mercredi 2 avril 2025
Michael HAYDN et les alternatives symphoniques à Mozart
De profundis clamavi : pour donner du cœur à l'ouvrage tandis que le jour a fui, que le dernier bus est passé et que 11 km imprévus sont encore à ajouter à 10h de marche à fort dénivelé ; lorsque surtout la vue des paysages s'est dérobée dans l'obscurité ; la musique est une réelle consolation.
Pendant cette marche drômoise, outre l'irrésistible Don Giovanni intégral pour quatuor seul du Franz Joseph Quartet, j'ai beaucoup convoqué l'esprit rassérénant de Michael Haydn.
1. Un corpus déjà donnu
J'ai déjà évoqué quelquefois dans ces pages combien Mozart semble surclasser, en technique aussi bien qu'en singularité et profondeur de sentiment, l'ensemble de ses contemporains ; et combien, malgré de très belles symphonies ponctuelles chez Cannabich ou, mieux, Vaňhal, pour une fois les mythes musicographiques colportés de génération en génération ne semble pas exagérés ni trompeurs.
Au fil de l'accumulation des années, on glane tout de même quelques pépites symphoniques de l'ère classique, en particulier chez les (demi-)frères Vranický, chez Gossec évidemment, et puis, un peu plus tard, lorgnant déjà vers le romantisme, Friedrich Witt (dans les années 1790) et les révolutionnaires Variations sur la Follia de Salieri (1815), clairement l'œuvre où naît l'orchestration comme discipline, à mon sens – aîné de Mozart, il est vrai, mais où l'on sent clairement le tournant préromantique.
Et puis les frères Haydn. Compère Joseph (né en 1732), c'est un peu différent, on admire sa verve, son astuce, mais sa séduction demeure avant tout formelle, plutôt qu'émotionnelle. (Ce n'est évidemment pas quelque chose d'objectivement mesurable, mais j'ai l'impression que beaucoup de mélomanes s'accorderont là-dessus pour l'opposer à Mozart dont la force est plus immédiatement liée aux ressentis successifs suscités par des enchaînements harmoniques versatiles.)
2. Le style de Michael Haydn
La parenté entre le Requiem de Mozart (né en 1756) celui de son prédécesseur Michael Haydn (né en 1737), qu'il connaissait bien, a souvent été soulignée – ce n'est pas au stade du plagiat, mais l'imprégnation en est, de fait, particulièrement palpable. Pour autant Michael Haydn est loin de s'y limiter, et dans le domaine de la symphonie en l'occurrence, les parutions discographiques de ces dernières années ont révélé une figure à mon sens majeure.
Dans l'esprit, elles combinent la vitalité communicative de (Joseph) Haydn à une recherche de couleur et de sentiment qui nous paraîtrait plus mozartienne – et dont on découvre, a posteriori, qu'elle ne lui est pas forcément propre.
(Je glisse ici qu'il est toujours bon de se méfier lorsque la musicographie décrète que tel compositeur inaugure tel aspect du discours musical. La plupart du temps, il faut comprendre qu'il s'agit du premier compositeur célèbre à adopter cette technique ; pour pouvoir affirmer une primauté, il faut en effet très bien connaître la musique de ses contemporains et prédécesseurs, fréquemment joués ou non, publiés au disque ou non – voire réédités en partition ou non. Or assez peu de ces affirmations sont soutenues par de telles vérifications. Bien sûr, il existe des individus qui changent réellement le cours de l'histoire musicale, et des cas évidents de rupture – les symphonies, quatuors, sonates piano de Beethoven, les opéras de maturité de Wagner, les Clairs de Lune de Decaux, le Sacre du Printemps, le succès de la proposition de nouveau langage dodécaphonique à la mode schoenbergienne… Mais, typiquement, dans l'esprit du XVIIIe siècle, il n'est pas étonnant de trouver des équivalents à Mozart, ou du moins des prémices à nombre de ses coups de génie.)

