jeudi 24 mars 2011
Le lied en français - VIII - Schubert, Die böse Farbe (Die Schöne Müllerin)
Un nouveau volet dans l'aventure.
On a respecté avec soin les rimes croisées - plus libres en allemand, mais le choix n'existe pas en français. Les modifications rythmiques sont importantes à vue d'oeil, mais portent essentiellement sur l'inclusion claire des finales en "e", de façon à rendre l'exécution plus rigoureuse (plutôt que de laisser l'interprète se débrouiller).
Mis à part cela, quelques notes dédoublées pour des raisons d'appui prosodique et quelques rares notes fusionnées pour éviter d'alourdir le vers de mots inutiles.
Cette précision peut faire peur à lire, mais ce sont en réalité des modifications totalement cosmétiques, qui ne changent en rien la mélodie ni les appuis rythmiques du poème. Au contraire, ces retouches évitent que le texte français ne sonne maladroitement dans son moule musical. Car les finales équivalentes aux féminines françaises (non accentuées, disons) en allemand sont accentuables, contrairement au français. Et ici, on ne trouve que des fin de vers accentuées par Schubert. Cela contraindrait à se limiter, dans ce lied, à des rimes masculines (accentuées sur la finale), ce qui serait passablement rugueux à l'oreille.
Bref, ces amendements respectueux (mélodie et carrures intactes) permettent tout simplement de mieux se conformer à l'esprit de ce qui est déterminé par Schubert. Je ne nie pas qu'un traducteur plus talentueux puisse se soumettre aux deux impératifs, mais cela me paraît particulièrement difficile dans ce lied-ci (si l'on veut en plus demeurer proche du texte et s'imposer des rimes), qui supporte un grand nombre de mélismes et de résolutions de phrase typiquement... allemands.
L'allemand est en effet bien plus souple sur le choix de ses syllabes accentuables lors du chant, et n'est pas embarrassé de tous ces mots-outils sur lesquels on ne peut pas vocaliser en français sans ridiculiser le poète.
Voici donc le poème :
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Die böse Farbe / La mauvaise couleur
Ich möchte ziehn in die Welt hinaus, / J'ai rêvé de partir, de voyager,
Hinaus in die weite Welt ; / Aller, parcourir le vaste monde ;
Wenn's nur so grün, so grün nicht wär, / N'eût-il ce vert, ce vert enragé
Da draußen in Wald und Feld ! / Du champ à la forêt qui gronde !
Ich möchte die grünen Blätter all / J'ai rêvé de frapper les feuilles des bois,
Pflücken von jedem Zweig, / Les arracher de chaque branche,
Ich möchte die grünen Gräser all / Noyer les prairies des pleurs de mes émois,
Weinen ganz totenbleich. / Jusqu'à les rendre blanches.
Ach Grün, du böse Farbe du, / Ô vert, couleur de mes malheurs,
Was siehst mich immer an / Pourquoi me toises-tu,
So stolz, so keck, so schadenfroh, / Insolent, si fier et si moqueur
Mich armen weißen Mann ? / Au pâle et pauvre homme abattu ?
Ich möchte liegen vor ihrer Tür / J'ai rêvé de m'étendre à sa porte,
Im Sturm und Regen und Schnee. [1] / Bravant les tempêtes des cieux,
Und singen ganz leise bei Tag und Nacht / Et trempé, chanter à celle qui m'importe
Das eine Wörtchen : Ade ! / Ce petit mot : "Adieu" !
Horch, wenn im Wald ein Jagdhorn schallt, [2] / Dans la forêt le cor a retenti,
Da klingt ihr Fensterlein ! / Bruisse alors son rideau !
Und schaut sie auch nach mir nicht aus, / Ce n'est pas moi qu'elle a senti,
Darf ich doch schauen hinein. / Pourtant sa vue est un cadeau.
O binde von der Stirn dir ab / Arrache de ton front si sage
Das grüne, grüne Band ; / Ce ruban vert maudit, ce vert de l'abandon ;
Ade, ade ! Und reiche mir / Adieu, adieu, et salue donc
Zum Abschied deine Hand ! / Mon dernier passage !
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... et sa partition :
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Poésie, lied & lieder - Projet lied français a suscité :
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