Du fait de l'évolution des standards du web, l'utilitaire flash, petit logiciel libre à la
pointe de l'art que j'avais soigneusement sélectionné dans les années
2000, n'est plus visible sur les téléphones, et se trouve depuis
décembre dernier banni de Chrome, rendant certaines notules avec
extraits sonores plus difficiles d'accès. (Il faut avoir la patience de
recopier l'adresser, d'aller sur un poste fixe, d'activer Flash… bref, être un héros.)
Aussi, je vais entreprendre, très progressivement, pour des notules qui
me paraissent utiles, la mise aux normes du HTML 5 (qui n'existait pas
encore…). Un peu rageant d'avoir tout bien fait – de même que pour le
logiciel produisant ce site, Dotclear, alors l'alternative élégante
face à Wordpress, aujourd'hui abandonné – et de devoir passer du temps
à bidouiller la technique au lieu d'écrire des notules.
Quoi qu'il en soit, mon énergie a d'abord porté sur ce que je considère
probablement comme la meilleure notule de Carnets sur sol, celle consacrée à
expliquer l'étrangeté de la prosodie dans Pelléaset Mélisande de Debussy, courte
enquête qui nous mène à travers les univers de Gluck et de Massenet
avant d'aboutir, au cœur des partitions, à observer que l'accentuation
et les intervalles mélodiques n'ont peu-être pas le rôle si déterminant
que l'on croit dans cette impression de flottement insaisissable qui
parcourt toute l'œuvre (et la rend si difficile à chanter en
dilettante).
Je vous la recommande donc chaleureusement.
Et ce sera probablement tout pour quelques jours encore : préparation
de beaucoup de projets de grande envergure, des séries où
interviendront Caïn et, suite à un vote public (où il avait supplanté Pelléas), le basson.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
Cette année, envie de favoriser des notules soit de fond, soit un
peu plus transversales, en tout cas avec une valeur ajoutée par rapport
à la simple recension au fil des parutions, qui doivent rester
simplement un à-côté…
Envie de poursuivre les séries « une décennie, un disque » (1580-1830 jusqu'ici, et
on inclura jusqu'à la décennie 2020 !), « les plus beaux débuts de symphonie » (déjà fait
Gilse 2, Sibelius 5, Nielsen 1…), « au secours, je n'ai pas d'aigus
»… Envie de débuter une série au long cours autour de la mise en
musique d'épisodes bibliques (avec pour but de pouvoir couvrir le
maximum de moments illustrés par des compositeurs), et peut-être même
de convertir cette notule sur les causes de l'étrangeté prosodique de Pelléas dans un format vidéo… !
Dans le même temps, je trouve dommage d'écouter autant de disques, de
suivre les nouveautés, d'explorer les raretés… et de ne pas leur faire
de publicité.
Je cherche encore le format adéquat.
Pour cette première livraison de l'année, donc, j'ai fait le choix de
partager mon tableau brut, incluant tous mes relevés.
Je vous laisse y naviguer. De gauche à droite, trois types d'écoutes :
nouveautés, découvertes personnelles, réécoutes. Inclut aussi ma
programmation à venir et le relevé de quelques nouveautés pas encore
essayées. Les items les plus récents figurent en haut, et vous pouvez
remonter le temps en descandant dans le tableau – les cases grises avec
les numéros indiquent la limite du dernier relevé, comme cela vous
saurez jusqu'où aller.
En résumé depuis la fin de décembre ?
De fantastiques disques de musique de chambre :
♦ Bach
(Sergey Malov, Solo Musica), 6 Suites pour cello di spalla,
♦ Fesca (Quatuor Amaryllis,
CPO),
♦ Gade (Midvest Ensemble,
CPO),
♦ Emilie Mayer
(Mariana Klavierquartett, CPO), Quatuors piano-cordes beaucoup plus
intéressants que ses symphonies, pour documenter la première femme à
vivre professionnellement de ses compositions
;
♦ Rubinstein (Quatuor
Reinhold, CPO),
♦ Reger, une
version superlative du Quintette clarinette-cordes et du Sextuor à
cordes (Quatuor Diogenes, CPO)
♦ Kienzl / Lazzari / Jeral (Trios par le Thomas Christian
Ensemble, CPO),
de belles parutions d'opéra :
♦ Rossi,
Orfeo, imparfaite mais intéressante nouvelle
version (Sartori, Glossa),
♦ Haendel de Zaïcik & Le
Consort, très plaisant,
♦ Beethoven & Salieri « in Dialogue » (dont je
viens de faire une notule : fragments d'oratorios par les Heidelberger
Symphoniker, chez Hänssler),
♦ Donizetti, Il Paria (Elder,
Opera rara), superbe version d'un Donizetti tout particulièrement
réussi mélodiquement, avec de très beaux ensembles,
♦ la bande son du Ring de Jordan, dont il faut entendre l'Or du Rhin
exceptionnel,
un peu de symphonique :
♦ une belle nouvelle version de la
Symphonie en mi de Rott
(Gürzenich, Ward, Capriccio), qui réussit admirablement les variations
finales,
♦ Fried, Korngold et Schönberg autour de la Nuit
Transfigurée, seconde version discographique du chef-d'œuvre de Fried (Rice, Skelton, BBCSO,
Gardner, Chandos),
♦ une belle interprétation un peu lisse d'œuvres mineures de Schreker (Bochum, Sloave, CPO),
♦ la bizarre mais plaisante Symphonie en sol de Gulda (mélangeant orchestre
symphonique et orchestre de danse).
… Et un délectable « Le Coucher du Roi » avec des pièces de Visée, LULLY,
Lalande, Charpentier, Couperin (Monnié, Mauillon, Roussel, Rignol, CVS).
Du côté de mes découvertes personnelles hors nouveautés, des déceptions chez le Draeseke symphonique, un bonheur variable chez Korngold, beaucoup d'enthousiasme pour les
quatuors de Dittersdorf,
les symphonies de Reinecke,
le Grand Septuor de Kalkbrenner
(son Sextuor piano-cordes aussi), le Quatuor piano-cordes de Georg Schumann (les Trios sont
beaux aussi), les très bizarres Wandersprüche
de Schoeck (ténor,
clarinette, cor, piano et percussions), une quasi-hystérie pour le Quintette et
le Sextuor de Koessler
(ainsi que sa musique chorale, du niveau de Brahms !), sans parler de la musique de chambre de Krug immédiatement présentée par
une notule !