Michael Haydn, donc, illustre assez bien, par endroit, et certes en moindres proportions – est-il lui aussi l'émanation d'un courant plus général, ou Mozart a-t-il été influencé par sa singularité propre ? –, les qualités émotionnelles en général associées à Mozart – les accès de mélancolie soudains, par exemple. Et cela au sein d'une armature plus régulière, plus franchement joyeuse aussi.
De très belles œuvres, donc, dans une veine positive ou feel-good, mais sans l'apparence d'un formalisme un peu éloigné de notre sensibilité passée par le long tamis du romantisme : je trouve que ces symphonies parlent assez directement, et prolonge le plaisir que l'on peut avoir chez certaines des bonnes symphonies de J. Haydn et Mozart – ses couleurs me touchent plus directement que Haydn l'Aîné, je pense.

Je suis tout particulièrement impressionné par le naturel des mouvements lents, plus « modernes » à nos oreilles, plus proche de Vranický, Witt ou Dupuy. Je suis aussi impressionné par ces multiples finals fugués, dont l'inspiration ne faiblit pas – l'esprit et même la matière musicale du final de la 34 évoque ainsi furieusement les développements de celui de la 41 de Mozart !
Et c'est donc sur ce plaisant tapis que mes pieds ont glissé durant les fraîches nuits sans lune du Diois ; un choix dont je ne cesse de me féliciter encore – et je compte sur vous, estimés lecteurs, pour flatter un peu plus ma vanité dans vos commentaires.
3. Discographie symphonique de Michael Haydn
(Je laisse de côté la musique sacrée, bien documentée aussi, mais qui m'a moins ébloui jusqu'ici. Moins bien servie interprétativement, aussi.)
Au risque de vous prendre au dépourvu, l'assez large fenêtre sur ce corpus repose sur deux entreprises anthologiques : le cycle CPO (j'ai compté 5 albums dont un double) et le cycle Naxos plus récent (2 albums pour l'heure) – quelle surprise.

Le premier avec l'Académie de Chambre Allemande de Neuss, à côté de Düsseldorf, dans un style assez informé, et divers chefs qui se succèdent ; j'ai surtout aimé Larsen pour le volume le plus récent, et Goritzki, dans une veine plus tradi, pour les volumes les plus anciens (dès 1995 !). Beermann, formidable dans la musique romantique, se trouve stylistiquement plus empesé ici.

Le second cycle, avec la Philharmonie de Chambre Tchèque de Pardubice, un orchestre qui ne joue pas du tout sur instruments anciens, multiplie les bonnes surprises. Déjà connu au disque pour sa très vaste contribution au répertoire classique et au premier romantisme, avec albums autour de Vaňhal, Stamic, (John Abraham) Fischer, Saint-George, Dušek, Rejcha, Bériot, Meyerbeer, des séries autour de Beck, Voříšek, Auber, et surtout Cimarosa (7 volumes) et Pavel Vranický (8 volumes sous son nom germanisé Paul Wranitzky) ! Un véritable orchestre de spécialistes, même s'ils ont aussi enregistré, plus tôt dans leur existence, Dvořák et Fučík. Malgré cette grande familiarité avec le répertoire classique et post-classique, leur style demeure très traditionnel, sur instruments modernes, avec des cordes prédominantes, lisses et vibrées, des tempi assez modérés, un spectre sonore très fondu et des articulations plutôt rondes, des caractères et des couleurs homogènes, des contrastes réduits. (En creux, on comprend volontiers que ce n'est pas mon idéal, mais il font un travail de documentation unique, et le font avec beaucoup de probité.)
Toutefois, pour ces deux volumes Michael Haydn, ils ont fait appel à Patrick Gallois, célèbre flûtiste (un superbe album Takemitsu et beaucoup d'explorations de concertos classiques et jeunes-romantiques) qui a aussi exercé comme chef d'orchestre avec beaucoup de bonheur – notamment avec le Sinfonia Finlandia Jyväskylä ou, plus récemment, avec la Chambre de Suède.
J'ai été très marqué par ses Symphonies de Friedrich Witt dont j'ai parlé il y a peu dans ces pages, et l'on retrouve ici les mêmes qualités de pâte légère, phrasé élégant, de tension dans les progressions harmoniques, vraiment le meilleur de ce que l'on peut attendre d'un orchestre sur instruments modernes dans le répertoire classique, et pour ainsi dire un modèle ! En outre ici, le choix d'inclure un clavecin en guise de vestige du continuo apporte du grain et du mordant à l'ensemble du spectre, et compense très bien ce que l'allure générale pourrait revêtir de lisse.
J'ai sélectionné pour vous quelques symphonies – et même quelques mouvements – à écouter en priorité : 20b, 21a, 23c, 26b, 33d, 34c et le rondeau de la ré mineur P.20, à glaner parmi les albums de ces deux belles séries ; cependant tout le corpus est de haute volée, et je ne saurai trop vous inciter à vous immerger à la recherche de vos propres chouchous – si jamais cet avant-goût a pour vous des saveurs de revenez-y.

