1.
Pourquoi une discographie de Rusalka ?
Voilà bien un répertoire où le choix des versions est délicat – et
important. Les grands labels appartenant à des régions et des cultures
sonores très différentes du patrimoine et du style tchèques, circulent
beaucoup de versions assez éloignées des équilibres conçus par les
compositeurs.
Aussi, comme pour
Dalibor de
Smetana, une proposition de parcours dans la discographie de l'autre
grand standard de l'opéra romantique tchèque – et
le seul opéra dans cette langue, hors
Janáček, à être
régulièrement
joué dans le monde. Vous pouvez retrouver ici une présentation
de particularités de
Rusalka
en deux notules, autour du livret (
sources et mise en œuvre) comme de la musique (
folklore et wagnérisme).
Cette limitation à quelques titres est bien sûr très injuste, dans la
mesure où le répertoire tchèque regorge de bijoux dans ce style, qui
recueillent généralement d'assez beaux succès publics. Rien qu'en
restant avec Dvořák, il faudrait donner régulièrement son ultime opéra,
Armida, qui adopte un style «
militaire » archaïsant, très différent de la féerie de Rusalka, tout en
demeurant très raffiné. Sans aller chercher très loin non plus,
Dalibor,
Libuše (Smetana),
Šárka (Fibich) assureraient des
succès massifs (bien plus que la
Fiancée
vendue, quelquefois donnée, et pas du tout du même tonnel). À
condition de faire déplacer le public, ce qui est toujours le problème
lorsqu'on ne joue pas la centaine d'opéras très célèbres (le seuil
critique pour remplir une salle requérant nécessairement un public plus
occasionnel, pas seulement de spécialistes du style en question – sauf
dans les très grandes métropoles où le nombre d'habitants permet
d'atteindre le nombre requis).
Comme pour l'opéra russe, je demeure vaguement dubitatif devant la
frilosité des maisons d'opéra à programmer ces répertoires. Proposer un
chef-d'œuvre décadent allemand, de la
nuova
schola italienne, des pièces passionnantes mais obscures ou
exigeantes de Scandinavie ou de Finlande peut représenter un risque. En
effet, cela requiert des efforts même une fois dans la salle, et ne
s'adresse pas forcément à des publics déjà constitués – par exemple, le
public de l'opéra italien appréciera sans doute plus aisément un
nouveau Donizetti qu'un Leoncavallo innovant, un Mascagni sévère, un
Gnecchi germanisant ou un Montemezzi crépusculaire.
En revanche, le romantisme tchèque (ou russe) a prouvé son
accessibilité et sa bonne fortune auprès de publics assez divers
(amateurs de voix, de mélodies lyriques, d'harmonies riches,
d'orchestrations raffinées) : de quoi rassembler verdiens, wagnériens
et slavophiles. Comme le style en est identifiable et très apprécié, il
doit être possible de remplir sans coup férir, une fois le public
habitué à cette nouvelle offre.
Dans l'attente d'être entendu (ou plus exactement, que quelqu'un en
haut lieu se mette fortuitement à suivre le même raisonnement que moi),
je ne puis que trop vous engager à ne pas vous limiter à collectionner
les
Rusalka : il existe
beaucoup d'excellentes versions idiomatiques des autres, dans un goût
comparable et une veine très différente – la disponibilité des livrets
est un peu plus épineuse, mais si on est un peu motivé, on trouve (dans
le cas contraire, contactez-moi).
2.
Discographie exhaustive et commentée
Voici donc l'ensemble des versions commerciales disponibles à ce jour
(discographie préparée en 2014, j'ajoute Nézet-Séguin, mais il est
possible que d'autres éditions aient dans l'intervalle paru et trompé
ma vigilance), avec un mot de présentation pour guider.
Je commence par préciser que je n'ai pas tout écouté : je le précise
dans ce cas, et je me contente alors d'hypothèses (donc de préjugés)
sur l'affiche... ça donne toujours des informations sur les habitudes
des interprètes et du label, mais ne garantit absolument rien en termes
de résultat final.
Dans l'ordre de citation des rôles : Rusalka, Prince, Ondin, Ježibaba,
Princesse Étrangère.
--
1951 – Joseph KEILBERTH – Urania, Hänssler, Brilliant Classics
(en allemand)
Chœurs de l'Opéra de Dresde. Staatskapelle de Dresde.
Elfride Trötschel, Helmut Schindler, Gottlob Frick, Helena Rott, Ruth
Lange.
