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La dernière Tosca et la mort du chant lyrique


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Cette dernière parution suscite en moi de (sombres) méditations.

Puccini – Tosca – Buratto, Tetelman, Tézier ; Santa Cecilia, Harding (DGG)

Une intégrale d'opéra chez les majors (Universal, Warner, Sony), c'est devenu rare. Grand point fort de cet enregistrement, l'orchestre de Santa Cecilia (le principal orchestre symphonique romain) et Daniel Harding – décidément un jeune prodige qui a tenu toutes ses promesses –, splendidement phrasé, avec une vision plutôt vive et sèche par rapport aux lectures amples ou voluptueuses, une des très belles directions de cet opéra au disque – alors que le choix est pléthorique en voix exceptionnelles, alors que les versions orchestrales de ce niveau ne sont pas si abondantes.

La distribution nourrit hélas mon amer constat sur l'orientation du chant lyrique depuis les années 70 : on privilégie des voix exagérément couvertes, artificiellement sombrées, qui portent mal dans les salles et sont assez moches au disque. Typiquement, j'aime beaucoup Tetelman que je trouve très impressionnant, mais ici, au disque, comme ça manque de fermeté dans le médium comme dans la ligne – les descentes chromatiques soulignent vraiment cette faiblesse. Et bien que très typé lyrique (pas très naturel, ferme ni mordant pour ce répertoire, donc), j'ai beaucoup apprécié l'élégance de ses chansons irlandaises semi-populaires dans les Dubhlinn Gardens.

Après une quarantaine d'années à entendre ce que le chant international fait de plus prestigieux dans des salles de volumes et de nature diverses, j'ai (à mon grand désespoir) fini, alors que j'étais vraiment tolérant à toutes les esthétiques, par être impatienté par ces techniques lyriques qui opacifient tout, si bien qu'on entend mal ce que les chanteurs disent (et même souvent les notes qu'ils chantent). Les techniques plus libres (impédance plus basse, couverture uniquement fonctionnelle et non esthétique), les émissions antérieures, les équilibres plus naturels ont marqué plus positivement, à mon sens, l'histoire du chant lyrique.

Cette intégrale, pour moi, marque un point de non-retour : malgré la très grande qualité des chanteurs (de grandes voix, de grandes techniques, et même pour Tetelman une grande personnalité), je n'arrive pas à m'intéresser à ce que j'entends, tant le texte est mâchonné, tant les voix sentent l'effort. J'ai tout simplement trouvé tout ça assez… moche.

Rageant, parce que le niveau musical des chanteurs n'a jamais été aussi élevé, et les qualités personnelles de ces artistes ne sont en réalité pas tant en cause que l'esthétique dominante du chant lyrique.

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Je suis vraiment triste de tenir ce discours de vieux grincheux ; toutefois à mon sens on touche vraiment à un problème structurel assez important dans un art dont tout le principe est d'être audible sans amplification. Cette nouvelle parution, pourtant interprétée par de grands chanteurs que j'admire beaucoup, était l'occasion de poser à nouveau les questions des choix techniques et esthétiques opérés par les professeurs – qui se revendiquent pourtant à peu près tous de la véritable tradition du chant italien, voire napolitain, depuis au moins Lauri-Volpi et Gigli, quand ce n'est pas Garcia –, et qui me paraissent tout simplement contre-productifs d'un point de vue pratique : pour le public, le texte n'est plus intelligible et la projection vocale bien moindre. Les quelques contre-exemples actuels permettent de mesurer ce qu'une émission franche et libre peut produire en clarté textuelle et en intensité sonore – Marc Mauillon, Martin Gantner, Gérald Finley…


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Commentaires

1. Le dimanche 27 avril 2025 à , par Diablotin :: site

Oh, la dernière fois que je suis passé ici, il n'en restait rien, ou presque, tout était en vrac !
Quant à cette Tosca, tous les goûts sont dans la nature et <mode complotiste ON> la vérité est ailleurs, semble-t-il : Diapason d'or en mai 2025 -grosso modo : orchestralement, Hardings rejoint Karajan 1962 et Sinopoli 1980 sur les sommets, les chanteurs sont idéaux de souffle, de ligne et de couleurs dans les trois rôles principaux- et choix des critiques de Gramophone en avril 2025 ; je n'ai pas vérifié ailleurs, et je ne l'ai pas écouté au demeurant <mode complotiste OFF>.

2. Le dimanche 27 avril 2025 à , par DavidLeMarrec

Coucou Diablotin !

Oui, mon hébergeur a détruit l'intégralité de la base de données… et me refusait l'accès une fois recréé la nouvelle ! Comme Free n'a aucun service client lié aux pages personnelles, j'ai dû bidouiller longuement en vain et attendre en réalité qu'ils se rendent compte de leur erreur au bout de deux semaines…

Bien sûr qu'il existe quantité d'avis possibles sur un même enregistrement, et la distribution de celui-ci est particulièrement luxueuse, par des artistes que j'admire au demeurant.

Ce qui m'intéresse, en commentant des enregistrements, est moins d'établir un podium (qui ne serait de toute façon pas moins personnel que celui de Diapason ou Gramophone) que de poser des questions plus générales – ici, le changement d'esthétique et même de but dans le chant lyrique. L'interprétation en langue étrangère et le surtitrage, notamment, on rendu complètement annexe la question de l'intelligibilité. Et le disque a permis de promouvoir des voix qu'on n'entend pas très bien salle – Kaufmann n'est pas très impressionnant en vrai, contrairement à Skelton qui est au contraire moins gracieux au disque.
En l'occurrence, en élargissant un peu la focale au delà de « cet enregistrement est-il bon » (oui, bien sûr que ce sont de bons interprètes et que ça s'écoute), je trouve que ça témoigne du franchissement d'une limite dans ce qui nous reliait aux objectifs de naguère du chant lyrique. Même Buratto chante dans une langue inconnue, avec des apertures fausses ou inidentifiables.

