La nouvelle saison et l'avenir de Radio-France
Par DavidLeMarrec, samedi 30 avril 2016 à :: Saison 2016-2017 :: #2801 :: rss
Suite à plusieurs réclamations, un mot sur la saison de Radio-France, et sur ce qu'elle inspire quant à son avenir.
Je reprends en partie le commentaire en réponse à Berwald sous la notule consacrée à la Philharmonie, au moins pour la partie sélection :
[à propos des bruits de couloir sur une saison essentiellement straussienne]Pour le reste, quand même beaucoup de Brahms et Strauss, j'ai peine à ne pas remarquer qu'on pourrait supprimer un orchestre sans trop bouleverser la vie musicale… Certes, on voit bien que le grand répertoire et le patrimoine français échoient plutôt à l'ONF, tandis que le Philhar' fait l'opéra, le classique, le contemporain et les décadents… mais cela souffre tellement d'exceptions, et pour un répertoire tellement homogène, qu'on ne ferait pas vraiment la différence s'il n'y avait que 2/3 des dates et un seul orchestre. Du point de vue du contribuable en tout cas, ça paraît tellement une évidence ; si encore l'un des deux se déplaçait en province, mais ils restent résolument sédentaires, au service des parisiens et maintenant dans la même seule salle de concert !
C'est toujours le cas lorsqu'on a un écho global, les autres ne regardent pas forcément les mêmes choses, et même les lignes de force ne sont pas forcément interprétées de la même façon (je suis enchanté du couplage Sibelius 2 / Tchaïkovski 6, qui est tout sauf une rareté).
Je ne ferai vraisemblablement pas de notule là-dessus : pas grand'chose de particulier à repérer (et plus d'avant-première), si on lit simplement la brochure, on voit tout ce qu'il faut. (Et puis j'ai des notules discographiques et « pédagogiques » en retard.)
[Bien, en fait, maintenant que vous avez amené le sujet, je crois que je vais en toucher un mot.]
J'ai effectivement repéré sensiblement les mêmes choses que vous :
– la Suite de Salomé de Schmitt ; hélas, comme pour l'Oiseau de feu et la plupart des suites du monde, il manque une grosse part du plus intéressant dans la Suite…) ;
– les 2 & 5 de Sibelius ; pas rare, mais j'aime ça, d'autant que je suis un converti plutôt récent) ;
– les 2 & 4 de Nielsen ; je désespérais de jamais voir la 2, en plus par Storgårds !
– week-end musique de chambre nordique : piano de Čiurlionis ; orgue de Kalniņš, Ešenvalds, Vasks, etc. ; Quatuors de Stenhammar, Szymanoski, Chostakovitch ;
– le couplage Lemminkainen (complet ?) de Sibelius / Symphonie de Debussy (l'orchestration de Matthews n'a pas été gravée semble-t-il, je n'ai vu que celle de Tony Finno) rend bien sûr curieux (même si, intrinsèquement, ce ne sont pas les plus grandes œuvres de leur auteur, surtout pour Debussy !).
La Cinquième de Sibelius a décidément une riche fortune ces derniers temps : en à peine plus d'un an, quatre programmations, pour un compositeur qui était quasiment absent des programmes il y a quinze ans… On a eu l'Orchestre de Paris en septembre 2015, le Philhar' en avril 2016, il y aura le Philharmonia en octobre 2016, et l'ONF en décembre 2016… Ils pourraient nous donner la version originale une fois, tant qu'à faire.
La Nursery, ça n'a jamais été publié en version orchestrale, n'est-ce pas ? J'aime beaucoup le volume de Lise Boucher de la version pour piano. Il me semble, comme les Animaux modèles, que ce n'est proposé qu'en fragments pour un concert familial.
Monsieur Beaucaire ne me désintéresse pas, mais c'est beaucoup trop cher pour de la musique légère (surtout quand on a les Frivolités Parisiennes qui se produisent pour trois fois rien, avec un autre sens du style et surtout un tout autre enthousiasme !).
Je ne le leur souhaite pas, et cela fait davantage d'offre pour nous, mais il se peut bien qu'un jour, ce manque de lisibilité se paie assez cher pour eux. Même les logos sont identiques (une belle réflexion à ce sujet, là) !
Fragonard, fantaisie abstraite : Fusion des deux orchestres de Radio-France
La Cour des Comptes, très informée et lucide, dans un style direct et dépourvu de vindicte, livrait, il y a un an, un constat particulièrement éclairé :
¶ Lieu unique :
– « Contrairement à la BBC dont trois des cinq orchestres résident en province, les formations de Radio France sont implantées à Paris. »
– « La réouverture de l’auditorium en novembre 2014, salle unique pour les deux orchestres, donne une acuité nouvelle à ce problème de définition de leurs rôles. »
– « Dorénavant, leur présence conjointe à la Maison de la Radio va rendre patente la trop grande proximité de leurs programmations. »
¶ Indifférenciation des rôles :
– « La direction de la musique n’est pas apparue en mesure de piloter les programmations des formations musicales. Comme elle l’a indiqué elle-même, ce sont les formations musicales qui construisent leur saison. Les choix sont ensuite soumis à la validation du directeur de la musique. »
– « La grande proximité des répertoires entre les deux orchestres est corroborée par l’examen des contrats de travail de leurs chefs. Le contrat de M. Myung-whun Chung, chef d’orchestre de l’Orchestre philharmonique de Radio France, prévoit la programmation du grand répertoire symphonique, d’opéras, d’oratorios et du répertoire contemporain, quand celui de M. Daniele Gatti, chef d’orchestre de l’Orchestre national de France, retient la valorisation du grand répertoire symphonique et la reprise ou la création d’œuvres contemporaines. »
– « Tous les efforts de coordination renforcée se heurtent à des oppositions, comme en témoigne l’impossibilité, en septembre 2014, de créer une direction artistique commune aux deux ensembles, dont la seule annonce a conduit au dépôt d’un préavis de grève à l’Orchestre philharmonique de Radio France. »
– « la redéfinition de la spécificité des deux formations, option peu convaincante au regard des échecs passés de cette spécialisation »
¶ Vers la fusion :
– Ce n'est pas, contrairement à ce que la presse a pu résumer, la seule solution envisagée (mais la seule indiquée dans les abstracts…), seulement la plus efficace selon la Cour. Défendue d'ailleurs de façon très progressive, par un rassemblement des effectifs, qui dégonfleraient peu à peu. Évidemment, cela ne prend pas en compte la spécificité artistique et sonore de ces deux orchestres, qui ont bel et bien leurs identités propres de ce point de vue (le lyrisme élancé des cordes du Philhar' n'a rien de commun avec le grain très dense de celles du National…), mais le rapport défend assez bien son point de vue.
