Carnets sur sol

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La nouvelle saison et l'avenir de Radio-France


Suite à plusieurs réclamations, un mot sur la saison de Radio-France, et sur ce qu'elle inspire quant à son avenir.

Je reprends en partie le commentaire en réponse à Berwald sous la notule consacrée à la Philharmonie, au moins pour la partie sélection :

[à propos des bruits de couloir sur une saison essentiellement straussienne]
C'est toujours le cas lorsqu'on a un écho global, les autres ne regardent pas forcément les mêmes choses, et même les lignes de force ne sont pas forcément interprétées de la même façon (je suis enchanté du couplage Sibelius 2 / Tchaïkovski 6, qui est tout sauf une rareté).

Je ne ferai vraisemblablement pas de notule là-dessus : pas grand'chose de particulier à repérer (et plus d'avant-première), si on lit simplement la brochure, on voit tout ce qu'il faut. (Et puis j'ai des notules discographiques et « pédagogiques » en retard.)
[Bien, en fait, maintenant que vous avez amené le sujet, je crois que je vais en toucher un mot.]

J'ai effectivement repéré sensiblement les mêmes choses que vous :
– la Suite de Salomé de Schmitt ; hélas, comme pour l'Oiseau de feu et la plupart des suites du monde, il manque une grosse part du plus intéressant dans la Suite…) ;
– les 2 & 5 de Sibelius ; pas rare, mais j'aime ça, d'autant que je suis un converti plutôt récent) ;
– les 2 & 4 de Nielsen ; je désespérais de jamais voir la 2, en plus par Storgårds !
– week-end musique de chambre nordique : piano de Čiurlionis ; orgue de Kalniņš, Ešenvalds, Vasks, etc. ; Quatuors de Stenhammar, Szymanoski, Chostakovitch ;
– le couplage Lemminkainen (complet ?) de Sibelius / Symphonie de Debussy (l'orchestration de Matthews n'a pas été gravée semble-t-il, je n'ai vu que celle de Tony Finno) rend bien sûr curieux (même si, intrinsèquement, ce ne sont pas les plus grandes œuvres de leur auteur, surtout pour Debussy !).

La Cinquième de Sibelius a décidément une riche fortune ces derniers temps : en à peine plus d'un an, quatre programmations, pour un compositeur qui était quasiment absent des programmes il y a quinze ans… On a eu l'Orchestre de Paris en septembre 2015, le Philhar' en avril 2016, il y aura le Philharmonia en octobre 2016, et l'ONF en décembre 2016… Ils pourraient nous donner la version originale une fois, tant qu'à faire.

La Nursery, ça n'a jamais été publié en version orchestrale, n'est-ce pas ?  J'aime beaucoup le volume de Lise Boucher de la version pour piano. Il me semble, comme les Animaux modèles, que ce n'est proposé qu'en fragments pour un concert familial.

Monsieur Beaucaire ne me désintéresse pas, mais c'est beaucoup trop cher pour de la musique légère (surtout quand on a les Frivolités Parisiennes qui se produisent pour trois fois rien, avec un autre sens du style et surtout un tout autre enthousiasme !).
Pour le reste, quand même beaucoup de Brahms et Strauss, j'ai peine à ne pas remarquer qu'on pourrait supprimer un orchestre sans trop bouleverser la vie musicale… Certes, on voit bien que le grand répertoire et le patrimoine français échoient plutôt à l'ONF, tandis que le Philhar' fait l'opéra, le classique, le contemporain et les décadents… mais cela souffre tellement d'exceptions, et pour un répertoire tellement homogène, qu'on ne ferait pas vraiment la différence s'il n'y avait que 2/3 des dates et un seul orchestre. Du point de vue du contribuable en tout cas, ça paraît tellement une évidence ; si encore l'un des deux se déplaçait en province, mais ils restent résolument sédentaires, au service des parisiens et maintenant dans la même seule salle de concert ! 
Je ne le leur souhaite pas, et cela fait davantage d'offre pour nous, mais il se peut bien qu'un jour, ce manque de lisibilité se paie assez cher pour eux. Même les logos sont identiques (une belle réflexion à ce sujet, ) !

fragonard baiser
Fragonard, fantaisie abstraite : Fusion des deux orchestres de Radio-France

La Cour des Comptes, très informée et lucide, dans un style direct et dépourvu de vindicte, livrait, il y a un an, un constat particulièrement éclairé :

