Carnets sur sol

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jeudi 29 décembre 2016

Les quatuors d'orchestre


Attention : L'expression « quatuor d'orchestre » peut aussi désigner l'ensemble des cordes d'un orchestre. Ce n'est pas dans ce sens-là qu'elle est employée dans cette notule.

La plupart des quatuors qu'on entend en salle sont des quatuors constitués / quatuors permanents, c'est-à-dire quatre musiciens permanents qui vont de ville en ville jouer les œuvres qu'ils ont préparées.

Il existe également des quatuors de solistes, où des grands noms habitués aux concertos (actuellement, le quatuor Arcanto : Antje Weithaas, Daniel Sepec, Tabea Zimmermann et Jean-Guihen Queyras, soit peu ou prou les trois meilleurs représentants mondiaux de leur instrument…) se retrouvent ponctuellement pour faire de la musique de chambre. Le résultat est variable selon leur affinité avec l'exercice et la régularité de leurs rencontres (en l'occurrence, les Arcanto se réunissent souvent et sont vraiment remarquables) ; souvent – malgré la qualité extrême de leur précision – la vision d'ensemble et la construction générale, faute de temps, ne valent pas les quatuors constitués, même ceux dotés de moyens techniques sensiblement plus modestes.

Mais on entend aussi quelquefois des quatuors d'orchestre dont le nom évoque plus ou moins directement les grandes phalanges, et constitués de membres des pupitres de cordes. L'essentiel de leur carrière individuelle se déroule au sein de l'orchestre éponyme, et leurs habitudes de travail sont extrêmement différentes.

→ Dans les orchestres de niveau international (et même les grands orchestres locaux), les instrumentistes doivent avant tout être de grands lecteurs et très réactifs. Toutes les semaines, des traits d'orchestre nouveaux à maîtriser, dans des styles très différents, dans des programmes imposés et parfois très physiques. Une semaine le Mandarin Merveilleux, la suivante le Sacre du Printemps, la troisième une symphonie de Mahler, et puis hop, il faut retrouver de vieilles habitudes pour un programme Mozart, avec en première partie une petite création contemporaine livrée au dernier moment sur laquelle s'arracher les yeux…
    Et à chaque fois, s'adapter au chef – ce qui peut être difficile s'il est peu expérimenté ou excentrique, surtout lorsqu'on n'a que deux services pour préparer un programme : il faut le regarder pendant le concert !  Ou bien faire attention au soliste, surtout si c'est un chanteur, souvent en délicatesse (ou en mépris délibérément affiché) pour le rythme.

→ Dans un quatuor constitué au contraire, on a des semaines pour préparer un ou deux programmes (donc six œuvres, disons), les fouiller au plus profond. Et on les rejoue souvent, devant des publics différents de lieux divers. C'est une philosophie complètement différente (pour la vie des musiciens aussi, toujours en déplacement et avec les trois mêmes compères/commères), qui laisse musicalement le temps d'explorer et de mûrir les pièces fondamentales du répertoire.

Il existe des maisons chez qui le quatuor d'orchestre est institutionnalisé (Wiener Konzerthaus Streichquartett pour le Philharmonique de Vienne, Philharmonia Quartett et Athenäum-Quartett pour le Philharmonique de Berlin…). Sans être aussi abouties, la plupart du temps, que celles des meilleurs quatuors permanents, leurs interprétations sont réellement fouillées et leur cohésion irréprochable – il valent tout à fait de bons quatuors constitués de niveau standard.

Chez les autres, et particulièrement chez celles où les concerts se font toutes les deux saisons, même pas nécessairement avec les mêmes musiciens, il ne faut pas attendre la même qualité de finition – ni même, étrangement, un enthousiasme comparable chez les interprètes.



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Gaudenzio FERRARI, Quatuor d'orchestre céleste ad hoc pour célébration mariale
Fresque du Santuario della Madonna dei Miracoli à Saronno (1534-1536)




Tirées de la prochaine notule sur le programme de janvier (et, donc, le bilan de décembre), quelques impressions sur le Quatuor de l'Orchestre de Paris (mais récurrente avec les autres orchestres de la capitale, comme mentionné) à l'occasion de d'un programme donné dans la salle de répétition de la Philharmonie :

♠ Musique de chambre de Schumann (Märchenerzählungen, Quatuor n°3) et Kurtág (Trio d'hommage à R. Sch. et Microludes pour quatuor) par des musiciens de l'Ensemble Intercontemporain et de l'Orchestre de Paris.

♠ Programme jubilatoire, mais un brin déçu par l'exécution, pour des raisons que j'aimerais détailler à l'occasion : je ne suis pas persuadé qu'il soit raisonnable d'aller voir des quatuors d'orchestre, même lorsqu'ils jouent des œuvres rares. À chaque fois (Opéra de Paris dans Magnard, National de France dans Saint-Saëns, Orchestre de Paris dans Schumann et Kurtág), l'impression d'un manque de cohésion, voire d'implication.
    On le perçoit très bien dans la comparaison entre le violon solo de l'Intercontemporain, d'une netteté incroyable (premier violon dans les Microludes, second dans le Schumann où on ne l'a jamais aussi bien entendu !), tandis que les musiciens de l'Orchestre de Paris étaient (et c'est logique, vu leur pratique d'orchestre), beaucoup moins dans l'exactitude de l'attaque, plus dans une sorte de flux général…
    Ni architecture, ni précision (même la justesse quelquefois…) – au sein d'un pupitre à vingt musiciens, ce n'est pas gênant, tout cela s'équilibre (d'où le fait que des chœurs amateurs puissent très bien sonner avec des participants au niveau individuel moyen), mais lorsqu'il faut seul tenir le discours, il y a là quelque chose de vaporeux, d'indécis, d'un peu frustant en définitive.

♠ Ils ont clairement bénéficié de peu de répétitions, et en tout cas rien de comparable avec un ensemble constitué qui répète tous les jours la demi-douzaine de mêmes œuvres pendant des semaines !  (Quant au niveau requis pour intégrer l'Interco, c'est tout de bon un autre monde.)
Bien que je les croie parfaitement de bonne volonté (je doute qu'on fasse ces concerts supplémentaires par obligation), il n'y a pas vraiment d'intérêt à écouter des quatuors par des ensembles éphémères, dès lors qu'on a le choix de l'offre – et les Microludes comme le Troisième de Schumann sont programmés assez fréquemment.


    Pour l'Opéra de Paris dans Magnard, j'étais vraiment mécontent : œuvre déjà très formelle et peu engageante, et l'ennui de jouer semblait transpirer… vraiment un mauvais service à rendre à Magnard, autant jouer un Schubert qui n'aurait pas nui à la réputation du compositeur (certes peut-être davantage à la leur, joué comme cela…).
    Pour l'ONF dans Saint-Saëns, c'était objectivement très bien, il manquait l'étincelle ou je n'étais pas réceptif ce jour-là – car dans d'autres programmes de chambre (Ravel, Szymanowski, Berg…), je les avais trouvés fulgurants.

En revanche, d'excellents souvenir du Quatuor de l'Orchestre National Bordeaux Aquitaine (avec selon les jours Vladimir Nemtanu ou Stéphane Rougier, Tasso Adamopoulos, Étienne Péclard), pas du niveau invraisemblable des grands quatuors ni des jeunots du CNSM, mais avec une gourmandise très entraînante… Alors que cet orchestre joue souvent à l'économie, les chefs de pupitre sont toujours très investis en musique de chambre. Mais là aussi, leurs réunions (du moins publiques !) étaient rares, une fois par saison maximum, et je ne suis même plus sûr qu'il soit toujours en activité – de toute façon, dans l'orchestre, il ne reste plus que Stéphane Rougier.

(Témoignages appréciés sur les pratiques d'autres maisons.)

