mercredi 7 septembre 2016
Voir le discours musical
Expérience intéressante : la retransmission de la Huitième Symphonie de Mahler à Lucerne. Abbado devait la jouer il y a quelques années, mais, malade, n'avait pu le faire ; aussi Chailly a-t-il complété cette année le dernier volet manquant au cycle.
Ce n'est pas un événement en manque de publicité, il a été diffusé sur Arte (avec sous-titres, même), et a bien sûr fait très rapidement surface en ligne (pas sûr qu'il y reste, il y a apparemment un partenariat avec Medici.tv qui vend ses vidéos à la demande), pourquoi le mentionné-je ? Deux impressions étonnantes à partager.
¶ Contre toute attente, j'ai trouvé une certaine parenté avec la manière d'Abbado dans le résultat – ce qui est d'autant plus étrange que les musiciens ne sont pas du tout les mêmes qu'à l'époque de la Résurrection, et que Chailly n'a pas en général les mêmes tracés ronds et enveloppants, plutôt tourné vers le coloris. Est-ce de l'autosuggestion, je ne puis dire – elle est surprenante dans la mesure où je suis beaucoup plus attiré par Chailly et n'y cherche donc pas du tout d'Abbado…
¶ La réalisation vidéo, la plaie des retransmissions, en est exemplaire à un point spectaculaire : chaque entrée est documentée par un changement de plan, qui démarre très exactement au moment où les musiciens la jouent. En régie, Ute Feudel doit avoir assisté à toutes les répétitions et avoir la main sur la partition en permanence ! Les départs sont donnés avec la même précision que si la réalisatrice était le suggeritore embauché par Chailly, ce qui permet de documenter chaque entrée de chaque tuilage, et d'avoir toujours les yeux sur l'action. Épatant, il faudrait plus de vidéos de cette qualité (sur des œuvres plus accessibles) pour initier les néophytes à l'écoute symphonique.
Bien sûr, cela réclame une armée de cameramen pour disposer à chaque instant de tous les angles nécessaires…

Sinon, le résultat musical est bien sûr très beau – quand on joue Mahler avec de grands musiciens, c'est suffisamment écrit pour rendre forcément un effet convaincant, ce n'est pas une musique fragile comme peuvent l'être Schubert ou Schumann –, très intense, très juste.
Côté vocal, les chœurs sont très beaux (de grandes références : Radio Bavaroise, Radio Lettonne, Orfeón Donostiarra et le Tölzer Knabenchor), mais ce n'est pas trop la fête du côté des solistes – si Ricarda Merbeth demeure inébranlable (à défaut de grâce ineffable), Juliane Banse semble être en méchante méforme (son émission arrière, qui lui a toujours fait des aigus difficiles, ne pardonne pas en cas de mauvais soir), Andreas Schager force étonnamment (la partie est impossible avec beaucoup d'aigus très hauts, très longs, très doux et très puissants à la fois, très peu de ténors s'en sortent bien), Peter Mattei semble aussi forcer un peu sa nature (pour passer l'orchestre avec son émission douce), et Samuel Youn détimbre assez désagréablement, du moins en retransmission (ce semble plutôt lié à la nature même du placement). Restent Sara Mingardo, qui m'a toujours paru minuscule, et qui semble, plus de dix ans après la dernière fois où j'ai dû sortir le cornet acoustique (au quatrième rang dans du Vivaldi…), se promener sans difficulté au milieu de cet orchestre pléthorique (syndrome Stutzmann, Mahler la rend soudain très sonore ?), et bien sûr Mihoko Fujimura, au hiératisme irrésistible (son répertoire est étroit, mais en contrepartie, elle est toujours la meilleure partout !).
Un rien décevant, donc, par rapport à l'affiche vocale, mais tout est emporté avec un bel enthousiasme, pas de panique, tout va bien.
Quoi qu'il en soit, si l'on n'a pas la partition d'orchestre sur les genoux, regarder cette vidéo est le meilleur conseil possible pour entrer dans la logique de la symphonie, remarquable.
[Mais non, je vous en prie.]
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie En passant - brèves et jeux a suscité :
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