Lieu unique :
– « Contrairement à la BBC dont trois des cinq orchestres résident en province, les formations de Radio France sont implantées à Paris. »
– « La  réouverture  de  l’auditorium  en  novembre  2014,  salle  unique pour  les  deux  orchestres,  donne  une  acuité  nouvelle  à  ce  problème  de définition  de  leurs  rôles. »
– « Dorénavant, leur présence conjointe à la Maison de la Radio  va  rendre  patente  la  trop  grande  proximité  de  leurs programmations. »

Indifférenciation des rôles :
– « La direction de la musique n’est pas apparue en mesure de piloter les  programmations  des  formations  musicales.  Comme  elle  l’a  indiqué elle-même,  ce  sont  les  formations  musicales  qui  construisent  leur saison. Les choix sont ensuite soumis à la validation du directeur de la musique. »
– « La  grande  proximité  des  répertoires  entre  les  deux  orchestres  est corroborée par l’examen des contrats de travail de leurs chefs. Le contrat de  M.  Myung-whun  Chung,  chef  d’orchestre  de  l’Orchestre philharmonique  de  Radio  France,  prévoit  la  programmation  du  grand répertoire  symphonique,  d’opéras,  d’oratorios  et  du répertoire contemporain,  quand  celui  de  M.  Daniele  Gatti,  chef  d’orchestre  de l’Orchestre national de France, retient la valorisation du grand répertoire symphonique et la reprise ou la création d’œuvres contemporaines.  »
– « Tous  les  efforts  de  coordination  renforcée  se  heurtent  à  des oppositions, comme en témoigne l’impossibilité, en septembre 2014, de créer une direction artistique commune aux deux ensembles, dont la seule annonce  a  conduit  au  dépôt  d’un  préavis  de  grève  à  l’Orchestre philharmonique de Radio France. »
– « la  redéfinition  de  la  spécificité  des  deux  formations,  option  peu convaincante au regard des échecs passés de cette spécialisation »

Vers la fusion :
– Ce n'est pas, contrairement à ce que la presse a pu résumer, la seule solution envisagée (mais la seule indiquée dans les abstracts…), seulement la plus efficace selon la Cour. Défendue d'ailleurs de façon très progressive, par un rassemblement des effectifs, qui dégonfleraient peu à peu. Évidemment, cela ne prend pas en compte la spécificité artistique et sonore de ces deux orchestres, qui ont bel et bien leurs identités propres de ce point de vue (le lyrisme élancé des cordes du Philhar' n'a rien de commun avec le grain très dense de celles du National…), mais le rapport défend assez bien son point de vue.
– « Dans  un  premier  temps,  le  nouvel  orchestre comprendrait un nombre important de musiciens garantissant la plus large programmation  grâce  à  des  déploiements  à  géométrie  variable  qui  sont déjà ceux de l’Orchestre philharmonique. Cela éviterait ainsi de recourir à des  remplacements  externes,  qui  représentent  une  part  importante  des cachets. Dans un second temps, l’effet mécanique des départs à la retraite lui permettrait de retrouver une taille normale. »
– Il s'agit aussi de limiter le sous-emploi des musiciens, le paiement d'heures supplémentaires et l'embauche ponctuelle mais récurrente de musiciens externes : « Outre la question de la coordination, cette solution permettrait de
résoudre  progressivement  le  sous-emploi  chronique  des  musiciens  de  Radio  France.  Au  titre  de  l’article  48  de  l’annexe  11  de  la  convention collective, les musiciens travaillent 1 110 heures par an, horaire négocié en  fonction  des  particularités  du  métier.  Or,  en  moyenne  annuelle,  les musiciens de l’Orchestre national de France ont travaillé 703 heures entre 2010  et  2013  et  ceux  de  l’Orchestre  philharmonique  739  heures  entre 2009  et  2013. Durant  cette  période,  seuls  quatre  musiciens  ont  travaillé plus de 950 heures par an. Quatorze musiciens ont travaillé moins de 500 heures.  Cette  situation  n’empêche  pas  le  recours  à  des  remplacements externes (1,4 M€ en 2013) et le paiement d’heures supplémentaires. »

De fait, lorsqu'on observe cette programmation homogène, dans un seul lieu, il est difficile de ne pas se poser la question – même si je doute que cela arrive avant un futur assez lointain, considérant l'effroi contractuel des responsables face à tout conflit.

