Franco Fagioli, Anima Atenea, George Petrou : airs rossiniens sur instruments anciens
Par DavidLeMarrec, dimanche 9 octobre 2016 à :: Opéra romantique et vériste italien :: #2856 :: rss
Il faut ensuite accepter une lecture très régulière rythmiquement – les chefs baroques jouent en général le romantisme avec très peu de rubato, ce que j'aime beaucoup personnellement, mais qui n'est pas historiquement exact dans le belcanto romantique. J'ai lu quelque part ce commentaire assez vrai sur ce disque : « la barre de mesure est reine » (en revanche en désaccord avec à peu près tout le reste de l'article, et surtout sur la justesse du cor – c'est davantage le timbre qui est dépareillé, la hauteur n'est pas tellement affectée).

Oh, pardon, mauvais fichier. Reprenons :
À une écrasante majorité, donc, je m'incline devant cette expression non biaisée de la volonté du peuple de Carnets et vous informerai de ce que l'on entend.
C'est assez simple en réalité, à défaut d'être toujours agréable.
Les œuvres sont du Rossini rare, voire très rare – en réalité tous documentés (et en plusieurs exemplaires !) par le disque, mais à peu près jamais donnés à l'échelle du monde : Demetrio e Polibio (son premier opéra commencé – le premier achevé et joué étant La Cambiale di matrimonio, une « farce comique »), Matilde di Shabran, Adelaide di Borgogna, Eduardo e Cristina, et puis deux quasi-standards du genre (quoique pas donnés tous les jours non plus), Tancredi et Semiramide. Fagioli les pratique depuis longtemps, il me semble avoir lu que son premier concert européen contenait du Rossini.
En cela, fort louable de mettre en valeur des pièces négligées, qui sur CSS pourrait croire cela antipathique ?
Le problème réside seulement dans les œuvres : autant on peut rencontrer des beautés un peu singulières dans certaines scènes de certains opéras de Donizetti (et bien sûr Bellini – les compositeurs belcantistes plus obscurs étant, pour avoir essayé, rarement exaltants, Vaccai excepté), autant chez Rossini, il ne faut pas s'attendre à de grandes surprises. Les mêmes formules, déjà simples, imitées à l'infini – et le fait qu'il s'agisse à chaque fois du même type d'air travesti (j'y reviens) ne fait qu'accentuer l'impression d'entendre peu ou prou les mêmes 5 minutes répétées 15 fois dans ce long album de 75 minutes.
Car autant le Rossini buffo est inventif, jusque dans sa musique, autant le Rossini serio se caractérise par une extraordinaire rigidité et une pauvreté harmonique et orchestrale assez abyssale. Otello et pour partie La Donna del Lago y échappent un peu, mais Armida ou Semiramide ne sont guère que des étals à glotte, aussi bien dramatiquement que musicalement. On y va pour ainsi dire pour choisir son gosier et ses gammes sur catalogue.
Je ne voudrais pas avoir l'air de juger, je conçois très bien qu'on s'intéresse avant tout au voix – et moi-même ne rechignerais pas à acheter des disques de vocalises sur différentes voyelles de chanteurs qui m'intéressent ! –, mais lorsqu'on est d'humeur à écouter de la musique, ça fait mal tout de même. On comprend mieux la hargne des glottophiles déçus par une distribution : dans ce répertoire, si l'on n'aime pas un timbre, même d'un bon chanteur, il n'y a vraiment plus rien à se mettre sous la dent !
Or, en l'occurrence… Déjà, le concept est de rendre à une voix d'homme ce qui aurait pu être chanté par les derniers grands castrats – même si Rossini ne l'a explicitement fait que pour Aureliano in Palmira, absent du disque. Or, ce postulat est infondé et presque toujours contre-productif, ainsi qu'exposé mainte fois : un contre-ténor ne chante qu'en voix de fausset et ne dispose pas du tout de la même puissance ni de la même étrangeté de timbre que les castrats (qui avaient un larynx d'enfant greffé sur une soufflerie d'homme adulte). De surcroît, la voix de Fagioli, quoique plus colorée captée de près qu'en salle, résonne essentiellement à l'intérieur de la bouche, assez en arrière, ce qui produit un résultat assez bouché, peu direct et percutant. C'est remarquablement agile, mais jamais insolent – le caractère héroïque est impossible à rendre de la sorte.
À cela, on peut ajouter que même si son timbre évoque toujours Bartoli (et même cette fois, étrangement, Podleś), il me paraît toujours aussi gris, à la fois pâteux et translucide ; à cela s'ajoute, même si c'est un défaut très partagé chez les belcantistes d'une part, chez les contre-ténors d'autre part, que la diction est totalement abstraite – tous les sons sont émis au même endroit, on ne distingue à peu près rien de ce qui est dit. Dire que les théoriciens du chant belcantiste parlaient de legato sulla parola (c'est-à-dire poser la ligature entre sons sur les mots, et non l'inverse) !
Certes, les volutes sont remarquablement virtuoses (et assez engorgées) et d'une netteté irréprochable (un peu mécanique d'ailleurs), mais c'est tout ce qui me reste.
Lorsque, sur la dernière piste, arrive un partenaire, on se dit : oh, voilà enfin un timbre viril ! Il s'agit pourtant de Christos Kechris, ténor léer mozartien : pas un Belmonte, un Ottavio ou un Tamino, non, non, un Pedrillo, un Basilio et un Monostatos ! Ses derniers engagements : Pedrillo dans l'Enlèvement au Sérail, Basilio dans les Noces, Monostatos et le Second Prêtre dans la Flûte, Abdallo dans Nabucco, le Jeune Marin et le Berger dans Tristan, Danielli dans Les Vêpres siciliennes, Remendado dans Carmen… Voyez vous-même (très bon chanteur par ailleurs), pas exactement un hurleur tatoué.
Si vous voulez absolument prendre du plaisir à écouter des rôles travestis de Rossini en tranches (à tout prendre, c'est plus court que l'opéra, et pas forcément moins dramatique), Ewa Podleś fait ça remarquablement avec sa double voix de contralto et de mezzo-soprano (le récital paru chez Naxos, par exemple).
Commentaires
1. Le vendredi 14 octobre 2016 à , par Paulette
2. Le samedi 15 octobre 2016 à , par DavidLeMarrec
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