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Philippe d'Orléans compositeur – La Jérusalem délivrée ou la suite d'Armide


La Jérusalem délivrée ou la suite d'Armide

J'étais un peu seul à me réjouir de ce que Château de Versailles Spectacles ait programmé le dimanche soir à 21h la Jérusalem délivrée de Philippe d'Orléans (bien mieux qu'à 15h ou 17h, ça laisse tout le dimanche !). Mais ça se termine donc à minuit, et avec les bus supprimés dans toute l'Île-de-France comme conséquence de l'embrasement généralisé du pays sans bus, je n'avais plus d'options… J'ai bien regardé les VTC, mais 80€ + les 50€ de la place, ce n'était pas envisageable.

J'ai donc renoncé à entendre cet inédit que j'attendais depuis tant d'années donné dans un lieu idéal par une équipe de feu.



Bien sûr que non. Versailles, ce n'est qu'à 20 km de l'Est de Paris. Sans trop me presser, cela fait 6h-6h30 de marche, par une nuit aux températures douces, c'est idéal. C'est parti !


La Jérusalem délivrée ou la suite d'Armide



#ConcertSurSol #121

Déjà entendue (fragmentairement) au CRR de Paris, c'est cette fois une production (de concert) avec tous les moyens qui est donnée pour La Jérusalem délivrée, ou La suite d'Armide de Philippe d'Orléans. Un des deux opéras qui subsistent du Régent (Philomèle est perdue).

J'avais adoré les audaces et bizarreries (ça frotte quelquefois !) de Penthée, histoire absolument terrible – rivalité d'un roi avec le jeune Dionysos, qui tourne fort mal pour le mortel. Par les Chantres du CMBV, les derniers actes avaient été présentés dans la Galerie des Batailles, c'était saisissant. J'en avais parlé ici, et jamais eu le temps de le convertir en notule.

L'œuvre est plus ancienne qu'on l'a d'abord cru – de nouvelles traces ont été trouvées, il existe une édition de 1704, et plus seulement de 1712 !  Plus étonnant encore, autant il est écrit au frontispice de 1712 qu'il s'agit, en substance, de l'œuvre d'un personnage illustre et proche des dieux (dont tout le monde peut aisément deviner l'identité), dans l'édition antérieure c'est plutôt « un compositeur proche de M. Le Régent », ce qui laisse penser que la partition est au minimum le fruit d'une collaboration.
D'après Benoît Dratwicki, à qui je dois beaucoup de la science que je vais partager ici, on retrouve nombre de tournures typiques de Gervais (le maître de musique principal de Philippe d'Orléans), et si jamais l'œuvre a été composée un peu avant 1704, elle pourrait même inclure des pages de… Charpentier !

Pour moi, à l'oreille, je n'entends pas très fort Charpentier – mais sa manière peut être très protéiforme. En revanche, que ce puisse être Gervais, dont Philippe d'Orléans était proche, ce n'est pas impossible : on dispose de très peu de choses au disque (Hypermnestre, et puis ?) et j'ai très peu lu sa production. Par ailleurs Philippe d'Orléans n'a pas hésité, on le sait, à lui passer commande de motets pour les signer de son nom. Un jour, un courtisan lui fait (respectueusement ou malicieusement, je ne sais plus) remarquer que son motet comporte des fautes. Philippe d'Orléans ne dit rien, descend voir Gervais, le giffle devant ses gens et lui dit en substance : « Lorsque je vous charge d'écrire un motet pour moi, j'attends que vous le fassiez en personne, et non que vous le laissiez à vos apprentis ! ». Ce témoignage rend donc d'autant plus vraisemblable la collaboration de Gervais, voire sa participation à l'essentiel de l'œuvre.

La Jérusalem délivrée ou la suite d'Armide
Non pas que je sois paranoïaque, mais qui les a prévenus de ma venue ?

