Carnets sur sol

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dimanche 17 mars 2024

Rousseau – Le Devin du village, un opéra bien français

En écoutant Le Devin du village dans une version au style enfin adéquat (Les Nouveaux Caractères), je suis assez amusé de constater que toute la grammaire musicale – à commencer par les récitatifs – sont, en dépit de toutes les protestations théoriques de Rousseau… typiquement françaises. Les enchaînements harmoniques, le galbe de la parole, tout montre d'où provient son savoir-faire. Et cela m'amuse beaucoup, quand on lit toutes ses protestations sur la médiocrité intrinsèque de la langue et de la musique françaises.



Pour autant, l'italianisme perçu au XVIIIe siècle ne correspond pas nécessairement à l'imagine que nous nous faisons aujourd'hui du pôle Vivaldi-Verdi (la virtuosité sans profondeur, disons), j'en avais touché un mot ici. La forme de l'intermède avec petite intrigue, mélodies très simples, souplesse harmonique accrue, est aussi typique du style italien tel que voulaient l'imiter les Français (dans les faits, je trouve le résultat assez éloigné), comme dans Les Troqueurs de Dauvergne (qui nous paraît aujourd'hui un parangon de l'opéra comique à la française, mais qui avait réussi à mystifier ses contemporains sur l'air de « c'est un opéra italien tout fraîchement composé, importé et traduit »).

mercredi 13 mars 2024

Yvain et les livrets


En revenant de l'opérette Gosse de riche (production Neyron / Frivolités Parisiennes / Athénée), je suis une fois de plus frappé de l'équilibre propres aux œuvres de Maurice Yvain. Contrairement à bien d'autres opérettes où la musique fait une grande part de l'intérêt, voire sauve une intrigue assez médiore, chez Yvain c'est au contraire souvent la qualité de la collaboration littéraire qui fait le sel – ou l'échec des œuvres. Dans Gosse de riche, je n'ai pas vraiment relevé de musique qui soit mieux qu'agréablement fonctionnelle – une petite bifurcation harmonique imprévue pour soutenir la description du Vidame de Kermadec (sur les paroles « rance, pas de dents, chauve depuis l'enfance »), avec une nuance de tendresse assez savoureuse – c'est à peu près tout ce que j'ai senti hors de l'ordinaire.

En revanche, encore mieux que Willemetz avait fait une proposition franchement originale pour Là-Haut (un retour de trépassé pour surveiller sa femme, rencontrant des anges gardiens assez fantasques), ici Jacques Bousquet & Henri Falk proposent un livret d'une qualité rare – intrigue touffue dans le goût des comédies bourgeoises de boulevard, assez lisible cependant pour se satisfaire du moindre nombre de mots disponibles dans une version chantées, airs égrenant des listes loufoques, mais aussi soin du beau langage (« il eût sonné »), richesse du vocabulaire (sur toute l'étendue du précieux à l'argot à la mode – « c'est bath »), et références particulièrement amusantes.

Wagner est régulièrement convoqué (murmures de la forêt, appels de Brangäne) – sans que rien n'en transparaisse dans la musique, ces clins d'œil adviennent pendant les dialogues –, et toute la littérature française défile dans la bouche des personnages, en un name-dropping incessant : Hugo, Baudelaire, Verlaine, Morand, Bazin… et jusqu'à des pastiches dans le texte même (au moins deux Verlaine, dont « voici des fruits, des fleurs » et un Guitry « que les hommes sont bêtes »).

Mais à rebours, lorsque la situation n'est pas aussi savoureuse, comme dans Chanson gitane avec le texte de Louis Poterat (qui m'avait paru, dans mon souvenir, d'un goût plus univoque, davantage « Francis Lopez »), il est plus difficile de se passionner pour l'œuvre que chez Lecocq (Le Petit-Duc), Messager (La Basoche, Coups de roulis, Véronique…), Roussel (Le Testament de la tante Caroline) ou Misraki (Normandie).