Mais qu'un orchestre soit dédié aux tournées en province (il y a assez à faire à Paris, on peut bien partager !), ou à l'exploration du patrimoine français, tandis que l'autre servirait de formation de prestige qui jouerait les grands titres pour les besoins de la radio, ce ne serait pas absurde.

On pourrait aussi envisager que les extraits sonores diffusés sur France Musique (même si personne n'écoute la chaîne) soient enregistrés par les orchestres, puisqu'ils ont de toute façon un salaire fixe.

david teniers
Teniers le Jeune, peinture d'histoire : L'Auditorium de Radio-France un soir d'affluence
Shugborough Hall (collection particulière).


À cela s'ajoute la question du déficit (abyssal, les chiffres figurent dans le rapport complet, la billetterie ne couvre rien), et donc notamment du remplissage. Au risque de répéter ce qui a déjà été dit : même si l'accueil est devenu plus adéquat depuis que l'entrée se fait à l'opposé de la salle (possiilité d'être à l'abri, lieu d'attente avec sièges, agents de sécurité très courtois, ce qui n'était pas le cas auparavant), le sentiment demeure le même, le public a l'impression d'être toléré, comme s'il était invité dans une émission de radio. Parce qu'il n'y a pas de lieu dédié, parce qu'on surveille sans cesse que les spectateurs ne prennent pas le mauvais couloir, parce ce qu'on replace de force les spectateurs du second balcon, quitte à leur donner de moins bonnes places (un premier rang de face se transformant en dernier rang de profil)…

Tout cela – à part le dernier point, que je trouve particulièrement déplaisant, on achète les places sur plan et je ne suis pas sûr que ce soit contractuellement très défendable, aucune autre salle de spectacle ne force les gens à quitter leur emplacement… – n'est pas très important, mais cela contribue sans doute, pour un public habitué à être accueilli dans des lieux conçus pour lui, à ne être très enclin à se déplacer spontanément vers la Maison de la Radio. Ce n'est pas très festif, disons.
Par ailleurs, sans vouloir verser dans de la sous-sociologie (ce qui est, paraît-il, encore pire que la sociologie), le public potentiel des mélomanes des XVe et XVIe arrondissements, ou de la Petite-Couronne-Occidentale, qui devrait se laisser séduire par la proximité, au contraire de la Philharmonie, est peut-être justement le plus sensible à cette question du décorum, ce qu'une salle un peu froidement fonctionnelle (les éclairages sont un peu durs) et un environnement pas totalement au service du spectateur ne servent pas idéalement.

À part ça, la salle a une très chouette acoustique dans les endroits où le son n'est pas étouffé par les angles supérieurs, on y est proche et on y voit bien de partout. Et il y aura Nielsen, Schmitt et Kalniņš la saison prochaine.


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Commentaires

1. Le dimanche 1 mai 2016 à , par Berwald

Bonjour David,

"La Cour des Comptes, très informée et lucide, dans un style direct et dépourvu de vindicte, livrait, il y a un an, un constat particulièrement éclairé"

Concernant ce fameux rapport de la Cour des comptes, je serai beaucoup plus critique que vous à m'y référer. S'il a le mérite de soulever quelques problématiques intéressantes, il est malheureusement, eu égard justement à la nouvelle situation à Radio-France, déjà bien obsolète, ne couvrant de ses chiffres que la période allant jusqu'à 2013. Depuis, avec la rénovation du studio 105 et l'ouverture de l'auditorium (excusez du peu), le nombre de concerts des formations musicales a augmenté et les formats se sont beaucoup diversifiés (concerts éducatifs et pédagogiques, concerts le week-end, etc). J'imagine que de facto les musiciens travaillent plus et que les recettes de billetterie sont bien meilleures (la gestion étant par ailleurs directe désormais : prenons l'exemple des concerts du National, presque tous au TCE avant l'ouverture de l'auditorium, les recettes de billetterie comptaient pour le TCE mais pas pour Radio-France...). Je crois même savoir que la fréquentation est en hausse (depuis que Radio-France a découvert qu'il fallait communiquer un peu sur la musique...).

En outre, comme souvent quand il s'agit de musique, je trouve pas nos magistrats de la Cour si "éclairés". Ainsi, dans le genre de la fameuse histoire de rationalisation autour de l'Inachevée de Schubert, concernant "l'emploi de musiciens supplémentaires", même en fusionnant tous les orchestres de la place parisienne, rappelons qu'il faudra toujours engager deux saxophonistes en plus pour le Boléro, un petit tuba pour les Tableaux d'une exposition ou Les Planètes, sans parler d'orgue, de mandoline, de cymbalum, d'ondes martenot ou autres... A contrario, les grands orchestres français ont tous en leur sein un(e) pianiste, seulement si l'organisateur/programmateur de la saison n'y prête guère attention ou se concentre un peu trop sur le répertoire romantique par exemple, son temps de travail annuel risque rapidement de paraître (bien malgré lui/elle) ridicule...