4. La sélection d'autres symphonistes classiques

Pour plus de clarté, j'ai écarté le fin du fin de J. Haydn et Mozart de la sélection ; pour Haydn, dans la première moitié du corpus, si les 6 et 22 sont très bien documentées, la 39 est moins célèbre et manifeste le meilleur des contrastes du Sturm und Drang (les versions Ádám Fischer et Ian Page, avec des qualités opposées, permettent de se rendre compte de ces formidables qualités) ; pour Mozart, les symphonies non numérotées présentes dans l'intégrale Hogwood sont pour la plupart de valeur sensiblement égale aux symphonies numérotées qui leur sont contemporaines, c'est pitié qu'on ne les joue et enregistre littéralement… jamais, tout ça parce qu'elles n'ont pas reçu initialement de numéro lorsque le corpus s'est figé.

Mon parcours commence donc avec une des symphonies en mi bémol de Johann Christian Cannabich (né en 1731) pour représenter l'École de Mannheim, considérée comme pré-classique mais dont l'ensemble des codes se trouve sensiblement plus proche du classique que du baroque : basse continue au second plan (idée que la basse sert de matériau premier pour l'improvisation de tout un groupe de musiciens), primauté de la mélodie, formules plus vives, goût du trémolo (répétition de la même note avec des aller-retours d'archets très vifs, typique ensuite de la dramaturgie gluckiste)…
Musique un peu décorative, mais pleine de joyeuse vitalité.
Ici par les London Mozart Players de Matthias Bamert, sur instruments modernes, esthétique un peu à la Saint-Martin-in-the-Fields (rien à voir avec les London Classical Players de Roger Norrington, qui étaient au contraire très engagés dans le renouvellement du spectre sonore), simplement le disque que j'ai eu l'habitude d'écouter. Naxos en a beaucoup documenté, dans une esthétique d'orchestres de chambre encore plus tradi.

Profil très différent avec François-Joseph Gossec (1734), pour des symphonies dans un goût très différent, où la veine dramatique et gluckiste est beaucoup plus présente – trémolos, groupes d'appoggiatures en fusées, arrivée de chorals de cuivres pour soutenir la montée en tension (Beethoven fera grand usage de cette technique dans ses propres symphonies, par exemple le final du mouvement liminaire de l'Héroïque).
Pourtant, les premières symphonies (de l'opus 3) sont écrites en 1756, et celle que j'ai retenue pour vous (Op.6 n°3) en 1762, au moment des représentations d'Orfeo ed Euridice (à Vienne, octobre 1762) ; il n'est donc pas certain que Gossec ait eu le temps d'assimiler ou même de connaître cette partition. Se pose à nouveau la question, dans ce cadre, de la validité des discours (semi-)grand public sur les styles musicaux : Gluck est-il véritablement le père du style gluckiste, même s'il en fut un pionnier et diffuseur majeur ? Quelles étaient les sources de ces idées neuves ?
Pour sa symphonie La Chasse de 1774, on entend même des formules de flûtes en gruppetto, indépendantes du thème principal, effet d'orchestration utilisé pour la tragédie en musique et les pastorales, mais guère dans les symphonies allemandes du temps, à ma connaissance. Gossec a aussi écrit, bien plus tardivement, des symphonies s'adaptant aux nouveaux régimes et à leurs styles respectifs : une Symphonie militaire pour orchestre d'harmonie en 1794, et une tentative d'orchestre étoffé (davantage que contrapuntique) pour sa fameuse Symphonie à 17 parties de 1809, même si le résultat ne ressemble pas encore véritablement à une tentative d'orchestration au sens où nous l'entendons désormais (pour moi, le point de départ est à chercher chez Beethoven et… Salieri).
En tout cas très intenses et dramatiques, ces symphonies méritent le détour. Elles ont connu un regain d'intérêt relatif avec la (timide) redécouverte de Gossec ces dernières années (Le Triomphe de la République, Quatuors, Thésée…), mais le Concerto Köln fut pionnier pour les servir en en respectant le style, et les enregistrements (à part sur le détail de la connaissance musicologique) n'ont pas vieilli d'un pouce.

