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dimanche 12 juin 2016

[hors du monde] – Retrouver Maria Callas


Il y avait longtemps que je n'avais pas réécouté Maria Callas, peut-être même un an ou deux. Il faut dire qu'en dehors de quelques enregistrements à contre-courant où je l'aime assez (Elvira des Puritains, Abigaille, Amelia du Bal Masqué, Carmen, Turandot…), je n'ai jamais été très touché par sa manière, et tout particulièrement dans les rôles qui ont fait sa réputation (Norma, Traviata, Tosca).

Je me suis aussi toujours demandé si la remise au goût du jour du belcanto romantique par des voix plus « authentiques » et l'exécution de partitions de ce répertoire hors du petit nombre encore à l'affiche lui devaient autant qu'on le dit. Pour sûr, elle y a contribué, mais qui choisissait les titres ?  Était-ce réellement la chanteuse, qui lisait des partitions oubliées sur son temps libre pour les sélectionner et les proposer ensuite ?  Les directeurs de théâtre et les chefs d'orchestre n'ont-ils pas eu un rôle plus déterminant ?  Dans ces matières, on tend souvent à donner le mérite à la célébrité la plus proche du dossier. (Par ailleurs, à mon sens, la véritable renaissance a lieu plus tard, quand on se pose des questions sur l'exécution, qu'on enregistre des intégrales complètes, plutôt avec Bonynge donc – qui était un véritable musicologue.)
Ce n'a aucune importance pour ce que je vais raconter, mais ce participe du mythe.

la fosse
La Fosse, Le Triomphe de Maria Callas célébré par le Tölzer Knabenchor
Vers 1675. Musée des Beaux-Arts de Nancy.


Donc. En revenant à ces disques avec le recul, les oreilles un peu reposées de mes préjugés et de ceux des autres, je conserve le même relatif scepticisme. Grande chanteuse, bien sûr, et je me figure que sa réputation procédait grandement de son implication scénique, rare à l'époque, et encore plus chez les dames, donc je passe nécessairement à côté de la vérité de ses mérites – mais ni plus ni moins que ceux qui l'adulent, puisque notre matériel est le même.

Pourquoi ne suis-je pas totalement convaincu ?

¶ Le son hypertrophié, façon bajoues, n'est pas très sympathique, et limite en tout cas la pertinence des incarnations d'ingénues – dans Traviata, comment croire à la phtisie avec cette voix épaisse et ronronnante ?  Même en admettant la convention, c'est difficile. (je viens d'écouter Tomowa-Sintow engloutir Nimsgern dans l'acte du Nil Aida, même genre d'effet, on dirait que c'est le roi d'Éthiopie qui se fait salement tancer)
¶ Les portamenti (ports de voix pour lier une note à l'autre) toujours très lourdement appuyés : il s'agit de créer de la fluidité, pas d'insister sur la transition elle-même, en principe. Pour un modèle de belcanto, c'est un peu frustrant (là encore, à replacer dans son temps moins rigoureux, mais ce relativise son image de vérité indépassable).
¶ J'aime beaucoup les poitrinés (une notule viendra là-dessus), je ne suis pas du tout dérangé (je trouve d'ailleurs les voix de femme toujours plus belles quand elles n'utilisent pas exclusivement le registre de tête, donc surtout les bas de tessiture à l'opéra !), mais ils ne sont pas particulièrement gracieux, c'est vrai. La propension à nasaliser pour faire méchant est aussi assez discutable.
¶ Par-dessus tout, c'est l'expression dont on fait tant de cas qui me dérange. Chez Callas, prévaut la manière stabilo : en général, pour faire passer une émotion, soit on sélectionne une couleur vocale et un style adéquats (attaquées piquées pour la joie ou l'humour, grands portamenti pour les implorations et déplorations…), soit on choisit des mots, sur lesquels on place du relief, pour donner une crédibilité à l'affect. Mais pour elle, c'est simple : on met toute la gomme sur le mot le plus explicite de tout le passage (crier, maudire, détester…) ; ça fonctionne, mais le résultat est tellement redondant et grossier que je peine à être touché. A fortiori lorsque ce ne sont pas des personnages véhéments (en Violetta, c'est quand même bien étrange) – mais même pour Médée, je demeure sceptique devant ce goût du pléonasme. S'il y a une émotion, elle ne se manifeste pas forcément principalement par le mot qui l'exprime, elle affleure sur les autres mots alentour, alors que chez Callas, le soulignement se fait exclusivement sur l'explicite (où il n'est pas nécessaire, précisément puisque le texte l'explicite). Je ne crois pas avoir jamais croisé chez elle une expression inattendue, qui serait en décalage avec la lettre du texte.

