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dimanche 12 janvier 2014

Le Second Quatuor et la musique de chambre d'Othmar SCHOECK


1. Othmar Schoeck, Schoeck, Schoeck, Schoeck, Schoeck...

Othmar Schoeck (1886-1957) fait partie des compositeurs qui ont leur petite célébrité en dépit du fait qu'ils soient peu joués... mais dont le catalogue discographique reste très majoritairement lacunaire, et la présence en concert exceptionnelle. Peut-être est-lié au peu de compositeurs suisses passés à la postérité : Honegger côté francophone, Schoeck côté germanique – les autres, Andreae, Veress, Huber... n'avaient pas l'envergure pour s'imposer largement au détriment de compositeurs plus précis dans les salles et studios. De ce fait, Schoeck reste peut-être un (discret) emblème, à défaut d'être joué.


Hommage à 4 voix de Hindemith pour l'anniversaire de Schoeck. Introduit ici.


Il faut dire aussi qu'à l'exception de quelques œuvres symphoniques violentes et spectaculaires, comme son opéra Penthesilea d'après Kleist, hardi et violemment expressionniste, ou dans une moindre mesure Lebendig begraben sur les poèmes de G. Keller (mais malgré sa véhémence, ce sont plutôt les poèmes que la musique qui versent dans le grandiose), la musique de Schoeck se caractérise davantage par son caractère mesuré, calme, étale.

2. Catalogue instrumental

Il existe bien sûr quelques contributions de Schoeck aux formations chambristes traditionnelles :

¶ Des pièces groupées ou isolées pour piano (Toccata, Ritornelle, Fughetten...)
¶ Trois sonates pour violon et piano (deux en ré, une en mi, écrites de 1905 à 1931).
¶ Une sonate pour violoncelle et piano (1957).
¶ Une sonate pour clarinette basse et piano (1928).
¶ Deux quatuors (l'un en ré de 1913, l'autre en ut de 1923), plus un mouvement isolé de 1905.

... et quelques ouvertures et poèmes symphoniques :

¶ Sérénade pour petit orchestre Op.1 (1907).
¶ Sommernacht (« Nuit d'été ») pour orchestre à cordes, inspiré par le poème de Keller (1945).
¶ Suite en la bémol pour orchestre à cordes – ce doit être sympa à jouer, dans cette tonalité... ah, ces décadents... (1945).
¶ Mouvement symphonique pour grand orchestre (1906).
¶ Ouverture pour William Ratcliff de Heine (1908).
¶ Prélude pour orchestre (1933).
Festlicher Hymnus (« Hymne de fête ») pour grand orchestre (1950).

De même, une poignée de concertos :

¶ Pour violon (Quasi una fantasia), en 1912.
¶ Pour violoncelle et orchestre à cordes, en 1947.
¶ pour cor et orchestre à cordes, en 1951.

3. Catalogue vocal

Mais l'essentiel du legs de Schoeck, et celui qui fait sa réputation, se trouve dans le domaine de la musique vocale.

Dramatique, avec un certain nombre d'opéras (Penthesilea et Venus, pour ceux qui se trouvent facilement) et de cantates (Vom Fischer un syn Fru).

Chorale, dont assez peu d'exemples se trouvent au disque.

Et surtout le lied... avec piano, mais surtout avec de petits ensembles : quatuor à cordes (Notturno Op.47), orchestre de chambre (Elegie Op.36), mais aussi des œuvres avec grand orchestre, comme Lebendig begraben Op.40. Contrairement à la majorité des corpus, où les compositeurs écrivent par défaut pour des voix plutôt élevées, Schoeck écrit presque exclusivement ses lieder pour des voix centrales, voire graves, de vraies voix de baryton – dans des tessitures très favorables aux interprètes.

4. Lieder

Dans nombre de ses cycles (Elegie Op.36, Lebendig begraben Op.40, Notturno Op.47, Nachhall Op.70), au nombre d'une douzaine, les poèmes sont enchaînés, reliés entre eux par des interludes instrumentaux joués sans interruption, et l'expression demeure toujours douce et rêveuse, dans un mouvement presque immobile, dérivant doucement comme le cours d'un fleuve. Les atmosphères, plutôt nocturne, sont rarement tourmentées, plutôt mélancoliques ou méditatives, sans être jamais joyeuses. Et alors que l'harmonie ménage ses frottements et ses plénitudes, on ne sent pas réellement de poussée vers l'avant – en partie parce que les rythmes en s€ont très homophoniques (chacun joue simultanément, peu de fantaisie de ce côté).
Il faut dire que dans ces œuvres d'une demi-heure à une heure, en un seul mouvement, très peu contrastées, on se trouve baigné dans un flot permanent qui donne une illusion d'éternité.

Une véritable expérience, prégnante aussi bien au disque qu'au concert. (Voir par ici pour un témoignage sur son Notturno.)

Schoeck, à l'exception de son cycle Op.33 consacré à des traductions de Hafis, ne met en musique que des poètes aux thématiques romantiques (partout on ne semble parler que de nature et de nuit), soit du premier XIXe, comme :

Eichendorff (Elegie Op.36, Wandersprüche Op.42, Cantate Op.49, Befreite Sehnsucht Op. 66)
Lenau (Elegie Op.36, Wanderung im Gebirge Op.45, Notturno Op.47, Nachhall Op.70)
Claudius (Wandsbecker Liederbuch Op.52, Nachhall Op.70)
Möricke (Das holde Bescheiden Op.62)
Goethe (5 venezianische Epigramme Op.19b)

soit de la seconde moitié du siècle, comme :

Gottfried Keller (Gaselen Op.38, Lebendig begraben Op.40, Notturno Op.47, Unter Sternen Op.55)
Heinrich Leuthold (Spielmannsweisen Op. 56, Der Sänger Op.57)
Conrad Ferdinand Meyer (Das stille Leuchten Op.60)

Quelquefois les auteurs sont mélangés, comme Lenau et Eichendorff dans l'Elegie, ou les cycles de Lenau Notturno et Nachhall, qui s'achèvent respectivement par un poème de Keller et un poème de Claudius.