En revanche, si l'emploi des deux orchestres de Radio France me parait justifié (en définitive, ça n'en fait que deux pour la radio française, là où en Grande-Bretagne il y en a 5 ; si on ajoute l'orchestre de Paris, cela ne fait que 3 grandes formations symphoniques sur Paris, ce qui finalement n'est pas grand chose pour une dite capitale de cette envergure, regardez Berlin ou Londres...), je regrette comme vous qu'ils ne se concentrent pas plus sur le répertoire français, en particulier "rare" (à force de ne plus le jouer) : où sont les symphonies de Magnard, Roussel, Gouvy, Ropartz, Chausson, d'Indy, Franck, Dukas, Lalo, Rabaud, Le Flem, Koechlin ?...

De même, l'interactivité avec les chaînes de Radio-France (dont France Musique) est quasi nulle, alors que ce pourrait/devrait être d'une richesse et d'un intérêt certains : à quand une émission sur l'histoire de l'écriture chorale en France avec exécution vocale du choeur de Radio-France, une monographie sur tel compositeur oublié avec un des orchestres maison pour l'illustration musicale, une émission sur le quintette à vent avec les membres du National, une sur le quintette de cuivres avec ceux du Philhar, une autre sur tel instrument avec tel(le) soliste d'un orchestre maison ?... Les ressources musicales de la Maison ronde sont inouïes et finalement peu exploitées...

Rappelons quand même que le National attend pour bientôt un nouveau directeur musical (les orientations changeront sans doute (un peu, beaucoup ?, dans quel sens ?, à suivre en tout cas...)) et que le petit vent de fraîcheur du répertoire nordique apporté par Järvi à l'OdP souffle désormais sur le Philhar avec Franck, tandis que l'OdP nous annonce pour l'an prochain une programmation digne d'un orchestre allemand résidant à la Philharmonie... (bon, et même si à titre personnel j'attends toujours la programmation à Paris d'une symphonie de...Berwald ;-)!)

2. Le dimanche 1 mai 2016 à , par DavidLeMarrec

Ah si, tout de même, je suis très impressionné par la culture musicale réelle qui sous-tend ce constat – pour juger des missions et du contenu des saisons, par delà l'habillage officiel…
Et même si ce rapport est forcément lié à sa date, il décrit très bien ce qui se passe actuellement, une fois l'auditorium achevé : l'impression accrue d'une indifférenciation des deux phalanges.

Le nombre de concerts a peut-être augmenté (vraiment ? je vois beaucoup de vide dans le programme de l'auditorium, et ils se produisent sensiblement les mêmes jours qu'auparavant), mais comme chaque concert est fortement déficitaire (et l'auditorium beaucoup moins rempli que lorsqu'il s'agissait du Châtelet ou de Pleyel), le fait de les multiplier accroît les déficits, en réalité.


Je crois même savoir que la fréquentation est en hausse (depuis que Radio-France a découvert qu'il fallait communiquer un peu sur la musique...).

Ce n'est vraiment pas ce que j'ai pu constater en me rendant assez régulièrement à l'auditorium : beaucoup moins de monde que dans les diverses salles qui les ont accueillies ou les accueillent par ailleurs, et cela avec une jauge pourtant plus petite…


rappelons qu'il faudra toujours engager deux saxophonistes en plus pour le Boléro, un petit tuba pour les Tableaux d'une exposition ou Les Planètes, sans parler d'orgue, de mandoline, de cymbalum, d'ondes martenot ou autres... A contrario, les grands orchestres français ont tous en leur sein un(e) pianiste, seulement si l'organisateur/programmateur de la saison n'y prête guère attention ou se concentre un peu trop sur le répertoire romantique par exemple, son temps de travail annuel risque rapidement de paraître (bien malgré lui/elle) ridicule...

Oh, dès qu'on programme du vingtième, le pianiste a de quoi faire, il y en a assez souvent sur scène en fait.

