Répertoire à l'Opéra de Paris — Saison 2015-2016 : grand répertoire, Regietheater et glottophilie
Par DavidLeMarrec, mercredi 4 février 2015 à :: Saison 2015-2016 - Saison 2014-2015 :: #2620 :: rss
Cette année, pas de fuite majeure (même si les glottophiles les plus acharnés auront forcément déjà reconstitué la saison en écumant un à un les agendas d'artistes lyriques)… mais un dévoilement toujours plus tôt de la saison. C'était aujourd'hui. Le site n'est pas encore mis à jour, mais la programmation d'opéra complète, avec les dates et les distributions, est déjà proposée sur l'excellent site de données (francophone, malgré les apparences) Opera Online (sorte d'Operabase un peu moins exhaustif mais un peu plus disert).
En bas de la page, on peut accéder à tous les titres mis en scène et à leur détail. Le ballet et les concerts restent à publier, et devraient être accessibles dans la journée sur le site de l'institution.
C'est peut-être simplement encore une saison de transition (forcément un certain nombre de reprises), mais on peut y percevoir quelques tendances fortes.
¶ Deux véritables raretés :
— Moses und Aron de Schönberg, d'abord promis à Chéreau, et finalement dévolu à Castellucci en raison du déménagement extrastellaire du premier. Double radicalité, puisque l'audace du metteur en scène devra s'appliquer à l'une des œuvres les plus monumentales du répertoire (en nombre d'exécutants comme en nombre d'informations musicales), mais aussi parmi les plus difficiles. Une œuvre maniant à la fois le sérialisme et le sprechgesang. Schönberg est l'un des rares à pouvoir en tirer un certain lyrisme, de belles couleurs, et même un certain sens dramatique, malgré l'inachèvement (quel sera l'état choisi de la partition ?)… toutefois ce n'est tout de même pas une œuvre particulièrement évidente ou accessible. En faire le début du nouveau mandat et l'associer à un metteur en scène célèbre aussi chez les spectateurs de théâtre devrait aider à ne pas trop malmener la billetterie ;
— Lear d'Aribert Reimann, un opéra dans le goût des années 70, qui a surtout dû à l'implication de Fischer-Dieskau qui en a généreusement fait la promotion… l'œuvre m'a toujours paru très représentative de son époque, cherchant dans une forme aride la profondeur qu'elle ne trouve pas dans la prosodie ou son rapport à la scène. Je tâcherai néanmoins d'essayer si j'ai le temps, peut-être que la scène me fera changer d'avis — néanmoins, ce n'est pas, musicalement, l'esthétique qui renouvellera l'opéra (puisque, précisément, cette esthétique se prête plutôt mal à ce genre-ci).
¶ Probablement à l'Amphithéâtre, une récente création de _Joanna Lee, traduite en français (The Way Back Home devenant Vol retour), interprétée par les solistes de l'Atelier Lyrique. Et puis Iolanta de Tchaïkovski, qui est certes assez peu fréquente, mais semble s'imposer de plus en plus sur les scènes, avec pour point culminant la récente tournée Netrebko (avec à la clef une vidéodiffusion du Met probablement convertie en DVD dans un avenir proche, et un disque tout récemment paru chez DG avec la merveilleuse association Villaume-Philharmonie Slovène. L'œuvre a été donnée il y a deux ans à Pleyel, et ce n'est pas la plus spectaculaire de Tchaïkovski (même si le concept est apparemment de la bidouiller en incluant bouts de Casse-Noisette), j'aurais plutôt aimé qu'on ose enfin l'Enchanteresse… Mais cela reste plutôt un renouvellement dans la programmation.
¶ Pour le reste, uniquement du grand répertoire : Platée (devenu un standard), Don Giovanni, Il Barbiere di Siviglia, L'Elisir d'amore, Rigoletto, La Traviata, Il Trovatore, Die Meisersinger, Madama Butterfly, Der Rosenkavalier, Capriccio, A kékszakállú herceg vára, La voix humaine (ce doit être donné deux fois par an à Paris !). Quasiment que des titres que j'adore, et que je verrais ou reverrais avec plaisir… mais ça ressemble davantage à une saison à l'Opéra de Vienne qu'au modèle généralement plus dépareillé des saisons parisiennes.
À part de l'italien et de l'allemand, quasiment rien — de toute façon, Lissner a prévu, sa programmation ne sera pas « chauvine »… Évidemment, il ne faut surtout pas programmer les titres qu'on est les seuls à posséder dans sa bibliothèque et pour lesquels on dispose du vivier de chanteurs possédant le style et l'aisance linguistique, ce serait quasiment du suprématisme que de montrer aux autres qu'on peut bien faire de l'opéra français.
Mais sinon, indubitablement, que des grandes œuvres.
¶ Le concept semble manifestement de proposer au public les titres qu'il veut entendre, tout en convoquant la fine fleur du Regietheater à succès : Herbert Wernicke, Claus Guth, Calixto Bieito, Àlex Ollé, Alvis Hermanis, Stefan Herheim, Krzysztof Warlikowski, Romeo Castellucci, Dmitri Tcherniakov… tous les noms des metteurs en scène aventureux à la mode, depuis les gentils anthracite comme Wernicke (enfin, ce qu'il en reste) jusqu'aux méchants profanateurs comme Walikowski, Castellucci et Tcherniakov, en passant par des gens inégaux mais plus fins et dotés de leurs grands jours comme Guth, Bieito, Hermanis ou Herheim.
