Étrennes : Pelléas avec Kožená-Gerhaher-Finley-Berlin-Rattle, la bande radio
Par DavidLeMarrec, dimanche 3 janvier 2016 à :: Autour de Pelléas et Mélisande :: #2750 :: rss
Un concert très en vue, mis en espace à la Philharmonie de Berlin par Peter Sellars (avec le résultat que l'on sait). J'ai trouvé la bande, et j'aimerais avoir le temps de vous narrer avec la verve nécessaire le dévouement épique qu'il m'a fallu susciter, pour déjouer les pièges et arcanes du site de la radio allemande correspondante (parmi les dix mille existantes)… mais en réalité, merci Xavier !
Voici :
Attention Christian, tu as beau la tenir enserrée, Lord Važená peut récupérer son sabre à distance et… trop tard.
[bande radio à charger (mp3)]
(gracieusement mis à disposition par Joaquim du carnet In fernem Land)
Après avoir entendu les actes I et II, ainsi que la première scène du III, j'ai le sentiment que l'affiche tient pleinement ses promesses.
Ceux que l'on connaît déjà
Prise de son très réussie, très physique, le Philharmonique de Berlin dans son meilleur répertoire (guère entendu mieux que Rattle-Berlin en 2006 à Salzbourg, Kawka-ONPL excepté) : la transparence acquise sous Rattle sert idéalement cette partition, où le moindre détail est ciselé, sans jamais se départir d'une poussée très naturelle, un sens du drame allié à une forme de contemplation poétique.
Amusant, je n'estimais pas beaucoup Rattle et je n'aimais pas particulièrement Berlin, mais leur union a fait des miracles beaucoup plus intéressants qu'avec les prédécesseurs.
Le Rundfunkchor Berlin est comme toujours une merveille, même ainsi hors sol pour quelques échos de marins. Quelle lumière douce et pénétrante en émane !
Magdalena Kožená (Mélisande) conserve une fraîcheur incroyable, et même si la précision du portrait n'a pas l'acuité de ce qu'elle proposait en 2002 avec Minkowski à l'Opéra-Comique (mais les conditions étaient tout autres !), la voix, légèrement arrondie mais toujours limpide, dans un français très exact et souplement expressif, semble exactement la même qu'en 2007, et la composition au moins aussi fine.
Gerald Finley (Golaud), qui a aussi l'habitude du rôle depuis longtemps (je l'avais entendu chanter Golaud à Boston en 2003, avec Hunt-Lieberson, Keenlyside et Haitink), n'est certes pas le Golaud le plus personnel du marché, dans un rôle aisé vocalement et très valorisant, mais équilibre particulièrement bien les différentes composantes du rôle : distinction aristocratique, potentiel de violence, grain du bas-médium, qualité du français. Assez irréprochable, sans tiédeur pour autant.
Franz-Joseph Selig (Arkel), autre habitué du rôle, promène une belle autorité, même s'il n'a pas la précision verbale (hallucinante) de ses incarnations en langue allemande – existant une très bonne traduction (partiellement enregistrée par Wetzelsberger en 1948 avec la Radio de Stuttgart… et Windgassen en Pelléas), j'aimerais beaucoup l'y entendre.
Ceux que l'on découvre
Bernarda Fink a peut-être déjà chanté Geneviève, mais c'est la première fois que j'en vois la trace (sans avoir cherché au demeurant). Et, comme on pouvait s'y attendre, la délicatesse du trait et le joli paradoxe d'un timbre diaphane mais charnu y font merveille.
Reste Christian Gerhaher, la sensation de la soirée, celui qui rendait particulièrement curieux. Il a pourtant déjà chanté le rôle à Francfort en 2012 (dans une mise en scène de Claus Guth, avec Friedmann Layer et l'Orchestre de l'Opéra et du Musée, peut-être techniquement le meilleur d'Allemagne avec le Philharmonique de Berlin…), mais cela m'avait échappé, et je n'ai pas pu mettre la main sur les bandes depuis un peu tombées dans l'oubli. Spontanément, je le voyais plutôt en Golaud, mais il est très bien qu'il fasse Pelléas tant que c'est possible, on a toujours le temps pour Golaud (et ce ne sont pas les grands Golaud qui manquent).
Son Pelléas est très étrange :
¶ très mûr, pas du tout comparable aux voix claires de faible impédance (Mollet, Jansen, Le Roux, Théruel, les ténors) ou aux émissions affirmées de jeunes mâles (Stilwell, Ollmann, Keenlyside, Bou, Degout, Addis, Noguera…) qu'on entend habituellement dans le rôle. Ici, c'est au contraire une voix charpentée, une véritable voix d'opéra plutôt que de déclamateur candide échappé d'un opéra de Cocteau, mais sans engorgement ni dureté pour autant, un moelleux de vieux sage, de tête grisonnante adoucie par les vents qui l'ont battue… ;
¶ ce Pelléas n'est pas un amoureux impulsif, donc, et ce n'est pas non plus un jeune homme vigoureux naïvement perdu dans une histoire d'amour dont il ne perçoit pas les enjeux ; au contraire, il semble contempler avec émotion la situation, prendre plaisir à la dire, la savourer en se regardant la vivre dans le bonheur ou le malheur. Un poète.
Ce n'est pas illogique, dans la mesure où Gerhaher le chante comme il chante le lied. Et ce n'est pas la resucée d'un cliché commode pour tirer à la ligne : techniquement, on y retrouve tous les instruments de son expression habituelle, en particulier l'usage à volonté de différentes couples d'émission – vibré / non vibré, résonant / non résonant (usage ou non du « formant », du « twang »), ouvert / couvert (et même, ai-je l'impression, au besoin la posture du larynx)…
Dès que possible, il évite de couvrir de laissant à libérer autant que possible les mots et l'expression (forcément un peu rabotés par la couverture), tout en cherchant à demeurer aussi exact que possible en français (d'où quelques voyelles un rien plus ouvertes qu'un français le ferait, sans être grimaçant du tout).
En résulte un Pelléas au cordeau (et c'est sans doute beaucoup de détail pour un personnage censé vivre, aimer et mourir sous nos yeux), peut-être un peu sophistiqué, mais très touchant comme poète – c'est étonnant, lorsqu'il prend la parole, tous les projecteurs semblent se braquer sur lui, chaque syllabe paraît un événement… C'est presque trop, on sort quasiment du drame à force de l'admirer, mais en plus d'être fait avec grand art, l'évocation poétique de ce Pelléas-non-acteur touche l'âme de très près.
Parmi les Pelléas en activité, je ne vois guère que Théruel (mais qui a jamais fait mieux que Théruel ?) qui côtoie ces cîmes-là.
Si l'on ajoute que tout cela se mêlait avec beaucoup de naturel et l'élan, alors on voit bien qu'on ne peut pas ne pas écouter cette bande. L'équipe se retrouve au Barbican le week-end prochain, si vous avez du loisir à ce moment-là.
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Si ce n'est pas assez, il existe une captation de la radio suédoise d'un concert donné ce printemps, où Gerhaher est entouré de Sophie Karthäuser, Christopher Maltman et John Tomlinson, dirigés par Daniel Harding.
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