle est pleine (et qu'on peut supposer que les gens avaient envie de déambuler dans les coursives pour tout découvrir) :
¶ la moquette absorbe extraordinairement les sons, l'atmosphère hors de la salle est remarquablement apaisante, même quelques minutes avant la reprise ;
¶ la largeur des espaces de circulation permet à la salle de se remplir et de se vider en un instant ;
¶ malgré les 2500 personnes présentes, les couloirs paraissent vides ! C'en est presque troublant, mais très agréable, rien à voir avec les foules habituelles, même dans les larges maisons comme Bastille. Le mobilier occupera sans doute un peu de place, mais l'impression générale est très rassérénante, loin de la ruche habituelle.
3. Atmosphère de la salle de spectacle
À l'intérieur, tout le monde l'a dit, c'est assez beau. Les balcons paraissent beaucoup moins suspendus que sur les photos (ce sont en réalité les jolis réflecteurs courbes qui pendent du plafond). Trois couleurs dominantes, le noir autour et derrière la scène (un peu sinistre, mais cela rehausse la visibilité), le blanc (majoritairement) sur les côtés, alternant avec une sorte de vieil or (plutôt derrière). L'effet produit a un côté Villa Arpel (voire restau tendance des années 70…), mais les groupes asymétriques de balcons ont du charme — quelque chose qui occupe la vue, c'est important aussi, pour une salle de spectacle.
Ce qui est plus important, c'est l'atmosphère lumineuse : on y voit très bien pour suivre les textes, mais les ambiances sont très douces (légèrement teintées de jaune clair), rien à voir avec l'ambiance ampoule sans abat-jour de Pleyel, et habilement évolutives (enfin, pas pendant la musique, hein… mais apparemment il y a tout ce qu'il faut pour jouer du Scriabine !). Très apaisant, sans être la pénombre, ni le plein jour assez peu solennel.
(LÃ encore, prends-en de la graine, Radio-France.)
Autre détail qui n'en est pas un : même du fond de la salle, on respire bien (alors qu'à Pleyel, la chaleur est étouffante).
En revanche, comme on laisse entrer les gens avec dix minutes de retard (pour un spectacle qui a déjà débuté avec cinq minutes de délai), forcément, on a du passage tout le temps si on est près des allées.
4. Acoustique
À défaut d'être convaincu de la nécessité du projet, je me disais que si ce n'était plus mal acoustiquement qu'à Pleyel, c'est-à -dire respectable sans être excellent, ce serait déjà pas mal : car le nouveau joujou nous durera quelques décennies tout de même.
Je suis pas forcément plus persuadé de la nécessité absolue d'un tel projet, mais force est de constater que le joujou est un très beau joujou.
Les Arts Florissants étaient en grande formation (quatre flûtes, sept violoncelles, deux contrebasses…), et quoique sur instruemnts naturels, pas du tout perdus dans le grand espace. Car l'acoustique en est surprenante, mais uniquement de façon positive :
¶ le son est précis, mettant en particulier les vents en valeur (les cordes sonnent plus lointaines, mais restent très audibles) ;
¶ l'acoustique flatte les graves, très beaux et ronds, mais sans les gonfler ni déborder sur le reste du spectre : au contraire, ils sont très nets et précis et donnent une belle assise à l'ensemble ;
¶ des détails d'ordinaire inaudibles dans de petites salles passées le dizième rang (contrechants d'archiluth et de clavecin) sont parfaitement intelligibles, même dans les tutti — et sans déséquilibre spectral, simplement on les entend alors que leurs harmoniques et leur faible puissance devraient normalement être largement couvertes… ;
¶ les moments intimistes (même l'archiluth solo osé à la fin du quatuor « Tendre amour ») passent la rampe sans difficulté ;
¶ on ne pouvait évidemment pas tester le maximum sonore et le rapport à la saturation dans un tel programme, mais on remarque dans le même temps l'orchestre et les voix baignent dans une légère réverbération agréable, qui donne de l'ampleur et de la vie au son.
Un peu comme si la salle s'adaptait, et se retenait de réverbérer pour les soli, puis donnait un peu de fondu dans les tutti. Détail minutieux et fondu ample, on peut vraiment parler de quadrature du cercle.
Je suppose que les réflecteurs suspendus concentrent le contour des détails, tandis que l'espace laissé derrière les balcons (qui sont légèrement séparés de l'entrée par une rampe) donne la possibilité aux sons les plus puissants d'être légèrement renvoyés. En tout cas, c'est une réussite impressionnante, et très conforme à ce qui avait été promis : ce n'est pas tous les jours où l'on planifie une acoustique avec succès !