Vous y rencontrerez aussi les étranges « meilleurs classiques » façon cross-over, le violon de Brahms
interprété sans vibrato,
l'Ouverture 1812 avec réels canons en plein air…
Quant aux réécoutes, que dire ? Les habitués : la musique de
chambre de Michl, Schoeck, Tarkmann, les symphonies de Messieurs Fesca,
B. Romberg, Macfarren, Bruch, d'Indy, Georg Schumann, Alfvén…
Le fichier est ici : format ODS (Open Office) ou XLS (Microsoft Office). J'espère qu'il vous sera
lisible et utile.
La légende
Du vert au violet, mes recommandations…
→ Vert : réussi !
→ Bleu : jalon considérable.
→ Violet : écoute capitale.
→ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
Le CRR de Paris, c'est l'école
supérieure pour étudier le baroque français – Eugénie Lefebvre, Hasnaa
Bennani et beaucoup d'autres y sont passés, étudiant notamment, pour
les chanteurs, auprès d'Isabelle Poulenard et Howard Crook, deux des
membres les plus accomplis de la première génération de résurrecteurs
dans les années 80…
En fait de CRR (conservatoire de niveau régional), il tient lieu de
CNSM officieux (conservatoire national, il en existe deux, à Paris et à
Lyon) lorsqu'il s'agit de baroque. Partenariats avec le Centre de Musique Baroque de Versailles,
masterclasses avec les meilleurs représentants qui font vivre le
répertoire (en particulier français), prêts d'instruments spécialisés
(dessus / hautes-contre / tailles / quintes de violon, spécifiques au
répertoire français pré-ramiste)…
Leurs productions sont toujours attendues avec beaucoup d'impatience,
explorant des rivages peu (Psyché II de
LULLY) ou pas documentés (Médée & Jason de Salomon), avec des instrumentistes
déjà professionnellement mûrs et des chanteurs encore verts mais déjà
sensibilisés à la déclamation spécifique (expérimentations de Stéphane Fuget autour du recitar cantandopour les œuvres italiennes du XVIIe, essayant vraiment de
changer le
chant en parole, avec des succès divers mais de façon très stimulante),
aux techniques de jeu scénique baroque et… à la prononciation
restituée.
Malgré l'absence de public (et le foyer infectieux qui s'y est déclaré
quelques jours après), le CRR a réussi à monter et capter Bacchus
& Ariane de Marais,
dont la résurrection a longtemps été repoussée (au milieu des années
2000, Le Concert Spirituel devait le reprogrammer, me semble-t-il,
avant d'y renoncer).
Seul le très bel air d'entrée
d'entrée d'Ariane à l'acte I m'était connu, suite à un concert
autour de cette héroïne par l'Ensemble Zaïs, en 2016 à Joinville.
J'avais même présenté ici même, partition en main, la structure
de l'air, ainsi que celle de Mouret.
Je ne suis pas un inconditionnel de Marais
à l'Opéra, dont les petites sophistications musicales ne compensent pas
réellement les livrets faibles et la prégnance mélodique assez limitée.
On est loin de l'impact direct que peuvent avoir, dans cette
génération, Desmarest, Campra ou Destouches, à mon sens (et même LaCoste
et Gervais), mais à chaque
fois servis par de de meilleurs librettistes, il faut le concéder.
Cette tragédie en musique le confirme un peu : il y a de belles basses
sophistiquées, des chromatismes (et quelques belles mélodies ciselées
tout de même !)… mais je ne suis pas totalement ému.
(Notule écrite après l'écoute du Prologue et de l'acte I seulement, mon
avis s'amendera probablement, j'ai aperçu en particulier de superbesdivertissements, comme toujours le
point fort chez Marais – que ce soient danses instrumentales ou
plaintes chantées…)
Le livret de Saint-Jean
(écrivain non identifié…) m'a beaucoup amusé : on est habitué à se
figurer l'abandon d'Ariane dans des lieux déserts, or le premier acte,
quoique situé dans « une grotte terminée par une mer à perte de vue »,
voit se succéder une infinité de personnages : Ariane, négligée par
Thésée au profit de sa sœur Phèdre, est entourée d'une confidente, d'un
soupirant prince d'Ithaque (lui-même accompagné d'un confident
magicien), qui est fiancé à la sœur du roi de « Naxe », tout ce beau monde étant
présent autour d'un prêtre sacrificateur et des chœurs rituels. Pas
tout à fait l'ambiance île déserte, donc. En fait de couleur locale et
de grotte sauvage, une intrigue circulaire d'amours de palais assez
stéréotypée, chacun aimant l'autre maillon (indisponible) de la chaîne.
Cela se découvre tout de même avec plaisir, d'autant que quelques-uns
des chanteurs (les hommes en particulier) se révèlent extrêmement
talentueux. (Leurs noms ne sont pas donnés dans la vidéo, j'irai me
renseigner pour les ajouter.)
Mais.
Tout est chanté en prononciation
restituée. Dont je ne suis pourtant pas un détracteur, même dans
ses versions archaïsantes (et inexactes) de l'école Green.
Enjeux de la prononciation restituée
Les avantages, pour la déclamation parlée, sont assez
nombreux : réactiver certaines rimes, faire entendre la couleur
d'époque, favoriser une forme d'emphase qui permet à la voix de mieux
se placer (les fameuses courbes ascendantes qui caractérisent ce type
de déclamation), bref fournir un relief nouveau et des teintes oubliées
à un répertoire qui mérite d'être servi avec chaleur.
Je n'en suis donc surtout pas un détracteur – qu'elle soit exacte ou
non au demeurant.
Pour le chant, j'y vois en
revanche de grands obstacles… qui s'incarnent très bien dans cette
vidéo.
a) Le chant lyrique est déjà un
artifice. Faire chanter une langue que personne ne parle
entraîne une mise à distance supplémentaire, néfaste pour la
compréhension du public et pour la qualité du chant.
b) La tragédie en musique fonde sa force sur son lien très étroit entre texte et musique,
qui se nourrissent et se dynamisent l'un l'autre. En chantant dans une
langue étrange, distante, avec des accents diversement maîtrisés, on
diminue considérablement l'impact émotionnel propre au genre.
