Carnets sur sol

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samedi 29 novembre 2008

La tragédie lyrique : l'intégrale - II - de JACQUET DE LA GUERRE à MARAIS

Même protocole que précédemment :

  • classement par ordre approximatif d'exercice des compositeurs dans le domaine de la tragédie lyrique (en ce sens, il aurait fallu inverser Rebel père et Jacquet de La Guerre) ;
  • en gras, ce qui a été recréé dans les vingt dernières années ;
  • en italique, ce qui n'a pas été enregistré ;
  • les trois écoles de tragédie lyrique, classement proposé par CSS, sont définies ici ;
  • enfin, la première partie du panorama se situe ici ;
  • on nous pardonnera, on l'espère, les nombreuses formules un peu hâtives ; il s'agit surtout d'un guide commode à consulter, pas d'un commentaire digne de ce nom.

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  1. JACQUET DE LA GUERRE, Elisabeth Claude (1665-1729)
    • Dernière représentante de la Première Ecole, elle en tire les meilleures conclusions, avec une mobilité harmonique très accrue (largement digne de Charpentier), un soin de la couleur très développé. (Ses suites pour clavecin sont à connaître impérativement, parmi les plus belles pièces écrites pour l'instrument - il existe un superbe disque proposé par Carole Cerasi chez Métronome.) Après Céphale, son style se tourne vers la cantate déjà proche de la Troisième Ecole, plus proche de Blamont et Rameau que de Clérambault.
    • Céphale et Procris (1694) - Duché de Vancy
      • 1989 - Malgoire
      • 2005 - Dolci
        • Initialement recréé par Malgoire, Céphale & Procris s'inscrit dans une forme d'apogée de la tragédie lyrique, où la hauteur de l'expression lullyste se combine avec une recherche musicale inhabituelle dans le genre - qu'on retrouvera sous une autre forme, cette fois plus polyphonique qu'harmonique, chez Destouches. Le livret, en outre excellent, ménage une scène finale saisissante. La tragédie n'a cela dit connu aucun succès, puisqu'elle n'a été représentée intégralement qu'une fois à l'époque de sa création, et jamais reprise. Malgré la qualité linguistique et vocale parfois discutable des protagonistes, il s'agit d'un jalon majeur de l'histoire du genre, à connaître absolument.
        • Le sujet du livret exploite une miniature moins célèbre des Métamorphoses d'Ovide (VII, 661-865), une figure de double inconstance, dans une symétrie relative que goûte beaucoup ce théâtre-là.
  2. DESMAREST, Henri (1661-1741)
    1. Didon (1693) - Mme Gillot de Saintonge
      • 2002 - Rousset
        • A Beaune. Un magnifique concert, avec notamment la délicieuse Brigitte Balleys et un Jérôme Corréas à son sommet. Retransmis sur la télévision française en cinq morceaux et à une heure impossible. Très belle prestation de Christophe Rousset ; et la mise en place du concert était très esthétique. Impossible de mettre la main dessus, alors que l'oeuvre est largement plus intéressante que tout ce qui est publié à l'heure actuelle de Desmarest, et que le concert a bel et bien été enregistré...
        • La partition a en revanche paru aux presses du CMBV, mais son prix relativement élevé et surtout l'absence de réduction pour formation plus standard la rend assez peu utilisable en dehors des ensembles spécialisés. La qualité graphique n'est en outre pas exceptionnelle - Finale peut produire mieux que cela, en principe... Sinon, évidemment, beaucoup d'émotion en parcourant ce beau texte et cette musique élevée.
    2. Circé (1694)
      • Sur un sujet semblable à l'Ulysse de Rebel. Jamais de reprise depuis la création.
    3. Vénus et Adonis (1697) - Jean-Baptiste Rousseau
      • 2006 - Rousset
        • Un livret plutôt distendu, un drame tout pastoral. Ressemble furieusement à du Lully, avec ses types d'ensemble, ses nombreux récitatifs ou ariosos. On retrouve la patte de Rousset, qui bride un plateau potentiellement excellent, et un peu d'indolence, de sècheresse, de manque d'engagement. Toutefois, cette discrétion, dans une oeuvre à tel point en pastel, prend du sens, une espèce de volupté sobre dans la lenteur, dans ce son très instrumental. On salue par-dessus tout la Vénus de Karine Deshayes, qui n'a pas dans ce répertoire les trous de projection dans le médium qu'on lui connaît dans les oeuvres postérieures, et qui fait valoir une qualité de déclamation comparable en un certain sens à la hauteur de Blandine Stakiewicz.