– « Dans un premier temps, le nouvel orchestre comprendrait un nombre important de musiciens garantissant la plus large programmation grâce à des déploiements à géométrie variable qui sont déjà ceux de l’Orchestre philharmonique. Cela éviterait ainsi de recourir à des remplacements externes, qui représentent une part importante des cachets. Dans un second temps, l’effet mécanique des départs à la retraite lui permettrait de retrouver une taille normale. »
– Il s'agit aussi de limiter le sous-emploi des musiciens, le paiement d'heures supplémentaires et l'embauche ponctuelle mais récurrente de musiciens externes : « Outre la question de la coordination, cette solution permettrait de
résoudre progressivement le sous-emploi chronique des musiciens de Radio France. Au titre de l’article 48 de l’annexe 11 de la convention collective, les musiciens travaillent 1 110 heures par an, horaire négocié en fonction des particularités du métier. Or, en moyenne annuelle, les musiciens de l’Orchestre national de France ont travaillé 703 heures entre 2010 et 2013 et ceux de l’Orchestre philharmonique 739 heures entre 2009 et 2013. Durant cette période, seuls quatre musiciens ont travaillé plus de 950 heures par an. Quatorze musiciens ont travaillé moins de 500 heures. Cette situation n’empêche pas le recours à des remplacements externes (1,4 M€ en 2013) et le paiement d’heures supplémentaires. »
De fait, lorsqu'on observe cette programmation homogène, dans un seul lieu, il est difficile de ne pas se poser la question – même si je doute que cela arrive avant un futur assez lointain, considérant l'effroi contractuel des responsables face à tout conflit.
Mais qu'un orchestre soit dédié aux tournées en province (il y a assez à faire à Paris, on peut bien partager !), ou à l'exploration du patrimoine français, tandis que l'autre servirait de formation de prestige qui jouerait les grands titres pour les besoins de la radio, ce ne serait pas absurde.
On pourrait aussi envisager que les extraits sonores diffusés sur France Musique (même si personne n'écoute la chaîne) soient enregistrés par les orchestres, puisqu'ils ont de toute façon un salaire fixe.
Teniers le Jeune, peinture d'histoire : L'Auditorium de Radio-France un soir d'affluence
Shugborough Hall (collection particulière).
À cela s'ajoute la question du déficit (abyssal, les chiffres figurent dans le rapport complet, la billetterie ne couvre rien), et donc notamment du remplissage. Au risque de répéter ce qui a déjà été dit : même si l'accueil est devenu plus adéquat depuis que l'entrée se fait à l'opposé de la salle (possiilité d'être à l'abri, lieu d'attente avec sièges, agents de sécurité très courtois, ce qui n'était pas le cas auparavant), le sentiment demeure le même, le public a l'impression d'être toléré, comme s'il était invité dans une émission de radio. Parce qu'il n'y a pas de lieu dédié, parce qu'on surveille sans cesse que les spectateurs ne prennent pas le mauvais couloir, parce ce qu'on replace de force les spectateurs du second balcon, quitte à leur donner de moins bonnes places (un premier rang de face se transformant en dernier rang de profil)…
Tout cela – à part le dernier point, que je trouve particulièrement déplaisant, on achète les places sur plan et je ne suis pas sûr que ce soit contractuellement très défendable, aucune autre salle de spectacle ne force les gens à quitter leur emplacement… – n'est pas très important, mais cela contribue sans doute, pour un public habitué à être accueilli dans des lieux conçus pour lui, à ne être très enclin à se déplacer spontanément vers la Maison de la Radio. Ce n'est pas très festif, disons.
Par ailleurs, sans vouloir verser dans de la sous-sociologie (ce qui est, paraît-il, encore pire que la sociologie), le public potentiel des mélomanes des XVe et XVIe arrondissements, ou de la Petite-Couronne-Occidentale, qui devrait se laisser séduire par la proximité, au contraire de la Philharmonie, est peut-être justement le plus sensible à cette question du décorum, ce qu'une salle un peu froidement fonctionnelle (les éclairages sont un peu durs) et un environnement pas totalement au service du spectateur ne servent pas idéalement.
À part ça, la salle a une très chouette acoustique dans les endroits où le son n'est pas étouffé par les angles supérieurs, on y est proche et on y voit bien de partout. Et il y aura Nielsen, Schmitt et Kalniņš la saison prochaine.
Commentaires
1. Le dimanche 1 mai 2016 à , par Berwald
2. Le dimanche 1 mai 2016 à , par DavidLeMarrec
3. Le lundi 2 mai 2016 à , par Berwald
4. Le jeudi 5 mai 2016 à , par DavidLeMarrec
5. Le vendredi 3 juin 2016 à , par Farfarello
6. Le dimanche 5 juin 2016 à , par DavidLeMarrec
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