Version pas particulièrement passionnante : l'œuvre perd beaucoup de sa
saveur spécifique en allemand (et joué dans un style qui fait peu de
place à la couleur), la direction est très sommaire (aussi bien dans
l'intention que dans la réalisation), et Trötschel est tout sauf
gracieuse. Une version en force, dont la poésie n'est pas le fort.
Par ailleurs,
coupures
significatives (20 minutes manquantes).
--
1952 – Jaroslav KROMBHOLC – Supraphon, Line Cantus Classics
Chœur & Orchestre du Théâtre National de Prague –
Národní divadlo Praha.
Ludmila Červinková, Beno Blachut, Eduard Haken, Marta Krásová,
Marie Podvalová.
Première version chez Supraphon, dans un son assez extraordinaire pour
l'époque : les voix restent un peu en avant, mais l'orchestre est très
lisible (et remarquablement assuré), avec des couleurs typées et
beaucoup de chaleur dramatique.
On dispose en outre de plusieurs des plus grands chanteurs tchèques de
tous les temps : Červinková, voix de soprano dramatique placée avec
clarté, très incisive et expressive (seule réserve : un peu stridente à
l'acte III), et le divin Blachut, sorte de Bergonzi tchèque (quelque
part entre l'héroïsme et la préciosité), usant d'une émission large
mais constamment
mixée. Sans parler du grand luxe de Podvalová,
autre soprano dramatique de premier plan, en Princesse étrangère.
Une version cohérente de bout en bout, très bien chantée, bien captée.
Très belle référence.
--
1954 – Felix PROHASKA – Walhall, Line Cantus Classics, The Art
of Singing (en
allemand)
Radio autrichienne (Großes Wiener Rundfunkorchester).
Eleanor Schneider, Waldemar Kmentt, Walter Berry, Hilde
Rössel-Majdan, Gerda Scheyrer.
Évidemment, les bandes de la radio autrichienne des années 50 sont
toujours aussi frustrantes orchestralement (lointain, gris, écrasé,
très peu détaillé), et Prohaska dirige assez droit, façon germanique,
pas beaucoup d'alanguissements ni de poésie. En revanche, tout le monde
s'exprime ici avec une véritable chaleur, en particulier Kmentt (qui
paraît chanter une sorte d'opérette viennoise héroïque, mais le fait
avec charme et conviction). En CD, ma seule version allemande
satisfaisante sur le plan prosodique.
Ce n'est vraiment pas mal, mais insuffisant pour profiter pleinement de
l'œuvre, dans la mesure où l'on perd le tchèque, et où il s'agit d'une
version
très coupée –
il manque 30 minutes de musique, même en prenant en compte le tempo vif
!
--
1961 – Zdeněk CHALABALA – Supraphon
Chœur & Orchestre du Théâtre National de Prague –
Národní divadlo Praha.
Milada Šubrtová, Ivo Židek, Eduard Haken, Marie Ovčáčíková, Alena
Míková.
La version légendaire de l'œuvre. Fort belle, mais deux réserves
importantes : Šubrtová est très séduiante d'ordinaire (fantastique
Léonore du
Trouvère en tchèque), mais la voix paraît un peu
étroite et aigrelette, ainsi captée, pour un rôle de grand lyrique de
ce genre. Plus gênant, la prise de son et la direction de Chalabala
sont assez plates, le relief des pages (couleurs harmoniques, effets
d'orchestration, solos, intensité dramatique) est largement gommé.
Très bonne version, mais qui ne donne pas toute sa mesure à l'œuvre.
En 1975,
Bohumil
Zoul en fait un film avec des acteurs mimant le chant – cela
ressemble à une mise en scène de théâtre très tradi filmée de près,
avec un Ondin tout vert et des gestes très empruntés. Vraiment pas pas
exaltant, sauf à considérer Otto Schenk comme un avant-gardiste
hystérisant.
--
1971 – Arthur APELT – Eterna, Berlin Classics (extraits en
allemand)
Chœur du Staatsoper Berlin, Staatskapelle Berlin.
Elka Mitzewa, Peter Bindszus, Theo Adam, Annelies Burmeister, pas de
Princesse Étrangère.
Version originale et très typée, avec ses bois
berlinois presque
aigres, pour un univers plus dur et moins féerique. Assez convaincant,
même si Mitzewa n'est pas la meilleure titulaire du rôle.
--
1975 – Peter SCHNEIDER – Gala (en
allemand)
Chœur der Deutsche Oper am Rhein, Düsseldorfer Symphoniker.