5. Allons donc… tout ne peut pas être parfait ?
On verra ensuite à l'usage selon les placements (de face et tout au fond, j'avais sans doute une des meilleures places de la salle, du point de vue sonore), en particulier l'équilibre sur les côtés et le relatif étouffement dans les balcons inférieurs, mais il y a tout de même beaucoup de volume entre les encorbellements, et des réflecteurs partout… je suis assez peu alarmé de ce côté-là .
Seul début de réserve, j'ai eu l'impression (fugace) dans la première partie d'un son qui pouvait devenir légèrement sourd, légèrement voilé ou grisé. C'était peut-être mon oreille qui s'ajustait, mais même si cela s'avérait plus systématique, ça resterait l'une des acoustiques les plus remarquables que j'aie entendues — en tout cas pour une salle vaste : bien sûr que ce n'est pas aussi physique et touchant que la salle Cortot ou l'église des Billettes (encore qu'on y entende mieux l'archiluth !), ni le même profil qu'une salle de taille moyenne comme le Théâtre des Champs-Élysées, où le son est plus direct. À l'échelle de Paris, très supérieur à Radio-France et Pleyel… moins naturel que Bastille (pour les concerts, le son de Bastille est extrêmement « honnête », au meilleur sens du terme : aucun biais !), mais on y entend mieux les voix (hé oui, hé las).
Ce sont les voix qui sont le moins bien servies : pour des formats baroques, le son reste un rien lointain. Mais pour les voix les mieux projetées (et le chœur), c'est vraiment irréprochable et tout à fait confortable. On n'y fera pas du lied avec Bostridge ou Padmore, mais avec Röschmann ou Goerne, ça reste complètement justifié, surtout vu la qualité de détail que permet la salle.
Évidemment, la voix était l'instrument le plus directionnel, si la salle est pleine un tiers du public, situé à l'arrière, n'entendra pas bien. Mais est-ce qu'un récital de lied a vocation a remplir davantage qu'à Pleyel ? On devrait, sauf résurrection de Fischer-Dieskau, pouvoir replacer tout le monde plus ou moins de face, vu que la jauge s'est agrandie.
En revanche, pour l'oratorio et l'opéra, c'est un biais considérable sur l'accessibilité en matière de tarif plancher, comme déjà souligné (§6) : le tarif minimum pour voir et entendre le chanteur sera celui de l'avant-dernière catégorie, alors qu'à Pleyel la dernière catégorie faisait très bien l'affaire.
Je ne leur jette pas la pierre : soit on fait une salle où tout le monde est de face (indispensable à l'Opéra, pas forcément au concert), et les derniers rangs ne voient rien et n'entendent rien, avec le risque d'une acoustique un peu hangar si la salle est très grande… sans parler du symbole beaucoup plus criant du rapport riches-pauvres ; soit on fait une salle en rotonde, et mécaniquement, pour certains concerts où il est important d'être de face, il faudra payer plus cher pour voir.
Vu la plus-value sonore, en l'occurrence, je n'ai pas envie de râler, même si ça veut dire payer 20€ au lieu de 10.
Il faudra voir aussi la politique de replacement (très libérale à Pleyel et Bastille, et en général à Paris, où les spectateurs sont très civilements invités à occuper les meilleures places inoccupées) : pour les habitués, si l'on peut changer de balcon et se retrouver de face, ce peut supprimer le problème pour les spectacles les moins courus.
Pour l'heure, j'ai vraiment peine à trouver d'autres défauts que l'arrière-scène et une vague possibilité que l'acoustique ait une légère touche grise par moment.
6. Le programme et les musiciens
Les Arts Florissants jouaient donc le Te Deum de Charpentier (déjà gravé deux ou trois fois, une œuvre où ils excellent par leur clarté, et une ardeur inaccoutumée), In exitu Israel (l'un des meilleurs motets de Mondonville, avec Coeli enarrant et Dominus regnavit) et l'entrée des Sauvages des Indes Galantes de Rameau. Rien que des tubes (du moins à l'échelle du baroque français).
Le choix des voix (je n'avais pas encore entendu la collaboration avec Elliot Madore) confirme le tournant de l'esthétique vocale Christie au milieu des années 2000 : moins de travail sur la déclamation, et des voix plus rondes (ce ne sont plus les petits oiseaux pépiants), émises aussi plus en arrière… Je l'ai déjà déploré, parce qu'il n'y avait que lui qui faisait ce travail de formation (en tout cas d'une qualité aussi audible !) — nourrissant ensuite les représentations de tous les autres ensemble spécialistes.