Si l'on veut vraiment rendre justice à l'esprit de ce qui s'entendait à
l'époque, il faut chanter dans la langue qui nous est proche, pas dans
celle que nous ne pratiquons plus. Bref, chercher non pas l'exactitude
de la restitution, mais la congruence de l'émotion reçue (ce qui reste
quand même un peu le but). On peut être conscient de cette
divergence de prononciation sans l'imposer à écouter à un public.
c) Faute de référentiel
(personne ne parle cette langue, les jeunes chanteurs sont contraints
d'inventer l'aperture exacte des voyelles), les interprètes (pas
seulement dans cette production) tendent
à trop couvrir,
c'est-à-dire à assombrir / fermer / boucher leurs voyelles, avec des
résultats opaques et finalement… tout à fait hors-style ! Les
jeunes femmes souffrent un peu dans cette production – certaines se
mettent même à chanter trop bas, et je soupçonne que ce serait assez
différent avec la liberté et la clarté du français prononcé à la
moderne / contemporaine.
d) Plus prosaïquement, même en se concentrant, on ne comprend ici que la moitié des
mots (ce n'est pas pareil dans toutes les productions, mais
véritablement un handicap ici). Et quand je le dis, c'est venant d'un
auditeur qui a écouté l'intégralité des tragédies en musique
disponibles… Donc un mélomane qui pratiquerait peu l'opéra serait sans
doute totalement perdu. Tellement dommage lorsqu'on dispose justement
de chanteurs aguerris à cette esthétique, et tous francophones !
L'émotion directe qu'on a gaspillée en vain sur une question de
principe !
Je comprends très bien l'enjeu de
former de jeunes chanteurs sur cette question, puisque certains
ensembles l'appliquent systématiquement. Et ce n'est pas absurde
partout – pour l'air de cour, le poème n'a pas tout à fait le même
enjeu d'intelligibilité directe, il est en général plus distendu, plus
atmosphérique, et la prononciation restituée peut se défendre. Mais
pour maintenir l'illusion théâtrale
avec ce qui sonne à nos oreilles comme de l'accent gascon imité par des
germains, bon courage.
Aussi, de grâce, épargnez-nous, dans les productions lyriques, cette
punition qui n'apporte vraiment rien aux auditeurs et compromet jusqu'à
la bonne tenue du chant !
Certains parviennent tout de même à limiter les dégâts, comme le Poème
Harmonique qui fait plutôt du très bon travail sur la question… mais la
perte de lien direct avec le texte reste très évidente. Et d'autres
ensembles font carrément un peu n'importe quoi, chacun adaptant comme
il le peut… En particulier difficiles pour les jeunes chanteurs qui
n'ont pas tout à fait fini d'équilibrer leur voix.
--
Voici pour ces impressions mêlées, malgré l'intense gratitude d'avoir
mené jusqu'au bout ce très beau projet de résurrection du dernier opéra
encore inconnu d'un compositeur majeur – on avait déjà monté Alcide,
le bijou Sémélé et
bien sûrAlcione –, le sentiment qu'un choix de
principe a grandement altéré l'ensemble du résultat artistique, malgré
l'enthousiasme et la qualité des forces mises en présence (quatre
théorbes, en plus !).
Salieri : La
riedificazione di Gerusalemme (final alternatif du I)
+ Ouvertures Habsburg, Cesare in Farmacusa, L'Oracolo muto Beethoven : Vestas Feuer, + Tremate empi tremate
Heidelberger Sinfoniker, Timo Jouko Herrmann (Hänssler 2021)
Petite merveille !
Des ensembles de Beethoven rares (Le
feu de Vesta est fondé sur la musique qui a servi au duo de
délivrance « O nammenlose Freude » version Leonore), un grand
final de Salieri (pour La
Reconstruction de Jérusalem, un oratorio donc), de très belles
ouvertures, jouées par l'ancien orchestre de Thomas Fey avant ton
terrible accident – orchestre qui conserve tout son mordant (on
entend vraiment un orchestre sur instruments d'époque, le soyeux des
cordes modernes en sus) et ses accents tranchants.
Du neuf, et interprété de façon très vivifiante – la parenté entre les
deux univers sonores des compositeurs, dans ces œuvres, est de surcroît
frappante !
La notice, de Timo Jouko Herrmann lui-même, insiste sur l'intérêt porté
par Salieri à Beethoven, étudiant ses compositions, dirigeant même
plusieurs fois en concert la Septième
Symphonie et le Christus am
Ölberge, participant à l'exécution de Wellingtons Sieg comme second chef
(pour indiquer les salves de canons et de fusils) auprès de Beethoven
lui-même. Ce texte mérite le détour, très concis et éclairant, parsemé
d'extraits de partitions. On peut le lire directement sur le site de Chandos, qui
distribue aussi Hänssler.
Pour l'écoute, c'est disponible
depuis vendredi sur tous les sites de flux (gratuits sur PC comme
Deezer ou Spotify, payants comme Qobuz).
(Orchestres spécialisés dans le répertoire symphonique, considérés dans leurs compétences actuelles, à l'exclusion
des orchestres de chambre – Chambre de Paris en force ! – et des orchestres de fosse.)
La liste officielle doit être quelque chose comme :
Philharmonique de Berlin
Philharmonique de Vienne
Concertgebouworkest
Staatskapelle de Dresde
London Symphony
Boston Symphony
Chicago Symphony
Symphonique de la Radio Bavaroise
New York Philharmonic
Los Angeles Philharmonic
Gewandhaus Leipzig
Voilà, fin de notule… pensez à mettre un pouce bleu et à dire votre
avis dans les commentaires.
L'Olavshallen, glorieuse
résidence du Trondheim Symfoniorkester.
Ou bien.
C'est un début de notule.
Oh, mon classement est absolument sincère, ce n'était pas
particulièrement un piège. Vous pouvez trouver une liste des orchestres
que j'ai le plus appréciés – parfois sur la foi d'un seul concert (tous
à part Île-de-France, Londres et Milan), ou d'une prise de son un peu
flatteuse (Duisbourg bénéficie clairement de prises de son d'un
réalisme miraculeux, au disque comme à la radio ; Hanovre sonne
merveilleusement chez CPO, moins chez d'autres labels et moins en
concert). Sur cette impression, nulle tricherie : c'est sincèrement la
liste des orchestres qui m'ont donné les plus grandes satisfactions
dernièrement – enfin, tel que j'y pense maintenant, je n'ai pas de
fichiers à points que j'édite après chaque écoute.
