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samedi 7 juin 2014

Jean-Philippe RAMEAU – Les Indes Galantes (1735) – Hugo Reyne


Le disque tiré des représentations viennoises (janvier 2013) vient de paraître : la Simphonie du Marais avec Valérie Gabail, Stéphanie Révidat (1,2), Reinoud van Mechelen, Nicolas Geslot (1,2), Aimery Lefèvre (1,2) et Sydney Fierro.


Il existe une multiplicité de choix éditoriaux possible pour les Indes, l'œuvre ayant subi plusieurs remaniements dès les premiers jours : le ballet était à l'origine en un prologue et deux entrées (« Le Turc généreux » et « Les Incas du Pérou »), « La Fête des Fleurs » a été ajoutée dès la troisième représentation, puis l'année suivante les « Sauvages » (de pair avec des modifications dans les « Fleurs » persanes) – du fait leur cloisonnement, toutes les entrées n'étaient pas toujours jouées. Plusieurs détails (notamment le quatuor « Tendre amour », qu'on peut voir comme un moment d'orfèvrerie majeur dans la partition) ont changé au fil des représentations et propositions de Rameau, selon la réception du public :

Le public ayant paru moins satisfait des scènes des Indes Galantes que du reste de l’ouvrage, je n’ai pas cru devoir appeler de son jugement ;

[Préface à l'occasion de la publication d'extraits choisis (« Ballet réduit à quatre grands concerts ») chez Boisvin.]

Et il est vrai que les parties récitatives et dramatiques, déjà étiques dans le livret de Fuzelier, ne sont pas très réussies, comparées aux « numéros » et danses dont beaucoup sont restés à la postérité. C'est une œuvre à la fois frustrante (rien à voir sur le plan du théâtre, et uniquement de la musique décorative) et fascinante par la réussite des divertissements comme autant de tubes.

On retrouve la même ambivalence dans les réactions du public, trouvant d'abord l'œuvre très (voire trop) italienne – ce qui désigne aussi bien l'usage d'une forme de virtuosité pyrotechnique (vocalisation, fusées violonistiques) et concertante (instruments solos pendant les airs) qu'un état de sophistication du contrepoint (pas trop ici) et de l'harmonie (les Indes n'en sont vraiment pas le cas le plus flagrant chez Rameau, mais contiennent des moments sensiblement plus hardis que la norme d'alors). Amusant, considérant que Rameau a incarné, au début des années 1750, le modèle français lors de la Querelle des Bouffons. Et, de fait, l'œuvre se situe au croisement d'une tradition galante très française et d'une virtuosité musicale qui, sans être proprement italienne, doit beaucoup à l'Outremont.
Néanmoins l'œuvre rencontre vite un grand succès grâce à ses parties les plus divertissantes et brillantes (les plus italiennes, par conséquent), qui dure jusqu'à 1770 où la billetterie enregistre sa plus grosse recette de l'histoire de l'ouvrage – jusqu'à sa chute définitive, trois ans plus tard.

Si le public d'aujourd'hui est assez éloigné de la sensibilité balletistique de l'époque (encore que le succès des ballet dans les grandes capitales, ou les nombreux spectacles faisant avant tout commerce de décors somptueux, puissent augurer du contraire), on note en revanche l'intemporalité du caractère glottophile des succès à l'Opéra : en décembre 1736, le Mercure de France explique en partie le vif succès des représentations par une courte absence de la célèbre haute-contre Jélyotte :

Le sieur Jéliot, qui avait été absent pendant quelques temps, joue dans l'acte des Sauvages et chante le même rôle qu'il avait déjà joué au mois de mars dernier avec beaucoup d'applaudissement ; car on avait une très grande adeur de le voir, ce qui contribue encore au concours que ce ballet attire.


Cette nouvelle interprétation me séduit beaucoup. Techniquement, on est loin de la perfection léchée des versions Christie (ou même des récentes représentations avec Rousset), mais il y a là une simplicité et une vérité théâtrale que je trouve extrêmement prenantes. Les continuistes (quoique fort bons) ne sont pas les meilleurs, les chanteurs n'ont pas tous des timbres agréables (Gabail et Geslot, je suis toujours séduit, mais on peut ne pas adhérer), et pourtant, il y a, jusque dans les imperfections, une générosité discrète que j'aime beaucoup.

Même les attaques un peu floues de Lefèvre qui ne m'ont pas toujours agréé (1,2) servent ici des personnages sombres très marquants, en contraste avec les amants galants omniprésents.
Plaisir aussi de retrouver la grand élégance de Stéphanie Révidat, qu'on voit finalement assez dans les grandes productions, alors que son médium est plus sûr que la plupart des autres sopranos de son format, qualité particulièrement enviable dans les rôles plus mûrs ou aristocratiques. Quant à Reinoud van Mechelen, il continue de semer une musicalité d'un goût parfait partout où il passe.

Bref, enfin du théâtre frémissant, et plus seulement de la jolie musique décorative.

Au disque, un premier choix (a fortiori considérant que le studio Christie, comme son Atys, est extrêmement figé).

À noter, le matériel a été réalisé par le dieu lilypondien Nicolas Sceaux, en concertation avec Hugo Reyne, et se trouve donc librement en ligne.

David Le Marrec

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