Carnets sur sol

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samedi 21 novembre 2015

A. Le Roy, D. Le Blanc, Guédron… airs de cour – Lefilliâtre, Mauillon, Dumestre (Cortot)


Fondé sur le programme de l'album Cœur, déjà loué dans ces pages, un concert à la salle Cortot, dans l'acoustique parfaite pour les programmes intimes (on y voit et entend à la perfection de partout, merci le capitonnage bois !).
Évidemment, le programme était un peu différent, tout n'y figurait pas – et d'autres pièces étaient au contraire incluses, en particulier des Guédron, avec la conclusion adroite « Qu'on ne me parle plus d'amour » et le leste hit « À Paris sur petit pont ».

Au concert, trois détails frappent avec plus d'acuité.

¶ Le travail sur la diversité des accompagnements, témoignant comme toujours d'un soin de premier ordre apporté aux développements / arrangements.
– Quatre violes (du petit soprano à la grande basse), d'une harpe et du petit luth théorbé – je suppose, car Vincent Dumestre était largement tourné vers l'intérieur de la scène, pour diriger l'ensemble, ce qui rendait l'instrument largement invisible et inaudible (au son, on aurait plutôt dit un petit théorbe, mais la forme générale évoque davantage un petit archiluth). À partir de cette base, toutes les configurations sont possibles : a cappella, ou avec telle ou telle partie de l'accompagnement.
– L'air de cour étant par nature l'exploration d'une forme strophique, et le choix fait étant celui de la sobriété des ornements, le renouvellement des accompagnements (outre l'excellence expressive des chanteurs) permettait l'impression d'une progression constante, sans faire sentir le moins du monde la lassitude de la répétition. [Essayez de chanter chez vous les dix strophes musicalement identiques de ces airs, vous verrez si vous n'en percevez pas le ressassement !]

¶ La réalisation du français restitué m'a paru (encore) plus incertaine qu'à l'ordinaire.
– Manifestement sans préparation précise sur la question, les mêmes sons sont aléatoirement réalisés de façon moderne ou classique, et dans une vision très archaïsante (dans le disque Aux Marches du palais, les marins de Surcouf expriment leur « Au trente-et-un du mois d'août » comme des émigrés aristocrates, avec la prononciation pré-révolutionnaire, voire pré-classique !) du français classique, si bien que la cohabitation forme un attelage tout à fait bizarre.
– Il s'agit manifestement avant tout d'apporter une couleur dépaysante, une forme d'étrangeté galante, qui est assez plaisante, certes, mais qui diminue de beaucoup l'intelligibilité du texte. On peut se le permettre vu le niveau exceptionnel de diction des interprètes, mais l'intérêt d'avoir un texte dans sa propre langue chanté par des compatriotes, s'il doit être malaxé selon des règles qui nous sont non seulement assez étrangères, mais mal réalisées, paraît un peu dévalué. Dire que l'un des arguments initiaux du mouvement était d'ajouter à la compréhension du texte grâce à l'articulation des finales muettes ! Autrement dit : je veux bien le concéder au Poème Harmonique vu le profil intransigeant des interprètes-diseurs auxquels il s'associe, mais les autres peuvent vraiment s'en dispenser. [Pour la déclamation parlée, c'est déjà un peu différent, le changement influe aussi sur l'équilibre vocal, plus « chanté », ce qui offre tout simplement d'autres possibilités.]

¶ L'équilibre extraordinaire des chanteurs.
Serge Goubioud et Marc Mauillon, avec leur timbre franc et leur diction immaculée, sont bien sûr tout désignés pour servir ce répertoire. Le renouvellement constant de leur expression permet aux airs strophiques de s'épanouir non seulement dans leur répétition musicale, mais aussi dans leur progression textuelle. Rien ne tombe à plat.
Bruno Le Levreur complète le trio des trois meilleurs spécialistes de ce répertoire aujourd'hui (donc de tous les temps, considérant la sinistrose discographique en la matière), en alto discret mais souple (d'un français excellent rare chez les falsettistes). La plupart du temps, la mélodie principale est tenue par une autre voix que la sienne, même dans les trios masculins, ce qui lui permet de colorer délicatement en laissant la conduite narrative au ténor ou à la basse-taille.
– La voix étrange (très laryngée et pharyngée) de Claire Lefilliâtre a toujours beaucoup d'impact en vrai ; si elle ne s'inscrit absolument pas dans le registre de simplicité et d'émission très antérieure des hommes, elle plane avec une forme de bizarrerie assez charmante (même si le texte, articulé plus en arrière, est moins intelligible). Les petites notes de goût, pas très nombreuses dans ce programme, sont comme toujours suprêmement réalisées.