Pourtant.
On ne peut s'empêcher de noter l'écart par rapport aux palmarès
habituels reproduits par la critique et les grands magasins.
Alors, pourquoi cet écart ?
J'ai bien évidemment raison (car il est incontestable que je
préfère Trondheim au Concertgebouw, le petit Frankfurt de l'Est à la
Radio Bavaroise…), mais on m'opposera que les titres de mes
contradicteurs, leur abondance aussi plaide en leur faveur.
Comment faire dans ce cas ?
Je l'avoue donc à la fin, cette accroche était un piège à lecteurs :
ces palmarès sont amusants entre amis, mais les publier et les
reproduire comme des évidences pose de multiples problèmes. Je me suis
rendu compte aujourd'hui, en conversant en bonne compagnie, que la
croyance de la superiorité de
certains orchestres – puisqu'il y a
bien une raison si ce sont les plus appréciés – était assez
ancrée.
Dès le début, pour déterminer qui est le meilleur, on se heurte à des
difficultés. Un bon / grand orchestre, qu'est-ce ?
→ Un orchestre aux timbres agréables (cordes soyeuses comme Berlin ou
Dresde ? cuivres pas trop stridents à l'inverse de Allemagne de
l'Est / Russie / France ?)… mais en quoi est-ce une supériorité ?
Et mesurable ? Tout au plus l'appartenance à un groupe culturel
et esthétique.
→ La capacité à ne pas faire de pains ? Le niveau est tel
aujourd'hui chez les orchestres professionnels qu'on peut embaucher
Nashville, Buffalo, Indianapolis, Herford, Görlitz, Greifswald,
Tampere, Oulu, Turku… leur donner un grand Mahler et se régaler sans
avoir à supporter les approximations… On peut toujours chercher qui
fait les gammes le plus vite, mais est-ce que cela a véritablement
intérêt ? On n'est pas dans un concours de piano…
→ La flexibilité aux options des chefs ? Voilà un bon critère
! Mais comment le vérifier ? On entend bien que certains,
comme l'Orchestre de Paris ou le London Symphony, se métamorphosent
immédiatement selon l'esthétique des chefs qui les dirigent… mais pour
proportionner cela de façon quantifiable, on n'est pas rendus.
Autre corollaire gênant : ceci excluerait des orchestres réputés les
meilleurs comme le Philharmonique de Vienne, qui « rabote » au
contraire les options des chefs, qui paraissent toujours moins
radicales avec cet orchestre, comme si leurs intentions étaient
toujours un peu diluées dans l'idiosyncrasie vennoise…
→ Celui qui fait le meilleur travail avec le moins de répétitions
? Intéressant pour les managers, les mécènes, les investisseurs,
les chefs invités et les contribuables… mais pour le public, quelle
différence ? On veut du frisson, quel que soit le nombre de
services, c'est pas notre problème.
→ Celui qui est bon dans tous les styles à la fois ? Bonne idée,
mais là encore, définissez bon…
Et qui voudrait porter au pinacle l'orchestre qui certes, joue bien
aussi la musique baroque, mais reste beaucoup moins exaltant que les
meilleurs dans le répertoire romantique, disons. (Typiquement le profil
de la Radio Bavaroise, à mon sens : capables de jouer Bach avec une
conscience musicologique et une tension qui valent les meilleurs
spécialistes, mais pas vraiment les plus colorés ni les plus
électriques – ni les plus précis, d'ailleurs – lorsqu'il s'agit
d'exécuter le grand répertoire. J'admire leur versatilité, mais de là à
les considérer comme le meilleur orchestre du monde, ce serait
contre-intuitif pour moi.)
Il faudrait donc, au minimum, étalonner cette supériorité selon les
répertoires, et essayer de pondérer la part des chefs (la tension, la
cohésion dans tel concert, c'est l'orchestre ou le chef ?). Bon
courage.
2) Pourquoi ça n'a pas de
sens
En somme, vouloir départager les meilleurs ne me paraît pas
concrètement possible. (À supposer que lorsque c'est possible, ça ait
le moindre sens en matière d'expression artistique et
d'émotions…)
Ce n'est pas du saut à la perche, ça ne se mesure pas avec un petit
appareil calibrable. D'autant qu'aujourd'hui, le niveau professionnel
est tel que dans quasiment n'importe quel pays doté d'une tradition,
les orchestres sont d'une qualité invraisemblable encore il y a
quelques décennies.
Étant d'abord intéressé par le répertoire, la question de qui est le meilleur
est d'emblée secondaire pour moi, puisque l'enjeu est d'abord d'aller
écouter ce qui existe de tel compositeur donné – pas forcément
documenté par beaucoup de monde. Il y a mieux que Seattle (excellent
orchestre au demeurant), probablement, mais en attendant que Boston,
New York et Philadelphie fassent une intégrale David Diamond,
j'écouterai plus souvent du côté de l'État de Washington que de la Côte
Est.
Sinon, du point de vue strictement technique, prenons l'Allemagne :
Philharmonique de Berlin et Staatskapelle de Dresde, bien sûr, mais
tout autant le Museum de Frankfurt(-am-Main), Duisburg (d'une beauté
invraisemblable cet orchestre, je trouve), Radio de Berlin
(ex-Radio-Est)…
Tout cela pouvant être distordu par les conditions d'écoute : depuis
quelle place dans quelle salle (de loin à la Philharmonie, je n'aurais
probablement pas remarqué les mêmes petits défauts que de près au TCE,
même si, exactement dans les mêmes conditions, Hanovre était mieux que
la Radio Bavaroise…), par quelle captation radio, chez quel label, sur
quel matériel de reproduction…
Et, une fois qu'on a posé tous ces préalables : chacun a des goûts très
différents, donc ce ne sera pas le même paramètre mis en valeur.
3) Mais d'où vient le
consensus ?
Car en fin de compte, tout le monde sait
quels sont les grands orchestres, et il y a une raison.