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Production

Il faut bien sûr redire tous les éloges sur le niveau et l'entrain des Frivolités Parisiennes (en joué-dirigé du premier violon pour cette série !), le savoir-faire de Pascal Neyron avec peu de décors et d'accessoires, et la qualité des chanteurs. Tout particulièrement Philippe Brocard, Charles Mesrine (un excellent ténor très sous-employé dans le circuit) et Lara Neumann – son talent vocal et scénique, explosif, et remarqué par tous production après production, rend inexplicable sa notoriété relative. 

dimanche 3 mars 2024

Offenbach & Auber – Le Financier & Le Savetier ; Haÿdée – Les Bavards, Compiègne



Concept-troupe

La nouvelle troupe Les Bavards, issue de l'excellent ensemble amateur (de haut niveau) Oya Kephale, a un concept particulièrement séduisant : en format réduit (orchestre à un par partie, et un piano pour remplir un peu), ils proposent ainsi une opérette rare de cinquante minutes, dans une production scénique particulièrement vivante, qui tourne à travers divers lieux d'accès plus populaires à la culture (mairies du IIIe, du XIVe, du XVIIIe, mais aussi le Centre Paris Anim' Dunois dans le XIIIe), pour des représentations gratuites.

L'occasion d'élargir notre répertoire ! Je connaissais l'œuvre (il existe une très belle version discographique, pas très largement diffusée, avec les fulgurants Ghyslaine Raphanel et Éric Huchet !), mais l'avais trouvé peu marquante à l'écoute seule. La production de l'Opéra de Barie avait le mérite d'exister en ligne (et très bien chantée !), mais avec piano seulement, et une direction d'acteurs bien plus chiche. En salle, l'œuvre prend toute sa saveur dans cette version mise en scène de façon très animée par Thierry Mallet (un des fondateurs de la troupe ; également le Savetier).

La réalisation instrumentale n'est pas parfaite, mais chaleureuse et pertinente (ça vaut largement mieux que n'importe quel grand orchestre en pilotage automatique !), tout transpire l'amour de cette musique et de ce théâtre, sans s'excuser de jouer de la musique simple ou des plaisanteries du XIXe siècle. Et je suis très sensible aux couleurs avivées dans cette version pour orchestre réduit.
Les chanteurs sont en outre excellents – Audrey Maignan déjà admirée en Robin Luron du Roi Carotte au Conservatoire du XIIe et dans Les Brigands, Thierry Mallet applaudi dans Barbe-Bleue ou Les Brigands avec Oya Kephale, Thibaud Mercier, Paul Le Calvé.

L'occasion pour moi de remarquer quelques détails dans l'œuvre.

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Détails dans Le Financier & le Savetier

1) « En pincer » est déjà attesté, dans ce livret. Je n'aurais pas été certain que ça remonte si loin (1856).

2) La propension d'Offenbach à utiliser des fragments de mots répétés pour effet drolatique (et faciliter la mise en musique malgré la prosodie) réussit ici un très joli coup avec « Il faut qu'un Savetier save save save save son métier ».

3) Le meilleur moment musical, c'est l'exploitation, dans un court trio conclusif, de la musique de la chanson de la captivité de Richard Cœur de Lion (Sedaine / Grétry), un tube des années 1780 qui a été une sorte d'hymne officieux de résistance sous la Révolution et qui a repris en popularité – notamment comme « timbre », c'est-à-dire comme mélodie pour les textes des vaudevilles et des chansonniers – sous la Restauration.
Je parle de cette romance Une fièvre brûlante dans la notule consacrée au genre.

4) Dans les dialogues, « Je bois aux sultanes » évoque très fort le livret (de Scribe) d'Haÿdée d'Auber (1847), un grand succès de l'époque – dans la scène de somnambulisme de Lorédan (une des plus incroyables scènes de solo de tout le répertoire français), il livre cette réplique pendant son toast imaginaire, entre deux remords : « je bois à vos sultanes ». Une parole d'autant plus emblématique qu'elle sert de refrain et point culminant. (Merci, de ce fait, aux artistes d'avoir conservé les dialogues d'origine pour profiter de ces pépites.)
Le lien n'est pas tout à fait gratuit : le nœud de l'intrigue d'Haÿdée repose sur un jeu d'argent où l'on mise tout ce que l'on a – jusqu'à, comme dans ce Financier & Savetier, sa propre maison.

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Action de grâces

Une fois de plus, le salut provient des petites institutions, voire des amateurs : tandis que l'Opéra de Paris rejoue pour la millionième fois Giovanni et Traviata, ou l'inutile damnation, le répertoire est documenté par les compagnies qui auraient besoin de jouer des tubes pour vivre (œuvres suffisamment connues pour être appréciées même en version « dégradée » par rapport à nos disques préférés, de toute façon). Merci à ceux qui se livrent à ce sacerdoce – pour nous autres spectateurs tellement salutaire !