Ça sonne comme un chant du déclin, mais ça ne l'est pas vraiment, puisqu'il y a toujours eu des flux et reflux sur la question – la génération 1890 (Lubin, Ponselle), côté diction, c'était pas jojo…

3. Le lundi 5 mai 2025 à , par Cololi

hihi, oui, toujours le même reproche ^^. Pas faux au demeurant ... j'avoue que je suis de plus en plus sur ta position ... J'aime de moins en moins au disque. Quant à la salle, et bien du coup ça passe beaucoup moins bien (bon ça fait des années que je n'y vais plus alors ...).
Façon, perso, si j'osais chanter trop en arrière, trop dans la gorge ... que ce n'était hyper lumineux, j'étais fouetté ^^. Par contre je ne sais pas ce que tu nommes "bas", car perso j'ai toujours appris à penser le son le plus haut possible (pour le rendre le plus lumineux).

4. Le lundi 5 mai 2025 à , par DavidLeMarrec

Coucou Cololi !

C'est d'autant plus indispensable pour les voix hautes comme la tienne : je dis toujours que si les basses (même les excellentes, comme Courjal) chantaient avec leur technique des rôles de ténor, rien ne sortirait ! C'est une discipline très particulière qui est requise pour tenir ces rôles.

Merci d'avoir relevé mon lapsus ! Je voulais écrire « impédance basse » (donc faible résistance du son dans les résonateurs, ça sort vite au lieu de résonner plusieurs fois à l'intérieur, ce qui produit souvent des sons plus saturés et brouillons), et non « émission basse », bien sûr ! C'est corrigé.

5. Le lundi 5 mai 2025 à , par Cololi

Ah c'est rigolo ce que tu dis que cette différence voix hautes/basses. Car ... moi j'ai toujours eu l'impression inverse. Alors je ne suis pas du tout un technicien du chant mais, perso j'ai toujours eu l'expérience que tout ce que je gagnais à rester bien en haut dans le grave (ce qui va l'encontre de l'intuition naturelle quand on y connait rien). La ligne mélodique descend ... tu restes tout en haut ... sinon point de graves. Je pouvais faire un sol 1 (et je me souviens avoir fait fa#1 même) en vocalise avec du timbre. Alors bien sûr ce "rester en haut" ça ne peut pas être par la force, le blocage ... c'est là que commence toute la difficulté. A présent j'ai peur en disant tout cela que bcp de choses m'échappent (car les mécanismes ... je n'y connais rien).

Moi j'avais plutôt tendance à penser qu'au contraire donc ... les basses qui descendaient bien ... c'est justement parce qu'elles s'imposaient une discipline ... plutôt imposée aux ténors justement. Courjal ou Varnier donnent l'impression justement de bien laisser leur voix en haut dans les résonnateurs, ce qui nous évite ces voix de basses sombrées ... et qui vont plafonnées tant dans le grave que l'aigu (et le volume !). Moi j'avais l'impression justement qu'ils chantaient comme des ténors ^^ mais avec leur voix bien plus basse.

6. Le jeudi 8 mai 2025 à , par DavidLeMarrec

C'était plutôt pour dire que bien que leur technique soit bonne (effectivement, pas du tout de grosses voix ouatées les concernant), s'ils chantaient comme cela avec une voix de ténor, ce ne serait pas suffisant pour émettre des aigus qui tiennent bon.

Typiquement, Courjal (que j'adore, hein ! change rien Nicolas, on t'aime comme tu es) a quand même un chant doux, assez en arrière, ce qui limite d'ailleurs beaucoup ses possibilités en termes de dynamiques. Un aigu de ténor comme ça, ça ressemblerait plutôt à Nikolaï Schukoff ou, dans le meilleur des cas, Charles Castronovo, qu'à Tamagno ou Schipa. C'est la réflexion que je me fais souvent : chez une basse, un aigu un peu faible, poussé ou incertain, ça passe ; chez un ténor, ce serait très moche, voire l'accident vocal assuré.
(Ce qui est tout à fait logique dans la mesure où les rôles du ténor, à partir du XIXe siècle, sont écrits bien plus au delà du passage que n'importe quelle autre tessiture masculine.)

7. Le vendredi 16 mai 2025 à , par Cololi

C'est possible. Effectivement ténor ... ça ne pardonne pas.
Après les basses d'exception ça existe : Moll ! je pense que Moll pouvait sortir un sol aigu (sol 3) en concert sans problème ... et sortir un sol 0 dans le même air ... Et même il pouvait je crois naviguer dans une zone franchement haute pour une voix aussi grave ... sans se fatiguer. Mais sa voix est étrange ... elle ne parait pas grave ... Elle parait grave seulement quand il descend (et encore ... c'est tellement facile que l'on ne se rend à peine compte qu'il est aussi bas - typiquement les graves de Sarastro ... c'est son medium ^^).
C'est sûrement pas la norme en effet ...

8. Le samedi 17 mai 2025 à , par DavidLeMarrec

Oui, Moll bien sûr ! Qui chante effectivement comme un ténor, de la voix mixte, beaucoup d'utilisation des résonances nasales aussi – ce qui n'est pas toujours beau au disque, mais sonne merveilleusement en salle.

Dans ce genre de basse à l'émission très saine et libre, il y avait Bastin aussi !

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