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*  *

Quoi qu'il en soit, cette réalité, évidente quand on y songe, mérite d'être soulignée : les noms prestigieux de ces formations inspirent la confiance, mais le résultat est en réalité souvent assez inférieur à n'importe quel quatuor permanent. À réserver à ce qui n'est pas donné ailleurs… et encore, avec toutes les réserves nécessaires si jamais l'œuvre vous paraît terne.

L'occasion de rappeler que beaucoup de jeunes quatuors, mieux formés que jamais, exercent tous les jours dans des concours gratuits ouverts au public, dans leurs conservatoires d'origine ou dans de petites salles pour des sommes très modiques. Profitez-en !

(Je pourrais peut-être saisir l'occasion pour proposer une petite liste de quatuors en activité à aller voir…)

lundi 26 décembre 2016

[Sélection lutins] – Boucles !


En ce temps d'épiphanie, l'occasion de dévoiler un peu d'intimité musicale.

Après, avoir, une fois de plus, repris l'essentiel de l'acte II de l'Orfeo de Rossi dans une boucle infinie – Che può far Citerea, Al imperio d'amore, la mort (vidéo de ces extraits) –, voilà le prétexte de partager quelques-unes de ces pièces ou des ces instants que je peux me repasser à très court intervalle et à haute itération.

Le concept est un peu différent des instants ineffables, qui ne supposent pas forcément la répétition ; ces boucles peuvent être, du reste, des fragments, des mouvements ou des œuvres entières. Il s'agit de toutes ces pièces où l'on sent l'impulsion, en la finissant, de la remettre immédiatement.

Chose que je fais rarement, du reste (une grande partie du répertoire s'y prête peu, du fait de la pratique de la variation, du développement…), les œuvres très mélodiques tendant naturellement à s'émousser ; et c'est pourquoi ce petit partage, insolite, peut être amusant.



Muller, jardinière en biscuit. Ronde de putti. Muller, jardinière en biscuit. Ronde de putti.



Ordre (approximatif) par date de naissance.

♦ D. Le Blanc – « Les Mariniers adorent un beau jour – [notules 1,2]
♦ A. Le Roy – « Ô combien est heureuse » – [notules 1,2]
♦ Anonyme fin XVIe – « Allons vieille imperfaite » – [notules 1,2]
♦ Monteverdi – Combattimento, deux premières strophes – [notules 1,2,3]
♦ Anonyme premier XVIIe – Passacaglia della vita – [liste]
♦ E. Gaultier – La Cascade
♦ Kapsberger – « L'onda che limpida » [son]
♦ Kapsberger – « Fanciullo arciero » [son]
♦ Rossi – Orfeo : Che può far Citerea – [notule & son]
♦ Rossi – Orfeo : Al imperio d'amore – [notule & son]
♦ Guédron – Ballet d'Alcine « Noires fureurs » – [notules 1,2,3]
♦ Guédron – « Dessus la rive de la mer »
♦ Moulinié – « Que vous avez peu de raison »
♦ Moulinié – « Quelque merveilleuse chose »
♦ Moulinié – « Vous que le dieu Bacchus a mis »
♦ Lully – Cadmus : Chaconne des Africains « Suivons l'Amour » – [notice]
♦ Lully – Thésée : Combats et prières de l'acte I – [notule, hors-scène]
♦ Lully – Atys : « Atys est trop heureux » – [notice]
♦ Lully – Amadis : Invocation d'Arcabonne « Toi, qui dans ce tombeau » – [notule]
♦ Lully – Amadis : Déploration d'Oriane « Ciel ! ô ciel !  Amadis est mort » – [notule]
♦ Lully – Amadis : Chaconne finale « Célébrons en ce jour » – [notule]
♦ Lully – Roland : Duo & Chaconne – [notice]
♦ Sanz – Canarios – [extrait]
♦ Charpentier – Médée : les 3 duos d'amour (II,IV,V) – [notule]
♦ Murcia – Folías Gallegas – [notule]
♦ Visée – Passacaille de la Suite en la mineur
♦ Lalande – Jubilate Deo omnis Terra : « Populus ejus », « Introite portas »
♦ Lalande – Jubilate Deo omnis Terra : « Laudate nomen ejus »
♦ Campra – Exaudiat te Dominus : « Exaudiat te Dominus » [notice]
♦ Campra – Idoménée : « Venez, Gloire, Fierté » [notule]
♦ Campra – Idoménée : « Espoir des malheureux » [notule]
♦ Jacquet de La Guerre – première Passacaille en la mineur – [notule]
♦ F. Couperin – Offertoire de la Messe pour les Paroisses
♦ F. Couperin – Première Leçon de Ténèbres – [notice]
♦ F. Couperin – Troisième Leçon de Ténèbres – [notice] / [en attendant une discographie exhaustive préparée depuis longtemps]
♦ Jean Gilles – Requiem : « Requiem æternam »
♦ Jean Gilles – Requiem : « Domine Jesu Christe » (dans l'Offertoire)
♦ Destouches – Callirhoé, chaconne nocturne : « Ô Nuit, témoin de mes soupirs secrets » – [notule]
♦ Destouches – Callirhoé, duos du I : « Ma fille, aux Immortels quels vœux venez-vous faire ? » / « Mais, quel objet vient me frapper ? » – [notule sur les états de la partition]
♦ Destouches – Sémiramis : « Flambeaux sacrés » – [notule]
♦ Bach – Motet Singet dem Herrn : « Singet dem Herrn », « Lobet den Herrn in seinen Taten » [de même discographie exhaustive dès longtemps préparée, à publier un jour]
♦ Bach – Air Erfüllet, ihr himmlischen göttlichen Flammen de la cantate BWV 1
♦ Boismortier – Don Quichotte : « Expire sous mes coups, discourtois enchanteur »
♦ Boismortier – Don Quichotte, danses
♦ Mondonville – Cœli enarrant : « In sole posuit »
♦ Gluck – Iphigénie en Tauride : air d'Oreste « Dieux qui me poursuivez »
♦ Gluck – Iphigénie en Tauride : air d'Iphigénie « Non, cet affreux devoir »
♦ Grétry – L'Amant Jaloux : quatuor « Plus d'égards, plus de prudence »
♦ Grétry – Guillaume Tell : « Bonjour ma voisine » – [notule]
♦ Grétry – Guillaume Tell : « Qui jamais eût pensé que cet homme exécrable » – [notule]
♦ Salieri – Tarare : « De quel nouveau malheur » – [notule]
♦ Salieri – Tarare : « J'irai, oui j'oserai » – [notule]
♦ Mozart – Quatuor n°14, final
♦ Mozart – Così fan tutte : trio « La mia Dorabella » – [chroniques de représentations]
♦ Mozart – Così fan tutte : trio « Una bella serenata » – [chroniques de représentations]
♦ Mozart – La Clemenza di Tito : duo « Come ti piace, imponi » – [exploration]
♦ Mozart – La Clemenza di Tito : air « Parto, parto » – [exploration]
♦ Haydn – Quatuor Op.76 n°3, mouvements I & II
♦ Catel – Sémiramis : Duo de désespoir « Sort redoutable » et final – [brève évocation]
♦ Beethoven – Final choral de la Fantaisie chorale
♦ Beethoven – Quatuor n°8, mouvement lent
♦ Czerny – Symphonie n°1, mouvements I, III & IV [général, scherzo]
♦ Mendelssohn – Premier Trio avec piano : I, énoncé du thème
♦ Schubert – Die Schöne Müllerin : « Pause » – [projet lied français]
♦ Schumann – Liederkreis Op.24 : « Es treibt mich hin » [présentation & discographie]
♦ Schumann – Liederkreis Op.24 : « Warte, warte du wilder Schiffmann » [présentation & discographie]
♦ Schumann – Liederkreis Op.24 : « Schöne Wiege meiner Leiden » [présentation & discographie]
♦ Schumann – Liederkreis Op.39 : « Überm Garten » [projet lied français]
♦ Verdi – Il Trovatore : récit de Manrico « Mal reggendo »
♦ Verdi – Simone Boccanegra : avertissement d'Adorno « Ah taci, il vento ai tiranni »
♦ Verdi – Les Vêpres Siciliennes : duo « Quel est ton nom ? » – [Verdi en français]
♦ Verdi – Requiem : Kyrie
♦ Verdi – Requiem : Ingemisco
♦ Verdi – Requiem : début du Lacrimosa
♦ Verdi – Don Carlos : déploration sur le corps de Posa – [éditions]
♦ Wagner – Tristan : postlude du II
♦ Wagner – Rheingold : première tirade de Loge
♦ Wagner – Rheingold : tirade de Froh « Wie liebliche Luft » [notule à venir]
♦ Wagner – Siegfried : tirade « Wie des Blutes Ströme » [ordalie]
♦ Wagner – Die Meistersinger : appel des Maîtres [son]
♦ Wagner – Parsifal : interlude du I
♦ Wagner – Parsifal : annonce du couronnement « Du wuschest mir die Füße »
♦ Reyer – Sigurd : duo du désenvoûtement « Des présents de Gunther » [chapitre Sigurd]
♦ Smetana – Dalibor : Marche de Vladislav [détail du livret, œuvre & enregistrement libre, discographie exhaustive]
♦ Smetana – Dalibor : fin du I [détail du livret, œuvre & enregistrement libre, discographie exhaustive]
♦ Smetana – Dalibor : début du II [détail du livret, œuvre & enregistrement libre, discographie exhaustive]
♦ Brahms – Premier Trio avec piano : énoncé du thème
♦ Brahms – Premier Trio avec piano : trio du scherzo – [scherzo]
♦ Brahms – Variations sur un thème de Haydn : choral initial & variation finale
♦ Brahms – Première Symphonie : énoncé du thème des variations finales
♦ Brahms – Quintette avec piano : thème principal du scherzo – [scherzo]
♦ Saint-Saëns – Chanson à boire du vieux temps
♦ Delibes – Lakmé : Quintette « Miss Rose, Miss Helen, respectez les clôtures »
♦ Tchaïkovski – Eugène Onéguine : dialogues de cotillon et provocation en duel [sources]
♦ Tchaïkovski – Pikovaya Dama : serment à l'orage [brève discographie, mise en scène]
♦ Tchaïkovski – Pikovaya Dama : hymne à la nuit [brève discographie, mise en scène]
♦ Tchaïkovski – Symphonie n°3 : mouvements extrêmes
♦ Tchaïkovski – Symphonie n°6 : mouvement III – [notule, possibilités d'interprétation]
♦ Dvořák – Rusalka : ballet royal – [notules 1,2,3]
♦ Rott – Symphonie en mi : mouvements I et IV [liste de notules]
♦ Debussy – Quatuor, mouvement III, climax
♦ R. Strauss – Elektra : tirade de Chrysothemis « Ich kann nicht sitzen » [discographie]
♦ R. Strauss – Die Frau ohne Schatten : envoi de l'air de l'Empereur « Kann sein, drei Tage »
♦ R. Strauss – Die Frau ohne Schatten : Erdenflug
♦ R. Strauss – Arabella : « Ich weiß nicht wie du bist » (partie centrale du duo du Richtige) [notules & discographie exhaustive]
♦ R. Strauss – Friedenstag : marche des soldats Réformés [notule & son]
♦ Koechlin – Sonate pour violon et piano : final
♦ Koechlin – Quintette pour piano et cordes : final
♦ Mahler – Symphonie n°2 : à partir de l'entrée des chœurs [notule & lieder]
♦ Mahler – Symphonie n°7 : thème principal du dernier mouvement [autre notule]
♦ O. Fried – Die verklärte Nacht [notule & son]
♦ L. Aubert – « La mauvaise prière »
♦ Schreker – Die Gezeichneten : Entrée de Tamare [chapitre entier à remonter]
♦ Schreker – Die Gezeichneten : Prélude du II [chapitre entier à remonter]
♦ Ireland – Sea-Fever [1,2]
♦ Le Flem – Symphonie n°1 : final
♦ Schoeck – Quatuor n°2 : thème principal [notule]
♦ Auric – 4 Chansons de la France malheureuse : « La Rose et le Réséda » [notule]
♦ Walton – Symphonie n°1 [notule]
♦ Damase – l'Opéra dans Colombe [notule]
♦ Damase – Eugène le Mystérieux, marche des Trois Couleurs [notule]
♦ Stockhausen – Mantra [parce que]
♦ Kalniņš – Mostieties, stabules un kokles (psaume) [commentaire]