    4. Iphigénie en Tauride (1704) - achevé par Campra à la suite de la fuite de Desmarest
      • Initialement prévu pour Montpellier 2007 avec Hervé Niquet. Annulé et remplacé par un (certes très bon) Don Giovanni du même chef. En revanche, une soirée avait eu lieu à Versailles en 1999 avec Véronique Dietschy, Monique Zanetti et Jérôme Corréas.
    5. Renaud ou la suite d'Armide (1721) - Abbé Simon Joseph Pellegrin
      • L'oeuvre entend prendre la suite du chef-d'oeuvre de Lully, mais le livret de l'Abbé Pellegrin (surtout connu pour son Hyppolite & Aricie) laisse dubitatif sur la réussite de l'ensemble.
  3. MARAIS, Marin (1656-1728)
    1. Alcide (1693) - en collaboration avec Louis Lully (livret de Campistron)
      • 2006 - Corréas
        • Prévu pour le 8 octobre 2006 à Versailles, avec Aurélia Legay, Salomé Haller, Brigitte Balleys, Paul Agnew, Nicolas Cavallier. C'est inespéré - les collaborations, si à la mode au dix-neuvième siècle pour faire vendre, comme si les talents s'accumulaient au lieu de se diviser, inspirent aujourd'hui la plus grande défiance, avec le culte du créateur démiurge - qui ne saurait être entravé par la moindre contrainte. (On rejoint les enjeux de la création contemporaine d'opéras.) On accueillira donc cette recréation avec enthousiasme - à ceci près que les deux compositeurs n'étant jamais joués, on ne pourra guère être catégorique sur leurs styles respectifs. Louis Lully avait rencontré en 1690 un grand revers avec Orphée, en collaboration avec son frère Jean-Baptiste fils ; la police dut même interdire les sifflets ! Il assura tout de même bon nombre d'oeuvres de la transition, comme Colasse (et, dans une moindre mesure Desmarest) avant les grands succès de Campra (à commencer par L'Europe Galante, opéra ballet).
        • Une fois écouté, Alcide révèle un livret modérément inspiré (sans grande surprise, Campistron ayant commis le peu immortel Acis & Galatée) et surtout une musique servie de façon un peu sage (ce qui est peut-être assez logique eu égard à la jeunesse de l'ensemble). On y retrouve le ton mélancolique de Marais, et ses admirateurs y trouveront sans doute de l'intérêt - mais étrangement, CSS n'apprécie pas trop ce ton de rêverie un peu larmoyante qui caractérise Marais - comme s'il employait la viole de gambe en permanence dans tous les registres.
        • Le livret a bien peu convaincu à son époque également. Les musicologues n'ont pas établi avec clarté, semble-t-il, la part de chaque compositeur dans l'ouvrage. Quoi qu'il en soit, le ton en est très proche des autres oeuvres de Marais, et la fluidité du résultat rattache sans grande ambiguïté Alcide aux débuts de la Deuxième Ecole.
    2. Ariane et Bacchus (1696) - Saint-Jean
      • 2006 - Discrète année Marais, on attend une à peu près intégrale de ses opéras. A suivre.
        • Manifestement annulé. Il n'y a pas eu de recréation.
    3. Alcyone (1706) - Houdar de La Motte
      • 1990 - Minkowski (CD)
        • Beau disque, mais le livret de Houdar de La Motte fait véritablement dans le stéréotype pataud et la musique ne soutient pas forcément l'attention des lutins - qui sont manifestement seuls dans ce cas, ce qui laisse penser qu'il s'agit plutôt d'une réticence de notre part au langage de Marais. Pas du tout prioritaire à notre avis, mais c'est un jalon important de la Deuxième Ecole, quoi qu'il en soit.
      • 1991 - Christie
        • Représentations seulement.
    4. Sémélé (1709) - Houdar de La Motte
      • 2006 - Niquet
        • Dans une veine plus sarcastique, une assez belle réussite de Marais / La Motte, une tragédie aussi ironique que lyrique, qui peut rappeler la tendresse semi-cruelle de Busenello envers ses personnages, mais qui ne se départit pas non plus des exigences élevées du genre. Distribution de premier choix pendant les représentations scéniques, menée par Blandine Staskiewicz... une fois de plus scandaleusement remplacée au disque. (Même si c'est encore une fois une excellente alternative qu'on nous propose.)
        • Au disque, Niquet a fini par enregistrer le Prologue (à force de se faire conspuer pour son attitude charcutière). L'élan de l'ensemble est tout à fait délectable, et le Prologue vraiment excellent de surcroît, peut-être même, une fois n'est pas coutume, le meilleur (musicalement s'entend) de l'oeuvre. Le riche livret de Glossa comprend comme il est devenu d'usage des articles indispensables (ce qui rend le produit impiratable), notamment sur l'instrumentation de Marais.

