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jeudi 16 mars 2017

Fake news, truthful hyperboles, alternative facts… et Salieri


En assistant au concert-spectacle Mozart à la Philharmonie (pour voir la Pragoise par un orchesrtre préparé par Zaccharias), j'ouvre la note de programme, censée présenter les œuvres à un public non averti – très différent des publics habituels des salles de concert, j'y reviendrai prochainement, question très intéressante (qu'entendons-nous selon nos habitudes d'écoute ?).

Par ailleurs claire et assez bien faite, qu'y trouvé-je alors ?

robert dorus-grasIl est évidemment passionnant de s'interroger sur le statut de Mozart (est-il si génial – suivant les œuvres et les jours, mon avis varie sensiblement…), et très légitime de mentionner le mythe du génie maudit, appliqué à tellement d'autres, et dont Mozart, à la vie moins établie que celle des musiciens de cour des XVIIe et XVIIIe siècles, devient une sorte de matrice idéale pour les Romantiques : fulgurances innées, aventures multiples, finalement admiré pour de mauvaises raisons (le petit prodige plus que le grand compositeur), et fin mystérieuse et tragique.

Mentionner Salieri n'est pas illégitime dans ce sens-là, puisque Pouchkine, en théâtralisant la question du maître surpassé par l'élève, en explorant le vertige de la fin brutale d'un génie qui aurait pu tout changer, a par avance façonné les représentations de la place de Mozart.

Mais pourquoi écrire ce « certainement », pourquoi cette « légende » (donc supposément élaborée sur des fondements véridiques). De même que Meyerbeer pour Wagner, Salieri a mis le pied à l'étrier à Mozart, et n'a bien sûr eu aucune implication de près ou de loin dans sa mort – des dizaines de causes possibles existent, et Salieri n'y a pas sa part. La seule intervention de Salieri dans la vie de Mozart fut celle d'un protecteur, pas d'un rival.
Par ailleurs, et j'ai souvent eu l'occasion de le souligner, si une bonne partie de son catalogue est effectivement tout à fait banal, un certain nombre d'œuvres se révèlent particulièrement originales, et assez spectaculairement abouties (comme ses trois opéras français ou ses Variations symphoniques sur la Follia, peut-être la première œuvre affirmant un tel souci d'orchestration, au sens contemporain du terme).

Et l'on sait très bien d'où provient le mythe : Pouchkine utilise la figure de Salieri comme le symbole commode de celui qui, dépassé par l'effet de ses actes de bonté, se retrouve rongé par l'envie – c'est peut-être ce que ressentait Salieri, mais je crois pas qu'on en ait trouvé de traces écrites, à supposer que le succès de Mozart (réel mais pas à un degré inhabituel) ait eu de quoi rendre jaloux un compositeur aussi établi, lui-même accueilli par de grands triomphes à Vienne ou à Paris).
Ce qui est un conte allégorique plutôt qu'une pièce historique connaît une belle fortune (dont la mise en musique par Rimski-Korsakov), jusqu'au film de Milos Forman, diffusé par des générations de professeurs de collège et de parents plein d'espoir… La représentation du Salieri médiocre, veule et malveillant s'est imposée dans l'imaginaire populaire, comme l'accessoire d'un conte dont Mozart serait le seul personnage réel.

Tout cela est très bien documenté, la ligne de succession de Pouchkine à l'avis de l'homme de la rue est limpide – dès lors, pourquoi utiliser cette formulation qui laisse planer le doute, qui nous dit « probablement pas », là où l'on est sûr que non ?  Au même titre qu'Anne d'Autriche n'a probablement pas eu de jumeaux de pères différents, ou que Mars n'est probablement pas peuplé d'humanoïdes sinople aux yeux gastéropodisés.

Ce serait simplement dommage dans une notice destinée au public assidu des concerts ; mais pour un concert tout public, cette légèreté favorise des représentations fausses déjà installées par la fiction, qu'il aurait très facile d'éclairer ou de rectifier.

Il n'y a pas que CSS qui se soit changé en Breitbart sur sol.

David Le Marrec

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