Une décennie, un disque – 1740 – Don Quichotte chez la Duchesse : ballet, comédie et tragédie en musique
Par DavidLeMarrec, mardi 19 février 2019 à :: Une décennie, un disque :: #3073 :: rss
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Acte II : Venus délivrer Dulcinée de la Grotte de Montésinos, les deux héros croisent un hostile nanique qui se change soudain en géant.
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Acte III : Devant l'acharnement de l'enchanteresse jalouse Altisidore (qui les a prétendument transformés en ours et en sapajou – la cour du Duc fait semblant de les percevoir sous cette forme), don Quichotte chante un air espagnol.
Compositeur : Joseph BODIN de BOISMORTIER (1689-1755)
Œuvre : Don Quichotte chez la Duchesse (1743)
Commentaire 1 : Ballet comique en III actes mais qui tient tout entier en 1 heure (il servait d'intermède au Pouvoir de l'Amour de Pancrace Royer et avait été donné à la Cour le même soir que la Ragonde de Mouret), et qui est, quoique parcouru de courtes danses (souvent chantées !), clairement à classer parmi ce que nous appelons opéra, cette œuvre est sans doute le plus grand bijou de concision et de drôlerie que recèle tout le répertoire.
Le livret de Favart fusionne de façon assez fidèle deux épisodes du Quichotte (Favart va jusqu'à conserver la manie des proverbes de Sancho !), l'épisode de la Grotte de Montésinos étant fondu dans la mystification organisée par le Duc (qui fait croire à des prodiges aux deux crédules), mais avec une concentration en action assez incroyable. Les actions se succèdent d'autant plus rapidement que les airs et danses font entre 1 et 2 minutes (!), et la veine mélodique superlative de Boismortier peut ainsi s'écouler sans jamais se répéter, les fulgurances se succédant à un rythme proprement étourdissant.
Le style vocal (souvent orné, quoique très ciselé sur les récitatifs qui sont presque des ariosos) et orchestral tire clairement sur Rameau, mais avec une rondeur et une grâce qui empêchent toute confusion – Rameau a quelque chose de plus tranchant et élancé, là où Boismortier ne se départit jamais d'une beauté mélodique instantanée et d'accompagnements colorés.
Si je ne devais, pour faire aimer l'opéra, ne citer qu'un titre sans rien connaître des goûts de mon interlocuteur, ce serait assurément, sans hésiter, Don Quichotte chez la Duchesse. Je n'ai jamais rien rencontré de tel, et je suis à la vérité assez triste que le rythme dramatique et musical de la plupart des opéras ressemble davantage aux Reines Tudor ou à Tristan qu'à ce Boismortier-ci !
Interprètes : Stephan Van Dyck (Don Quichotte), Richard Biren (Sancho), Meredith Hall (Altisidore), Paul Gay (Le Duc, Merlin, un Japonais), Marie-Pierre Wattiez (une paysanne), Patrick Ardagh-Walter (Montésinos), Paul Médioni (un traducteur), Akiko Toda, Brigitte Le Baron, Nicole Dubrovitch, Anne Mopin ; Chœurs et Orchestre du Concert Spirituel, Hervé Niquet
Label : Naxos (1996)
Commentaire 2 : Distribution au sommet, le meilleur du chant baroque est là. Stephan Van Dyck possède la grâce élancée des meilleurs haute-contre, avec cette excellente gestion de l'équilibre entre l'héroïsme, la galanterie et le second degré, sans prêter lui-même à rire (et splendide français). Richard Biren, baryton aussi clair que possible, joue lui aussi des poses sans façon de son personnage. Tandis que la substance même des voix d'Ardagh-Walter et Médioni impressionne. Seul point noir, Meredith Hall, voix beaucoup plus mûre et opaque, au français moyen, qui sans être réellement déplaisante dépare ce plateau parfait. (Mais elle chante avec beaucoup de conviction la méchante et cela fonctionne très bien.)
Très beau chœur intelligible, orchestre toujours aussi rond et coloré, direction haletante qui ne relâche jamais cette course permanente à l'action, à travers géants menaçants, magiciennes furieux, coups de bâtons, métamorphoses et princesses lointaines. Un modèle pour tous.
Un peu de contexte : Boismortier
Boismortier mérite un mot, car il est un personnage. Un ambitieux talentueux qui semble avoir produit ce chef-d'œuvre un peu par hasard, au sein d'un catalogue (parmi les plus importants du XVIIIe français, ai-je lu sous des plumes sérieuses – sans avoir le temps de le vérifier dans le cadre de cette très courte notule) qui se caractérise davantage par son abondance que par son exigence ou sa sophistication.
Quittant Metz pour Perpignan (il y voit manifestement un marché prometteur) comme confiseur, comme son père, il fait un beau mariage avec l'héritière d'un orfèvre (qui meurt bientôt, leur léguant de beaux biens), envoie ses airs à Ballard, « monte » vers la capitale et fréquente Bernier, Gervais, Mouret à la Cour de Sceaux… Bientôt très à la mode dans les salons parisiens, prisé pour sa séduction immédiate et son talent à improviser des vers, il écrit beaucoup de musique de chambre (lui-même grand flûtiste), mais aussi un assez grand nombre de motets. Face aux critiques, il avouait volontiers qu'il écrivait pour l'argent.
Lorsqu'il compose Don Quichotte, c'est un vieux compositeur (55 ans) qui rencontre un librettiste qui vient de connaître la gloire (33 ans, Favart a écrit la fondatrice Chercheuse d'esprit deux ans plus tôt). Boismortier avait beaucoup composé pour les théâtres de la Foire, en avait dirigé des représentations, là où Favart exerçait aussi ses talents de librettiste. Mais comme on le voit ici, sur des scènes plus officielles, leurs talents se sont combinés et nourris de façon tout à fait exceptionnelle.
Compléments discographiques :
Il existe de beaux extraits de danses du Quichotte par l'ensemble Les Boréades de Montréal (couplé avec la cantate L'Hyver des Saisons avec la jeune Karina Gauvin), très bien interprétés, pour renouveler le plaisir. (Ces Cantates, gravées avec un accompagnement plus prudent par Isabelle Desrochers, méritent tout à fait le détour.)
À cela s'ajoute que le plateau vocal n'est pas du tout aussi exaltant que dans le studio, et que le Concert Spirituel, moins souvent réuni alors que la carrière de chef romantique d'Hervé Niquet a déjà décollé, n'a pas du tout la même ardeur, la même griserie de jouer cette musique.
J'ai beau adorer l'œuvre, je ne parviens pas à être intéressé par cet objet.
Commentaires
1. Le vendredi 21 juin 2019 à , par MynDuke
2. Le dimanche 23 juin 2019 à , par DavidLeMarrec
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