En règle générale, quelle que soit l'ardeur du poème, l'expression musicale et verbale demeure dans une résignation (ni triste ni gaie) assez homogène. Le cycle qui tranche le plus, parmi ceux publiés à ce jour, est Lebendig begraben, où l'orchestre rugit un peu (mais ce n'est rien par rapport aux poèmes, d'une démesure tonnante comparable à La Fin de Satan de Hugo), mais le chanteur y demeure largement dans le cadre d'une sobre psalmodie.

Il n'empêche qu'ils valent tous largement le détour, à commencer par Elegie et Notturno. C'est une expérience d'écoute.

5. Le Second Quatuor

Suite de la notule.

samedi 11 janvier 2014

Agogique – [Mahler n°3]


1. L'agogique

Le mot est un équivalent chic (snob ?) de « rythme », inventé au XIXe – première occurrence dans Musikalische Dynamik und Agogik de Hugo Riemann, en 1884. Il permet néanmoins d'introduire une nuance (qui existait, mais qui se formulait par périphrases), puisque l'agogique désigne plus exactement la réalisation du rythme écrit, avec toutes ses modifications plus ou moins imperceptibles : irrégularités, déformations, césures...

L'agogique n'est pas tout à fait l'équivalent du rubato, qui est davantage lié à des genres spécifiques (en particulier pour le style belcantiste, à commencer par le piano de Chopin qui lui doit beaucoup), et qui cherche généralement à exalter la mélodie dans une logique cadentielle : le rubato laisse le soliste prendre son temps, il ne désigne que la dimension temporelle des phrasés, et non tous les paramètres de lié / détaché, ni l'accompagnement.

L'agogique est le domaine réservé de l'interprète, qui fait (de pair avec l'étagement des nuances) toute la différence entre un fichier MIDI et une exécution humaine. C'est bien cet aspect qui suscite (sinon autorise) la fascination et l'adulation pour les grands interprètes, parce qu'ils actualisent la partition, lui font prendre vie sous une forme qui reste unique.

Les moins vains d'entre nous pourront remplacer le mot par articulation, qui a le double avantage d'être intelligible par tous et de dire plus ou moins la même chose sans recourir à un néologisme issu du postromantisme teuton (comme si ces gens savaient faire de la musique !).

Jusqu'à récemment, donc, je n'étais pas très friand de ce mot, joli mais un peu inutile, coquet ornement des sachants.

Jusqu'à ce que sa nuance la plus exacte m'apparaisse en une glorieuse épiphanie. Que je me fais un devoir de partager avec vous.

2. La preuve par l'exemple

Le rythme du dernier mouvement de la Troisième Symphonie de Mahler peut paraître suspendu, mouvant, instable. C'est lié à des changements de tempi usuels (et tout à fait explicites sur la partition) chez Mahler, et éventuellement, selon les chefs, à des accélérations, ralentissements... mais en y regardant de près, c'est surtout l'articulation des phrases et la déformation de la mesure qui sont en cause.

On est donc dans le domaine du rubato (littéralement « [temps] dérobé ») le plus littéral : les temps faibles vont être en certains endroits allongés, et certaines mesures vont donc devenir plus longues que d'autres, sans que le tempo en soit affecté. Des bouts de temps sont ajoutés, tout simplement. Mais pas du rubato belcantiste pour mettre en valeur une ligne mélodique ; il s'agit plutôt d'accentuer l'effet d'un élément de phrasé.

Pour vous en rendre compte, le plus simple est sans doute d'essayer de battre la mesure. Si vous n'êtes pas familier de l'exercice : comme le tempo est très lent (et que le geste perd alors en précision), vous pouvez faire un battement par croche, donc huit battements par mesure. Les temps forts sont sur la première et la troisième noire. Pour ne pas se perdre, le plus simple est de battre comme suit (à la croche, vous ferez donc deux fois ces gestes dans une mesure) :


Et vous pourrez le constater par vous-même :


Effet particulièrement audible dans la version de Seiji Ozawa avec l'Orchestre Symphonique de Boston (par ailleurs l'une des plus belles à mon sens, et que j'écoute le plus avec Rögner, Salonen et Litton).
Ici, le commencement du premier mouvement, mais le principe se reproduit jusqu'à la fin.



Dans les endroits encadrés, en plus des ralentissements et accélérations (voir en particulier les trois premières mesures, très fluctuantes) le chef suspend légèrement le temps (jusqu'à quasiment la durée d'une croche dans le cas encadré en rouge).

Dans les cas en mauve, ce n'est même pas une respiration, mais réellement un allongement de la durée écrite, qui donne plus de poids au temps fort qui suit et renforce le sentiment d'attente – tout ce mouvement est fondé sur une progression de tensions en tuilages, jamais complètement résolues jusqu'à la fin, vingt minutes après.

Cela ne se produit donc pas systématiquement lorsque le compositeur a indiqué une rupture de phrasé : on trouve aussi bien des indications de legato que de détaché dans ces cas. Il s'agit vraiment d'une technique de direction pour mettre en valeur la progression doucement tendue du tempo lent et l'harmonie jamais résolue.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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