Bien sûr qu'il faut des supplémentaires pour ce type d'œuvre, mais il n'en faudrait pas davantage en fusionnant les deux orchestres, et quitte à payer des salaires, on pourrait aussi payer un emploi semi-fictif de mandoliniste plutôt qu'un pupitre entier de violons pour un second orchestre… Dans tous les cas, on y gagne.
Précisément, la Cour me paraît montrer une assez grande lucidité en ne préconisant pas de remèdes miracles, simplement des pistes pour limiter la gabegie, et progressives encore, tenant compte de la spécificité de ce qu'est une entreprise artistique.

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Sur le nombre : la Grande-Bretagne a 5 orchestres de radio, dont 2 affectés à des provinces (Galles et Écosse), 1 (BBC Concert Orchestra) plutôt spécialisé dans le cross-over (musiques de téléfilms, animation de festivals…) et 1 (le Philharmonic) sis à Manchester. Ce qui nous ramène à 1 orchestre classique pour la capitale, soit moins qu'à Paris.

En revanche, sur le nombre total d'orchestres, Londres gagne évidemment de façon écrasante, même sur Berlin d'ailleurs, de loin les deux capitales les mieux pourvues en la matière. Si on part du principe que Paris a trois orchestres symphoniques de premier plan, on pourrait faire la même remarque pour Vienne : Philharmoniker, Symphoniker, ORF. Et encore, les Philharmoniker sont les mêmes que ceux de l'Opéra ! Bref, pas infamant, surtout qu'y habitent plein d'autres orchestres pas du tout infâmes, plus des ensembles spécialistes ou amateurs pas du tout de mauvais niveau – sans parler des différentes formations issues du CNSM et du Pôle de Boulogne, très variablement constituées, mais toujours excellentes. On ne peut pas dire que la situation soit celle d'une dangereuse pénurie, quelles que soient les comparaisons.

Par ailleurs, si on y regarde de près, Londres, beaucoup plus étendue, a un certain nombre d'orchestres également basés alentour, un peu sur le modèle des orchestres de région à l'allemande (Brandenburgisches Staatsorchester, à Francfort-sur-l'Oder et environs) ou de l'ONDIF. Le Philharmonia a une co-résidence à Londres, Bedford et Leicester. Hallé n'est pas exactement à Londres, et c'est autre chose que faire le voyage de Châtelet à Saint-Denis !

Mais si vous voulez défendre l'opinion qu'on puisse avoir un orchestre de radio en province, j'y suis très favorable – ça coûtera très cher et on ne remplira pas, mais quitte à avoir des salles vides, que ça profite à ceux qui en ont réellement besoin… À Bordeaux, quand l'Orchestre de Paris ou l'ONF débarquaient, c'était une fois tous les dix ans, et un petit événement, d'entendre un orchestre de premier plan (d'ailleurs à tarif exorbitant pour l'OP, alors que ce sont quasiment les moins chers à Paris…).


je regrette comme vous qu'ils ne se concentrent pas plus sur le répertoire français, en particulier "rare" (à force de ne plus le jouer) : où sont les symphonies de Magnard, Roussel, Gouvy, Ropartz, Chausson, d'Indy, Franck, Dukas, Lalo, Rabaud, Le Flem, Koechlin ?...

C'est justement ce que dit la Cour : elle envisage qu'on puisse conserver les deux, mais pour que ce ne soit pas du gaspillage, il faudrait en faire autre chose – et dans son rapport, elle doute, vu les leçons du passé, qu'on y parvienne (d'où sa préconisation d'en finir, mais c'est une solution parmi d'autres avancées).
¶ Orchestre de chambre, ça n'a pas grand intérêt à mon avis – le terme n'a pas grand sens, finalement ils jouent la même chose que les autres à coups de supplémentaires ; pas les poèmes de Strauss ni les Tableaux d'une Exposition, mais enfin, ça ne changerait pas grand'chose au répertoire.
¶ Spécialisation dans le répertoire patrimonial, en revanche… Je ne suis pas pour le faire par principe, mais il se trouve que le répertoire français regorge de splendeurs, aléatoirement défendues par d'autres. Une véritable politique de redécouverte un peu organisée, plutôt que du saupoudrage, serait intéressante. On pourrait avoir des thématiques par saison : par exemple un petit Koechlin à chaque concert, et on pourrait ensuite rassurer le public lorsqu'on en mettrait de plus longs (même si l'homogénéité du langage de Koechlin ne le rend pas, à mon avis, le plus indiqué pour une découverte systématisée).