Muller, jardinière en biscuit. Ronde de putti. Muller, jardinière en biscuit. Ronde de putti.



Légende : Jardinière de Muller en biscuit (XIXe siècle). Ronde de putti.

Bien sûr, pour prolonger le plaisir, je ne puis trop vous inviter à découvrir, outre les autres instants ineffables, d'autres œuvres de vaste valeur, peut-être moins propices à si haute itération, mais à fréquenter résolument. C'est la raison d'être de la section des Putti d'incarnat et autres Sélections lutins, qui s'est progressivement enrichie de sélections de :
♫ symphonies,
♫ quatuors à cordes,
♫ musique sacrée,
♫ opéras contemporains,
♫ trios de toutes formes,
♫ quatuors avec piano,
♫ œuvres pour piano solo,
♫ sonates avec violon,
♫ lieder orchestraux,
♫ jubilation cosmique,
♫ concertos pour clarinette,
♫ chœurs profanes a cappella,
♫ mélodies maritimes,
♫ quintettes pour piano et cordes,
♫ concertos pour piano
♫ …et scherzos !

Listes enrichies au fil des ans et périodiquement mises à jour.

Vos propres propositions sont bien sûr toujours bienvenues, soit pour me faire compléter mes expéditions, soit pour attirer l'attention des autres lecteurs sur des œuvres que je n'ai pas appréciées à leur juste valeur.



Bonnes découvertes répétitives !  N'en abusez pas – pour ça, il y a Philip Glass.

Travers d'architecture et emplettes de face


    Après avoir testé un peu tous les emplacements de la Philharmonie de Jean Nouvel à Paris, je me faisais quelques remarques sur le peu de conscience des professionnels lorsqu'ils se mettent au service d'un autre domaine. En l'occurrence, je peux le mesurer (dans ma chair, pour ainsi dire). Une salle de concert n'est pas un pur objet architectural : elle ne se limite pas à son volume et à ses espaces.

    J'aime assez la Philharmonie, investissement coûteux probablement superflu mais qui a assez bien atteint son but : avec une jauge plus grande que Pleyel, on y entend mieux (des meilleures places, sinon on y entend nettement moins bien), c'est tout le temps très bien rempli, même pour les programmes ambitieux, et le public y est plus renouvelé qu'à Pleyel – en gros, plutôt le public des musiciens et mélomanes désargentés de l'Est parisien que le public des notables de l'Ouest (et comme ça rajeunit mécaniquement, les décideurs sont contents).
    Pour le renouvellement du répertoire et de la forme des concerts, comme on pouvait s'en douter (et comme je l'avais un brin prédit, si on remonte le fil les notules à ce sujet), les grandes expérimentations des deux premières saisons semblent s'éloigner : moins d'œuvres à effectifs spectaculaires ou à dispositifs singuliers, moins d'invitation d'ensembles amateurs, et d'une manière générale une structure des programmes qui reste assez complètement dans le schéma rigide ouverture/concerto/entracte/symphonie (ou cycle du même compositeur). Les programmes thématiques-exogènes de la Cité de la Musique, dont on aurait pu croire qu'ils constitueraient un modèle (mais sans doute plus difficiles à vendre, car hétéroclites) ont largement disparu. Mais enfin, vu la largeur de l'offre, même en se limitant à la Philharmonie, il n'y a vraiment pas lieu de se plaindre.



Toutefois, certains défauts de conception paraissent très évidents à l'usage.