Le livret du baron de Longuepierre propose une suite et un dénouement heureux à deux sujets à la fois : Tancrède (celui de Danchet & Campra avait été représenté dès 1702) et la grande référence, Armide de Quinault & LULLY. Tancrède est encore tourmenté de la mort de Clorinde, mais aimé d'Herminie et finit par très bien s'en accommoder. Armide tente de se venger de Renaud en envoyant au combat ses amants (très adroite réutilisation de ce motif très présent dans l'acte I d'Armide de Quinault & LULLY, les guerrier alliés et soumis par amour), et lorsque Renaud triomphe, c'est pour, tout auréolé de sa gloire, offrir son amour à Armide. Et tout le monde est content.
Bien que la trame en paraisse décevante (ces deux histoires terribles résolues en chœur de liesse générale comme un vaudeville, chaque homme se trouve une femme parmi ce qui reste…), la réalisation en est, dans le détail, très réussie. Structure claire, qui ménage des plaintes, des affrontements, des enchantements originaux (le cyprès enchanté qui saigne !), une apparition d'ombre assez bouleversante (Clorinde apparaît à Tancrède pour lui demander pourquoi il l'a ghostée, sans doute sur le modèle de Didon dans Énée & Lavinie de Fontenelle & Collasse, de 1690), des batailles. Tout cela assez harmonieusement agencé, alors même que le principe de ce livret (réajuster tout le monde) et son début (Herminie et Armide se plaignent) laissent présager une intrigue très immobile et ennuyeuse. Dans le détail, c'est tout le contraire.
Il faut dire que Longuepierre était un véritable dramaturge, contrairement à La Fare (le capitaine des gardes et mauvais sujet auteur du livret de Penthée, pas mauvais par ailleurs !), passionné par l'épure de la tragédie grecque – sa Médée, par exemple, ne contient pas d'intrigue amoureuse. Pour autant, ce n'est pas ce qu'on lit dans ce livret, le but dans une tragédie en musique étant avant tout de ménager les scènes de merveilleux attendues.

La Jérusalem délivrée ou la suite d'Armide

Si le futur régent est célèbre comme compositeur, c'est que ses partitions regorgent d'originalités, voire de bizarreries, dont les musiciens des générations suivantes se sont demandé la part d'audace (maladroite ou visionnaire ?) permise à l'amateur qui n'a pas besoin de se soumettre au goût du public, et la part… d'erreurs de copie. En sortant de Penthée, j'en avais discuté avec un musicien de l'orchestre (lui-même arrangeur et chef d'ensemble), et alors que je partageais mon enthousiasme pour l'originalité et l'étrangeté de la partition, il me disait sa conviction qu'on avait tout voulu jouer comme c'était écrit, mais que ce faisant il avait eu l'impression de jouer beaucoup de fautes involontaires.

Je n'ai pas lu la partition (je ne sais plus si elle est disponible) pour juger avec pertinente de la probabilité du rapport audaces / fautes de copie dans la partition ; toujours est-il qu'à l'audition, tout sonnait très bien, comme du baroque français habituel, quelques effets harmoniques expressifs en sus – on peut les trouver exotiques, mais ils interviennent en tout cas plutôt aux moments de recherche expressive.

Entendons-nous bien, lorsque je dis audaces, elles sont en effet tout à fait considérables, mais au sein du style de la tragédie en musique : si vous n'êtes pas familiers du répertoire, vous ne trouverez pas ça très audiblement subversif.

Petite revue de détail.

La Jérusalem délivrée ou la suite d'Armide

Acte I
(Herminie, captive de Tancrède qui est parti pleurer Clorinde, reste amoureuse de lui. Armide arme des guerriers pour pourfendre Renaud.)
¶ J'ai été très impressionné par la modulation soudaine sur « nous jurons » des amants d'Armide qui promettent de la venger de Renaud. Changement immédiat d'atmosphère.  (Juste avant, une brève chaconne).
¶ Je retrouve dans cet acte, et plus loin, le goût de Philippe d'Orléans pour le procédé italianisant de la batterie de cordes (notes répétées à la basse, écriture en accords martelés), fréquente dans le seria italien, rare dans l'opéra français. On en trouve, bien sûr (colère de Corésus à la fin du II de Callirhoé !), mais ponctuellement, rarement aussi généreusement qu'ici (et Alarcón y va joyeusement, surtout qu'il y a deux clavecins dans l'orchestre !).
¶ Présence, ce qui est plutôt rare, d'un chœur uniquement féminin (pour la suite d'Armide au sens protocolaire, et non au sens temporel comme dans le titre de l'œuvre !).
¶ L'acte s'achève sur le très beau chœur des guerriers asservis par Armide, une belle trouvaille du livret qui permet de tisser le lien avec l'acte I d'Armide de Quinault-LULLY.