Jan Křtitel (Jean-Baptiste) Waṅhal (Vaňhal en tchèque moderne), né en 1739, n'est pas la plus forte personnalité de la série, mais se trouve agréablement équidistant du baroque finissant, du style galant et de l'influence dramatique française – ses cinq recueils de symphonies sont tous publiés à Paris entre 1771 et 1780, en pleine fièvre gluckiste.
J'aime particulièrement la symphonie en la (Bryan A2 au catalogue, donc je suppose la deuxième des symphonies en la majeur qu'il a commises parmi les 21 publiées), lumineuse et jubilatoire, et encore davantage la Bryan e1 qui a, dans son Menuet et son Final, des aspects de ballet d'opéra farouche ! D'une manière générale, ses symphonies en mineur ont davantage de relief – alors que ce n'est pas nécessairement un discours que je tiendrais sur ses contemporains.
Ses mouvements lents ne sont pas les plus réussis du temps, ou du moins se limitent souvent à une pensée délicate et galante ; à l'inverse, grand avantage concurrentiel sur les menuets, en général pourvus d'une véritable substance mélodique et dramatique.
Corpus bien couvert par les spécialistes : cinq volumes chez Naxos par des interprètes divers (le dernier, où la Toronto Camerata pas très colorée et vraiment tradi, est énergisée par le spécialiste baroqueux Kevin Mallon, est particulièrement réussi), un disque des London Classical Players & Matthias Bamert chez Chandos. Mes chouchous : la Chambre de Prague & Oldřich Vlček (tradi mais allant et timbres savoureux) chez Supraphon, et bien sûr à nouveau le Concerto Köln chez Elatus, dont l'ardeur, l'articulation et la saveur ne connaissent toujours guère de concurrents pour ce compositeur.

Je connais mal le corpus symphonique de Boccherini (1743), mais il est difficile de ne pas citer sa symphonie Op.12 n°4, dite La Casa del Diavolo : composée en 1771 alors qu'il est à la cour d'Espagne, elle réutilise de la musique déjà existante mais produit un résultat particulièrement atypique.
Pour le premier mouvement, il s'agit de sa propre Sonate « pour piano et violon » op.5 n°4. Mais le dernier mouvement a une tout autre histoire. Dix ans plus tôt, Boccherini était à Vienne après avoir quitté sa Toscane natale dans les bagages de Gluck qui l'avait remarqué. Et il jouait dans l'orchestre pour la première mondiale du fulgurant ballet Don Juan, dont il conserva manifestement de vifs souvenirs, puisqu'il lui emprunte le motif de son final – qui sert de matrice, orchestration comprise, à tout le dernier mouvement, d'une intensité dramatique peu commune : fusées descendantes de violons, cris de hautbois, appels de cors, comme une cavalcade infernale. Gluck en était lui-même très satisfait, puisqu'il le réemploie en 1762 dans Orfeo ed Euridice, comme Danse des Furies. Boccherini, dans sa symphonie, l'introduit après un prélude lent qui ouvre ce troisième mouvement — pour autant il ne dérobe pas du tout la paternité de son inspiration : le titre du mouvement est « Chaconne qui représente l’Enfer et qui a été faite à imitation de celle de Mr. Gluck dans le Festin de Pierre », un hommage absolument pas dissimulé !
Le résultat en est très impressionnant comme son modèle ; j'ai proposé deux interprétations qui font entendre des aspects assez différents de l'orchestration : Giardino Armonico & Giovanni Antonini d'une part, avec un son d'orchestre très disjoint et martellato, particulièrement furieux et impressionnant ; d'autre part l'Academy for Ancient Music & Christopher Hogwood, au son d'orchestre plus cohérent, qui met peut-être encore plus en valeur la masse sonore menaçante des sonneries des deux cors.