Suite de la notule.

vendredi 21 novembre 2008

Franz Liszt - VIA CRUCIS - IV, To organize or not to organize ?

5. La question de l’orgue.

La partition propose deux leçons différentes simultanément : l’orgue ou le piano. Il existe également une version ultérieure pour piano solo (qui a été gravée par Leslie Howard dans son intégrale paisible), mais nous l’écartons délibérément, car elle met nécessairement de côté toute la dramaturgie qui nous paraît faire le prix de l’œuvre.

L’alternative est intégrée à la partition définitive, si bien qu’on pourrait jouer selon les stations, si l’envie en prenait, à l’orgue ou au piano au cours du même concert.

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D’emblée, CSS annonce sa prise de position, on pourra donc affûter tout à loisir des arguments contraire au cours de son parcours en notre compagnie : les lutins ont de sérieuses réserves sur l’usage de l’orgue pour cette œuvre.

La première raison, et peut-être la raison principale (rendant par là même la suite de notre entreprise caduque), est que nous disposons au disque d’une version absolument magnétique, d’une profondeur à la fois mystique et dramaturgique sans égale, celle accompagnée et dirigée du piano par Reinbert de Leeuw. Celle que nous vous recommanderons en toute priorité à l’issue du parcours discographique.

Mais ce n’est pas la seule raison, car il existe des versions intéressantes à l’orgue ; nous pouvons argumenter un peu, partition (et extraits sonores) en main.

1. Première raison : l’orgue, et c’est même la principale faiblesse de l’instrument (avec son encombrement), ne connaît pas les nuances dynamiques, à l’exception des changements de registration, qu’on ne peut évidemment pas utiliser à tout moment dans le morceau, d’autant que l’opération demande une main libre (ou un assistant) et change également le timbre de l’instrument.
Les nuances et, peut-être pis, les accents notés sur la partition de piano ne peuvent donc pas être exécutés. Les bons organistes y suppléent par des détachés adroits, mais il n’en demeure pas moins une certaine homogénéité de ce côté, qui nuit à l’aspect direct de l’expression et aux à-coups émotionnels du drame.

2. L’orgue ne dispose pas de pédale forte. Ici aussi, les bons organistes (et même les bons pianistes…) savent s’en passer, c’est même tout le sens de leur formation technique spécifique. Néanmoins, certains effets de fondu, comme sur les moitiés de mesure de la marche claudicante du Christ chargé de la croix – pour la rendre moins régulière –, certaines variations de texture sont impossibles. Le rubato (écart de tempo) les pallie, et se montre déjà nécessaire au piano, mais c’est encore une possibilité expressive de moins.