À cela s'ajoute l'excellent livret de salle (gratuit lui aussi) qui inclut l'argument, la Fable d'origine, l'équivalent monétaire des sommes évoquées, un récit de la création avec des citations de critiques d'époque, et enfin un glossaire très riche sur les expressions – « alêne » et « empeigne » pour l'artisanat chaussural, mais aussi « jeter du persil » pour exprimer l'idée d'empoisonner le voisin, lié à la toxicité supposée du persil sur les perroquets !

Vraiment, Les Bavards, vous avez fait carton plein !

Il reste deux dates, que vous retrouverez dans l'agenda officiel de Carnets sur sol.

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Retour à Haÿdée

Je lui ai déjà consacré une notule (où j'ai parlé de polytonalité, un peu hardiment, car l'effet est aussi dû au fait que Bruno Comparetti ne chante pas totalement juste en cette instance), mais en cherchant à vérifier l'exactitude de ma citation, j'ai rencontré par pure sérendipité la vidéo (le DVD est difficile à trouver), je ne disposais que de la bande prise par un spectateur à l'époque… et voilà qui m'a fatalement replongé dans l'intégralité de l'œuvre, que je trouve réussie musicalement – alors que beaucoup d'opéras d'Auber me paraissent dotés d'assez peu d'idées musicales. (Contrairement à son Quatuor à cordes en ut de jeunesse – 1799 – et bien sûr aux mirifiques Diamants de la Couronne.)

L'occasion, de même, de quelques remarques ponctuelles.

a) Je crois que l'histoire me touche parce qu'elle explore – certes de façon schématique vu qu'il s'agit d'un opéra comique du XIXe siècle qui doit contenir ses barcarolles, ses chants de guerre, ses romances, ses airs vocalisants, sa couleur locale maritime et vénitienne… – non pas un absolu, mais une nuance plus proche de la vie. Que se passe-t-il lorsque, vertueux, on n'a pas la force de se montrer exemplaire à un moment capital ? Le livret de Scribe, très stimulant, tourne autour de cette question de la culpabilité – Lorédan est un homme admirable, mais tourmenté par une faute qu'il aurait pu éviter. Voilà qui change des héros intrépides, mus seulement par l'amour ou la gloire, sans aucune consistance psychologique explicitée.
De même, certes on croise le poncif de l'esclave amoureuse de son maître (qui la traite respectueusement une fois que ses compagnons ont massacré sa famille…), mais le portrait est nourri de motivations qui peuvent s'entendre – l'estime pour le seul qui ne l'ait pas traitée comme monnaie d'échange, le besoin aussi de se trouver une nouvelle mission après cette catastrophe insurmontable…

b) À ce titre, je trouve les personnages principaux assez attendrissants (le jeune couple qui en personnage secondaire paraît bien plus stéréotypé et égoïste, ils s'aiment et font le nécessaire, basta). Petit indice assez élégant, Lorédan vouvoie son esclave, ce qui montre qu'elle n'est considérée ni comme une enfant déficiente, ni comme une amante dont il aurait consommé la chair.

c) Lors de la confrontation avec l'ennemi Malipieri qui a surpris la confession faite en rêve par Lorédan, je suppute que les insinuations sur le rêve qui révèle un crime constituent une réécriture, voire un clin d'œil (an Easter egg, dirait-on au cinéma) à quelques scènes célèbres de Shakespeare : le songe de Cassio surpris par Iago, mais peut-être tout autant la pièce de théâtre mise en place par Hamlet pour surprendre les émotions de son oncle homicide.

d) Je suis à nouveau frappé par les récitatifs, dont la véhémence fait quasiment plus penser à Weber et Marschner qu'à la grande école française – même si, bien évidemment, l'essentiel du langage est à apparenter au style meyerbeerien du grand opéra à la française.
Le somnambulisme de Lorédan est un peu, stylistiquement, l'équivalent français (et pour ténor, tessiture rarement pourvue de ce type de scène !) du grand récit du Vampire chez Marschner. Un moment où toute une histoire est racontée en solo, avec des récitatifs de qualité incroyable. Et quelle revélation haletante ! Révélée de façon tout à fait implicite de surcroît – « ah ! six et quatre ! », et c'est tout.

Pour le reste, je vous renvoie à la notule correspondante, et surtout à la vidéo (je vous la cale directement sur la scène de somnambulisme), chantée dans un français exceptionnelle – et, par contrat (!), sans aucun [r] roulé.

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Pierre Jourdan, tu nous manques.

