Grosses semaines (consacrées notamment à des commandes
extérieures à CSS, comme
celle-ci sur le grand motet à la française et le
ballet à entrées du XVIIIe s.), où je poursuis toutefois le défi de
l'année : après celui de
2017 sur la programmation d'opéra mondiale, celui de
2018 « Une décennie, un disque » (toujours en cours),
celui de l'année
2019 a
consisté à écouter, chaque semaine, les nouvelles parutions, pour
prendre le pouls, en particulier, des redécouvertes. Et il y en a
beaucoup, beaucoup trop pour les écouter toutes – encore moins les
commenter.
Vous voyez ici
un tableau qui recense celles que je repère,
écoute, commente. Et là, mes
impressions rapides.
Comme on trouve quelques très belles interprétations et découvertes
d'œuvres stimulantes dans les dernières livraisons, je les publie en
notule :
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105)
Yost,
Concertos pour clarinette…
+ Vogel, Symphonie en ré mineur
Susanne Heilig, Kurpfälzisches Kammerorchester, Marek Štilec
Michèl Yost (ou Michel) est considéré comme le fondateur de l'école de
clarinette française. Ces concertos de la pleine période classique
(années 1770-1780) illustrent un style extrêmement proche du concerto
de Mozart – j'ai souvent eu l'occasion de souligner, dans ces pages,
combien le style pour clarinette de Mozart, la grâce de son concerto et
de son quintette avec clarinette sont en réalité pleinement de leur
temps (ceux de Yost, Neukomm, Hoffmeister, Krommer, Cartellieri ,
Baermann, Weber en sont très parents, jusque dans la belle couleur
mélancolique). Le mouvement lent de chacun reste le meilleur du genre,
mais on peut en trouver de comparables, et même de meilleurs mouvements
rapides. Ceux de Yost sont particulièrement réussis, couronnés par des
cadences (de Susanne Heilig, je suppose) tout à fait éloquentes,
originales et généreuses.
On sait qu'en réalité Yost, sans formation sérieuse de compositeur, se
faisait aider par son ami Vogel pour composer ces concertos. Le
couplage avec une symphonie ardente dudit Vogel – tout à fait dans le
genre postgluckiste qui caractérise beaucoup de symphonies du temps,
comme la fameuse
Casa del diavolo
de Boccherini – se justifie ainsi pleinement.
Superbe interprétation de la part d'un orchestre (« de chambre de
l'Électorat Palatin ») fondé en 1952 pour jouer la musique de type
Mannheim, qui a réellement évolué avec son temps, en tenant compte de
tous les apports de la musicologie (jeu très fin et tranchant des
cordes, sans vibrato). Susanne Heilig n'est pas n'importe qui non plus
: clarinette solo à l'Orchestre de Bielefeld, ancienne musicienne
(en
tant que jeune-incorporée, je crois) des deux grands orchestres
munichois (Radio Bavaroise et Opéra).
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106)
Le
Promenoir des Amants
Lieder et mélodies de Schubert, Loewe, Schumann, Zemlinsky,
Debussy, Caplet, Ravel
Garnier & Oneto-Bensaid, Jacquard & Lahiry, Lanièce & Louveau, Rosen &
Biel
(B Records, 27 septembre 2019.)
Ces quatre couples de lauréats de la Fondation Royaumont présentent une
partie des œuvres travaillées en masterclass (notamment avec Helmut
Deutsch ou Véronique Gens…). Les voix passent assez différemment de la
réalité (Alex Rosen a un très gros impact en vrai, et paraît peu
gracieux au disque ; Jacquard sonne au contraire beaucoup plus
phonogénique et focalisée
via l'enregistrement),
mais l'ensemble est superbe. On a notamment l'occasion d'y entendre le
piano éloquent de
Célia Oneto-Bensaid
et la voix claire, libre, mordante, élégante, insoutenablement
séduisante de
Jean-Christophe Lanièce.
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107)
Roma
'600
I Bassifondi
(Arcana, 27 septembre 2019.)
Musique instrumentale pour trois musiciens (plus les stars violoniste
Onofri ou soprane Baráth sur quelques pistes) à divers instruments
d'époque (cordes grattées pour deux d'entre eux, flûtes, percussions).
Jeux de variations sur thèmes célèbres, compositeurs qui sortent de
l'ordinaire, sens du rythme et de l'atmosphère. Un recueil tout à fait
réjouissant qui, comme son amusante pochette le suggère, revitalise
volontiers l'ancien !
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108)
Asteria
Yardani Torres Maiani
(collection Harmonia Nova)
(Harmonia Mundi, 27 septembre 2019.)