Hildegard Behrens, Werner Götz, Malcolm Smith, Gwynn Cornell, Hana
Svobodová-Janků.
Découvert son existence en préparant cette notule. Lu les plus grands
éloges sur Werner Götz, au sein d'une interprétation paraît-il
particulièrement germanique ; mais l'élan de Schneider et l'aplomb de
Behrens (alors d'une fluidité et d'une musicalité exceptionnelles)
rendent bien sûr très curieux, probablement une version allemande qui
fonctionne.
J'ai l'impression que c'est indisponible depuis longtemps, en revanche.
--
1976 – Bohumil GREGOR – Opera d'Oro, BellaVoce
Chœurs de l'Opéra Néerlandais. Orchestre de la Radio Néerlandaise.
Teresa Stratas, Ivo Žídek, Willard White, Gwendolyn Killebrew
(Ježibaba et Princesse).
Un peu de souffle sur la bande, les équilibres de la prise ne sont pas
toujours parfaits (obturation d'une partie du spectre du microphone par
les cors, par exemple).
Gregor joue la partition de façon essentiellement lyrique, en exaltant
les mélodies supérieures au détriment des autres détails (cela tient
aussi à la façon toujours élancée de la Radio Néerlandaise) ; je ne
trouve pas les transitions (pourtant toujours superbes, vraiment sur le
modèle wagnérien) bien soignées, et on passe à côté de beaux détails à
l'intérieur du spectre orchestral, mais ce n'est pas déplaisant.
Vocalement, Stratas surprend, mais pas désagréablement : une boule de
son bien efficace au fond de la bouche, une implication notable, ça se
défend très bien pour une voix pas le moins du monde tchèque. Žídek est
clairement sur le déclin, la voix s'est beaucoup asséchée ; la
technique lui permet de tenir son rang, mais ce n'est plus aussi aisé
et séduisant.
Une version très valable, si l'on n'avait que celle-là, on serait déjà
bien contents.
--
1983 – Václav NEUMANN – Supraphon
Chœur & Orchestre de la Philharmonie Tchèque.
Gabriela Beňačková-Čápová, Wiesław Ochman, Richard Novák, Věra
Soukupová, Drahomíra Drobková.
Neumann n'est pas le plus ardent des chefs, mais la mise en situation à
l'Opéra l'a poussé, semble-t-il, à une générosité dont il n'est pas si
coutumier. La Philharmonie Tchèque est comme toujours le moins
idiomatique des orchestres du territoire, et l'on se surprend à trouver
les composantes structurelles germaniques (motifs, harmonie), mais
l'ensemble demeure d'une transparence et d'un style parfaits.
À cette belle lecture orchestrale s'ajoute la meilleure distrbution
depuis Krombholc. Certes, les amants ne sont pas des tchèques (il y a
chez Beňačková, somptueuse, une petite rondeur typiquement slovaque,
presque une mollesse façon Caballé, qui compense la grandeur acide du
format dramatique à la tchèque), mais la langue est très respectée, les
irisations vocales remarquables.
--
1987 – Václav NEUMANN – Orfeo
Chœur & Orchestre de l'Opéra de Vienne.
Gabriela Beňačková-Čápová, Peter Dvorský, Yevgeny Nesterenko, Eva
Randová (Ježibaba et Princesse).
La distribution peu paraître encore plus tentante que chez Supraphon,
avec Dvorský (en général plus solaire qu'Ochman, mais potentiellement
plus court aussi, surtout à cette date) et Randová. Duo principal cette
fois-ci entièrement slovaque – et, pour les avoir entendus avec Pešek
ou en concert à Prague, la différence se perçoit avec les tchèques
(légèrement plus rond et confortable, moins incisif).
Tchèque,
c'est Urbanová ; slovaque, c'est Popp.
Néanmoins, l'association Neumann-Vienne fait craindre une certaine
neutralité expressive et stylistique – je ne suis pas si pressé de
tenter, d'autant que la version pragoise fonctionne sur tous les points
(Ochman y est très aisé et délicat, un peu plus blanc que Dvorský, mais
aussi considérablement plus souple).
--
1997 – Alexander RAHBARI – Koch, Brilliant Classics
Academic Choir « Ivan Goran Kovačić ». Orchestre Philharmonique de
Zagreb.
Ursula Füri-Bernhard, Walter Coppola, Marcel Rosca, Nelly Boschkova,
Tiziana K. Sojat.