Pavel Vranický (1756, généralement diffusé sous son nom allemand Paul Wranitzky) y figure bien sûr. Beaucoup de notules (recensées en fin d'article ici) ont été consacrées à ses œuvres et notamment des réflexions sur l'audace de ses réalisations ou sur le choix de symphonies alternatives à celles de Mozart. La Symphonie en ré Op.52 avait été choisie comme disque-star de la décennie 1780.
J'ai retenu, cette fois-ci, trois symphonies, dans des interprétations non musicologiques, mais servies avec beaucoup de saveur par la Chambre Dvořál & Bohumil Gregor – timbres tchèques acidulés qui compensent tout à fait la belle lecture tradi (mais tendue et très bien phrasée).
C'est finalement celle en ré Op.36 que je préfère, je pense. Comme l'opus 52, son introduction est très parente de la Deuxième de Beethoven, postérieure (1802), mais son premier mouvement utilise des appoggiatures furieuses qui évoquent les Ouvertures Leonore II & III, le duo Pizarre-Rocco, le final de Fidelio et même, dans un fragment du thème, « son rose spinose, son volpe benigne » (air de Figaro à l'acte IV des Noces), donc nageant dans un univers. L'autonomie des clarinettes et bassons fait elle aussi porter le regard vers le Beethoven des symphonies 2 & 4. Par ailleurs, la fermeté mémorable des thèmes marque beaucoup, ainsi que leur usage dans des marches harmoniques immédiatement émotionnelles. Les mouvements lents annoncent peut-être encore davantage le romantisme – aspects de Haydn, mais aussi de Tarare de Salieri, voire du deuxième mouvement de la Deuxième de Mahler pour l'opus 36, mais encore plus frappant pour l'opus 56, digne des pages les plus mélancoliques de Mozart, Beethoven… ou de la Troisième de Bruckner. La Polonaise de l'une, le Menuet de l'autre, restent très marquants, avec un véritable matériau musical, pas simplement un objet de décoration (la Polonaise a quelque chose de l'Allegretto scherzando de la Huitième de Beethoven). On pourrait tracer des parallèles similaires pour Symphonie en ut mineur Op.11, avec quelques échos gluckistes en sus dans les tournures dramatiques.
En somme, véritablement un corpus qui constitue une synthèse et regarde déjà loin vers l'avenir – je ne sais s'il est le révélateur du goût d'un ensemble de compositeurs qui n'est pas documenté au disque et auquel a puisé Beethoven, ou si Beethoven a directement été impressionné par la musique de Pavel Vranický.

Je passe plus vite sur la fin de ma liste : ce sont des profils déjà préromantiques ou « révolutionnaires » (existe-t-il vraiment un style révolutionnaire ?) comme Étienne Méhul (1763) – le début de la Première Symphonie n'est pas si loin de Mendelssohn –, et d'une manière générale, les motifs courts, le ton combattif, le goût du contraste, l'aspect tapageur et tourmenté rapprochent beaucoup, de l'avis général, ces quatre symphonies de Beethoven – dans un style certes plus français.
La version Musiciens du Louvre & Marc Minkowski est la plus savoureuse sur instruments d'époque, tandis que celle de l'Orchestre Gulbenkian & Michel Swierczewski, certes un peu terne côté timbres (mais très honnêtement articulée pour une version tradi de non spécialistes) est la seule à proposer toutes les symphonies (je ne sais même pas si les 3 & 4 sont couramment disponibles ailleurs). J'ai aussi cité la version Solistes Européens Luxembourg & Christoph König, sur instruments modernes et légèrement influencée par les pratiques HIP, pour étoffer la proposition.

