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[podcast opéra] – Épisode 4 : Pourquoi l’opéra est-il toujours chanté en langue étrangère ?



Certains interprètes généreusement militants ont toujours tenu à tout chanter en langue étrangère.

Plusieurs amis m'ont fait remarquer qu’il n’existait manifestement pas de podcast de vulgarisation sur l’opéra. J'ai été en peine de leur faire des recommandations : je trouve que ce qui existe, y compris en vidéo, parle rarement des éléments constitutifs du genre de façon progressive, et propose plutôt des anecdotes, voire des résumés d'intrigues – ce qui à mon sens doit plutôt intéresser un public déjà informé. Et, en tout état de cause, je connais mal l'offre. À défaut de pouvoir conseiller, j'ai donc opéré un petit essai :  l’idée serait de poster une seule notion à la fois, moins entrelacée et développée que dans une notule, pour essayer de toutes les clarifier, les unes après les autres.

J'en ai réalisé 6 épisodes cette semaine. Vous pouvez vous abonner dans votre application habituelle avec ce lien RSS : https://anchor.fm/s/c6ebb4c0/podcast/rss .
Sinon, il se trouve ici sur Google Podcast, Spotify, Deezer, SoundCloud

Pour ceux qui n'aiment pas l'audio, j'en recopie le script ici. (Il manque quelques précisions faites à l'oral, évidemment, mais l'essentiel est là.)  Rien que les lecteurs de CSS ne sachent déjà, mais il est possible que vous découvriez des choses au fil de l'avancée de la série, j'essaierai d'explorer, autant que possible sans aucun prérequis, des notions un peu plus précises au fil des semaines – si la chose trouve son public. J'envisage également des séries un peu plus techniques, par exemple sur la musique ukrainienne, qui me prend beaucoup de temps en rédaction à cause du format un peu ambitieux des notules, et qui gagnerait sans doute en promptitude en le réalisant sous forme audio.
 
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Épisode 4 : Pourquoi l’opéra est-il toujours chanté en langue étrangère ?

De toutes les difficultés qui s’offrent au novice ou à l’aficionado, en matière d’opéra, la langue n’est pas la moindre. On voit bien que le théâtre est en général toujours proposé en traduction. La comédie musicale est régulièrement traduite (les grands succès comme Les Misérables ou Wicked ont même leurs versions en hongrois et en coréen). Alors pourquoi pas l’opéra ?

La réponse devrait être simple, mais elle est nuancée.

Cela dépend énormément de l’époque, et du contexte.

On peut dire que, globalement, jusqu’aux années soixante, l’opéra était chanté dans la langue du public. Parce qu’il fallait que le public (sans surtitres) comprenne. Des poètes, comme Philippe Quinault (le librettiste principal de LULLY, le véritable fondateur de l’opéra en langue française), avaient même théorisé l’utilisation de formules figées, de phrases à la syntaxe simplifiée, la répétition de mots, pour permettre au public de comprendre ce que le chant pourrait autrement déformer. On chantait pour être compris. Et tout cela est cohérent avec la naissance de l’opéra, créé pour exalter le texte parlé. (Je remonte ce fil-là dans l’épisode 3.)
Il existe cependant une exception importante : au XVIIIe siècle, à l’exception de la France et de quelques villes isolées comme Hambourg ou Stockholm (plus marginalement Saint-Pétersbourg), on chantait partout, quelle que soit la langue du public, l’opéra en italien. Mais il faut dire qu’on était alors en plein triomphe de l’opéra seria : après un XVIIe siècle où l’on a exploré la puissance dramatique de la parole chantée, le XVIIIe siècle est la période où le public se fascine pour les voix et leur agilité. De longs airs (qui peuvent faire une dizaine de minutes dans la seconde moitié du XVIIIe siècle) s’enchaînent sur des situations stéréotypées, où le sens importe moins – et où le vocabulaire italien est de toute façon réduit. En ce temps-là, toutes les cours, de Lisbonne à Saint-Pétersbourg accueillent des opéras en italien, parfois même composés par des ressortissants locaux (De Sousa Carvalho au Portugal, Bortniansky, Ukrainien qui remporte des succès en Italie…). Le public veut surtout entendre des voix agiles et les textes sont suffisamment stéréotypés pour ne pas gêner la compréhension générale de ce qui se passe sur scène.