■ Cette salle énorme dispose de la plus petite entrée des grandes salles parisiennes. Sans mobilier (on a fini par ajouter au fond deux bancs pour trois personnes…). C'est pourtant le lieu où l'on s'attend, où l'on peut se retrouver à l'entracte… pourquoi ?

■ À l'inverse, la quantité d'espace inutilisée est gigantesque : plus de la moitié de la surface du grand couloir hélicoïdal (qu'on ne peut même pas emprunter en entier, parfait pour se perdre) ne dessert rien et ne voit passer personne. Au prix du mètre carré… Là encore, aucun mobilier (même pas des poubelles), aucun endroit signalé comme lieu de convivialité. Et le foyer où, certes, je ne cherche jamais à aller, n'est paraît-il pas fini. Un camarade en a pris une photo et l'a montré à des amis : on lui a répondu qui une décharge à Sarcelles, qui les ruines d'Alep.
Comme un architecte peut-il ne pas prendre en compte les flux de personnes et les lieux de vie dans la conception d'un bâtiment ?

Certes, pour un amateur de solitudes urbaines dans mon genre, les couloirs déserts en plein entracte (quoique un peu stressants lorsqu'on arrive à peine avant l'heure…) ont une forme de poésie crépusculaire assez séduisante. Mais ça me paraît un corollaire particulièrement involontaire et ressenti comme positif par une quantité assez marginale de visiteurs.

♪ Dans la salle, ce devient plus gênant. Sur la note d'intention, le principe des nuages modulables (on n'a rien vu moduler du tout, hein) est très poétique, pour envelopper l'auditeur dans des nappes de son. Dans les faits, ça rend bien sûr (en plus des matériaux trop réverbérants) le son assez flou. Pour une salle dédiée au répertoire symphonique, ça pose évidemment des problèmes pour laisser le détail perceptible. Du fait de la (très belle) asymétrie de la salle, cela rend le confort sonore très aléatoire tant qu'on n'a pas essayé tous les angles. Et ce ne sont pas les places les plus chères qui sont les meilleures !  (je trouve le parterre vraiment flou, et le premier balcon de face manque d'impact)  Dans le même temps, certaines des places les moins chères (second balcon latéral) sont vraiment infâmes, je déconseille même de faire le déplacement si on n'a que ces places : on n'entend à peu près qu'un brouhaha assez difficilement discernable, comme si seul le volume sonore / le bruit nous parvenait en lieu et place de la musique, même dans des œuvres baroques sur instruments anciens…
    Que personne n'ait pensé que mettre de l'espace tout autour de la salle provoquerait un flottement vaporeux du son, et que ce ne conviendrait pas forcément à la musique jouée, voilà qui me laisse encore songeur.

♪ Encore plus simple : l'un des endroits les plus chers et les plus prestigieux est, déjà visuellement, inadéquat. Sur le côté jardin, en forme de proue de navire, se dresse une plate-forme blanche inclinée vers la scène, surélevée face au premier balcon des pauvres (qui est noir, pour bien mettre les choses au clair). On voit très nettement qu'il s'agit de l'endroit, central, où vous serez le plus facile à apercevoir (au parterre, on est vite caché par les balcons supérieurs, ou par le nombre qui vous entoure), et donc du lieu de tous les prestiges – entre amateurs, nous l'appelons le Balcon de la Reine : même s'il est en réalité historiquement situé dans le coin du roi, c'est plus joli.
    N'importe quel amateur qui a testé quelques emplacements dans les salles (autres que les seuls parterres et balcons de face…) a remarqué que, si l'on est placé totalement dans le dos des premiers violons, la ligne mélodique peut paraître étouffée, et le spectre général déséquilibré.
    À cela s'ajoute, encore plus élémentaire, qu'une bonne partie de ces places vendues au tarif le plus élevé sont situées à la latérale, voire derrière l'emplacement des chanteurs !  Et ce n'est évidemment pas du tout confortable (à la Philharmonie, vu l'ampleur du lieu et de la réverbération de l'orchestre, c'est simple, on n'entend plus qu'un vague écho).
    Qu'on les vende plus cher que les places du reste du balcon jardin (où le son est forcément meilleur, grâce au mur de renvoi tout contre), soit, elles sont plus jolies, mais qu'on les présente implicitement comme le meilleur point acoustique de la salle, voilà qui paraît bien exotique.




arrière-scène
Profondeur de salle depuis l'arrière-scène impaire (jardin), avec un bout du Balcon de la Reine du côté du Roi.




Au demeurant, cette salle a d'autres qualités.

♥ Des meilleurs endroits (pas les plus chers, loin s'en faut), on y entend vraiment très bien, un son à la fois ample, coloré et précis, un peu comme dans les belles prises de cathédrale au disque (façon Eterna / Berlin Classics).

♥ La visibilité est très bonne : tout au fond, ça reste un peu loin, mais globalement, pas de mauvais angles, pas trop de problèmes de voisins qui se penchent… même au parterre, le sol se soulève très vite, si bien qu'on y voit assez bien les membres de l'orchestre par rapport à une salle à fond plat.

♥ L'asymétrie et le côté rétro assez chaleureux (façon villa Arpel…) rend la salle très agréable à regarder, on a plaisir à lever le nez sans être limité à des murs blancs ou des peintures sophistiquées difficilement discernables. Particulièrement spectaculaire depuis les premiers balcons latéraux ou l'arrière-scène : les couleurs (blanc, noir, plusieurs jaunes & orangés) se juxtaposent et se pénètrent en blocs qui ne paraissent pas rationnels, et dont on peut s'égarer à admirer les contours. De plus, l'aspect suspendu des balcons procure une sorte de vertige horizontal, comme une aspiration vers cette étendue spacieuse et vide, assez grisant.



Mais tout de même, ne pas se poser à ce point la question de la quantité de spectateurs dans les parties communes, ni de la propagation du son en laissant une énorme caisse de résonance autour des sièges, et jusqu'à concevoir ses balcons de prestige à l'envers… Je reste dubitatif – on parle d'un des plus grands cabinets d'architecte du monde, en principe. On pourrait aussi concervoir des supermarchés avec un sol massant bosselé, ou un hôpital avec des lumières tamisées apaisantes dans les blocs.



Cela en attendant la parution de notules sur des œuvres et genres diversements interlopes, mais elles sont actuellement en gestation, c'est plus long à faire que dauber sur le métier d'archi, les postiers ivrognes et les plombiers imposteurs.

vendredi 23 décembre 2016

Bisous à tous les parlementaires


La période promeut la positivité. Pour un instant, abandonnez les enquêtes sur le restaurant du Sénat et les relevés d'assiduité strasbourgeoise. Entre deux élections diversement prometteuses, et au cœur de l'impuissance d'un pouvoir politique sur le départ, au milieu des doutes envers les régimes démocratiques, mettons-nous du baume au cœur et reprenons en refrain dans les rues :

[[]]
Interprétation : Simone Bartel, sur le vinyle probablement jamais reporté La Révolution française, chants et chansons des rues et des salons.


Tiré d'une chanson de 1789 célébrant la monarchie constitutionnelle :
Vive Louis Seize,
Ce bon roi citoyen !
Son cœur est aise
De faire notre bien !
… sur l'antique thème musical célébrant Henri IV (et par la suite tous les monarques successifs). Amusant d'entendre ce thème attaché à la contre-révolution et aux résistances royalistes, appliqué avec tant d'enthousiasme à une Assemblée par essence plus vaporeuse qu'un seul individu.


J'aime beaucoup, je programmerai ça en bis lorsque je remettrai (traditionnellement tous les soirs d'élection) Le Triomphe de la République de Gossec.
Si vous aimez la danse, venez, accourez tous !
… danse y rime avec France, comme de juste.

dimanche 18 décembre 2016

Reynaldo HAHN – L'Île du Rêve… et Trois jours de vendange


Le formidable flux de redécouvertes lyriques de Reynaldo Hahn (La Carmélite, La Colombe de Bouddha, Nausicaa, Prométhée triomphant) se poursuit – exclusivement à Paris, et sans laisser de traces sonores autres que mes bandes d'archives…

À cela s'ajoutent une parenté amusante et une petite discographie.