Et bien sûr, ce qui ne se voit pas au disque mais s'y entend très bien, l'abattage hors du commun de Serge Goubioud et Marc Mauillon. Impressionné également par la capacité de Mélanie Flahaut (aux flûtes également) à exprimer des émotions en contrepoints des chanteurs… avec son basson !  Produire de l'expression fine à la basse est une chose particulièrement délicate, et remarquable ici.

Sinon, j'ai déjà insisté sur la beauté intrinsèque des œuvres retenues et du programme (Ô combien est heureuse d'Adrian Le Roy, Bien qu'un cruel martyre de Guédron…), tout était donc réuni pour un grand concert.

[En revanche, eu le pire voisin de tous les temps : consulte son téléphone pendant la représentation, dirige ostensiblement avec ses mains, croise et décroise ses jambes en faisant crisser au maximum son pantalon de toile, double les lignes de soprano à la basse en grommelant plus ou moins juste dès que tous les chanteurs sont réunis, part dès le début des saluts… et bien sûr se trouvait trop loin et trop absorbé pour percevoir les signes de mécontentement.]

Repassez nous voir, un extrait sonore faisant foi sera adjoint dans le week-end.

Leevi Madetoja (1887-1947) – les trois Symphonies


Comme son compatriote Aarre Merikanto auteur d'un Juha pour la scène, comme son autre compatriote Sibelius à la recherche d'équilibres symphoniques singuliers (avec notamment la part thématique prépondérante des bois, les réminiscences folkloriques, les motifs tournoyants).

Pour m'en tenir aux symphonies dans ces brefs carnets d'écoute, il existe au moins quatre intégrales (assorties d'une généreuse portion, voire de l'intégralité de la musique orchestrale) :

¶ une intégrale par trois chefs (chez Finlandia)
– Leif Segerstam avec la Radio Finlandaise (n°1)
– Paavo Rautio avec le Philharmonique de Tampere (n°2)
– Juka-Pekka Saraste avec la Radio Finlandaise (n°3)
¶ Petri Sakari avec le Symphonique d'Islande (chez Chandos)
¶ Arvo Volmer avec le Symphonique d'Oulu, ville natale du compositeur (chez Alba)
¶ John Storgårds avec le Philharmonique d'Helsinki (chez Ondine)

Je ne suis plus sûr de celles avec lesquelles j'ai commencé ma découverte, mais j'écoute en ce moment, fort des succès foudroyants de ses Sibelius et Nielsen (en particulier Sibelius, parmi les trois ou quatre meilleures intégrales enregistrées), l'intégrale Storgårds, toujours remarquable par sa directionnalité immédiate et sa limpidité absolue des plans – secondé par une prise de son encore plus superlative que ses Chandos : tout aussi détaillée et généreuse, mais de surcroît particulièrement directe.
[Je testerai les autres (que des gens que j'aime beaucoup) et en toucherai un mot, mais je doute que la largeur d'épaules de Segerstam, les moyens plus courts chez les participants d'Alba ni surtout la prise de son du Chandos de cette période puissent atteindre ce degré de satisfaction, même si toutes ces intégrales font terriblement envie sur le papier.]

Les œuvres elles-mêmes ont tout pour ravir les amateurs de Sibelius : grands plans évocateurs, circulation de motifs évolutifs à travers tous les pupitres (prédominance des bois, les cordes créant le plus souvent des trames ou des réponses, sans que rien soit prévisible ou systématisé au demeurant), harmonie raffinée, atmosphère légèrement tendue et pourtant d'une grande paix lumineuse. Quand on en a assez de parcourir l'un, on peut sans dommage courir fréquenter l'autre !

Réputations : Argerich, Lucerne, Nelsons


Grâce à une gracieuse invitation, j'ai pu m'y faufiler, et entendre pour la première fois en personne deux légendes et un chef très en vogue.

Je m'explique très bien la fascination pour Martha Argerich : le naturel incroyable avec lequel elle déroule chaque trait, la qualité permanente du timbre (toujours plein, même si dans une aussi grande salle, on perçoit avant tout la froideur du Steinway de concert). Il y a un parti pris de continuité (comme si chaque phrasé était lissé en un perpétuel glissando tendu vers la fin de l'œuvre !) qui frappe jusque dans le Scarlatti du bis, et qui ne m'avait jamais frappé à ce point, mais les phrasés révèlent toujours un soin musical très sûr – j'ai finalement trouvé ça plus typé qu'il ne m'avait paru jusqu'ici (où je la percevais davantage comme le meilleur choix de départ pour éviter les trop grands parti pris). Et m'explique assez bien la vénération qui l'entoure, vu l'énergie incroyable qui se dégage de son exécution – une énergie qui n'a rien à voir avec l'effort, bien au contraire.