Le reste du temps, on chante en bonne logique dans la langue du public, pour être compris. Et l’on peut entendre dans les pays concernés, Guerre et Paix de Prokofiev en italien, Carmen de Bizet en russe, Le Château de Barbe-Bleue de Bartók en français, Fidelio de Beethoven en tchèque, Don Carlos de Verdi en bulgare… Les chanteurs étrangers invités doivent apprendre la version traduite dans la langue locale – sauf les plus grandes vedettes qui en sont exemptées (Del Monaco chantant en italien au milieu d’une Carmen en russe, Ghiaurov en italien également au milieu d’un Don Carlos en bulgare…). À de rares exceptions près : lorsqu’une troupe étrangère se rendait dans une ville lointaine, elle chantait dans sa propre langue bien sûr.
Il s’agissait de donner à comprendre un texte dans la plupart des situations.

Tout cela bascule au cours des années 60, et la langue originale de composition devient la norme dans les années 70. Je n’ai jamais pu comprendre ce qui avait suscité ce changement radical (et universel).
¶ Peut-être un début de conscience musicologique : le compositeur a écrit dans cette langue, avec des rythmes, des accents précis pour mettre en valeur le texte, ce que la traduction ne peut pas toujours respecter (il y en a de sublimes qui sont encore meilleures que les originaux, d’autres très honnêtement fonctionnelles, et certaines qui abîment tout, la qualité verbale du texte, le caractère des personnages et des situations, l’accentuation des mots, et bien sûr les rythmes d’origine). C’est le moment des expérimentations de Hindemith et Harnoncourt, une sensibilité générale à ces questions se développe peut-être à ce moment.
¶ Mais sûrement aussi un début de mondialisation : si l’on veut les chanteurs à la mode, qui peuvent désormais se déplacer en avion, on ne peut pas leur imposer de chanter dans chaque langue de chaque pays visité. Il vient avec la partition qui est la même pour tous, celle de la langue d’origine.

Dans les années 80, l’apparition des surtitres finit par régler la question : on peut à la fois respecter le travail du compositeur sur la langue et comprendre l’action !

Et c’est ainsi que l’on entend aujourd’hui majoritairement la langue d’origine, en dehors de quelques rares institutions spécialisées (comme l’English National Opera) et d’initiatives ponctuelles et locales. Puccini en italien, Wagner en allemand, Moussorgski en russe, Janáček en… tchèque, Bartók en hongrois. Même lorsque ces langues sont peu pratiquées dans le pays d’arrivée.

Je ne sais pas si ce choix est le plus pertinent, considérant qu’il existe de belles traductions, et que le surtitrage constitue tout de même une médiation, un éloignement par rapport au frisson du texte directement exalté par la musique – il n’est que d’entendre le public rire avant ou après les répliques, en lisant le surtitrage…
Cette nécessité de polyvalence en langues crée aussi des problèmes vocaux dont il a déjà été question plusieurs fois sur le site et que je n’aurai pas le temps d’évoquer dans cette brève vignette. (Et il est difficile d’en tenir rigueur aux chanteurs, le cahier des charges s’est tellement alourdi : il faut être capable de produire du beau son dans beaucoup de systèmes phonétiques différents, sans même parler du sens à donner !)
Mais cette exigence nous propose aussi le frisson de langues étranges, l’impression d’accéder à une Europe du son, qui n’est pas sans attraits.

Que vous soyez convaincu ou non par ce choix, j’espère avoir donné quelques pistes d’explication sur la raison de cette prédilection pour les langues étrangères lorsqu’on représente de l’opéra !

[Je finis peut-être, cette fois, par une recommandation d’écoute : écoutez l’acte I de l’Alceste de LULLY (dans la version Rousset si vous pouvez), où cohabitent la déclamation française la plus directe et une plainte italienne posée là uniquement pour le son et l’atmosphère. ]

Voyez aussi cette antique notule.


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David Le Marrec

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