1. Hahn en Polynésie

L'Athénée redonnait cette fois son premier opéra (il existe un Agénor de 1893 quelque part… mais l'Île est composée en 1891, à l'âge de 17 ans, bien que créée en 1898 à l'Opéra-Comique), qui n'existait que dans une étrange vidéo (à nous fournie par un lecteur et ami de longue date…), produite par France 3 sur une plage de Tahiti, avec des chanteurs locaux.

Le livret d'après Loti est particulièrement stéréotypé : l'ingénue locale abandonnée par le militaire qui est rappelé en métropole, comme dans Lakmé ou Butterfly. Les personnages secondaires (la beauté locale, pas du tout vénéneuse ; l'ombre de l'aïeul qu'on ne peut abandonner ; le marchand chinois un brin infatué) sont plus intéressants, mais pas bien épais non plus, d'autant que l'œuvre est assez courte (trois actes de 30 minutes). Et le dernier acte est tout à fait superflu, ne faisant que dérouler ce qui était déjà affirmé à la fin de l'acte II.

Musicalement, on y trouve bien des beautés, une musique consonante et douce, mais raffinée, dépourvue de formules stéréotypées ou de platitudes du genre, vraiment pensée de bout en bout. Pas vraiment de sommets suffocants d'intensité, mais pas un pouce de banalité, toujours un doux lyrisme assez pudique et discret, une harmonie mobile sans être du tout ostentatoire. Et, en l'occurrence, la réduction orchestrale (cordes à 1 par partie) fonctionnait remarquablement bien, évitant d'alourdir ou de sirupifier ce que cette musique a déjà d'avenant ou de sucré.

La plus belle trouvaille est probablement le thème archaïsant, dans la droite ligne des grandes réussites rétro de Hahn (dans ses mélodies en particulier – À Chloris, Prison, L'Heure exquise…), qui parcourt tout l'acte II – l'acte qui explore le mariage, après la promesse du I et avant l'abandon réciproque du III.

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Et puis il y a ce très bel écho, où la prière du patriarche reprend exactement les harmonies prégnantes de la dernière strophe de sa mélodie Trois jours de vendange sur le poème d'Alphonse Daudet (le titre original est au pluriel, d'ailleurs), avant le Dies iræ.
Ce n'est probablement une coïncidence, considérant que les deux œuvres ont été composées la même année, en 1891.

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Et voici la mélodie complète (par Gérard Théruel et Maria Belooussova). Elle peut se trouver en vidéo – voyez aussi son Cimetière de campagne d'un naturel à couper le souffle – à mon avis, on ne peut pas mieux chanter que ça. [Il a peu enregistré, mais légué trois témoignages majeurs : Épaphus dans Phaëton de LULLY, les Histoires Naturelles de Ravel et le plus grand de tous les Pelléas, chez Casadesus.]

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2. Hahn ailleurs

    Hahn est aussi capable d'expérimenter de belles choses dans d'autres domaines, comme le motif postwagnérien (Nausicaa), l'harmonie plus debussyste (La Colombe de Bouddha), la rigueur formelle de la musique de chambre (ses quatuors avec ou sans piano sont de très grands jalons du genre !), l'exploration des possibilités pianistiques (en particulier son monumental cycle Le Rossignol éperdu, le premier de cette ampleur en France) et même l'oratorio décadent (Prométhée triomphant, quasiment du Chausson)… ou au contraire l'opérette (voire comédies lyriques, sans dialogues), dans laquelle il excelle (Malvina !), mais à laquelle on l'a souvent et très injustement réduit (Ciboulette, Mozart sur un livret de Guitry, Une revue, Le Temps d'aimer, Brummell, Ô mon bel inconnu encore avec Guitry, Le Oui des jeunes filles).

    En dehors de La Carmélite (opéra romantique tradi non dépourvu de beautés, mais pas très adroit et sur un très mauvais livret de Catulle Mendès), je n'ai pas croisé de ratages : dans tous les genres, il s'est exprimé à un haut niveau, et avec une diversité assez étonnante, excellant dans les langages les plus ambitieux de son temps comme dans la grande tradition formelle ou la veine populaire.

    Aujourd'hui
, hélas, on ne joue plus guère que la même demi-douzaine de mélodies, et on remonte de temps à autre ses opérettes, le plus souvent avec de petits budgets : Ciboulette, Ô mon bel inconnu, ou l'hybride format du Marchand de Venise. Pour couronner le tout, les versions des mélodies gravées au disque ne le sont que dans des anthologies (je n'ai vu publier que deux monographies Hahn…), et presque toujours par des chanteurs au français douteux ou peu formés à ce répertoire.

    La Compagnie de L'Oiseleur a fourni un travail inestimable en proposant, outre des mélodies rares, trois des œuvres lyriques mentionnées (La Colombe de Bouddha, Nausicaa, Prométhée triomphant) ; l'autre (La Carmélite) étant le fait du Conservatoire Supérieur de Paris. On ne doit cette Île du Rêve qu'à la coïncidence heureuse que le livret soit inspiré de Pierre Loti, et ait donc reçu l'intérêt du festival Musiques au pays de Pierre Loti, qui a notamment réuni l'orchestre ad hoc !



hahn_ile_reve_partition.png



3. Hahn au disque

Il n'est que partiellement documenté comme on s'en doute, mais on trouve tout de même quelques petites choses si l'on sait chercher :

► Opéra.
À part Ciboulette par Diederich chez EMI (Monte-Carlo, Mesplé, Alliot-Lugaz, Gedda, Benoît, Le Roux, van Dam…), je crois qu'on ne trouve à peu près rien. Peu de publications, et indisponibles de toute façon.

► Mélodies.
♦ On en trouve des bouts dans des anthologies (Sampson, Baquet, Arteta, Gens, Pérez, Burton, C. Ullrich, Antonacci, Druet, Connolly, Baechle, Lemieux, N. Spence, Polenzani, Degout, Wolff…), jamais très satisfaisantes, même indépendamment du programme qui est toujours le même : en général un réel manque de style et de précision (même chez Gens-Manoff, étrangement). Antonacci n'en chante que les mélodies italiennes au Wigmore Hall.
♦ Restent deux monographies : le disque de Susan Graham et Roger Vignoles, parfaitement estimable et sans faute de goût mais qui reste audiblement étranger, avec une voix très ronde pour ce répertoire. On y manque un peu de la finesse de pointe vraiment utile pour ce type de mélodies très nues, tirant souvent sur le style populaire ou la bluette de salon. L'autre est à peu près le seul ensemble recommandable, le vaste enregistrement par Didier Henry et Stéphane Petitjean, chez Maguelone, de cycles entiers de Hahn, en deux volumes. On sent que la voix d'Henry est épaisse, un peu déclinante, mais la diction y est parfaite et le style tout à fait adéquat. Ça n'a pas la fraîcheur ni la gloire de Théruel, mais c'est déjà très, très bien.

► Musique de chambre.
Quelques-unes de ses œuvres majeures ont été enregistrées, à défaut d'être aisément disponibles.
♦ Les deux Quatuors à cordes par le Quatuor Parisii (chez Auvidis, autant dire qu'à part en médiathèque…).
♦ Le Quintette avec piano par le Quatuor Parisii et Alexandre Tharaud, sur le même disque.
♦ Le Quatuor avec piano, par le Quatuor Ames (un des meilleurs ensembles constitués, chez Dorian Sono Luminus) ou le Quatuor Gabriel (chez Maguelone).