Comme pour Halász, il existe un autre visage à l'art de Rahbari,
beaucoup plus valorisant, que ses contributions cachetonnantes au jeune
label Naxos. Profil orchestral absolument pas tchèque, avec des cordes
très rondes et homogènes, mais l'ensemble demeure habité. Le ténor
blanchit en essayant la demi-teinte, la basse sonne extraordinairement
italienne (on croirait entendre Siepi sauvé des eaux), mais tout le
monde concourt avec générosité à un drame prenant.
Une belle version qui, considérant son prix, constitue un choix tout à
fait satisfaisant.
--
1998 – Charles MACKERRAS – Decca
Chœur mixte de Kühn. Orchestre Philharmonique Tchèque.
Renée Fleming, Ben Heppner, Franz Hawlata, Dolora Zajick, Eva Urbanová.
La version longtemps la plus aisément disponible, et probablement la
plus écoutée dans la plupart des pays.Elle n'est pas sans vertus ;
plateau de stars, mais très soucieuses de se conformer à l'esprit
spécifique de l'œuvre : les liquidités affectées de Fleming se fondent
assez bien dans ce personnage plaintif de conte bariolé, une vision
très différente de la tradition, Heppner à son zénith chante avec
application, mais pas sans générosité, et Urbanová est glaçante et
superbe à la fois en Princesse Étrangère – elle aurait mérité une
immortalisation dans le rôle-titre, même si son format est un rien plus
dramatique que Beňačková, et sa souplesse pas tout à fait équivalente.
Orchestralement, tout est merveilleusement détaillé, dans un confort
sonore remarquable (Decca), pour une lecture plus hédoniste que
dramatique, mais très sensible : Mackerras exalte les velours plutôt
que les reliefs, à rebours ici aussi de la tradition tchèque – qui est
beaucoup moins soignée et bien plus impétueuse. Mackerras tire plutôt
vers l'évocation poétique que vers le drame en musique. (Le minutage en
témoigne fidèlement : 15 à 30 minutes de plus que les autres versions.)
Une très belle version qui peut servir de référence, mais qui ne
dispense pas d'essayer d'autres lectures plus frémissantes et
tranchantes.
--
2006 – Franz WELSER-MÖST – Orfeo
Chœur de l'Opéra de Vienne. Orchestre de Cleveland.
Camilla Nylund, Piotr Beczała, Alan Held, Birgit Remmert, Emily Magee.
Mis à part Nylund, qui m'intrigue (vu la date, la voix pourrait encore
être fraîche, et pas courte et cassante comme dans ses mauvais jours
désormais), ce n'est pas très engageant : quel respect du style et de
la langue attendre de ces spécialistes des grands titres germaniques
lourds – Beczała, à cette date, a peut-être plus de clarté que
désormais, mais la voix me paraît robuste et ancrée dans le sol pour ce
rôle où je me suis habitué aux plus souples et lumineux (sans doute
très beau, mais pas forcément indispensable à découvrir).
Quant à Welser-Möst et Cleveland, déjà pas toujours engagés dans leur
meilleur répertoire, je ne suis que modérément curieux (résultat
stylistique ?).
--
2007 – Richard HICKOX – Chandos
Opera Australia Chorus. Australian Opera and Ballet Orchestra.
Cheryl Barker, Rosario La Spina, Bruce Martin, Anne-Marie Owens,
Elizabeth Whitehouse.
Pas très enthousiaste sur celui-ci : Barker sonne très mûre, La Spina
évoque vraiment le versant efficace-si-pas-séduisant de l'école
australo-américaine (avec ce timbre un peu farineux et pincé dans le
nez)... sans parler de l'état du tchèque. L'intérêt est surtout à
chercher chez Hickox, qui propose une lecture chambriste étonnante,
très délicate et suspendue.
--
2009 – Jiří BĚLOHLÁVEK – Glyndebourne
Glyndebourne Festival Chorus. London Philharmonic Orchestra.
Ana María Martínez, Brandon Jovanovich, Mischa
Schelomianski, Larissa Diadkova, Tatiana Pavlovskaya.
Parution récente dont on n'a pas à attendre beaucoup de grâce (et puis
Bělohlávek, très en cour à Paris,
et surtout Londres et Glyndebourne, ne se départit jamais d'une petite
indolence) mais
j'aimerais beaucoup essayer l'Ondin de Schelomianski, à vrai dire,
surtout que le rôle n'est pas extraordinairement servi au disque.
3.
Vidéographie exhaustive et commentée
En bleu, les
films en studio
(pas forcément disponibles commercialement). En rouge, les
captations de représentations.