De même pour Bernhard Romberg (1767), dont les symphonies sont de toute façon plus tardives (vers 1830 pour la n°3), et portent véritablement la trace de Beethoven. Une notule entière lui est consacrée, je vous y renvoie, car on ne peut plus vraiment parler de symphonie classique (ni même postclassique) dans son cas. (Version : Kölner Akademie & Michael Alexander Willens, sur instruments anciens et très engagée !)

Exactement contemporain de Beethoven (1770), Friedrich Witt est mon immense coup de cœur de ces dernier mois, auquel une notule fut déjà consacrée : comme pour Vranický, je suis impressionné par la qualité individuelle de chaque mouvement, comme une œuvre autonome, mais dans un style plus tardif — dans la veine d’un tout premier romantisme encore très largement marqué par la langue et les formes classiques (structure des thèmes, menuets…), simplement un peu plus versatile du côté des coloris harmoniques (et donc des émotions)… si bien que sa Symphonie en ut « Iéna » a été un temps attribuée à Beethoven !
Outre la beauté des thèmes, vraiment d’une évidence folle (on pense au naturel de Mozart, à un Haydn légèrement romantisé, un peu en deçà du Beethoven de la Première Symphonie, et plus ponctuellement aux poussées de mélancolie d’Édouard du Puy…), je suis frappé par les trouvailles harmoniques, une ambiance d’opéra comique français dans l’adagio cantabile de la Symphonie Iéna. L’atmosphère générale est vraiment très belle et pénétrante, en particulier dans cette version, dirigée par l’excellent flûtiste explorateur Patrick Gallois, qui se détache pour son naturel. Les timbres du Sinfonia Finlandia Jyväskylä (230 km au Nord de Helsinki) ne sont pas du tout colorés (le même type de pureté très « blanche » que le Tapiola Sinfonietta, pour situer) et leur manière d’articulation reste plus tradi qu’informée ; mais l’épure de leur geste, la légèreté de touche, l’intelligence des phrasés rend cette interprétation particulièrement délectable – par rapport à toutes les autres, elles mettent davantage en lumière les jubilations thématiques (final de la Symphonie en la majeur) et les beaux glissements harmoniques (adagio cantabile de la Symphonie en ut), qui passent plus inaperçus dans les autres versions..
Le bonus, c’est ce final de la Symphonie en la majeur, qui se fonde sur le thème de la chanson révolutionnaire Ah ça ira !, mais avec beaucoup de grâce et de gaîté naïve, sans aucune effusion politique – je l’ai toujours entendu utilisé de façon assez sauvage, même dans les œuvres du temps qui ne sont pas des brûlots anti-Terreur.

Pour finir, j'ai poussé jusqu'à Antonio Cartellieri (1772), dont j'ai déjà vanté plusieurs fois les mérites dans ces pages, à la parfaite équidistance des univers : grammaire classique, mais usage romantique – les figures stéréotypées, les traits, les surprises harmoniques sont toujours utilisés pour renforcer l'urgence ou l'émotion. On sent clairement le contemporain de Beethoven. Et le résultat m'impressionne et me réjouit toujours beaucoup.
Interprétation pleine de verve et de feu par l'Evergreen Symphony (orchestre taïwanais) & Gernot Schmalfuss.
Antoine Bohrer (1783), Spohr (1784), Onslow (1784), Max Bohrer (1785) Czerny (1791), Moscheles (1794) et Berwald (1796) reprennent certains aspects postclassiques dans leur langage, mais sont déjà totalement romantiques, il faut bien tracer une frontière quelque part ; je ne les inclus pas.
Voilà ; je gage qu'avec cette petite brassée, vous pourrez vous occuper quelque temps si d'aventure la symphonie classique a votre faveur – ou si vous souhaitez lui redonner la chance qu'elle mérite, d'être entendue et aimée pour sa singularité, et non comme un objet un peu archaïsant et dépassé, ni comme le patrimoine des seuls J. Haydn & Mozart.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discographies a suscité :
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