Oh, il y en a une : la tradition. Et c'est une chose puissante la
musique classique. On a pris l'habitude de présenter les Symphonies de
Beethoven de Furtwängler, le Don Giovanni de Giulini, le Ring de Solti
(quasiment les premiers disques disponibles au grand public pour ces
œuvres…) comme des références, et malgré l'ensevelissement sous les
meilleures références, on continue de les nommer comme tels. Par
déference. Par habitude. Par l'effet « première version » sur les
critiques âgés, qui conservent l'émotion de cette découverte
phonographique achetée avec leur argent de poche économisé sur un an,
en devant arbitrer avec le seul autre enregistrement concurrent chez le
disquaire…
Je ne critique pas cela, tout le
monde
peut ressentir les effets du syndrome première version : nos émotions
s'attachent à certains détails, on a appris à aimer l'œuvre avec
certaines inflexions. Des fois on s'en détache parce qu'on trouve plus
à notre goût, des fois l'œuvre et l'interprétation restent à tout
jamais intriquées, même lorsqu'on se rend compte qu'il y a mieux en
rayon.
Il y en a aussi une seconde : le prestige. La notoriété appelle la
notoriété. Les chefs réputés apportent de la notoriété aux orchestres,
qui deviennent à leur tour courtisés (qui ne voudrait avoir sous sa
férule l'orchestre de Karajan et Abbado ?). Il existe dans le milieu
des chefs d'orchestre une sorte de classement en divisions, et l'on
voit bien qu'il faut atteindre un certain niveau de notoriété pour
pouvoir avoir un poste de premier chef invité ou de directeur musical
dans certains orchestres haut-de-gamme. De façon d'ailleurs totalement
décorrélée avec la qualité intrinsèque et l'appréciation du public – je
crois que globalement, professionnels et mélomanes considèrent Paavo
Järvi comme bien plus intéressant qu'Andris Nelsons, mais on voit bien
qu'il n'est pas au même niveau dans sa carrière (ça viendra très
probablement dans pas très longtemps), et qu'on ne veut pas encore lui
confier la même gamme de prestige. Nelsons a (de même que Maazel qui
était accueilli partout et pourtant sans cesse conspué, de façon tout à
fait outrée d'ailleurs, par la presse et les mélomanes) ses entrées
dans n'importe lequel des « plus grands » orchestres, Boston, Lucerne,
Berlin, Leipzig… Tandis que Järvi a fait Paris, Cincinnati, Zürich,
Francfort (et encore, la Radio, pas le Museum…), Tokyo… ligue 2 pour ne
pas dire ligue 3, en comparaison de notoriété. C'est ainsi.
4) Dans ce cas, pourquoi
produire ces palmarès ?
Mon opinion (une intuition tout au plus, qui vaut ce qu'elle vaut) est
qu'il est plus facile d'attirer l'attention et de vendre du papier avec
« quels sont les 10 meilleurs orchestres du monde ? » réactualisé
tous les ans, qu'avec « voici quelques orchestres qu'on aime bien ».
Typiquement, cette notule sera plus lue en ayant proposé des tableaux
classés – et attendez de voir les commentaires, où j'aurai forcément
des remarques sur les incongruités de mes choix, les préférences de
chacun, les orchestres connus imposteurs ou les inconnus méritants…
Tout simplement parce que cela rend une question complexe (les qualités
de fond pour faire un bon orchestre, difficilement mesurables de
l'extérieur) immédiatement accessible à chacun d'entre nous, à base
d'un simple classement, soit traditionnel (celui qui commence par
Berlin & Vienne), soit subjectif (comme celui, arbitraire, bouffon…
mais sincère que j'ai proposé en début de notule). Immédiatement
ludique… et chacun peut le faire s'il connaît dix orchestres, ainsi que
contester le classement des autres.
Cela ouvre immédiatement le débat, attire la curiosité, favorise notre
appétence pour les palmarès et les compétitions.
Il en va de même pour les tribunes de disque à la radio : on pourrait
en profiter pour s'interroger sur les choix esthétiques différents
(pourquoi Vienne met son diapason haut, utilise des instruments
malcommodes, s'ouvre peu aux musiciens étrangers, pourquoi Berlin a
totalement changé de son…), mais il est tout de suite plus facile /
compréhensible / excitant de débattre à propos de qui est le meilleur. Et là, tout le
monde peut suivre.
Ce n'est donc pas illégitime en définitive, puisque cela ouvre la
conversation de façon très efficace.
Mais j'avais envie de rappeler et de souligner à quel point il est
impossible de produire un classement, même approximatif, qui ait le
moindre sens. Le concours pour être chef de pupitre à Berlin est sans
nul doute plus difficile qu'à Bâle, mais il est à peu près impossible
de démontrer que Berlin soit meilleur que Bâle, le niveau étant
largement suffisant pour rendre justice aux œuvres dans les deux cas…
et le résultat dépendant tellement des titulaires de ce soir-là, de
l'intimité avec le répertoire abordé, de l'impulsion du chef, du temps
de préparation… Sans même mentionner l'acoustique de la salle ou la
qualité de la captation !
Autrement dit : un bon support de papotage, mais avancer la valeur d'un
orchestre ou d'un chef sur la foi de ces hiérarchies traditionnelles me
paraît dépourvu de tout fondement…
(Vous pouvez donc continuer à vous moquer de ma vénération pour
Trondheim, Helsingborg ou Enschede… mais sachez qu'en réalité votre
jugement repose sur du sable.)
Au demeurant, j'adore le nouveau son de Berlin depuis les années Rattle
(déjà en mutation à la fin du mandat Abbado) et j'espère que le
Concertgebouworkest aura un jour un directeur musical susceptible de
lui botter le vénérable séant pour le tirer du beau son gratuit et en
faire une phalange un peu plus aventureuse et échevelée, en répertoire
comme en attitude… le matériau sonore en est tellement miraculeux…
Bonnes écoutes à vous, quels que soient vos goûts conformes ou déviants
!
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
Choisir 1830
Nous pénétrons dans une période où beaucoup de
nouveaux genres se sont développés et produisent leurs meilleurs fruits
(sonates pour clavier, musique de chambre plus ambitieuse formellement,
lieder, symphonies…), par rapport aux XVIIe et XVIIIe siècles où la
production la plus densément musicale se trouvait à l'opéra et dans la
musique sacrée. Difficile d'opérer des choix. J'ai tâché d'équilibrer
au maximum les genres et les aires d'influence au fil du XIXe siècle,
tout en ne proposant que des disques extraordinaires (œuvres comme
interprétations), et en privilégiant les œuvres moins connues – bien
sûr que j'aurais pu proposer les Sonates de Beethoven, les Lieder de
Schubert et les Symphonies de Mendelssohn pour ces premières décennies
du XIXe siècle… mais vous les avez très bien découverts sans moi.