--
1962 –
Václav KAŠLÍK – Filmexport Home Video
Arrangement, mise en scène et réalisation de
Václav Kašlík.
Chœur & Orchestre du Théâtre National de Prague –
Národní divadlo Praha.
Milada Šubrtová, Zdeněk Švehla, Ondrej Malachovský, Věra Soukupová,
Ivana
Mixová.
La vidéo la plus célèbre de l'œuvre, un studio très littéral
(production du studio Barrandov de Prague, joué par des acteurs
professionnels), aux teintes verdâtres pas toujours avenantes, mais qui
tient assez bien ses promesses : dans le genre théâtre de studio, si
l'on accepte la part de naïveté, voilà qui vaut bien la
Flûte de Bergman.
Kašlík y est à la fois chef et réalisateur, et pour une version avec
Šubrtová, l'ensemble est autrement vivant (et plus coloré) que
Chalabala ; sans parler de la valeur ajoutée de l'Ondin Malachovský,
ample et mordant, pas du tout élimé comme Haken.
Attention, la version est
très
coupée (il manque au moins 30 minutes de musique).
--
1975 – Zdeněk CHALABALA –
télévision tchécoslovaque
Réalisation de
Bohumil Zoul.
Chœur & Orchestre du Théâtre National de Prague –
Národní divadlo Praha.
Milada Šubrtová, Ivo Židek, Eduard Haken, Marie Ovčáčíková, Alena
Míková.
Doublage par des acteurs professionnels (sauf Haken qui tient son
propre rôle) du fameux studio de 1961. C'est à peu près ce qu'on fait
de pire dans cette veine : images très lisses (où personne ne semble
très concerné), mal raccordées entre elles, suite d'images de catalogue
qui n'ont plus aucun impact dramatique, le tout soutenu par le son un
peu plat (orchestre gris et écrasé) de la prise de son de 61.
C'est un peu dans la veine des pires productions de Ponnelle, avec des
couleurs plus crues caractéristiques de la télé slave occidentale de
cette période (sans parler du goût des surimpressions). À tout prendre,
écoutez le disque.
Je n'ai pas eu le courage de tout regarder, on y voit quelques jolies
gambades dans les fleurs et peut-être de réels bons moments, mais je
doute que ce soit complet de toute façon.
--
1976 – Libor PEŠEK – ZDF
Réalisation de
Petr Weigl.
Chœur & Orchestre de la Radio Bavaroise.
Gabriela Beňačková-Čápová, Peter Dvorský, Ondrej Malachovský, Libuše
Márová, Milada Šubrtová.
Très proche du studio Neumann, étrangement (alors que seule Beňačková
est commune), encore plus habitée. La Radio Bavaroise joue cela avec un
naturel tchèque très surprenant, parfaitement éloigné, jusque dans les
timbres, des habitudes germaniques.
Dvorský est un peu plus tendu qu'Ochman, mais plus radieux aussi, dans
une belle forme ; Malachovský, un rien moins splendide qu'en 62,
demeure beau diseur. Šubrtová, à cette date, s'est acidifiée, mais
sonne encore très bien, pour une Princesse Étrangère de format plus
léger que de coutume (et une impression de jeunesse moindre), mais pas
plus fragile que les autres. Beňačková y est un peu plus ronde et
confortable, un peu moins engagée, mais l'ensemble constituerait
facilement une référence absolue (en tout cas, musicalement, on n'a pas
mieux dans le choix vidéo) s'il n'y avait, à nouveau, des
coupures significatives (il
manque 20 minutes de musique).
Car visuellement, malgré le studio, il y a là une forme de simplicité
très réussie : traditionnel et naïf, mais soigné, avec de beaux plans
(le manteau ondoyant et mousseux de l'Ondin, les départs des
personnages toujours très expressifs…). Le doublage des acteurs se
révèle adroit (très exact, en faisant semblant de chanter tout en
gommant l'effort, c'est assez réussi) ; Weigl montre pendant le ballet
des épisodes laissés dans des ellipses du livret, de façon assez
élégante. J'aurais simplement aimé que le rythme des pas corresponde au
tempo, ce qui n'est pas le cas et gâte un peu la majesté de belles
séquences.
Une réussite à tous les niveaux, qui peut constituer un bon premier
choix, malgré les coupures.
--
1976 – Marek JANOWSKI – ZDF
Réalisation de
Petr Weigl.
Chœur & Orchestre de la Radio Bavaroise.