J'ai très vivement recommandé cette collection originale, où de jeunes
artistes produisent eux-mêmes leurs programmes, souvent assez
originaux. Celui-ci ne m'a pas convaincu : le violoniste y présente ses
propres compositions planantes (avec clavecin), écrites dans une langue
très conservatrice (tonalité assez étale et pauvre). Pourtant j'aime
bien Silvestrov et même certains jours Kancheli, mais ici, je n'ai
vraiment pas été convaincu par l'intérêt des œuvres.
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109)
Julius
Röntgen, Concertos pour piano 3, 6 & 7
Triendl, Kristiansand Symphony, Bäumer
(CPO, 20 septembre 2019.)
J'avais déjà
recommandé
les concertos pour violoncelle, pour les admirateurs de Dvořák. Ce
disque confirme les aptitudes de Röntgen dans le genre concertant,
cette fois à conseiller en priorité aux amateurs de Brahms – le 3 en
particulier. Très belle matière musicale, dense et renouvelée, qui
force l'admiration.
L'occasion aussi d'admirer une fois de plus
Oliver Triendl
qui, en plus d'être excellent, documente à une vitesse vertigineuse des
corpus très amples et très difficiles : Reizenstein, Papandopulo (2),
Suder, Künneke, Gernsheim, Gilse, Urspruch, Genzmer (2), Blumenthal,
Goetz, Weingartner, Thuille (2), Kiel, Hermann Schaefer, autant de
figures assez peu courues (même si Gernsheim, Goetz ou Thuille
connaissent un petit retour en grâce dans les cercles spécialisés, et
Gilse & Weingartner des cycles assez complets chez CPO). Autant de
choses aussi diverses et difficiles, et aussi bien jouées… le pianiste
actuel le plus intéressant à n'en pas douter !
(Les autres, sortez-vous les doigts du Chopin si vous en voulez autant.)
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Et précédemment :
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97)
Free America! par la
Boston Camerata
(Harmonia Mundi, 13 septembre 2019.)
→ Airs politiques progressistes fin XVIIIe-début XIXe à Boston, tels
qu'en les éditions qui nous sont parvenues : contre la tyrannie,
l'esclavagisme, pour la Science – et même l'amitié avec les musulmans
! Les monodies sont jouées brutes, sans accompagnement au besoin,
et les textes fournis permettent de goûter la saveur des détournements (
Rule Britania devient un chant
d'émancipation de
Columbia).
Paraboles bibliques (Daniel !) ou revendications assez directes, tout
l'univers de ces chansons qu'on faisait passer de la main à la main sur
un billet, que l'on vendait dans la rue, que l'on publiait dans les
revues ou essayait dans les salons… Parfois aussi des pièces
polyphoniques, et l'habillage / complément instrumental est très
réussi. On remarque particulièrement la fabuleuse basse Koel
Frederiksen, d'une profondeur et d'un magnétisme assez formidables.
À la fois un témoignage précieux et un disque tout à fait roboratif.
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98)
Die
Winterreise par
Peter Mattei
(BIS, 6 septembre 2019.)
→ Le baryton suédois a conservé toute sa splendeur vocale, ce timbre
très clair et moelleux (mais en salle, les graves sont impressionnants
!). Sa proposition du Winterreise est donc incroyablement voluptueuse
et séduisante, davantage fondée sur le lyrisme, il est vrai, que sur le
détail du texte comme le font les spécialistes. Mais dans le registre
de l'exaltation mélodique, on pourra difficilement se repaître de plus
belle voix et d'artiste plus frémissant.
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99)
Magnard, Symphonies 3 & 4
Philharmonique de Fribourg, Fabrice
Bollon
(Naxos, 13 septembre 2019.)
→ Longtemps mal servies au disque dans des versions opaques et
pesantes, les symphonies de Magnard sortent de leur purgatoire et
révèlent, après avoir semblé singer l'esprit germanique en n'en
retirant que l'abstraction, tout ce qu'elles doivent au contraire au
folklore français. Thomas Sanderling avait déjà mis en évidence
l'espace intérieure, la luminosité de ces pages (Symphonie n°2 en
particulier) avec Malmö. C'est peut-être encore plus évident avec
Fabrice Bollon et le Philharmonique de Fribourg (le second orchestre de
la ville – allemande –, après celui de la radio partagé avec
Baden-Baden et désormais fusionné avec Stuttgart, où il réside
principalement) : on croirait se plonger dans la musique de chambre de
d'Indy, avec ses thèmes populaires, ses désirs de danse, ses élans
mélodiques !
Malgré sa belle charpente, un chef-d'œuvre de l'esprit français, tout
en danses et clartés, se dévoile ainsi. À découvrir absolument.
