Expérience intéressante : la
retransmission de la Huitième
Symphonie de
Mahler à Lucerne. Abbado devait la jouer il y a quelques
années, mais,
malade, n'avait pu le faire ; aussi
Chailly a-t-il complété
cette année le
dernier volet manquant au cycle.
Ce n'est pas un événement en manque de publicité, il a été diffusé sur
Arte (avec sous-titres, même), et a bien sûr fait très rapidement
surface
en ligne (pas sûr qu'il y reste, il y a
apparemment un partenariat avec Medici.tv qui vend ses vidéos à la
demande), pourquoi le mentionné-je ? Deux impressions étonnantes
à partager.
¶ Contre toute attente, j'ai trouvé une certaine parenté avec
la manière d'Abbado dans le résultat
– ce qui est d'autant plus étrange que les musiciens ne sont pas du
tout les mêmes qu'à l'époque de la
Résurrection,
et que Chailly n'a pas en général les mêmes tracés ronds et
enveloppants, plutôt tourné vers le coloris. Est-ce de
l'autosuggestion, je ne puis dire – elle est surprenante dans la
mesure où je suis beaucoup plus attiré par Chailly et n'y cherche donc
pas du tout d'Abbado…
¶ La
réalisation vidéo, la
plaie des retransmissions, en est exemplaire à un point spectaculaire :
chaque entrée est documentée par un changement de plan, qui démarre
très exactement au moment où les musiciens la jouent. En régie,
Ute Feudel doit avoir assisté à
toutes les répétitions et avoir la main sur la partition en permanence
! Les départs sont donnés avec la même précision que si la
réalisatrice était le
suggeritore
embauché par Chailly, ce qui permet de documenter chaque entrée de
chaque tuilage, et d'avoir toujours les yeux sur l'action. Épatant, il
faudrait plus de vidéos de cette qualité (sur des œuvres plus
accessibles) pour initier les néophytes à l'écoute symphonique.
Bien sûr, cela réclame une armée de
cameramen
pour disposer à chaque instant de tous les angles nécessaires…
Sinon,
le résultat musical est
bien sûr très beau – quand on joue Mahler avec de grands musiciens,
c'est suffisamment
écrit pour
rendre forcément un effet convaincant, ce n'est pas une musique fragile
comme peuvent l'être Schubert ou Schumann –, très intense, très
juste.
Côté vocal, les chœurs sont très beaux (de grandes références :
Radio Bavaroise,
Radio Lettonne,
Orfeón Donostiarra et le
Tölzer Knabenchor), mais ce n'est
pas trop la fête du côté des solistes – si
Ricarda Merbeth demeure inébranlable
(à défaut de grâce ineffable),
Juliane
Banse semble être en méchante méforme (son émission arrière, qui
lui a toujours fait des aigus difficiles, ne pardonne pas en cas de
mauvais soir),
Andreas Schager
force étonnamment (la partie est impossible avec beaucoup d'aigus très
hauts, très longs, très doux et très puissants à la fois, très peu de
ténors s'en sortent bien),
Peter
Mattei semble aussi forcer un peu sa nature (pour passer
l'orchestre avec son émission douce), et
Samuel Youn détimbre assez
désagréablement, du moins en retransmission (ce semble plutôt lié à la
nature même du placement). Restent
Sara
Mingardo, qui m'a toujours paru minuscule, et qui semble, plus
de dix ans après la dernière fois où j'ai dû sortir le cornet
acoustique (au quatrième rang dans du Vivaldi…), se promener sans
difficulté au milieu de cet orchestre pléthorique (syndrome Stutzmann,
Mahler la rend soudain très sonore ?), et bien sûr
Mihoko Fujimura, au hiératisme
irrésistible (son répertoire est étroit, mais en contrepartie, elle est
toujours la meilleure partout !).
Un rien décevant, donc, par rapport à l'affiche vocale, mais tout est
emporté avec un bel enthousiasme, pas de panique, tout va bien.
Quoi qu'il en soit, si l'on n'a pas la partition d'orchestre sur les
genoux, regarder cette vidéo est le meilleur conseil possible pour
entrer dans la logique de la symphonie, remarquable.
[Mais non, je vous en prie.]