Frappé par la sobriété de la gestique d'Andris Nelsons, très économe en gestes expressifs (essentiellement les entrées principales, parfois l'évolution des dynamiques) et d'une battue très claire. Étrangement, je trouve que son profil musical, peut-être au fil de sa carrière de chef symphonique, change beaucoup par rapport à ses débuts dans le monde des célébrités – en tant que chef d'opéra (et même au concert, à cette époque), il me paraissait privilégier l'élan de la ligne mélodique, ce qui fonctionne en général très bien pour la scène. Je suppose que les développements symphoniques l'ont incité à élargir son savoir-faire.

Enfin, l'Orchestre du Festival de Lucerne récolte un accueil chaleureux devant un public conquis d'avance. J'espère ne pas tomber dans la facilité d'une prédiction du passé, mais je remarque avant tout qu'il s'agit d'un orchestre de solistes – même si, à l'heure actuelle, les Capuçon, les Hagen (hors Clemens), Natalia Gutman ne participent plus aux sessions, la formation est toujours essentiellement constituée:
  • de membres du Mahler Chamber Orchestra et de l'Orchestre Mozart (deux créations d'Abbado, même si le premier a depuis passé par d'autres mains très différentes),
  • de premières chaises d'orchestres européens (Philharmonique de Berlin, Concertgebouw, Radio Bavaroise, DSO Berlin, Gewandhaus de Leipzig, SWR Baden-Baden, Staatskapelle Berlin, NDR de Hambourg, Santa Cecilia de Rome, Gürzenich, Tonhalle Zürich, Philharmonique des Pays-Bas, Chambre d'Europe, Radio de Sarrebrück, Konzerthaus, Deutsche Oper, Philharmonique de Munich, Jeunes Mahler, Royal Philharmonic, Philharmonique de Strasbourg, Mozart de Bologne, Nuremberg, Théâtre de Sarrebrück, Comunidad de Madrid, Bochum… et Boston),
  • de professeurs prestigieux,
  • et tout de même de quelques chambristes (membres du Leipziger Streichquartett, du quatuor Engegård) et solistes.
On se retrouve donc avec les chefs de pupitre suivants : Mahler / Leipzig (c'était Leipzig ce soir-là), Mozart-Bochum (R. Christ fait les deux), professeur Fribourg / professeur Detmold, professeur Berlin, Philharmonique Munich pour les cordes ; professeur (ancien Concertgebouw, Boston et Chambre d'Europe) Concertgebouw, Santa Cecilia, Tonhalle pour les bois ; Santa Cecilia, professeur Karlsruhe, Concergebouw, deux principaux opéras berlinois pour les cuivres ; Radio Bavaroise pour les timbales.

Rien d'étonnant, donc, à cette impression :
¶ niveau individuel exceptionnel, avec un grain très individualisé (sans sonner disparate) ; on a vraiment l'impression que des solistes (avec quasiment le son d'un concerto pour violon) s'assemblent, faisant fusionner des timbres individuels très denses et personnels ;
¶ résultat collectif de très haut niveau, mais qui n'atteint pas la discipline des plus grands orchestres – même le vibrato n'est pas toujours homogène au sein du même pupitre (ni le même type, ni la même quantité) ; ce qui est logique, il n'ont pas l'habitude de jouer ensemble comme les plus grands orchestres (dont le niveau individuel est déjà suffisamment superlatif).

C'est donc (inévitablement !) superbe, mais sans l'identité ni la vision collective des meilleures formations. Il faut dire (en plus de l'absence d'Abbado, fulgurant dans ses dernières années) que sa constitution a beaucoup changé au fil du temps : même en retransmission, l'ardeur des premières saisons n'était pas équivalente (mais qui peut jouer continûment à ce degré d'exception ?).

La longueur d'archet et l'intensité d'attaque des cordes est toujours assez révélatrice sur ces matières : Sebastian Breuninger (violon solo au Gewandhaus) donnait de tout l'archet avec un emportement hors du commun, tandis que dans le pupitre, d'autres jouaient avec une maîtrise plus composée. Cela ne peut sembler qu'une apparence, mais non, pour les cordes, le geste est très révélateur du son : un musicien qui joue tranquillement au fond de son siège, ça se voit et s'entend immédiatement – personne n'était dans ce cas, mais tous n'étaient pas au même niveau d'implication (on parcourait le spectre de l'implication réelle jusqu'à la transe, disons).

Je ne veux pas avoir l'air de mégoter, c'était superlatif, bien sûr – je relève simplement que par rapport à sa première période où il était peut-être, oui, le meilleur orchestre du monde, je ne le trouve pas supérieur aujourd'hui au LSO, au Concertgebouw, et même à la Radio de Munich ou à quelques orchestres français (ONF, OPRF, Capitole), justement parce que le son n'est pas très typé et que le geste collectif n'est pas comparable. Quoi qu'il en soit, une expérience impressionnante (ces hypersolistes dotés de leur son de concert jusque dans les derniers rangs !).

David Le Marrec

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