Adossé à la radio, on pourrait faire de magnifiques programmes thématiques : la mer vue par les français, avec un gros Debussy au milieu si l'on veut, et puis le Journal de bord de Cras, les Chants de Gaubert, des interludes de l'Étranger, du Pays, de Polyphème, etc.

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Pour le nouveau directeur musical du National, il est beaucoup question de Krivine. Je suis assez désarçonné sur son talent de bâtisseur d'orchestre (la Chambre Philharmonique est assez redoutable, mais à l'inverse, son passage à Luxembourg a laissé un orchestre parmi les plus chatoyants d'Europe), et ce serait clairement, en termes de personnalité discernable ou de notoriété, un choix plus modeste que tous les noms glorieux qui l'ont précédé, mais ce serait pourtant un excellent choix dans la voie d'un répertoire plus spécialisé, et de la recherche d'un style adéquat.
J'aurais bien pris Villaume, Chaslin, Ossonce ou Lacombe, hein, mais ça ne se fera pas (ne serait-ce que parce que ce sont largement, au moins pour les trois derniers, des chefs d'opéra).

Effectivement, le changement de répertoire montre l'influence du directeur musical, influence tout de même radicale : avec Järvi, on a eu, par lui ou des invités, du Nielsen, du Sibelius, du Ives, du Tubin… Avec Franck du Martinů, et encore du Nielsen et du Sibelius. Mais vienne Harding, et là, c'est Beethoven-Mendelssohn-Schumann-Brahms-Mahler à tous les étages. Quel retournement radical, tout de même, rien que par la nomination d'un chef.

(Ce fut cela dit la même chose à Berlin pour Rattle, à rebrousse-poil d'un siècle d'héritage, et pour le meilleur à mon avis. Mais s'ils avaient choisi Barenboim, l'histoire du monde en eût été changée…)

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Ah oui, vraiment, Berwald en priorité ? Dans la même génération, j'aurais quelques autres noms avant… mais je ne bouderais pas mon plaisir, surtout si ce sont les bonnes symphonies qui sont jouées.

3. Le lundi 2 mai 2016 à , par Berwald

Bonsoir David,

"Le nombre de concerts a peut-être augmenté (vraiment ? je vois beaucoup de vide dans le programme de l'auditorium, et ils se produisent sensiblement les mêmes jours qu'auparavant), mais comme chaque concert est fortement déficitaire (et l'auditorium beaucoup moins rempli que lorsqu'il s'agissait du Châtelet ou de Pleyel), le fait de les multiplier accroît les déficits, en réalité."

Je ne constate pas les mêmes vides que vous, quant à l'augmentation des concerts, si : quelques parties de programme (à destination familiale surtout) sont doublées et il y a désormais tout au long de la saison des concerts le week-end, en plus du traditionnel jeudi soir pour le National et vendredi soir pour le Philhar.
Pour Radio-France justement, non, le fait de multiplier les concerts n'accroît pas les déficits, au contraire, les musiciens et techniciens n'étant pas payés plus s'ils travaillent plus (comme ils ne sont pas payés moins s'ils travaillent moins...), nuance de taille des permanents par rapport aux intermittents du monde baroque ou des ensembles spécialisés (à l'exception de l'EIC).

"Je crois même savoir que la fréquentation est en hausse (depuis que Radio-France a découvert qu'il fallait communiquer un peu sur la musique...).
Ce n'est vraiment pas ce que j'ai pu constater en me rendant assez régulièrement à l'auditorium : beaucoup moins de monde que dans les diverses salles qui les ont accueillies ou les accueillent par ailleurs, et cela avec une jauge pourtant plus petite…"

L'augmentation de fréquentation est chiffrée par rapport à la première saison d'ouverture de l'auditorium... Pour l'affluence à vue, je vous trouve aussi sévère, les nombreux concerts auxquels j'ai pu assister étaient presque tous pleins (surtout pour le National d'ailleurs, mais les programmes vus/écoutés du Philhar étaient moins grand public, cqfd...).
De toute façon, la fréquentation ne devrait pas forcément être un critère pertinent d'évaluation pour ces deux orchestres qui ont une mission de "service public". Tous leurs concerts sont radiodiffusés en plus, et donc pour être honnêtes il faudrait comptabiliser tous les auditeurs de France Musique du jeudi soir et du vendredi soir... D'autant que les concerts sont disponibles à la réécoute.
En revanche, je trouve justement qu'ils ne remplissent pas assez leur mission de service public en ne jouant pas suffisamment la musique française... Et j'ai aussi remarqué qu'ils font beaucoup moins de créations (en particulier le Philhar, qui est l'orchestre plutôt dévolu à ce genre). Sans doute par mesure d'économies...