► Piano.
Il existe quatre (bonnes !) versions du Rossignol éperdu, Billy Eidi étant le plus net dans ce qui est probablement son meilleur disque (et Earl Wild le plus romantisant, dans ce qui est probablement la seule œuvre intéressante qu'il ait enregistrée…). Par ailleurs, Cristina Ariagno a réalisé une belle intégrale du piano de Reynaldo Hahn. On trouve aussi les quatre Portraits de peintres par Ronald Brautigam dans un disque d'exploration ambitieux chez BIS.

C'est peu pour un compositeur aussi réputé (et méritant).



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4. Hahn près de nous

Côté interprétation, il faut justement souligner la qualité exceptionnelle de l'orchestre éphémère du festival Musiques au pays de Pierre Loti, dirigé par Julien Masmondet pour la recréation de cette Île du Rêve, d'une qualité technique et artistique remarquable. Et quel régal sur le plateau : que des francophones particulièrement scrupuleux sur la diction !  La franchise uvulaire de Marion Tassou (que j'ai découverte avec enchantement), la rondeur très intelligible d'Éléonore Pancrazi, le naturel et la profondeur Ronan Debois (dont la voix a beaucoup gagné en rayonnement sans rien perdre de sa franchise ni de sa facilité), les étranges disparités de Safir Behloul qui projette incroyablement facilement sa voix et son texte. La seule petite frustration était d'entendre Enguerrand de Hys, formidable mélodiste (jusque dans les pièces difficiles de Poulenc !) et grand LULLYste, se serrer dans une émission très sûre, mais trop prudente, trop couverte, qui corsette ses beaux moyens. Diction et style parfaits ici aussi, bien sûr.
Tout ça à la fois sur un plateau, quand la norme est le volapük hululant (il suffit de voir les critères de recrutement à l'Atelier Lyrique de l'Opéra…), quelle suprise voluptueuse !

Pour complément, je signale le site (d'où j'ai tiré les deux illustrations et la date de composition) – tenu par le président de l'Association, Jean-Christophe Étienne –, très riche en informations factuelles et en coupures d'époque !

Je précise aussi que je dispose de tous ces inédits fraîchement exhumés en archives. Je ne souhaite pas, comme ils ne sont pas libres de droits (et que les artistes, pour une raison ou une autre, ne voudraient pas forcément exposer telle ou telle faiblesse qu'ils percevraient ce jour-là), les rendre publics ; en revanche, je peux éventuellement, sous l'engagement de le conserver aux mêmes conditions, faire écouter en privé les volumes qui vous intéresseraient… la diffusion de l'œuvre étant un peu le but de tout ce mouvement.

mercredi 14 décembre 2016

Nasalité physiologique et nasalité timbrale


    À la suite de la question d'un lecteur, sous la notule consacrée à la cause de la nasalité chez les ténors (« Pourquoi les ténors chantent-ils du nez ? »), l'occasion de distinguer (dans les commentaires sous la notule) entre le phénomène physique et la caractérisation du timbre : le timbre nasal ne procède pas principalement de l'usage du nez, et les voix nasales ne le paraissent pas nécessairement…
    Ne dit-on pas que l'on parle du nez… lorsque celui-ci est, précisément, bouché ?

    Sur la différence entre engorgement et nasalité, voir cette notule ; pour la question de l'usage des cavités nasales dans le passage vers l'aigu et l'équilibre du timbre, voire celle-là sur le partage de la résonance.

    Si cela peut commencer à assouvir la curiosité de nos infatigables lecteurs…

    [Vous pouvez toujours retrouver l'essentiel des notules glottologiques dans l'index par ailleurs pas du tout à jour.]

Opéra de Paris 2018


Par erreur, l'Opéra a publié hier soir, sur la page de son partenariat avec le Festival « Agir » du Monde, l'intégralité des titres de sa saison 2017-2018. Le lien est inactif ce matin, mais comme je sais les lecteurs franciliens avides de ce genre d'exclusivité, j'ai mis de côté la liste et je vous la livre aujourd'hui.

Les opéras sont organisés par date de naissance des compositeur (et, à l'intérieur, par date de composition).



Opéra à Garnier
► Haendel – Jephtha
■ Mise en scène de Claus Guth coproduite avec Amsterdam. Avec William Christie et Marie-Nicole Lemieux.
► Mozart – Così fan tutte
► Mozart – La Clemenza di Tito
■ Avec Marianne Crebassa en Sextus.
► Bartók / Poulenc – A kékszakállú herceg vára / La voix humaine
► Saariaho – Only the Sound Remains
■ Mise en scène de Peter Sellars.

Opéra à Bastille
► Rossini – Il Barbiere di Siviglia
► Donizetti – Don Pasquale
■ Nouvelle production. Avec Pretty Yende, Lawrence Brownlee, Michele Pertusi.
► Berlioz – Benvenuto Cellini
■ Nouvelle production de Terry Gilliam. Avec Philippe Jordan et John Osborn.
► Verdi – La Traviata
■ Reprise avec Plácido Domingo en Dottore Grenvil.
► Verdi – Le Trouvère
■ Avec Sondra Radvanovsky, Anita Rachvelishvili, Roberto Alagna (sur deux dates seulement).
► Verdi – Don Carlos & Don Carlo
■ Avec Sonya Yoncheva (vu l'évolution rapide de la voix, où en sera le registre stratosphérique requis ?), Elīna Garanča, Jonas Kaufmann / Brian Hymel.
► Verdi – Un Ballo in maschera
► Verdi – Falstaff
■ Reprise avec Bryn Terfel.
► Wagner – Parsifal
■ Importation de la mise en scène de Tcherniakov ?
► Moussorgski – Бори́с Годуно́в (Boris Godounov)
■ Nouvelle production : Ivo van Hove.
► Janáček – Z mrtvého domu (De la maison des morts)
■ Possiblement une nouvelle production. Avec Esa-Pekka Salonen et Štefan Margita.
► Puccini – La Bohème
■ Nouvelle production de Claus Guth. Avec Piotr Beczała.
► Debussy – Pelléas et Mélisande
► Lehár – Die lustige Witwe
► Ravel / Puccini – L'Heure espagnole / Gianni Schicchi
■ Avec Elsa Dreisig en Lauretta.

    Pour l'ère de l'audace, finalement assez semblable à Joel, les petites nouveautés dans le postromantisme italien en moins.
    Je m'émerveille tout de même qu'avec une subvention aussi énorme (et des excédents en la comptant), l'Opéra de Pais, doive faire la moitié de sa saison sur des grands standards du romantisme italien… À part Saariaho (qui n'est même pas une création, d'ailleurs), rien qui sorte du grand répertoire très usuel. Il y a bien Jephtha, Cellini et Z mrtvého domu, mais ce ne sont pas exactement des découvertes absolues… et toutes des reprises, déjà entendues à Paris (sinon à l'Opéra…) ces dernières années.
    Pas de baroque non plus, mais ce n'est vraiment pas leur corps de métier, d'autres le font tellement mieux, ce n'est pas une catastrophe.

    Le bon point, la juxtaposition des deux versions de Don Carlos… tout en redoutant que la facilité soit de faire une version française a minima, proche de la version italienne, sans bûcherons, sans ballet (probablement avec la Déploration sur le corps de Posa qui s'impose un peu partout, ouf). Plutôt la version de Londres 1867 retraduite en français que les versions de 1866 ou 1867 (voire combinées, comme dans les studios de Matheson et Abbado), crains-je.
    Mais ce sera déjà très bien.

    Pour le reste, comme je n'ai pas tout vu ; comme il y a des choses que je me réjouis de revoir ; comme, surtout, il n'y a pas que l'Opéra de Paris, ça fera très bien mon affaire. Une Clémence, un Don Carlos, un Parsifal, une Heure espagnole, le Saariaho, et puis, selon les distributions, le Boris et quelques Verdi  (Trouvère / Ballo / Falstaff). Voilà de quoi m'occuper un peu, surtout considérant la débauche du reste de l'offre.
     Toutefois, je ne peux m'empêcher de considérer qu'avec cette débauche de moyens, on aurait pu glisser une ou deux œuvres jamais entendues dans ces murs.