Les Bavards et autres amateurs courageux (Calligrammes, Elektra…), vous nous sauvez.

mardi 12 novembre 2019

[nouveauté] – Raoul Barbe-Bleue (de Grétry), un (terrifiant) opéra comique en (mars) 1789


Vient de paraître une nouveauté étonnante, un nouvel engistrement d'un Grétry inédit : Raoul Barbe-Bleue – sous forme de livre-disque chez Aparté.
(Second étonnement pour moi, qu'on me charge d'en écrire la notice.)

Ma première réaction fut de demander : mais pourquoi enregistrer cet opéra comique, ce Grétry précisément ?  N'ayant pas vraiment reçu de réponse, je me suis posé la question à moi-même : pourquoi cet opéra ?
Quelques mots sous un angle distinct de la notice.

grétry raoul barbe bleue aparté




0. Mais d'abord : de quoi ça parle ?


[Ne pas lire ceci si vous n'aimez pas les spoilers.]

Isaure et Vergy sont de bonne noblesse, mais ruinés. Les frères d'Isaure refusent Vergy et choisissent Raoul (qui n'a pas de barbe bleue, précisons). Isaure, manifestement séduite par les bijoux plus que par les vœux familiaux, demande à Vergy de lui rendre ses serments.

Pourtant, dès qu'elle a épousé Raoul, celui-ci la met à l'épreuve (on lui a prédit qu'il mourrait à cause d'une femme curieuse) en lui confiant le trousseau avec la clef défendue. Qu'elle ouvre évidemment, pour découvrir les têtes des précédentes femmes. Vergy s'est entre-temps présenté au château sous le déguisement de sa sœur (Anne, évidemment), mais ne peut lui venir en aide : iels sont enfermé·es.

Raoul, furieux, promet la mort à Isaure, qui fait guetter à Vergy (« Vergy, ma sœur, ne vois-tu rien venir ? ») l'arrivée de ses frères à qui elle a tenté de faire passer un message. Ceux-ci arrivent finalement accompagné des pères des défuntes femmes, dont l'un tue Raoul. Chœur de réjouissance.




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Une sélection de pistes de l'enregistrement Aparté.



1. Un opéra comique tragique

En tant qu'opéra comique, Raoul est assez sérieux : on y rencontrera bien quelques traits de caractère plaisants (une amante coquette séduite par des bijoux, un travestissement en femme, un serviteur apeuré – c'est cependant devant une mort très crédible), mais l'essentiel de l'enjeu reste un mariage forcé et une menace de mort imminente. On y voit aussi [spoiler] le méchant périr sur scène [/spoiler].

Il faut dire que le librettiste, Sedaine, était justement la vedette de la période pour son sens du naturel – et avait beaucoup fait pour seconder le « goût des larmes » dans l'opéra-comique, avec des tableaux pathétiques comme dans Le Déserteur de Monsigny, où un jeune homme, victime d'un quiproquo, est promis à l'exécution publique et fait ses adieux aux siens dans le cachot où il attend la mort. Ou bien l'exaltation de nobles sentiments, comme dans Richard Cœur de Lion du même Grétry.
Le grand succès de l'année où fut représenté Raoul Barbe-Bleue (1789, j'y reviens) était Les deux petits Savoyards de Dalayrac (livret de Marsollier), triomphe des bons sentiments : deux orphelins rencontrent un gentilhomme revenant d'Amérique qui leur vient en aide… et s'avère, grâce à un portrait, le frère de leur défunt père. Considérablement plus apaisé, mais le même goût pour le pathétique dans le cadre d'un genre qui porte mal son nom.

Raoul est donc un opéra doté d'une véritable tension dramatique : renoncer à son amour, résister à la curiosité, échapper à une mort inéluctable, où la dimension d'opéra comique réside essentiellement dans le format – numéros musicaux assez brefs, entrecoupés de dialogues parlés.



2. Des sources entremêlées

En bonne logique, Raoul Barbe-Bleue se fonde essentiellement sur le conte de Perrault, qu'il suit d'assez près : à part l'hésitation d'Isaure devant l'offrande de bijoux de Raoul, rare vertige d'un comique de caractère, et le déguisement bouffon de son amant (sous les traits de la défunte sœur… Anne), à peu près tous les événements en sont issus.