Lilian Sukis, Peter Hofmann, Theo Adam, Rose Wagemann, Judith Bekmann.
Mêmes visuels, mais cette fois en version allemande. Je n'ai hélas pas
encore pu mettre la main dessus ; Janowski dans une partition colorée
et lyrique, Hofmann en Prince très terrien, Adam dans un rôle de basse…
beaucoup de raisons d'être intéressé.
--
1986 – Mark ELDER – Arthaus
(en anglais)
Chœur & Orchestre de l'English National Opera. Mise en scène de
David Pountney.
Eilene Hannan, John Treleaven, Rodney Macann, Ann Howard, Phillis
Cannan.
Cette production constitue une excellente surprise : Pountney réussit
une très belle lecture assez concrète, mais féerique, qui déborde de
petits gestes éloquents. Par ailleurs, l'orchestre palpite avec
beaucoup de chaleur sous la direction de Mark Elder, dont on sent
clairement la maîtrise stylistique.
Eilene Hannan chante remarquablement, et Treleaven rayonne complètement
à cette époque...
Principale réserve, l'anglais, totalement en bouillie : très peu de
choses sont intelligibles, et l'intérêt du changement de langue paraît
ténu.
--
2002 – James CONLON – TDK
Chœur & Orchestre de l'Opéra de Paris. Mise en scène de
Robert Carsen.
Renée Fleming, Larissa Diadkova, Sergej Larin, Franz Hawlata, Eva
Urbanová.
Moyens et esthétique proches de Mackerras. Le problème réside
précisément dans la comparaison : la distribution largement commune est
dans un moins bon jour (ou plus fatiguée), Conlon cherche l'hédonisme
mais trouve surtout la mollesse (et l'Orchestre de l'Opéra de Paris
sonne évidemment considérablement moins bien dans cette musique).
Surtout, la mise en scène de Carsen, entièrement à base de jeux de
miroir, évidents comme à l'acte I (où le reflet permet de se placer
d'instinct dans un univers subaquatique), ou ajoutés au livret comme à
l'acte II (la Princesse Étrangère comme un double de Rusalka, piégée
derrière son miroir muet), est complètement ruinée par la captation
vidéo. Les gros plans empêchent de
comprendre
la mise en scène, et les plans d'ensemble ne sont de toute façon pas
télégéniques – alors que cette production est réellement
à couper le souffle sur scène, probablement ce que
j'ai vu de plus intense sur une scène d'opéra.
En l'état, cela évoque surtout une relecture bourgeoise du mythe (ce
qui n'est absolument pas le propos de Carsen, dont les intérieurs ne
sont pas une transposition, mais une forme d'univers alternatif), sans
grand intérêt.
Fleming s'est déjà amollie ; Larin reste toujours assez monolithique et
farineux. Rien de mauvais, mais pas du tout prioritaire.
--
2010 – Tomáš HANUS – C Major
Chœur & Orchestre de l'Opéra de Munich. Mise en scène de
Martin Kušej.
Kristīne Opolais, Klaus Florian Vogt, Günther
Groissböck, Janina Baechle, Nadia Krasteva.
(Aussi disponible en
Blu-Ray.)
On retrouve la violence intime habituelle des productions de Martin
Kušej : ici les nymphes vivent dans la maison Kampusch (ou dans le
sous-sol de leur souteneur), se traînant misérablement parmi les fuites
d'eau, violentées de façon assez crue sur la scène. Je suis un peu gêné
par la complaisance de certaines images (viol, ou peu s'en faut, de
Rusalka par son « père » ; ses habits complètement mouillés ; la tenue
très
révélatrice de la
Princesse Étrangère), qui semblent rechercher le scandale ou, en
matière aquatique, le rinçage d'œil à bon compte.
Je trouve aussi désagréable la contradiction, pour ne pas dire le
sabotage de la féerie évoquée par la musique. Dans le même temps, il
faut admettre que ces amendements fonctionnent très bien sur scène : le
milieu oppressif gouverné par l'Ondin qui menace de mort ses filles
désobéissantes à l'acte I, les pouvoirs inquiétants de Rusalka qui
brûlent le Prince et terrifient la Princesse Étrangère à l'acte II… Ce
sont malgré tout des images fortes, très opérantes sur scène – disons
que ce n'est simplement pas le type d'émotion suscité par
Rusalka, et que l'on peut trouver
dommage de nous imposer autre chose. (Le ballet avec les carcasses de
faons, par exemple.) Cet autre chose fonctionne assez bien, en tout
cas. Voyez ces
deux critiques assez
opposées, toutes deux assez révélatrices.