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100)
Joseph Renner, œuvres pour
orgue par
Tomasz Zajac.
(DUX, août 2019)
→ Quelque part entre Widor (la sobriété lyrique des adagios des
5 Préludes), Franck (progressions
sophistiquées de la
Sonate n°2)
et Dubois (
Suite pour orgue n°1,
plus naïve), pas forcément une figure singulière, mais de belles
compositions romantiques très agréables. (Je n'ai de toute façon jamais
entendu que d'excellents disques chez le spécialiste polonais DUX,
jusque dans les choix de répertoire.)
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101)
Jean
Cras, Quintettes
(piano-cordes, flûte-cordes-harpe) & La Flûte de Pan
Sophie Karthäuser, Oxalys
(Passacaille, 20 septembre 2019)
→ Superbe assemblage : les deux quintettes, celui léger et pastoral
avec harpe, celui plus savant (mais à base de thèmes de marins très
dansants !) avec piano, et l'originale
Flûte de Pan, quatre mélodies
accompagnées par flûte de pan et trio à cordes. L'ensemble à géométrie
variable Oxalys est toujours d'excellent niveau : le piano est moins
beau que celui d'Alain Jacquon avec les Louvigny, les danses moins
évidentes qu'avec les Ferey et les Sine Qua Non – disque paru en fin
d'année dernière ! –, mais c'est peut-être la plus robuste
techniquement des trois versions récentes.
Autre avantage : l'ensemble s'adjoint les services
d'un véritable
paniste (?),
et non, comme dans (l'excellentissime) disque Timpani avec Estourelle
(et Peintre), une flûte classique. Bien qu'ayant arbitrairement choisi
les sept notes qu'utilise l'instrument, Cras, entendait bien faire
jouer la pièce avec la version à tubes multiples, ce qui est réussi ici
avec un timbre superbe et une réelle verve.
La déception vient surtout de l'incompréhension de
ce que veut faire ici Sophie Karthäuser : […] Je la trouvais déjà de plus en plus opaque, certes, mais
à ce point, elle était peut-être souffrante. Dommage en tout cas de ne
pas profiter du texte ni d'un joli timbre quand l'écrin est aussi
accompli et soigné.
Je recommanderais plutôt les couplages des deux autres disques (avec le
Quatuor), ou le disque de mélodies chez Timpani, mais ça reste une
excellente fréquentation si on a le disque sous la main, ou si on veut
disposer de plusieurs versions !
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102)
Bach,
pièces d'orgue célèbres (Toccata & Fugue doriennes, Ein
feste Burg…)
Kei Koito, sur le Schnitger de
Groningen (DHM, 20 septembre 2019)
→ Comme d'habitude chez Kei Koito ces couleurs vives, ce sens de la
danse… difficile de faire plus lisible, bondissant et radieux.
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103)
Scheibl,
Wagenseil, Steinbacher…
Concertos pour clavecin styriens
Michael Hell, Neue Hofkapelle Graz
(CPO, 20 septembre 2019)
→ Volume très intéressant sur le genre du concerto pour clavecin au
cours du second XVIIIe s. dans la région de Graz : Scheibl encore assez
baroque (avec son usage assez haendelien des cuivres), Wagenseil (avec
violon solo), Steinbach (quelque part entre Bach et les Classiques),
une jointure entre la forme brève baroque et le genre concertant
classique, qui a le mérite d'illustrer un lieu, une école précis.
Assez bien écrits d'ailleurs (pour moi qui ne suis fanatique ni du
concerto pour clavecin, ni de cette esthétique « viennoise »
préclassique).
Encore une très belle réalisation de la Hofkapelle. (Je me demande qui
peut acheter ça, mais merci CPO de l'oser !)
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104)
Bernier,
Bach, Nâyi Osman Dede…
Cantates du Café
Blažiková, Mechelen, Abadie ; Les Masques (Alpha, 20 septembre
2019)
→ Joli projet de mêler différentes sources autour du thème : la cantate
narrative française avec Bernier, la fameuse cantate profane de Bach,
des pièces persanes du XVIIIe siècle (débutant par le thème
gainsbourgien… encore un emprunt ?).
Mon intérêt (on s'en doute) se portait surtout sur la cantate de
Bernier, et j'ai été frustré pour une raison très simple : Blažiková
(fabuleuse soprane d'oratorio, ou première choriste au Collegium Vocale
Gent) chante un français difficilement intelligible et assez avare de
couleurs – dans un genre qui repose très largement sur l'éloquence du
chanteur-narrateur, je me retrouve privé de l'essentiel du plaisir.
Je n'ai pas encore essayé le reste – je boude un peu.