Acte II
(Herminie part retrouver Tancrède. Armide organise une forêt enchantée avec l'aide – incongrue, considérant ses pouvoirs propres – d'un enchanteur.)
¶ Violon solo pendant la plainte d'Herminie, sans accompagnement. Mais comme Alarcón a aussi proposé, comme toujours, ses propres arrangements, je ne sais pas si c'est dû à Philippe d'Orléans. (Pareil pour les flûtes solo plus loin.)
¶ Grande invocation de basse, développée et très réussie. Et belles harmonies du chœur infernal.

Acte III
(Tancrède, qui veut rivaliser de gloire avec Renaud, croise un cyprès enchanté qui le défie. Il le frappe, le cyprès saigne, l'ombre de Clorinde apparaît. Il est pris au piège de l'enchantement. Renaud, lui, tient bon face à l'illusion d'une  fausse Armide, qu'il frappe – parce qu'il sait qu'elle est fausse ; il dit qu'il aime toujours Armide. L'enchantement contre tous les chevaliers est rompu.)
¶ Surprenantes flûtes pastorales pour accompagner l'enchantement sanglant de Tancrède, moment décalé très poétique. Et encore plus étranges dissonances de flûte pour l'entrée de Renaud.
¶ Les grandes scènes des héros sont très expressives, et utilisent ici encore beaucoup le principe de l'écriture en batterie. Autre élément qui évoque volontiers le seria, le retour de Tancrède sur des déhanchements écrits en imitation, vraiment dans le goût haendelien. (Ce n'est pas absurde dans la mesure où les opéras de Haendel sont déjà composés et diffusés à cette époque, et que Philippe d'Orléans incarnait, de l'avis général, une esthétique des « goûts réunis ».)
¶ Terrible chœur d'imprécations.
¶ Le plus beau moment, c'est bien sûr l'arrivée de Clorinde, une ombre qui demande des comptes, comme Didon dans Énée & Lavinie de Fontenelle-Collasse. Élément très inhabituel : Tancrède chante pendant la déclaration de l'ombre de Clorinde, lui coupe quasiment la parole, ce qui ne se fait pas du tout – dans la bonne société, mais surtout à l'opéra… les spectres finissent leurs phrases en étant écoutés. Et les deux chants sont bien sûr dans des styles très différents, longues lignes peu volubiles pour Clorinde, récitatifs agités pour Tancrède. Impressionnant, très réussi. Et lorsqu'elle s'en va, chromatisme soudain sur le dernier « Ah, douleur » de Tancrède. Une scène écrite au cordeau, d'une intelligence rare. Hâte de la réentendre au disque !

Acte IV
(Hors scène, Tancrède se bat avec Argant, qui n'a pas été tué le même jour que Clorinde contrairement à la version de Danchet-Campra. Herminie est inquiète. Finalement elle découvre Tancrède blessé. Argant est mort. Le vieux berger va soigner Tancrède.)
¶ Deux hautbois seuls très haendeliens, mais c'est un choix d'Alarcón (qui paraît exotique par rapport aux normes du genre).
¶ Grande plainte développée d'Herminie, à nouveau, mais elles sont vraiment très belles et très bien construites (celle du I est vraiment longue, avec beaucoup d'épisodes secondaires !).

Acte V
(Combat final entre les deux armées. Renaud triomphe, Armide veut mourir, mais Renaud lui fait sa demande, ils s'épousent. On se demande un peu pourquoi ils n'ont pas commencé par là chez Quinault, mais enfin, il faut ce qu'il faut pour produire du drama. Tancrède épouse Herminie, sans qu'on nous explique trop pourquoi il a changé d'avis – a man gotta eat. Chaconne générale.)
¶ Déception d'Armide encadrée de trompettes victorieuses. Mort de l'amant Tissapherne sur le modèle du guerrier athénien dans le I de Thésée ou d'Aronte dans le I d'Armide (Quinault-LULLY) – il arrive sur le théâtre pour dire qu'il meurt.
¶ Grand fugato final, inattendu et très bien écrit. Chaconne avec trompette obligée, la première fois que j'entends ça – c'est vraiment dans la partition.