Kristīne Opolais est très impressionnante, pas du tout stridente au
bout du spectre comme quelquefois, au contraire d'une rondeur et d'une
facilité extrêmes ; l'exploit est d'autant plus notable qu'elle doit
chanter (certes peu) à l'acte II en étant
complètement mouillée (sa robe de
mariée trempe pendant de longues minutes dans un aquarium surélevé,
dont elle doit descendre dégoulinante sans que ses pieds ne puissent
toucher le sol !), ce qui doit être particulièrement inconfortable. Une
rivale mal intentionnée aurait tôt fait de ménager le bon courant
d'air…
Réserve notable : le texte n'est pas du tout articulé, si bien que
malgré la beauté de la voix et les qualités expressives du phrasé, on
perd vraiment le détail des mots (ce pourrait aussi bien être du
bulgare chanté par une américaine).
Le reste est moins intéressant : Vogt impavide dans un tchèque
complètement lessivé, particulièrement peu idiomatique et généreusement
inexpressif, Krasteva qui caricature les mezzos russes épais…
La direction de Hanus est très vivante, et l'ensemble constitue une
curiosité pas du tout déplaisante.
--
2012 – Ádám
FISCHER – Euroarts
Chœur & Orchestre de la Monnaie de Bruxelles. Mise en scène de
Stefan Herheim.
Myrtò Papatanasiu, Pavel Černoch, Willard White, Renée Morloc, Annalena
Persson.
(Aussi disponible en
Blu-Ray.)
Avec une Rusalka purement lyrique et le meilleur Prince de tous les
temps – Černoch est dans la tradition tchèque d'émission très
antérieure et de voix
mixte, capable de surcroît de changer son émission
par degrés d'héroïsme, de poésie, de couleur, au fil des besoins non
pas techniques (totalement dominés) mais expressifs du rôle –, voilà
qui promet beaucoup. Ensuite, que produisent Fischer et la Monnaie
là-dedans, je n'ai pas testé.
La production de Herheim (également passée à Dresde et à Lyon)
s'inscrit aussi dans la perspective d'une démystification –
esthétiquement un peu bric-à-brac, à ce que j'ai lu et vu, mais je ne
puis juger du propos et de la direction d'acteurs.
Je n'ai pu en apercevoir que des extraits, où Papatanasiu fait entendre
un médium étonnamment renforcé et corsé, dans un tchèque pas du tout
idiomatique, mais pas inintéressant. Visuellement, un peu difficile à
décrypter (en costume de scène sur un piédestal au milieu d'une ruelle
modeste), pas possible d'émettre un avis avant d'avoir tout vu.
En tout cas, la prochaine version sur la liste, assurément.
--
2014 –
Yannick NÉZET-SÉGUIN – Decca
Chœur & Orchestre du Metropolitan Opera de New York. Mise en scène
d'
Otto Schenk.
Renée Fleming, Piotr Beczała, John Relyea, Dolora Zajick, Emily Magee.
Schenk réussit très bien le conte concret : les décors, dans le même
genre que ceux du
Ring (mais
plutôt de ses parties réussies, comme la fin de
Siegfried), rendent assez bien
l'atmosphère naïve des clichés de chasse, par exemple.
Vocalement, ce n'est évidemment pas la fête du tchèque, même chez le
seul slave de l'équipe, qui semble tâtonner pour trouver la bonne
couleur – par ailleurs, de nombreux réflexes issus du répertoire
italien (obturations audibles, attaques par palier) ne cadrent pas très
bien avec le style attendu (même si c'est, évidemment, très bien chanté
!).
4.
Conseils
D'autres versions peuvent apparaître dans les discographies, mais
toutes celles qui me manquaient étaient jusqu'ici (János Fürst pour la
vidéo de la production de Jacques Karpo à Marseille, Janowski en
version CD…) issus du marché pirate – autrement dit, des sites qui
commercialisent sauvagement des bandes radio ou vidéo, pas toujours en
état convenable, sans rémunérer les ayants droit (ce ne sont pas des
éditions officielles, à ce compte-là il faudrait doubler ou tripler les
discographies).
Quitte à descendre dans l'interlope, autant se délecter des
bandes enregistrées au
Národní Divadlo (Théâtre
National), pour la typicité du son serré et chaleureux de
l'orchestre... et le profil
de distributions alignant les voix antérieures, acides, parfaitement
idiomatiques et généralement très adéquates. [Les visuels scéniques
sont en revanche plutôt évocateurs de ce que la tradition a pu produire
de moins conforme au Goût.]