Je n'ai rien contre le Regietheater en vidéo, c'est même souvent stimulant, plutôt que de voir l'œuvre confite dans les mêmes schémas à l'infi, mais j'avoue que lorsque je me déplace, je n'aime pas trop le faire les yeux fermés pour découvrir que, comme pour Król Roger, Warli a décidé que l'œuvre ne l'intéresserait pas et qu'il raconterait autre chose. J'apprécie d'être bousculé, mais quand ça met en valeur l'œuvre (Bieito fait ça très bien dans ses bons jours), pas quand il s'agit de tout refondre dans une sorte de happening théâtral informe… généralement inférieur à l'œuvre de départ. Il est vrai que dans le milieu du théâtre d'où proviennent beaucoup de ces gens, le produit final n'est pas l'œuvre de l'auteur, mais ce qu'on voit sur scène, et il est sûr que ça change tout.
Sauf que dans le cas de l'opéra, le public se déplace tout de même avant tout pour la musique ; une musique dramatisée, certes, mais qu'on ne peut pas malmener impunément. C'est plus délicat à traiter qu'un texte qu'il suffit d'amender, de couper, de réorganiser. Et parfois, se sentant trop à l'étroit, certains sont tentés de tout casser.
Donc, en ce qui me concerne, c'est une demi-bonne nouvelle : de l'ambition scénique est toujours bienvenue, mais vu le défilé de noms à la mode, on peut craindre l'ambition de « faire du théâtre » au détriment du reste.
¶ Mais pour faire bonne mesure, on cherche à faire plaisir au mélomane. Pour chaque titre, que des noms très célèbres, ceux qui passent à la télé en France ou occupent les premiers rôles sur les scènes les plus prestigieuses du monde : Fuchs, Hannigan, Kurzak, Yoncheva, Jaho, Agresta, Dasch, He, Netrebko, Pieczonka, Harteros, Dyka, Moser (Edda !!), Garanča, Gubanova, Semenchuk, Zaremba, Beczala, M. Álvarez, Alagna, Kaufmann, Domingo, Skovhus, Degout, Tézier, Lučić, Finley, Terfel… et plutôt adéquatement utilisés pour une fois, dans des rôles où ils devraient effectivement mettre en valeur leurs qualités — enfin, la Maréchale confiée à l'expressivité bovine de Harteros, heureusement qu'il y aura Kaune en alternance !
Si bien que tout le monde peut être satisfait : ceux qui veulent du théâtre, ceux qui veulent des stars, ceux qui veulent de bonnes voix bien adaptées… Ce ne sera pas le lieu de prise de risque pour de nouveaux talents, mais on en remarque quelques-uns à la marge : Daniel Sindram, Benjamin Bernheim, Simone Piazzola… Plus quelques gens qui font déjà de grandes carrières mais qu'on voit trop peu à Paris : Julia Kleiter, Michael Kaune, Brandon Jovanovich, Martin Gantner dans de premiers rôles.
Même pour les reprises, un soin tout particulier est apporté aux noms apposés sur l'affiche. Très peu de techniciens fragiles, mais aussi très peu de gens obscurs. [J'aurais bien voulu un Faust de Berlioz dans un français châtié avec Antonacci, Bernheim et Duhamel plutôt que Koch-Kaufmann-Terfel, mais force est d'admettre que ça fait quand même très envie.]
En ce qui me concerne ? Dans la mesure où il y a d'autres maisons pour faire des découvertes, et où l'offre est pléthorique dans d'autres domaines qui m'intéressent (avec la fermeture de l'Opéra-Comique et du Châtelet, une saison pour la musique de chambre ?), je ne me plains pas. J'irai sans doute voir les deux raretés Moïse et Lear, plus quelques autres au gré de mes envies : la Damnation, les Maîtres, le Chevalier à la Rose, peut-être le Trouvère… Il sera probablement assez facile d'organiser la saison, vu que si tout fait plus ou moins envie, rien n'est tout à fait incontournable non plus — rien qu'on ne puisse revoir à un autre moment.
Ensuite, sur l'ambition de faire de Paris « la première maison du monde », il manque quand même un brin de quelque chose, ce qui donnerait une personnalité, ce qui permettrait d'entendre des choses qu'on n'entend pas ailleurs. Je ne dis pas qu'il ne faudrait que des voix françaises claires dans des titres français inédits, mais un ou deux par saison, ça ferait probablement la différence, le fait qu'il faut aller à Paris pour entendre quelque chose de différent, et pas un miroir de Vienne, du Met ou de Londres.
Sur le plan des distributions en revanche, il est sûr que c'est du premier choix — qu'il faut sans doute compenser par le remplissage assuré de titres vendeurs, je suppose.
Commentaires
1. Le mercredi 4 février 2015 à , par DavidLeMarrec
2. Le mercredi 4 février 2015 à , par Diablotin :: site
3. Le mercredi 4 février 2015 à , par DavidLeMarrec
4. Le jeudi 5 février 2015 à , par Faust
5. Le jeudi 5 février 2015 à , par Ugolino le profond
6. Le samedi 7 février 2015 à , par DavidLeMarrec
7. Le samedi 7 février 2015 à , par DavidLeMarrec
8. Le samedi 7 février 2015 à , par Ugolino le profond
9. Le dimanche 8 février 2015 à , par DavidLeMarrec
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