    L'Atelier Lyrique n'apparaît pas (pour l'heure ?) dans la programmation, sans doute parce que les chanteurs n'ont pas encore été recrutés et que les programmateurs ne veulent pas trop se lier les mains tant qu'ils ne disposent pas de leur troupe complète.



Récitals vocaux à Garnier
► Angela Gheorghiu (17 juin)
► Sophie Koch (15 octobre)
► Piotr Beczała (8 juillet)
► Simon Keenlyside (17 septembre)
► Matthias Goerne (22 avril)

Les cinq tessitures canoniques en concert. À la fois des grands noms et des habitués. Je n'ai pas encore les programmes, et vu les pratiques de la maison ces dernières années, nous les aurons quand l'artiste se sera décidé, deux ou trois mois auparavant…

Il est vraisemblable, néanmoins, que Gheorghiu ne chante ni les Ariettes oubliées, ni le Buch der hängenden Gärten ; et que Goerne nous fasse le Winterreise annuel de Garnier.



Ballets à Garnier
(dans l'ordre de la saison)
► Joyaux
► Balanchine / Teshigawara / Bausch
► Alexander Ekman
► Démonstrations de l'École de Danse
► Onéguine
► Orphée et Eurydice
► Spectacle de l'École de Danse
► Anne Teresa De Keersmaeker
► Thierrée / Pite / Pérez / Shechter (commence dans les espaces publics)
► La Fille mal gardée

Ballets à Bastille
► Don Quichotte
► Millepied / Béjart
► Sasha Waltz : Roméo et Juliette

Là aussi, énormément de reprises. Je n'aperçois pas (à part Joyaux, mais je ne vois pas ce que c'est) de ballet dramatique neuf. Aucun Tchaïkovski et une courte liste, étrange. Peut-être n'est-ce pas encore complet.



Concerts symphoniques à la Philharmonie
► Intégrale Tchaïkovski dirigée par Philippe Jordan :
■ 1&5, le 12 octobre
■ 2&4, le 27 mars
■ 3&6, le 15 mai

Excellente nouvelle pour moi : enfin entendre la 3 en concert, et d'une façon générale les premières qu'on joue peu. Je suppose que la Philharmonie est pour l'effet de mode, la ligne sur l'Ouverture au Monde dans la brochure envoyée aux élus et mécènes… mais c'est dommage d'une certaine façon : Bastille sonne magnifiquement en symphonique, c'est vraiment là où l'on peut entendre de loin sans aucune frustration. Avec beaucoup plus de netteté qu'à la Philharmonie (pas de réverbération parasite), et beaucoup moins de mauvaises places.

Alors le coût du déplacement de tout l'orchestre à travers Paris, je ne vois pas trop l'intérêt.

Moins de concerts symphoniques que les années passées aussi, semble-t-il.



Autres concerts
► Haydn / Bruch (Garnier)
► Hommage à Maurice Ravel (Garnier)
► Quintettes à cordes (Garnier)
► Stravinski – L'Histoire du soldat (Garnier)
► 4 concerts de musique de chambre (Amphi Bastille)
► 11 concerts-rencontres (Studio Bastille)



Je ne surveille pas, en réalité, ce type d'astuce (je ne suis pas si pressé de savoir ce que je ferai le 7 juillet 2018 !). Je l'ai simplement repérée grâce à mon excellent réseau de sentinelles éclairantes – en l'occurrence Xavier (et Patzak), sur le meilleur forum musical francophone. Et ne suis que le truchement actif de cette épiphanie impromptue.

mercredi 7 décembre 2016

Elias de Mendelssohn : Baal ou Dieu, Camacho ou Beethoven ?


    Deux remarques spécifiques en réécoutant Elias, cette fois en concert – sur instruments anciens avec Pygmalion, dans une édition étrange où manquaient de nombreux numéros, dont certains importants (toute la préparation de la scène de Baal, c'est-à-dire le n°10 « Heute, im dritten Jahre, will ich mich dem Könige zeigen », plusieurs paroles d'Élie, le premier quatuor vocal chanté par tout le chœur…). Pratique pour rentrer chez soi tôt lorsqu'on appartient aux classes laborieuses, mais j'espère que ce n'est pas pour cela. Étrange dans tous les cas : il n'y a aucun numéro supplémentaire, seulement d'assez nombreux numéros coupés (j'ai arrêté de compter, mais il y en a bien eu 8 sur 42) ; je n'en vois pas trop l'intérêt. Et je n'en trouve pas trace : l'œuvre a été traduite pour sa création mondiale en anglais, mais je ne vois pas mention de changement dans le contenu musical. De même pour les versions discographiques.
    Autrement, soirée magnifique (le grain et les couleurs de l'orchestre Pygmalion, l'abandon et les moirures d'Anaïk Morel, la limpidité glorieuse de Robin Tritschler…), ne serait-ce que pour entendre cette œuvre en action.

    Il est évident que Mendelssohn s'inspire du style sacré de Bach, notamment dans les doublures orchestrales (et encore plus avec des hautbois en poirier, dont le son se rapproche de ceux utilisés dans les Passions), ou dans le type de contrepoint, mais aussi des grands oratorios choraux de Haendel (Israel in Egypt, le Messie). À l'oreille pourtant, on reconnaît aussi le style du Beethoven choral (Fidelio, Missa Solemnis) et celui du Brahms à venir (avec les doubles appoggiatures caractéristiques, ou les mouvements harmoniques de Gärtner et Fingal) – rien d'étonnant sur ce dernier point, tant la musique chorale de Brahms doit à celle de Mendelssohn, tout aussi géniale par ailleurs, quoique considérablement moins donnée et enregistrée (sans que j'y voie de raison plus légitime que l'habitude).



    Du fait de l'abandon de son ami Klingemann pour le livret de son opéra Die Heimkehr aus der Fremde, Mendelssohn s'est appuyé sur le librettiste de son précédent oratorio Paulus, Julius Schubring, pour réaliser le projet évoqué avec ledit ami.

    Côté littéraire, l'œuvre reconstitue une trame narrative où, contrairement à Paulus, l'action se passe directement sous les yeux de l'auditoire, au discours direct. Pour ce faire, Elias est, comme le Messie de Haendel, un gigantesque patchwork de citations bibliques (Rois I bien sûr, mais aussi Deutéronome et Psaumes, souvent plusieurs dans un seul air !), pas forcément liées à Élie – certaines sont tirées de livres dont les actions sont postérieures aux Rois I, dont Ésaïe, Osée, Jérémie… et même Matthieu !
    Or, Élie n'est cité dans l'Ancien Testament, outre les Rois, que brièvement dans les Chroniques et dans Malachie ; par ailleurs, ces livres relatent des faits de 100 à 300 ans postérieurs (selon la datation traditionnelle) à la vie d'Élie, ce ne peut donc même pas être vu comme une reprise des anciens prophètes. Le résultat est très efficace et opérant – mais, bien que se résumant largement à des citations de textes sacrés, il les réordonne dans un sens qui n'a pas de rapport avec leur littéralité initiale.

    Mendelssohn était très conscient de ces enjeux de déplacement de sens ; à telle enseigne qu'il écrivait à son librettiste : « Peut-on dire de Baal qu'il est une idole des Gentils ?  Bien sûr, Jérémie paraît utiliser le mot dans ce sens, mais ne l'utilisons-nous pas exclusivement dans un autre sens ? ». Ce n'est pas exactement la même chose, mais cela montre bien la peur d'abîmer la signification primitive du texte – et, de fait, les emprunts disparates ne sont pas spectaculairement évidents une fois lus et entendus en contexte.

Les deux remarques, donc :



elie_baal_domeico_fetti_1622.jpg
La scène des offrandes par Domenico Fetti (1621-1622).
Collection royale de Buckingham Palace.