Même si la structure d'ensemble est étrange avec sa double action, tissée à partir de deux des tragédies en musique les plus appréciées et remises au théâtre de leur temps, l'ensemble est porté par une inspiration constante, chaque section étant écrite avec son lot d'innovation, et une grande ambition pour servir la déclamation et le théâtre. L'ombre de Clorinde, la chaconne finale, et nombre de monologues (Clorinde au I et au IV, Tancrède au IV…), c'est quelque chose !

La Jérusalem délivrée ou la suite d'Armide

Un mot sur l'interprétation à présent.

La production a été transportée de la Salle des Croisades (tout en bois, acoustique excellente, mais où la majorité du public a un pilier dans son champ de vision au milieu de la scène), vers le Salon d'Hercule, où l'on voit parfaitement de partout, dans une acoustique très correcte en général.
Ce soir-là, c'était un peu plus difficile, possiblement à cause des techniques vocales propres aux chanteurs, mais aussi et surtout à cause des basses assez fortes de l'orchestre : deux bassons, et surtout une contrebasse, ce qui créeait un halo.

J'ai été étonné de voir (c'est rare) une contrebasse dans un orchestre de tragédie en musique – et vous savez que c'est une question passionnante en soi, la contrebasse. Aussi, j'ai tout simplement posé la question. Et je n'ai pas été déçu de la réponse !

La contrebasse est attestée dans l'orchestre qui accompagne les opéras à la Cour dès le début du XVIIIe siècle. Ce rôle était alors assuré par le compositeur Montéclair, qui tenait la contrebasse le vendredi. Ce n'est donc absolument pas une aberration, même si on le voit peu souvent dans les productions ; je trouve parfois que l'orchestre français sans contrebasse manque un peu d'assise, mais en l'entendant en cette occasion, j'ai aussi été frappé par le fait que son halo grave faisait concurrence aux voix, tendait à les masques, les rapetisser, en réduire les contours. En termes de résultat, ça reste donc à débattre, selon les lieux, l'effectif, les voix présentes, etc.

L'anecdote du successeur de Montéclair, apprise à l'occasion, mérite d'être mentionnée : on n'a aucune trace du matériel d'orchestre utilisé par Montéclair. Il paraît périller d'exécuter les traits rapides des actes infernaux, par exemple, à la contrebasse. On pense donc qu'il simplifiait (comme c'est souvent le cas sur les partitions de contrebasse de l'époque classique et romantique) ; peut-être même Montéclair faisait-il à vue, puisqu'on n'a rien retrouvé.
Mais on dispose du matériel de son successeur, et là… !  Il consiste simplement en rondes et blanches (même lorsqu'on a des traits rapides, il y a donc une grosse note immobile posée en bas), et pis encore, il ne note que les fondamentales de l'accord ! 
(Pour ceux qui ne voient pas ce que ça fait : dans un accord de trois sons, on peut mettre l'une des trois notes de l'accord à la basse, et ça change bien sûr l'articulation des accords entre eux, c'est important et pas du tout interchangeable. En changeant la basse de l'accord prévu par le compositeur, se produisent immanquablement des quintes directes, des fausses relations et toutes autres choses interdites et moches… il n'existe pas de partitions en musique classique où l'on ne trouve que des fondamentales à la basse, personne ne fait ça !)
Des musiciens ont essayé cette partie et ont tous renoncé. Était-ce vraiment joué ainsi ?  Était-ce un mémo personnel pour improviser ensuite des basses simplifiées ?  Un support pédagogique pour ses élèves ?  En tout cas cela rend très perplexe, des opéras entiers dont la composition est modifiée (et très mal) par le contrebassiste !
(Titre défilant en lettres de sang sur musique midi : LA VENGEANCE DU CONTREBASSISTE.)

La Jérusalem délivrée ou la suite d'Armide

Pour le reste, j'ai été très impressionné par l'ardeur folle imprimée par Leonardo García Alarcón avec la Cappella Mediterranea, les danses furibondes, l'élan constant, le soin malgré tout de la déclamation (d'autant plus fluide qu'elle est vive), les belles couleurs… c'est vraiment une grande réussite, très envie de le réentendre dans ce répertoire.
J'ai aussi beaucoup aimé la trompette de Serge Tizac, plus chaleureuse que ce que l'on entend d'ordinaire – il y avait fort longtemps que je n'avais pas vu une trompette percée, c'est mal (ce n'est pas une pratique musicologique mais une façon d'arriver à jouer ces instruments du diable), et pourtant ça sonne clairement plus clair et puissant qu'une véritable trompette baroque sans trous… Ce n'était peut-être pas aussi musicologique que d'habitude, mais c'était fichtrement beau – et sans pains.