Sur le nombre d'orchestres, un orchestre de "radio" en province, je ne sais pas, en tout cas l'Etat devrait plus s'engager à soutenir les orchestres au label "national". On voit (par ex. l'ONPL) que dès qu'une région commence à se désengager, l'orchestre s'en trouve tout de suite fragilisé, il y a là un vrai problème...

"Adossé à la radio, on pourrait faire de magnifiques programmes thématiques : la mer vue par les français, avec un gros Debussy au milieu si l'on veut, et puis le Journal de bord de Cras, les Chants de Gaubert, des interludes de l'Étranger, du Pays, de Polyphème, etc."

J'achète ! Où faut-il signer :-) ?...

"Pour le nouveau directeur musical du National, il est beaucoup question de Krivine. Je suis assez désarçonné sur son talent de bâtisseur d'orchestre (la Chambre Philharmonique est assez redoutable, mais à l'inverse, son passage à Luxembourg a laissé un orchestre parmi les plus chatoyants d'Europe), et ce serait clairement, en termes de personnalité discernable ou de notoriété, un choix plus modeste que tous les noms glorieux qui l'ont précédé, mais ce serait pourtant un excellent choix dans la voie d'un répertoire plus spécialisé, et de la recherche d'un style adéquat."

Krivine serait sans doute un choix judicieux. A suivre...

"Ah oui, vraiment, Berwald en priorité ? Dans la même génération, j'aurais quelques autres noms avant… mais je ne bouderais pas mon plaisir, surtout si ce sont les bonnes symphonies qui sont jouées."

C'était plutôt une pirouette et le "en priorité" n'était pas écrit, mais ceci dit, pour redevenir sérieux à propos de l'ami Franz, à l'heure où l'histoire de la musique est rédigée à l'aune des ruptures et innovations, non, justement, de sa génération il n'y a pas grand monde, et pourtant, hors les pays nordiques personne ne le connait ni le joue. Qui d'autre, par exemple, dès sa première symphonie (1842), peut oser écrire 13 mesures avant la fin de l'oeuvre un solo de troisième trombone de 8 mesures sur tapis de cordes (et sans que cela ne fasse grotesque) ?...

4. Le jeudi 5 mai 2016 à , par DavidLeMarrec

Nous n'allons peut-être pas aux mêmes soirées (je n'y ai vu que deux fois le National, jamais très rempli, mais dont une avec un programme Chausson-Debussy-Poulenc, forcément…). Cela dit, sur une dizaine de dates cette saison, c'est toujours au tiers voire à moitié vide lorsque ce n'est pas un couplage Haydn-Mozart-Schubert/Schumann (même en interdisant l'accès du second balcon, l'auditorium est loin d'être plein ces soirs-là). Loin d'être plein pour le Faune + Tchaïkovski 5, par exemple (et ne parlons pas de Martinů ou de Lalo, bien sûr). Tous les échos que j'ai reçus de spectateurs réguliers semblent aller dans ce sens.

Pour le nombre de soirées, je remarquais simplement que l'agenda de l'auditorium était loin d'être serré avec les deux formations à plein régime, mais vous avez raison, ils doivent se produire un peu plus maintenant qu'ils ont un lieu, du moins si l'on compte les concerts pédagogiques et les événements chambristes, moins nombreux autrefois.


Pour Radio-France justement, non, le fait de multiplier les concerts n'accroît pas les déficits, au contraire, les musiciens et techniciens n'étant pas payés plus s'ils travaillent plus (comme ils ne sont pas payés moins s'ils travaillent moins...), nuance de taille des permanents par rapport aux intermittents du monde baroque ou des ensembles spécialisés (à l'exception de l'EIC).

C'est contre-intuitif, mais si : chaque concert est déficitaire, si bien que paradoxalement, en augmenter la quantité augmente les déficits. Il faudrait voir si cela perdure à présent que les nécessités de location de salle et de déplacement de tout l'orchestre sont beaucoup plus rares.


De toute façon, la fréquentation ne devrait pas forcément être un critère pertinent d'évaluation pour ces deux orchestres qui ont une mission de "service public". Tous leurs concerts sont radiodiffusés en plus, et donc pour être honnêtes il faudrait comptabiliser tous les auditeurs de France Musique du jeudi soir et du vendredi soir... D'autant que les concerts sont disponibles à la réécoute.