Voilà qui est tout sauf rédhibitoire, et ce sont toujours de belles interprétations, mais considérant la typicité du timbre et le peu de grâce de la manière, je reste étonné qu'on la considère toujours comme l'horizon indépassable du chant (au moins du côté romantique italien). On n'a pas d'équivalent au phénomène Callas dans les autres tessitures et dans les autres répertoires, où certains font assez bien l'unanimité (Popp, Corelli, Hotter…), mais où personne n'est considéré comme l'absolu indiscutable.

Or, à la réécoute un peu distanciée, j'entends toujours les mêmes choix, tout à fait défendables, mais pas particulièrement recommandables non plus : une excellente chanteuse certes immédiatement identifiable, sans doute très impressionnante sur scène pour son époque (même si les vidéos ne sont pas forcément plus vertigineuses que les partenaires qui y figurent), pas exactement le sommet sur tous les critères. Plus que la qualité propre des interprétations, c'est l'écart entre la réputation et ce qu'on entend (charismatique, typé, inégal, imparfait) qui surprend : comment cela peut-il mettre tout le monde d'accord ?  Car, il faut bien l'admettre, je suis un peu seul. (je veux parmi les amateurs de ce répertoire-là, sinon les autres la méprisent passablement)  Mais je l'aime toujours beaucoup en mezzo.

Je trouve qu'on entend assez bien les limites que je ressens, à l'écoute, dans ses masterclasses à la Juilliard School (celle-ci, sur « Eri tu » du Ballo, par exemple) : comme elle y chante au moins aussi longtemps que ses élèves, les partis pris y sont très sensibles. Et on y retrouve ce legato un peu outré (même lorsqu'il n'est pas écrit) ; elle explique même (de façon tout à fait péremptoire) qu'il faut faire du rubato aux fins de phrase pour appuyer l'expression – et, de fait, elle met à plusieurs reprises le pianiste dans le décor… Le fait d'enseigner ses particularités comme un système opérant (l'expression, on la met où on la veut, pas forcément avec du rubato ni sur ce mot-là – forcément, elle sélectionne le mot « empoisonner », en nasalisant luette au vent) permet de mettre le doigt sur ce qui est dispensable dans son univers esthétique.

Deux notules consécutives de glottologie (un peu) négative, promis, une autre est en préparation pour réhabiliter un nom et dispenser un peu d'enthousiasme.

mercredi 8 juin 2016

Crise d'identité – (Épreuves finales du CNSM)


En assistant aujourd'hui aux épreuves de fin d'études de chant, au Conversatoire Supérieur de Paris, récurrence de cette impression plusieurs fois mentionnée, le terrible à quoi bon ?

La sélection et la formation du CNSM sont excellentes, et l'on pourrait citer un grand nombre des meileurs interprètes français parmi ses anciens élèves (et pas forcément de gros tromblons impersonnels, témoin Yann Beuron ou Marc Mauillon !). J'ai à plusieurs reprises dit mon émerveillement devant l'investissement, la personnalité, la diction d'un nombre très respectable de ses pensionnaires.

