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jeudi 8 mai 2014

Tancrède de Campra, sur scène – Schneebeli, Tavernier, Avignon-Versailles 2014


Pour des considérations sur l'œuvre elle-même, on peut se reporter aux notules citées dans celle-ci.


La fin de l'acte III, le début de l'acte IV, la fin de l'acte V à Avignon.


1. L'œuvre à l'épreuve de la scène

Tancrède a été l'une des œuvres les plus reprises, hors Lully, de l'histoire de l'opéra d'Ancien Régime. Il y a peu d'autres exemples de tels succès (et un autre sera redonné l'an prochain). On se rend mal compte, sans doute, des critères qui ont poussé au succès ou à la chute des œuvres, surtout dans cette période étrange de la fin du règne de Louis XIV et de la Régence, où, libérés de la nécessité de plaire directement au Prince, les créateurs pouvaient explorer de nouveaux aspects : les œuvres dotées de bons livrets tombaient parce que trop audacieuses (musicalement surtout), tandis que les pastorales et les opéras ballets à entrées triomphaient. Tancrède est l'une des rares œuvres à sujet sérieux de cette période qui ait remporté un succès réellement éclatant.


L'apparition de l'Ombre de Didon dans Énée & Lavinie de Collasse (bel opéra, sur un remarquable livret de Fontenelle). Dessin de Jean Berain à la plume (encre brune), au lavis gris et brun, avec des traces de pierre noire (1690).
Sélectionné pour illustrer les enchantements de la forêt à l'acte III.


Pour notre époque qui déprécie les formes récurrentes (l'une des vertus capitales des artistes étant l'innovation, concept qui de plus en plus central depuis le XIXe siècle), il est difficile de prendre du plaisir à ces ballets interruptifs trop divertissants (même si les librettistes s'efforcent de les rattacher à l'action, ils ne sont presque jamais des pantomimes, et encore moins des paroxysmes dramatiques), particulièrement les pastorales un peu molles, exaltant un cliché champêtre qui n'a plus de sens pour nous.
De même pour les répliques trop stéréotypées, pourtant absentes du théâtre classique, et délibérément utilisées sur la scène chantée pour permettre l'intelligibilité du spectacle même en manquant des mots.

Aussi, expliquer le succès singulier de Tancrède n'est pas évident. En revanche, sa construction vers de plus en plus d'intensité dramatique et musicale, simultanément, ne fait pas de doute, et a peut-être contribué, par l'émerveillement surpris et la suffocation qu'elle suscite, à l'accueil favorable de l'ouvrage. Je m'interroge davantage sur les reprises répétées, car tout ne me semble pas de la même eau.
Prologue très faible (on a même peine à écouter ce qui se dit), actes I et II laborieusement exposés (il ne se passe carrément rien d'important au I, qui n'aurait pu se mentionner en deux répliques au II), et sans musique marquante. Acte III largement occupé par la pastorale – ce qui est même, d'une certaine manière, un défaut de construction dans l'acte-pivot.

C'est à partir de la fin de l'acte III (affrontement impitoyable entre les deux amantes) que la veine mélodique, tout à fait absente jusqu'ici, commence à s'épanouir, et continue d'éclore dans l'acte IV d'amours et d'enfers, et bien sûr dans l'acte V guerrier où éclate le désespoir final en de multiples thèmes très entraînants.
Aussi, à l'entracte de mi-parcours, on a plus ou moins l'impression d'assister à une œuvre assez banale – ou, si l'on connaît déjà l'ouvrage, d'attendre que les choses sérieuses commencent.

Et pourtant, les moments de bravoure sont nombreux au total : duo d'affrontement au III (incluant notamment un air grave mais dansant avec flûte soliste simultanée, à l'italienne, et une grande déclamation, assez lullyste, de Clorinde seule), le célèbre « Sombres forêts » et le duo d'amour au IV, les récitatifs de Tancrède entrecoupés de trompette au V, et le dénouement terrible.

C'est un peu le syndrome Amadis : on s'interroge un peu au début, mais le tourbillon des deux derniers actes est tels qu'il contient le meilleur de leurs auteurs respectifs.

Pour le détail des contenus (l'usage des tessitures, les autres œuvres du temps, l'écriture musicale), je renvoie à nouveau aux notules précédentes.

2. État de l'œuvre à Avignon et Versailles

Je me contredirai néanmoins sur un point : pour la première fois, je n'ai pas ressenti l'homogénéité du langage musical, mais au contraire la grande disparité de l'ensemble, ou plus exactement la volonté de Campra de montrer la totalité des possibilités d'un opéra. Ariettes italiennes jusqu'au cœur de l'action chez les personnages principaux (rarissimes à cette date, peut-être même une première), pastorale dans quasiment tout l'acte III, scènes infernale et amoureuse juxtaposées à l'acte IV, et toutes les trompettes & timbales de l'acte V, absentes dans les autres actes, même des scènes de lutte.
Voilà qui a dû concourir au succès : l'impression d'exhaustivité des techniques utilisées par le compositeur.


Frontispice du livret de Roland de Lully & Quinault (un modèle évident, après Amadis, pour Tancrède, avec son héros au bras puissant, distribué à une basse-taille), dessin de l'atelier de Jean Berain à la plume (encre noire), au lavis gris et à l'aquarelle, avec quelques rehauts de gouache.


Pour ces représentations de 2014, il faut signaler la proposition d'une version alternative de la fin de l'ouvrage : au lieu de l'apparition d'Argant pour une séance de devinettes cruelles : « Dans la nuit, Clorinde a pris mes armes... et ta main... tu frémis, tu ressens tes malheurs », Clorinde revoit pour la dernière fois Tancrède, et la révélation a lieu pendant un duo d'amour d'une délicatesse suprême.
Il existe même une troisième fin (écrite avant celle-ci), d'une concision impressionnante, où Clorinde révèle très simplement, sans égards, ce qui s'est passé, tout en affirmant son amour (« Sous les armes d'Argant j'ai caché ton amante »), et où Tancrède n'a pas d'air final : « Elle expire, mourons... / Ah ! malgré votre effort, / Inhumains, la douleur saura finir mon sort ».

La première a été gravée par Malgoire (Erato, épuisé), et dans les extraits de Clément Zaffini (Pierre Vérany, sur instruments modernes). Les deux autres jamais. Difficile de choisir entre Argant et le long duo, qui sont par essence mutuellement exclusifs ; entendre en vrai cette fin alternative était, en conséquence, un enchantement. [Audible en début de notule.]

3. Traitement scénique

Suite de la notule.

David Le Marrec

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