Certes, mais en matière de recettes de billetterie, ce n'est pas la publicité sur France Musique qui va la compenser !


Et j'ai aussi remarqué qu'ils font beaucoup moins de créations (en particulier le Philhar, qui est l'orchestre plutôt dévolu à ce genre). Sans doute par mesure d'économies...

Oui, la création contemporaine est un secteur que j'ai (faute de temps, surtout – un peu de lassitude aussi) moins entretenu en concert, mais ce qu'est devenu le festival Présences est navrant. De gratuit, il est devenu payant pas cher du tout avec des œuvres ayant inspiré les compositeurs d'aujourd'hui, puis payant modique (mais déjà considérable, si on les fait tous, on en a pour 100€ au moins) entre deux tranches de Mozart… et la saison prochaine, je ne crois même pas en avoir vu trace…
Ce pouvait être un outil pour inciter les gens à se faire une cure de musiques nouvelles, ou à pousser la porte d'un théâtre, d'un genre musical, du fait de la gratuité… c'est méchamment rentré dans le rang.


"Adossé à la radio, on pourrait faire de magnifiques programmes thématiques : la mer vue par les français, avec un gros Debussy au milieu si l'on veut, et puis le Journal de bord de Cras, les Chants de Gaubert, des interludes de l'Étranger, du Pays, de Polyphème, etc."

J'achète ! Où faut-il signer :-) ?...

Il suffit d'envoyer un bon de souscription à Timpani (et de faire le siège chez Stéphane Topakian pour qu'il devienne producteur de concerts).


C'était plutôt une pirouette et le "en priorité" n'était pas écrit, mais ceci dit, pour redevenir sérieux à propos de l'ami Franz, à l'heure où l'histoire de la musique est rédigée à l'aune des ruptures et innovations, non, justement, de sa génération il n'y a pas grand monde, et pourtant, hors les pays nordiques personne ne le connait ni le joue. Qui d'autre, par exemple, dès sa première symphonie (1842), peut oser écrire 13 mesures avant la fin de l'oeuvre un solo de troisième trombone de 8 mesures sur tapis de cordes (et sans que cela ne fasse grotesque) ?...

Si on parle d'innovation, oui, il a sa part (encore que, vu les dates, il ne soit pas exactement à la pointe non plus), mais je voulais simplement dire que dans son langage (assez traditionnel harmoniquement, indépendant des audaces formelles), d'autres me paraissent plus immédiatement exaltants, aussi bien pour mon usage personnel que pour l'adhésion du public.

Kalliwoda n'a pas du tout le même souci de recherche, mais je pressens qu'il serait mieux accueilli. (Moi, c'est la Première de Czerny que je veux – ou les Bürgmüller, ou les Gouvy…)

5. Le vendredi 3 juin 2016 à , par Farfarello

C'est pas tout à fait le sujet, mais puisque vous l'évoquez dans votre article: est-ce que la Tragédie de Salomé de Schmitt a été enregistrée en version intégrale (surtout que l'orchestration est différente, non ?) ? J'aime beaucoup la suite, que j'ai redécouvert en profondeur récemment, mais si vous dites que le reste est encore mieux...!

6. Le dimanche 5 juin 2016 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Farfarello !

Oui, ça a été enregistré, mais dans une version orchestralement allégée (je ne trouve pas que ça fasse une différence nette en bien ou en mal, personnellement, cependant d'autres m'ont confié leur frustration de ne pas disposer du très grand orchestre). Ça se trouvait dans l'antique collection « Patrimoine » de Naxos, par Patrick Davin et le Philharmonique de Rhénanie-Palatinat, en très grande forme – contrairement à leurs autres enregistrements pour la même maison, assez frustes et pas très en style. Ce doit être passablement épuisé, et ça vaut la peine de chercher.

Quand je dis que le reste est encore mieux, c'est que la Suite ne conserve quasiment que les danses isolées : on perd toute la musique plus narrative… Comme pour l'Oiseau de feu lorsqu'on se limite au Khorovod, à Kastcheï et à la Berceuse, on entend bel et bien des splendeurs de premier ordre, tout en laissant passer des ponts d'une finesse encore supérieure. En tout cas, si on aime la Suite, découvrir la totalité est une évidence, pour un résultat tout sauf décevant. (La Suite en concert est déjà une très, très bonne nouvelle cela dit !)

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