Toutefois, le chant ayant ses contraintes propres, le plus haut niveau n'offre jamais la même garantie que pour les instruments (où les étudiants sont tous au minimum excellents). Et je l'ai senti un peu douloureusement ces derniers mois, en particulier ce soir – à force de fréquenter la maison, j'ai pour la première fois une représentation un peu précise de la cohorte des « grands » (L3 à M2, ceux qui passent depuis ce midi jusqu'à vendredi).

Les noms des professeurs ne sont plus communiqués publiquement depuis quelques années, mais le principe reste le même : programme d'une demi-heure, comportant dans un ordre au choix différentes composantes (sauf erreur, trois langues minimum, dont le français ; opéra, oratorio, lied/mélodie, contemporain représentés), avec la possibilité de mandater des partenaires et de petits ensembles (des condisciples). Un véritable récital très varié, qui donne une mesure assez large des talents des chanteurs.

melchior lorck vierge enfant 1552
Melchior LORCK, Le cours de chant des grands élèves du CNSM, 1552.
Huile sur toile, fonds Řaděná de København.

Les contraintes horaires et les caprices des transports m'ont défendu d'entendre mes chouchous (dans cette session, il y avait le miraculeux Jean-Christophe Lanièce, Eva Zaïcik, Fabien Hyon, Anaïs Bertrand, Axelle Fanyo, plus quelques autres moins prometteurs mais attachants), et ce que j'ai entendu rejoignait tellement l'air du temps (dans le sens le moins favorable)…

À quoi bon utiliser une technique lyrique si la voix ne se projette pas, si le seul résultat est qu'une fillette de 22 ans parvient à rendre un texte simple dans une tessiture centrale parfaitement inintelligible et interchangeable, avec un timbre du double de son âge, une seule couleur (grise) et un impact physique pas vraiment supérieur à d'autres techniques beaucoup moins gourmandes en énergie et plus agréables en timbre ? 
Elles sont quelques-unes dans ce cas (j'en vois bien 4 parmi les 17, pour lesquelles je me demande quelle peut être leur place sur le marché), et je me sens très embarrassé : on reconnaît le geste vocal lyrique, mais on cumule les nuisances du chant d'opéra (artificialité, opacité, altération du texte, lourdeur) sans en retirer les bénéfices de présence physique. Je me demande le pourquoi du recrutement – comme ce ténor récemment entendu au CRR, et qui était incapable (au sens le plus littéral : ça ne sortait pas et il se faisait mal) de chanter au-dessus du passage dans des rôles centraux de Campra…
Au demeurant, à l'exception de ce dernier exemple, toutes des voix tout à fait écoutables, rien de honteux ni de désagréable, loin de là, mais la terrible question de l'à quoi bon qui surgit…

Je serais tenté d'accuser l'imposition de nombreuses langues différentes (avec pour conséquence l'usage des mêmes voyelles déformées partout, ainsi qu'un placement unique et postérieur), néanmoins leur français ne vaut pas vraiment mieux. La question des priorités dans l'apprentissage se pose de façon criante : si ce n'est ni le timbre, ni l'intelligibilité, ni la puissance, n'y a-t-il pas, dès le départ, un fourvoiement dans les objectifs fixés, dans les préalables techniques ?

Il serait intéressant de donner des noms, voire des extraits, mais ce serait de toute évidence déloyal : ils sont là pour se perfectionner, et un grand nombre trouvent au minimum leur place dans des chœurs – néanmoins, la question de l'avantage distinctif se repose à chaque fois assez violemment. Qu'est-ce qu'on ne perçoit pas et qui les fait néanmoins sélectionner par des professeurs ?  Ce n'est même pas la rareté de la voix, en l'occurence (plusieurs mezzos opaques mais de petit format, pour lesquels il existe d'ailleurs assez peu d'emplois de première importance dans le répertoire).

Comme souvent, je m'en retourne avec beaucoup de questions et pour une fois avec peu de satisfactions. Pourquoi s'astreindre à une technique contraignante si c'est pour n'en retirer aucune plus-value ? 

David Le Marrec

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