Pour une fois, le choix sera facile, et correspond assez à la
hiérarchie traditionnelle : en CD, sur les 3 habituellement
recommandées (Chalabala, Neumann, Mackerras), 2 le sont vraiment à bon
droit, et sur les 4 qui ont été le mieux diffusées (Kombholc,
Chalabala, Neumann, Mackerras), 3 demeurent les meilleures références.
En ce qui me concerne, c'est sans hésitation
Krombholc qui me donne le plus de
satisfaction, mais il faut considérer le tropisme personnel : voix
antérieures et claires (tranchante pour Rusalka, souple pour le
Prince), drame intense, timbres acides de l'orchestre… Pour l'éloquence
et la couleur, on ne fait pas mieux ; pour le confort d'écoute ou la
rondeur d'émission, ce n'est pas le bon choix.
Neumann 83 (le studio
Supraphon) est susceptible de plaire à tous : les voix sont
magnifiques, le drame est là, le style est respecté sans trop exalter
les spécificités de timbres qui peuvent rebuter (la Philharmonie
Tchèque est l'orchestre tchèque de loin le moins
typé).
Par ailleurs,
Mackerras, qu'on
trouve aisément du fait de sa distribution prestigieuse et de son label
hôte (Decca), mérite tout à fait d'être entendu ; peut-être pas un
premier choix considérant sa perspective avant tout rêveuse et poétique
(assez peu dramatique, l'ensemble dure d'ailleurs 15 à 20 minutes
supplémentaires), mais une vision alternative aux antipodes de la
tradition, très intéressante et réussie, dans un confort sonore
délectable.
Moins original,
Rahbari
constitue une autre fréquentation tout à fait recommandable. Si vous
êtes curieux de la tradition de Dvořák en allemand, très significative
en Allemagne, c'est plutôt vers
Prohaska
qu'il faut se tourner – ou vers les extraits d'
Apelt –, très chaleureux vocalement
pour l'un, plein de ravigotante verdeur orchestrale pour l'autre.
Je mettrais donc surtout en garde contre
Chalabala, souvent citée comme la
version des initiées, mais où l'orchestre est capté très en arrière, et
surtout comme aplati, sans couleurs. Les chanteurs semblent aussi
demeurer assez inhibés par le studio… Cela ressemble vraiment à ces
studios de radio en lecture à vue, pas très frémissants, même si
parfaitement chantés.
Côté vidéo, le cas est
plus compliqué : le film
Weigl-Pešek
est formidable, sorte de Neumann plus généreux, mais coupé ; la
représentation
Pountney-Elder
de l'ENO, superbe, est en anglais (mal articulé de surcroît) ;
Kušej-Hanus a ses hauts et ses bas,
alternativement complaisant ou neuf visuellement, fade ou intense
musicalement ; et je n'ai pas vu
Herheim-Á.Fischer,
autre relecture du quotidien contestée, mais dotée d'une distribution
qui promet beaucoup. Difficile d'imposer une norme là-dessus, chacun
doit vraiment choisir selon ce qu'il est prêt à voir…
hickx, gregor ; rahbari
5. Se
les procurer et poursuivre
Pour un premier essai en extraits (tirés de l'œuvre, ou d'une minute
sur chaque piste) ou en intégralité : quelques possibilités (toutes
légales). Pour Qobuz et Naxos, l'abonnement est nécessaire pour
entendre l'intégralité des pistes.
==> Les
droits de Keilberth sont à vérifier (date de
première commercialisation ?) ; il se trouve chez Naxos, en extraits
sur Qobuz.
==> Krombholc est
libre de droits ; il se trouve sur Deezer et
YouTube, en extraits sur Qobuz et Naxos.
==> Prohaska est libre de droits ; il se trouve sur Deezer.
==> Chalabala (audio) est libre de droits ; il se trouve sur
YouTube, en extraits sur Qobuz et Naxos.
==> Apelt se trouve sur Deezer, Qobuz et Naxos.
==> Gregor se trouve sur Deezer.
==> Neumann 83 se trouve en extraits sur Deezer.
==> Rahbari se trouve sur Deezer.
==> Mackerras se trouve sur Deezer et Qobuz.
==> Hickox se trouve sur Deezer et Naxos.
Par ailleurs, sur
Rusalka, on
a déjà mentionné :
Et quelques autres discographies (exhaustives) autour du répertoire
romantique tchèque, récemment mises à jour :