Même en doublant le nombre de disques par décennie,
terrible de donner une image aussi partielle de la richesse musicale de
ces années.
Pour 1830, j'avais notamment songé à l'Ernani inachevé de Bellini, au Diluvio universale de Donizetti
(deux très grandes créations belcantistes, plus riches qu'à
l'accoutumée), Robert le diable
de Meyerbeer, les premiers lieder de Clara Wieck-Schumann, l'esquisse
de symphonie « Zwickau » de Schumann (ou bien ses fantasques cycles
pour piano Fantasiestücke et Faschingsschwank aus Wien), les Quatuors 3,4,5,6 de Cherubini (ou
bien son second Requiem ?)
ou celui de Fanny Mendelssohn-Hensel… Pour le second volume de 1830,
j'hésite entre la très méconnue Troisième
Symphonie de Romberg (témoignage de ce qu'on écrivait encore de
beethovenien après Beethoven, très dramatique !) et les Mélodies polonaises de Chopin
(permettant de varier les langues…).
Choisir
Mendelssohn
Pour cette première livraison, c'est décidé, c'est
Mendelssohn. Un Mendelssohn qu'on connaît mal, aussi pas de symphonique
ni de musique de chambre, des chœurs. Ce qui représente une très large
part de son catalogue ! La musique sacrée tient en 12 volumes
chez Bernius, la plupart de très haute volée.
Difficile choix à opérer entre les splendides chœurs
profanes,
moins bien servis au disque (beaucoup de versions aux timbres gris, ou
très sèchement chantées, ou au contraire très lyrique et peu précises
en diction, ou encore faites de cycles incomplets) et les motets cappella et cantates orchestrales
de plus grande ampleur (comme ses fameux Psaumes), sans parler de tout ce
qu'il existe d'intermédiaire, chœurs de femmes accompagnés à l'orgue,
courtes pièces du Propre (prévues pour des moments spécifiques de
l'année liturgique)… La plupart en allemand, mais, choix « commercial »
ou usage de la licence luthérienne d'utiliser le chant en latin si les
communautés sont conservatrices, s'il y a des étudiants en théologie,
etc., on trouve aussi des œuvres en latin qui suivent des textes de
l'ordinaire catholique – son fameux Magnificat,
typiquement.
[[]]
Surrexit Pastor (3 Motets Op.39, n°3).
Compositeur :Felix MENDELSSOHN
(1809-1847) Œuvres :Symphonie à grand orchestre, en ré (1824) Commentaire 1 :Herr, sei
gnädig(1833), 3 Motets Op.39 (1830), etc. [Vol. 7 de
l'intégrale Bernius] ♣ Du fait
de la qualité des versions et du caractère particulièrement varié des
œuvres, mon choix s'est donc porté sur la musique sacrée, avec ici
quantité de pièces a capella
ou simple accompagnement d'orgue, dont un grand nombre pour voix
féminines. ♣ On y
rencontre de petits cantiques pour voix solo (les Geistliche Lieder Op.112), des
pièces purement a cappella(Herr, sei gnädig, d'une calme
plénitude qui n'a rien de la plainte), des chœurs féminins avec orgue
qui, débutés en vibrant chant d'assemblée, s'achèvent en brillant fugato (Surrexit Pastor Op.39 n°3, où l'on
sent la fascination pour les vibrionnantes codas de motets de Bach)…
Une diversité très bienvenue, sur des œuvres qui, quoique toutes
parentes dans l'harmonie et l'esthétique générale, sont publiées de
1830 à 1868. (La plupart d'entre elles datent des années 1830, ce qui
motive aussi mon choix.)
Interprètes : Ruth
Ziesak (soprano solo), Sonntraud Engels-Benz (orgue) ; Kammerchor Stuttgart, Frieder Bernius Label :Carus (2006) Commentaire 2 : ♣ Un disque aux multiples
avantages. D'abord, comme précisé, le choix des œuvres, cohérent dans
le ton mais très varié dans ses formats. ♣ Ensuite
les forces en présence : l'exécution très nette et cristalline du Chœur de Chambre de Stuttgart, sans
sopranos opaques ni altos tassés ou tubés, offre une lisibilité
formidable de l'écriture sobre et raffinée de Mendelssohn, tout en
procurant par la clarté des timbres un véritable sentiment d'élévation.
Compromis par le haut entre la conscience musicologique et la volupté
vocale. S'y ajoute le bonbon de Ruth
Ziesak dans les deux Chants Sacrés Op.112, l'une des interprètes
les plus touchantes du lied mondial convoquée pour deux lieder avec
orgue de trois minutes chacun. ♣ Pour
finir, même si l'on peut trouver à peu près aussi bien ailleurs (le
Mendelssohn sacré, en particulier les Psaumes-cantates et les
oratorios, a été exceptionnellement servi au disque !), ce volume a
l'avantage d'appartenir à une intégrale de qualité absolument
constante, toujours au même degré extrême de finition. Très complète,
répartie intelligemment en albums variés mais sans impression de
disparité, interprétée avec un soin musicologique constant, une
véritable éloquence verbale et une spectaculaire clarté de timbres.
Pour les Psaumes avec
orchestre et Elias, vous
pouvez trouver encore mieux, mais vous pouvez très bien écouter toute
la musique sacrée de Mendelssohn par ce prisme. (La très honnête
intégrale de Nicol Matt et du Chœur de Chambre d'Europe chez Brilliant
est beaucoup plus opaque, les mots disparaissent, et moins complète.
Pas sûr qu'il y en ait beaucoup d'autres sur le marché.) ♣ Pour
poursuivre, je recommande vraiment le volume n°3 puis pourquoi pas le
n°6.
… Oui, pour une fois une notule courte dans cette série : présenter le
texte et l'écriture de chaque motet, ainsi que Mendelssohn lui-même,
serait l'objet d'une série complète ou d'un livre… J'ai été contraint,
par l'impossibilité même de la tâche, à la raison. Je compte néanmoins
produire quelque chose dans cet esprit (et ai déjà largement avancé)
pour les Méditations pour le Carême
de Charpentier, dont l'absence à peu près totale de documentation, le
genre, le texte, la dramaturgie et l'écriture harmonique &
contrapuntique le méritent bien !