3. L’orgue a un ambitus plus réduit que le piano. Ici, impossible de creuser les basses dans les moments recueillis ou révoltés – ce que Liszt trouve en revanche nécessaire dans sa version pour piano. Il est vrai qu’ici, le son majestueux et imposant de l’orgue tient tout à fait la comparaison côté basses impressionnantes, fût-ce à l’octave supérieure.

4. Liszt ne sollicite pas le pédalier, peu nécessaire dans cette œuvre assez peu polyphonique. Ce qui fait perdre, du coup, l’un des moyens supplémentaires de l’orgue par rapport au piano (bien qu’il soit possible d’en équiper les pianos, on n’en dispose que pour les œuvres déjà rares de Schumann qui le requièrent explicitement, et qui sont de plus très souvent jouées au piano standard sans ajout de pédalier).

5. L’orgue n’a pas la capacité de percussion du piano. Pour les moments de forte intensité tragique, comme les cris de la foule (Crucifige !), on perd nettement en tranchant et en violence.

Suite de la notule.

jeudi 13 novembre 2008

Le disque du jour - XXIV - Béla Bartók, intégrale des quatuors à cordes (Keller)

Les quatuors de Béla Bartók peuvent rebuter par leur aspect extrêmement vindicatif et sombre - et, d'une certaine façon, très complexe et abstrait. La discographie regorge de témoignages rugueux très engagés.

Pour les esthètes aux oreilles sensibles, néanmoins, il existe des solutions alternatives.

Les plus lyriques pourront par exemple choisir le Quatuor Alban Berg. Malgré un son un petit peu léché et grisaille, il est ici donné une lecture très internationale de cet ensemble, qui n'esquive pas la violence, mais dans un cadre beaucoup plus formel et traditionnellement germanique - à mettre entre toutes les oreilles.

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Mais, chez les farfadets guyennais, ce seront les Keller qui pourront nous émouvoir le plus vivement. Avec un son très fin, légèrement pincé (sans être typé à la tchèque, bien entendu), mais s'arrêtant toujours au seuil de la stridence, ce quatuor spécialiste du vingtième Mitteleuropa livre une lecture rêveuse de ces monuments.

La véhémence en est assez fortement bannie, au profit d'une introspection qui, d'un certain point de vue, tient plus de Chostakovitch - hésitant entre lyrisme postromantique très sobre et pause méditative bien plus contemporaine.

Chaque phrasé y porte son but, et la délicatesse partout présente n'évacue pas non plus l'inquiétude et surtout l'intensité propres à cette musique.

Aux antipodes des brutalités habituelles, une autre modernité plus apaisée - et sans doute mieux comprise, plus profonde.

Il faut dire que, mieux que tout autre, le Quatuor Keller, fondé il y a vingt-et-un ans par quatre hongrois au Conservatoire Liszt de Budapest (András Keller, János Pilz, Zoltán Gál et Judit Szabó), est à même de percevoir et de reproduire la place fondamentale (et exacte) du folklore dans les mouvements les plus typés de ces six quatuors. Et de l'assimiler à leur connaissance intime du répertoire du vingtième siècle. Ils sont aussi les auteurs de la meilleure (et de la plus complète) intégrale Kurtág, où les mêmes qualités de clarté, rigueur, souplesse, lyrisme et poésie font merveille.

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Il faut ajouter que la lisibilité des lignes y est idéale (des voix saisissantes y naissent...) et que le tout se trouve publié chez Apex - donc disponible à prix ridicule (6€ les deux CDs sur Amazon Marketplace).

Pour convaincre les plus sceptiques ou parachever leur dégoût, vous pouvez entendre cette intégrale légalement sur CSS.

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Par ailleurs, rappelons que le meilleur de la musique de Bartók, tous genres confondus,

Suite de la notule.

David Le Marrec

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1 => L'italianisme dans la France baroque
2 => Le livre et la Toile, l'aventure de deux hiérarchies
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4 => Arabelle et Didon
5 => Woyzeck le Chourineur
6 => Nasal ou engorgé ?
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8 => Les trois vertus cardinales de la mise en scène
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