Margaux Blanchard et Marie Van Rhijn au continuo, notamment – on n'était pas malheureux. (Grande richesse des réalisations chez Van Rhijn, que j'aime décidément beaucoup.)

Côté chant, quelques-uns des meilleurs titulaires. Je suis absolument fan de Victor Sicard en Tancrède (dans tous les répertoires d'ailleurs), la clarté de l'élocution, l'expressivité de chaque inflexion, l'engagement de tous les instants… et la voix, bien focalisée, est très bien projetée. Il varie à loisir les modes des émissions se coule dans toutes les situations avec beaucoup de variété. De même, Gwendoline Blondeel (Herminie), c'est l'assurance d'une émission très nette, focalisée, de mots précis, et tout baigne dans une irisation dorée assez irrésistible.
Très favorablement impressionné aussi par Cyrille Dubois (Renaud), habitué de rôles plus larges, a priori calibré plutôt pour Rameau que pour de la tragédie post-LULLYste, et malgré la tessiture grave, la voix rayonne constamment, avec un texte en permanence intelligible. On perçoit la structure robuste de la voix, mais elle ne prend jamais de place au détriment du timbre ou du texte. Je suis impressionné par la discipline qu'il parvient à imposer à l'instrument, sur des répertoires aussi divers – son dernier récital (« So Romantique ») est une merveille à ce titre.

Nicholas Scott (rôles courts) et Fabien Hyon (Vaffrin, écuyer de Tancrède), aguerris à ce répertoire (souvenir de Fabien Hyon encore étudiant dans une scène d'Atys en décembre 2013 aux Invalides, moment qui reste gravé dans ma mémoire… !) sont de très bons choix pour ces rôles, quoique le premier soit desservi par la salle qui le happe un peu, mais ce qu'ils font est très beau de bout en bout.
C'est aussi un bon soir pour David Witczak (Tissapherne et l'Enchanteur), omniprésent dans ces productions. La voix est un peu mince et grise, l'émission empêche l'épanouissement des mots (un peu tous sur le même plan), mais j'ai beaucoup apprécié son sens musical dans la grande scène infernale du II, livrant vraiment le meilleur de ce que sa technique peut donner.

Véronique Gens (Armide !) était plus en difficulté, son émission douce et très peu métallique était largement absorbée par les conditions acoustiques du jour (on me souffle que c'était beaucoup plus probant dans d'autres salles). En peine avec le rythme aussi, l'orchestre est souvent obligé de l'observer, de l'attendre. Un peu comme dans Circé de Desmarest, sauf que cette fois l'orchestre sait ce qu'il fait, et l'artiste est telle que même si l'on voit les hésitations, le texte paraît toujours aussi mobile et généreux. (Je trouve que la voix a vraiment perdu et s'est empâtée, de plus en plus tassée vers le bas, mais ça reste tout de même très beau et surtout très sensible.)

Enfin Marie Lys (Herminie), dont je n'aime pas beaucoup la technique – très « XIXe du XXIe », plutôt émise en bouches que dans les fosses nasales, très unifiée par la couverture, un peu molle dans les attaques –, s'est révélée comme une grande artiste. D'une part, c'est la fête du poitriné, qu'elle utilise très intelligemment pour donner du relief aux accentuations dans les phrases en bas de la tessiture (pas de gros poitrinés tenus comme dans Verdi, hein, plutôt des touches de couleur et de fermeté, pour renforcer le texte). D'autre le phrasé manifeste une pensée musicale et verbale très complète. Je reste frustré par le timbre terne, et je me prends à imaginer quel sommet ce serait si elle émettait un tout petit plus en avant et couvrait un tout petit peu moins – mais honnêtement, avec cette sensibilité-là, on ne trouvait pas le temps long et justice était rendue au rôle.

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Je n'ai donc pas regretté les 50€ ni les 20km à pied – que je n'ai finalement que très partiellement parcourus à pied, un des patrons m'ayant très gracieusement reconduit jusqu'aux portes de Paris !  Karma instantané.

Et je vous recommande chaleureusement la découverte de ce jalon insolite, lorsque le disque paraîtra d'ici un an.


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David Le Marrec

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