Qobuz, la meilleure source éditoriale pour les principales nouveautés
classiques n'ayant publié que des playlists thématiques rétrospectives
(Beethoven, Noël) pendant deux semaines, j'ai cherché une autre
source bien hiérarchisée des parutions.
Quelles sont les meilleures ventes de nouveautés classiques chez la
suivante de Penthésilée, ces jours-ci ?
#1 Vincent Niclo et les Prêtres orthodoxes.
[Pas du tout du classique, des boîtes à
rythme totalement retravaillées en studio, avec compression dynamique,
il y a simplement une technique de chant qui est partiellement de style
lyrique – du cross-over,
certes, mais même pas du cross-over contenant du « classique ». Erreur
de classement.]
#2 André Rieu de Noël
[Cross-over
classique / cantiques : des valses de Strauss et autres classiques
favoris, mêlés avec des chants de Noël anglais accompagnés au synthé.]
#3 Gautier Capuçon
« Émotions » (avec la Tour Koechlin dessus) ]
[Cross-over
classique / chanson / BO. Pour bonne part des arrangements de thèmes
hors classique, comme L'Hymne à
l'Amour ou la BO de The
Leftovers,
le tout arrangé par Jérôme Ducros. Et des choses planantes comme
Einaudi. Je ne trouve pas que le timbre très sombre et large, le jeu
peu contrasté de G. Capuçon soit idéal pour l'exercice, au demeurant.]
#4 Philippe Jaroussky « La
vanità del mondo »
[Récital lyrique. Le premier disque
entièrement consacré à de la « musique classique ». Airs extraits d'oratorios
baroques italiens très rares (Bononcini, Chelleri, Torri, Fago, A.
Scarlatti, Caldara, Hasse et une seule piste de Haendel – pour le
référencement ?).]
[Coffret de musique classique. Le
premier de la liste à contenir des œuvres intégrales. Mais je
m'interroge sur le matériel d'écoute fourni (livret pour Pelléas) ?]
#6 Hauser « Classic Deluxe »,
arrangements divers
[Cross-over.
Entre le classique et d'autres répertoires (piano planant, Caruso de Dalla et sur le DVD Pirates of the Caribbean, Game of Thrones…). Cross-over à
l'intérieur même du classique au demeurant, puisque le violoncelliste
interprète notamment le Deuxième Concerto pour piano de Rachmaninov, le
Concerto pour clarinette de Mozart, un Nocturne de Chopin…
Au demeurant un très beau son, un travail sur le phrasé pour reproduire
un effet « chanté », mais il est difficile de juger de quoi que ce soit
tant le matériau est retravaillé en post-production, avec des effets de
zoom et réverbération localisée sur le violoncelle ! Très belle
finition pour du cross-over,
je dois dire. La vidéo filmée à Dubrovnik sur les thèmes de Pirates des Caraïbes
focntionne à merveille – même si les musiqueux dans mon genre sont tout
de suite gênés par le difficile rapport visuel entre la réverbération
de cathédrale et le jeu d'un instrument à cordes en terrasse par grand
vent – qu'on n'entendrait donc presque pas en réalité. Ses vidéos de
Noël, non incluses dans le DVD, où il est courtisé par des danseuses
trémoussantes et court-vêtues en habit de saint Nicolas, sont beaucoup
plus… perturbantes.]
#7 Kaufmann de Noël « It's
Christmas »
[Cross-over.
Chanteur lyrique, mais sur des chansons de Noël.]
#8 Tartini, Concertos et
Sonates pour violoncelle piccolo (Brunello, Doni)
[Premier album de la liste consacré à
un projet identifié, et contenant exclusivement du « classique ».]
#9 Takahashi (Yoko), Evangelion
[Pop.
Chant amplifié accompagné de boîtes à rythmes, clairement le classement
comme « classique » paraît discutable – ou plus exactement aberrant.]
#10 Muffat & Haendel par Flora Fabri (clavecin)
#11 Rossini, « Amici e Rivali
» (Brownlee & Spyres)
#12 Auber, Ouvertures volume 3
(Philharmonique de Moravie, Dario Salvi)
etc.
Les plus gros succès ne sont donc pas du classique, ou pour certains
partiellement du classique (mélangeant les styles ou adoptant des
approches davantages « mises en scène »).
Sur les 10 premiers : 2 ne sont pas du tout du classique, 4 sont du cross-over (répertoire non
classique avec des instruments ou chanteurs classiques, notamment), 1
est un récital fait de fragments d'œuvres, 1 est un gros coffret, et
donc 2 seulements sont de véritables albums cohérents contenant des
œuvres complètes !
Outre le sourire suscité (et la découverte de choses sympathiques,
comme les films de Hauser à Dubrovnik, très jolis et il joue très
bien), tout cela pose la question de la possibilité, pour un style
musical qui, déjà pas le plus vendeur, n'est même pas le premier au
sein de son propre classement des ventes… d'équilibrer ses comptes.
Vendeur.
Suivez l'argent
Car les chiffres de vente du
classique, même sur les gros labels, sont dérisoires – alors même que
son public est globalement plus attaché à l'objet disque que les autres
(plus vieux, quoi). Tellement de versions différentes des mêmes œuvres,
pour un auditoire assez restreint numériquement.
Quand on voit CPO sortir des intégrales de compositeurs inconnus… Même
la vingtaine de volumes de lieder du célèbre Carl Loewe, y a-t-il
vraiment des amateurs de lied qui les achètent tous un par un ?
J'avoue en avoir écouté une demi-douzaine seulement, parce qu'il n'y a
pas que ça à faire, même en restant chez CPO (facilement 3-4 nouveaux
disques par semaine)… Comment est-ce viable économiquement, et ce
depuis 35 ans… ?
Je n'ai pas vraiment de réponses définitives, mais au fil de lectures et de conversations, j'ai relevé quelques tendances que je partage avec vous.