Néanmoins tout cela était fort bien chanté, bien sûr — et on y entendait d'ailleurs des voix d'esthétiques assez différentes.
Le plus frappant était (mais ce n'est pas un fait neuf), la disproportion entre qualités et célébrités, les deux moins audibles étant précisément les deux réelles vedettes internationales :
¶ Danielle de Niese (outre la diction, car on se doute bien qu'on n'a pas embauché un répétiteur de français pour un bout d'acte de ballet comique) semblait gênée par la tessiture très basse des parties de soprano à la française, et alternait des postures vocales assez différentes, tantôt légère, tantôt plus hululante et grise (comme si elle voulait chanter quelque chose de plus large). Il est vrai que ces tessitures sont véritable piégeuses, de surcroît pour être entendue dans une grande salle.
Dans le cadre de festivités, embaucher une célébrité aussi douée comme actrice n'était pas du tout absurde, même si une spécialiste aurait fait mieux.
¶ Laurent Naouri était le seul qu'on n'entendait pas très bien. Depuis son changement de technique (au début-milieu des années 2000, lui aussi !), la voix est placée tout en gorge, si bien qu'elle ne résonne plus guère à l'intérieur. Même dans de petits espaces, la voix ne sonne plus très bien. Je ne l'ai pas entendu en chair et en os dans ses périodes antérieures, mais il est évident pour moi que le son devait être très bien projeté, de façon franche, et justifier par la même occasion sa célébrité (en plus de ses qualités d'incarnation).
Il déclarait à l'occasion de ce changement qu'il était content d'enfin de se sentir totalement maître de son instrument, mais je crois que les résonances intérieures qu'il perçoit l'ont un peu abusé : il a beaucoup abandonné en éclat et en intelligibilité.
Au contraire, la sensation vocale de la soirée a été Marcel Beekman, finement focalisé, capable de murmures qui fendent l'espace. Il lui reste encore à travailler sur le style (recyclant des effets peu élégants qu'on ne peut guère utiliser en dehors de Platée…), mais vocalement, cela montre combien il y a à gagner à chercher les espaces avant de l'appareil phonatoire… Et, au passage, cela démontrait toute la qualité acoustique de la salle pour des voix bien projetées.
Katherine Watson et Marc Mauillon étaient superbes (c'est toujours le cas, à quoi bon insister ?), et le chœur des Arts Flo s'en est donné à cœur joie, chantant à pleins poumons, ce qui est inhabituel — le style de la maison est même un rien corseté, d'ordinaire. Et c'était impressionnant.
Six trompettistes par couples (chacun avec un timbalier) pour procurer des effets de spatialisation dans les grands ensembles.
Comble du luxe, Thomas Dunford et Béatrice Martin (qui introduisait de subtils échos aux appuis suggérés par la mesure dans ses réalisations, au sein d'une soirée où elle moins eu l'occasion d'exercer son inventivité… la troisième école s'y prête moins) au continuo.
7. Trois bis
… incluant le quatuor « Tendre amour » de l'acte persan des Indes galantes, chanté par le chœur — ce qui est vraiment périlleux vu la netteté des lignes et l'unité d'articulation demandées (c'est écrit pour quatre solistes). Contrairement aux exécutions données en novembre, c'était assez réussi (notamment le joli agrégat sur lequel culmine le morceau, très net).
Et un pot-pourri baroque sur le texte de « Joyeux anniversaire » offert à Bill Christie. Le public français étant musicalement timide, il a applaudi en couvrant la fin plutôt que d'entonner à son tour le chant, mais c'était un moment émouvant, en voyant Emmanuelle de Negri (absente du concert) entrer pendant ces dernières mesures, poussant un grand gâteau pyrotechnique.
En somme, à défaut de pouvoir dire quelque chose d'intéressant, je puis transmettre le message que tout le monde semblait bien content. Ce n'est pas tous les jours, thésaurisons ces instants.
Commentaires
1. Le samedi 17 janvier 2015 à , par Xavier
2. Le samedi 17 janvier 2015 à , par DavidLeMarrec
3. Le samedi 17 janvier 2015 à , par DavidLeMarrec
4. Le samedi 17 janvier 2015 à , par Faust
5. Le dimanche 18 janvier 2015 à , par DavidLeMarrec
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