► Le chant d'imploration des suivants de Baal, le grand moment le plus dramatique de la vie d'Élie et le point culminant de l'action de l'oratorio (où les suivants du faux-dieu le supplient d'embraser leur sacrifice) m'a toujours paru étonnamment beau et entraînant.

[[]]
« Baal, erhöre uns ! »
« Baal, écoute-nous ! Tourne-toi vers nos offrandes !  Envoie-nous ton feu et anéantis ton ennemi ! »
Collegium Vocale de Gent, Orchestre des Champs-Élysées, Philippe Herreweghe (Harmonia Mundi).

Je vois bien l'effet moqueur voulu : leurs supplications très homophoniques, rythmiquement sommaires (à l'opposé de toute l'écriture très contrapuntique, beaucoup plus subtile, du reste de l'oratorio), répétées de façon de plus en plus tonnante et en vain, sont très réussies. Dans certaines versions, les cuivres crépitent même un peu, donnant une impression d'orphéon un peu dérisoire, d'instruments barbares et désuets, de trompes hitites, de sacqueboutes philistines… Mais cette harmonie majestueuse et pure ressortit plutôt, en fin de compte, à l'écriture sacrée de Mendelssohn, tout simplement.

Et l'impression est accentuée par la parenté assez accablante avec son Schlußchor (chœur conclusif) du célèbre Psaume 42 (Wie der Hirsch schreit / Comme brame le cerf après les eaux vives) : même grande écriture homophonique en choral preste, qui cherche ici à exprimer au contraire la majesté céleste et la simplicité de la foi véritable…

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Kammerchor Stuttgart, Klassische Philharmonie Stuttgart, Frieder Bernius (Carus).

Après l'introduction, vous entendez « Harre auf Gott ! » – « Espère en Dieu : à nouveau je lui rendrai grâce, le salut de ma face et mon Dieu ! ». Donc tout l'inverse, en principe, de la salutation sauvage des faux-dieux et du déhanchement dérisoire des païens qui prient le ciel vide. D'autant plus étonnant que Mendelssohn a écrit des imprécations et des orages vraiment impressionnants pour Elias (j'y viens).
Une grosse affaire de contexte, sans doute.



elie_baal_johann_heinrich_schoenfeld.jpg
Même sujet par Johann Friedrich Schönfeld (1650).
Dommuseum de Salzbourg.



Seconde remarque (car oui, je n'en ai fait qu'une jusqu'ici, je me suis tenu sage).

► Alors que les opéras de Mendelssohn brillent assez peu par leurs qualités dramatiques (même si Lorelei dispose de superbes atmosphères – pourquoi ne rejoue-t-on pas ça, et tout simplement ne l'enregistre-t-on jamais ?), Elias, en pleine maturité, manifeste au contraire un talent pour la grande fresque spectaculaire. Contrairement à Schumann, la finesse de l'écriture ne laisse jamais le spectre sonore s'embourber ; et on y trouve une flamme qui doit clairement beaucoup aux meilleurs chœurs de Beethoven – final de Fidelio et bien sûr Missa Solemnis, l'élégance, la souplesse et les jolies appoggiatures en sus. Étrangement, on trouve les mêmes qualités de masses dramatiques dans d'autres œuvres chorales qui ne contiennent pourtant aucun élément narratif, comme les 3 Psaumes Op.78.
    Un paradoxe qui comble d'aise, en l'occurrence.



♫ Tous ces détails infinitésimaux vous ont peut-être redonné l'envie de vous immerger dans l'ensemble de l'œuvre. J'en profite pour glisser quelques conseils dans une discographie abondante (mais non point infinie, on peut en faire le tour) et de qualité.
♪ Pour Elias, j'aime beaucoup Sawallisch I (Radio de Leipzig, chez Philips-Decca), très dramatique, avec Theo Adam très âpre en Élie, vraiment proche de l'esprit du texte. Plus souples et éduqués, avec de meilleurs chœurs (de merveilleux chœurs), Rilling chez Hänssler (pour autant très dramatique aussi, sans doute la version la plus aboutie de toutes) et Bernius chez Carus (un peu plus ronde et paisible). Herreweghe est remarquable aussi, de très belles couleurs neuves (la discontinuité du spectre peut séduire ou frustrer selon les goûts) et Sawallisch II (Radio Bavaroise, chez Hänssler) mérite tout à fait l'écoute. Plus mitigé sur la version sur instruments anciens de Hagel (chez Hänssler), qui manque vraiment de longueur de son ; Märkl (Radio de Leipzig, chez Naxos) est très bien, mais moins intense que les précédents. J'avais bien sûr trouvé Conlon épais, et j'avais trouvé Budday (chez K&K) décevant et McCreesh terne. Dohnányi 1966 aussi.
♪ Pour les Psaumes-cantates, énormément de grandes versions : Rilling, Corboz, Herreweghe, Bernius, tout cela est intense et excellent. (Le Paulus de Rilling aussi.)
♪ Pour le reste de la musique chorale sacrée, il existe l'intégrale Matt chez Brilliant Classics, pas celle qui a le plus d'éclat, mais très suffisante à montrer la qualité de cette musique. Sinon, l'archi-intégrale Bernius est bien sûr ce qui se fait de mieux. Les 3 Psaumes Op.78 mentionnés précédemment (des motets courts, pas ceux plus célèbres en forme d'oratorio) y sont exceptionnels – vous entendez la tenue du chœur dans le second extrait de la notule…
♪ Pour les chœurs profanes très négligés (en existe-t-il seulement une réelle intégrale ?), il faut commencer par le disque de la Radio de Leipzig dirigé par Horst Neumann (Berlin Classics), qui couvre des extraits des opus 41, 48, 50, 59, 75, 88 et 100, un moment de grâce absolue. On peut ensuite poursuivre avec les quelques autres monographies de qualité existantes (Carmina Kammerchor avec Hanke chez EMI, RIAS Kammerchor avec Rademann chez Harmonia Mundi, Europa Chor Akademie avec Daus chez Glor et diverses anthologies…).



J'ai lancé quelques pistes, je vous laisse faire joujou avec, si jamais ces sujets vous amusent comme moi ou si ce corpus vous enchante semblablement.

(Ah oui, le titre, c'est une référence à Die Hochzeit des Camacho, un de ses opéras de jeunesse – d'après le Camacho du Quichotte, étrange choix.)

dimanche 4 décembre 2016

La relève chambriste – Quatuor Hanson


De même que les Quatuors Akilone et Arod qui collectionnent les prix les plus prestigieux, le Quatuor Hanson vient de remporter le Deuxième Prix au Concours de Genève (où, je crois, le Premier n'a pas été décerné).

Nous disposons décidément d'une relève de sacré niveau… Entre l'enthousiasme de la jeunesse (ivresse de jouer les chefs-d'œuvre en public pour les premières fois) et la montée objective du niveau instrumental (et de la conscience musicologique), on se prépare la plus grande génération de chambristes que le monde ait jamais connue !

putto_viole_gaucher_poussin.jpg
Si on devait compter sur les joufflus de Poussin pour jouer de la musique pour cordes…
pas fichus de tenir même un instrument aussi rudimentaire dans le bon sens !


Sur ces trois ensembles, tout ce que vous devez savoir est amassé dans cette notule, avec d'autres liens.

Pour les orchestres, c'est sensiblement la même chose, mais les couleurs se sont aussi homogénéisées, on a le droit d'être nostalgique. Pour le chant, c'est vraiment différent… incomparablement mieux pour le chœurs (et pour des répertoires spécifiques comme le baroque ou le lied !), mais si le style et la rigueur ont incroyablement progressé, les « instruments » ont semblé, dans le même temps, se dérégler, avec des voix beaucoup moins franches et sonores, des dictions plus floues. Cela tient à un assez grand nombre de paramètres convergents, et explique l'affrontement entre les tenants du bel aujourd'hui et ceux du meilleur naguère.

Merci à A./N. qui a surveillé les informations à propos des Hanson !

David Le Marrec

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