Les labels ont plusieurs options :
a) Embaucher les quelques très rares
artistes qui font vendre des disques (Alagna, Kaufmann,
Netrebko, Bartoli, Grimaud, les Capuçon…). Seules les Majors Universal
(DGG & Decca), Sony et Warner en ont réellement les moyens. Ou
s'appuyer sur quelques titres raisonnablement vendeurs, comme ce fut le
cas pour Harmonia Mundi – dont le modèle économique a largement changé
depuis la mort du fondateur (se tournant aussi vers le cas e), je ne suis plus trop sûr de ce
qu'il en est à présent.
b) Intégrer les pertes au sein d'un
catalogue plus vaste, en conservant le secteur classique comme un
domaine de prestige, de plus en plus restreint. Là aussi,
essentiellement possibles pour les Majors, les frais de
l'enregistrement d'une intégrale d'opéra étant à peu près impossibles à
couvrir avec les ventes, même pour des affiches de prestige (le public
pour un opéra complet est trop restreint).
c) Considérer le label comme une fondation philantropique.
Typiquement CPO, adossé à la boutique en ligne http.://www.jpc.de,
présente dès les débuts de l'expansion de la vente classique en ligne,
et dont le chiffre d'affaires doit permettre d'avancer une partie des
financements – beaucoup de disques sont des enregistrements déjà
réalisés par les radios, qu'il suffit de sélectionner et presser (avec,
je suppose, une petite redevance, ou les radios publiques
subventionnent-elles au contraire la diffusion de leur fonds ?). J'ai
toujours supposé (sans jamais réussir à trouver de réponse précise) que
CPO devait être un peu représenter la danseuse du patron de JPC, et
qu'une partie des bénéfices étaient volontairement réinvestis dans
cette œuvre de bienfaisance.
d) Concevoir le disque comme un aspect
supplémentaire de la communication
d'une maison,
d'un orchestre. Les labels d'orchestre se multiplient ainsi (captations
déjà existantes pour la radio, et en tout cas concert de toute façon
donné), offrant une visibilité inédite au London Philharmonic ou au
Seattle SO, qui n'ont plus à attendre le bon contrat avec le bon label
sur un projet spécifique pour être écoutés et admirés dans le monde
entier. (Je suppose qu'il existe aussi un public local qui doit être
fidèle et assurer un nombre de ventes minimum, par rapport à un disque
d'un concert où on n'a pas été, avec un orchestre qu'on ne connaît pas.)
e) Maintenir des coûts de production suffisamment bas
pour amortir très tôt le prix d'une série et devenir prépondérant sur
le marché. Politique de Naxos qui a pu devenir le n°1 aux États-Unis.
Ils embauchaient des artistes inconnus (souvent des homonymes
d'artistes célèbres, ai-je remarqué, je me suis toujours demandé si
c'était le hasard des patronymes les plus banals ou une réelle volonté
de confusion), leur payaient une indemnité forfaitaire dérisoire et
vendaient le tout quasiment sans décoration ni livret. Cela a beaucoup
changé, désormais les grands artistes s'y bousculent, les projets
ambitieux aussi (intégrales d'opéra, grandes symphonies par des
orchestres qui ne sont pas les plus célèbres mais certainement pas les
plus mauvais !), là encore dans des répertoires très discrets où je
vois mal comment l'amortissement est possible. Il y aurait des ouvrages
entiers à écrire sur la question, des enquêtes journalistiques à mener,
des thèses à préparer… Je n'ai accès à cet univers que par touche, et
j'ai l'impression que chaque label ne sait pas complètement comment
fonctionnent les concurrents.
f) Recueillir les financements de producteurs extérieurs
: collectivités publiques, mécènes, afin d'assurer l'équilibre
financiers en amont de la commercialisation. Recevoir des subsides de
la région de naissance du compositeur, de l'association liée à la
mémoire du poète, au mécénat soutenant tels jeunes artistes…
g) Et de plus en plus souvent,
variante du précédent, servir de prestataire
technique pour des artistes qui viennent non seulement avec
leur projet, mais même avec l'argent de la production. Soit leur argent
propre (le disque restant une carte de visite, un objet de prestige qui
permet de se faire connaître et de se légitimer pour ensuite recevoir
des engagements pour réaliser des concerts), soit des sommes
elles-mêmes issues de subventions que l'artiste a préalablement
sollicitées.
Invendable.
Quels enseignements
pour l'auditeur ?
Le disque classique reste donc un univers à part : à tel point une
niche que même ses œuvres-phares et nombre d'interprètes bien
identifiés ne peuvent suffire à rivaliser avec les ventes de disques
plus ou moins lâchement assimilables à du classique. Et il est encore
plus difficile d'en tirer un bénéfice ou simplement un équilibre, comme
on peut s'en douter.
Document indispensable à la pérennité des œuvres aux oreilles de la
plupart du public – même dans les grandes capitales musicales, on ne
joue qu'une partie très limitée du répertoire discographique, même le
plus usuel, à l'échelle d'une poignée d'années… –, le disque repose
donc sur un équilibre tellement précaire (boudé de surcroît par les
jeunes générations) que son avenir est difficile à entrevoir. Rééditer
le fonds sous de gros coffrets qu'on vend en masse, comme l'ont essayé
Brilliant Classics puis les Majors,
aurait pu fonctionner… si l'on ne publiait plus du tout de nouveautés…
et si le public classique était suffisamment conséquent pour acheter en masse.
Quant à l'économie du dématérialisé, les coûts restent beaucoup trop
élevés, même avec abonnements (et ne parlons pas des solutions
gratuites), tandis la rémunération des artistes par piste écoutée
demeure dérisoire (sauf millions d'écoutes…).
Pourquoi cette notule qui ne révèle rien ? Juste partager
l'étonnement de voir les meilleures ventes occupées par du
pas-du-tout-classique ou du partiellement-classsique, et le plaisir de
causer un peu, au fil des miettes glanées çà et là, des modèles
économiques du disque. Je n'ai pas de révélations ni de solutions à
proposer. Pourtant, on n'a jamais publié autant, aussi varié (ni
peut-être même aussi bon…) ;
et dans le même temps on ne voit pas comme ce modèle pourrait rester
pérenne. J'ai essayé de donner un aperçu de quelques conceptions
économiques de l'objet. Je ne sais lesquelles survivront.
En attendant, il ne faut pas se priver de profiter de cette abondance
absolument déraisonnable, qui permet aussi bien à chaque interprète de
valeur mais confidentiel de graver son petit disque de trios ou de
symphonies qu'à des œuvres rares incapables de remplir une salle
d'exister, d'être à disposition, d'être réécoutables à l'infini. Le
disque nourrit véritablement la connaissance, là où le concert célèbre
la vie.
Profitons de l'Âge d'or du disque en attendant la renaissance de la
musique vivante ouverte au public !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
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