Pourtant Sedaine l'a tissé avec deux autres sources, médiévales. Le nom de l'amant, Vergy, évoque bien sûr La Châtelaine de Vergy, mais l'intrigue elle-même a davantage à voir avec le Roman du châtelain de Coucy et de la dame de Fayel, autre hit du roman médiéval. Dans ce texte, l'amant constant Coucy se présente au château de sa dame (sans déguisement, évidemment), et le sire de Fayel, après l'avoir tué, en sert le cœur en repas à sa femme – point commun avec la cruauté de Barbe-Bleue. On y trouve donc le motif ajouté à Perrault.

Ce n'est pas tout à fait un hasard, dans la mesure où le sujet était en vogue au théâtre, avec plusieurs tragédies dans les années 1770 : Fayel de Baculard d'Arnaud, Gabrielle de Vergy de Dormont de Belloy – cette dernière fut ensuite parodiée en Gabrielle de Passy

Même si l'accueil fut globalement très favorable (des reprises jusqu'en 1818 en France, et jusqu'en 1840 en Europe – à Vienne), Sedaine et Grétry furent accusés dans la presse (Mercure de France en particulier, assez virulent) d'excéder leur mandat par leur sujet (la tragédie étant exclue de la première salle Favart) et tout à la fois (par Grimm) de manquer de noblesse.

C'est aussi cette particularité d'un opéra comique à la fois parodique (référence au nom d'un conte pour cette histoire qui aurait pu paraître réaliste) et assez sérieux, violent même (les femmes décapitées du cabinet, l'exécution organisée sur scène, la mort de Raoul par l'épée sous les yeux des spectateurs !), mêlant les sources (conte de Perrault et matière romanesque médiévale), et juxtaposant aux sentiments les plus nobles la bouffonnerie du travestissement, qui attire l'attention par sa singularité. Un ouvrage qui semble ne ressortir à aucun genre existant.



raoul barbe bleue et osman je te donnerais la mort
Pour cet avis secourable,
Tu mériterais la mort.



3. Une témoignage significatif d'une atmosphère politique ?

Rétrospectivement, ce qui peut paraître et se trouver représenté au printemps 1789 ne peut que nous intriguer, surtout si l'on croit y déceler des prémices. Il ne faut pas s'exagérer ce type de cause, considérant qu'on pouvait en cette période du règne de Louis XVI publier à peu près n'importe quoi : les censeurs étaient en réalité des hommes de lettres, certes rémunérés par le pouvoir, mais on constate que leurs choix étaient en général plutôt liés à l'intérêt potentiel pour le public, à la garantie de sérieux que supposait l'obtention d'un privilège d'impression, que par leur teneur politique. On est surpris, aujourd'hui, de se rendre compte de ce qu'on laissait publier dans l'Ancien Régime, sans même passer sous le manteau !

On trouvera dans ces pages une petite série sur Tarare (été 1787), où la même question se pose : la Nature y explique très rationnellement que les rois et les roturiers sont constitués des mêmes atomes et jetés à leurs postes respectifs par le seul hasard, tandis que l'intrigue y montre un tyran médiocre et envieux qui finit par se suicider de rage d'être moins aimé que son capitaine vertueux (qu'il persécute) par son peuple. Avec, en dépit de la fidélité à toute épreuve du brave soldat, quelques paroles très dures sur le pouvoir tyrannique – et quel vilain exemple !  Tout cela a très bien passé la censure (Beaumarchais avait prévu une fin alternative où le méchant monarque survivait, qui n'eut même pas besoin d'être considérée) – ce fut paradoxalement plus difficile sous la Révolution, où l'on fit à chaque changement de régime un ajustement politique de la fin (Beaumarchais avait même prudemment – et catégoriquement – exigé, pour se prêter à l'exercice, la garantie écrite de ne pas être inquiété si jamais ce qu'il proposait déplaisait !).

Dans Raoul, le noble perverti n'est plus simplement un enjôleur de villageoises, mais passe toutes les mesures : assassiner une à une les filles de ses vassaux, sous le prétexte d'une ordalie matrimoniale !  Quant au commentaire qu'en fait son serviteur (« si ses vassaux le perdaient, ils feraient tous des feux de joie »), ou le chœur de réjouissance final, supposément allègre et moral (« Ce tyran exécrable, / Ce monstre abominable / Expire sous nos coups »), ils sont d'une franche violence sans grande pudeur. Un aristocrate, tout de même, occis sans le moindre procès – et dans la liesse générale, puisque sa mort fait office de dénouement et de fête de mariage finale !

(Pour autant, il s'agit d'une justice de classe, une vengeance entre aristocrates, et pas du tout une révolte populaire : il ne faut pas y voir une préfiguration de troubles, simplement le témoignage d'une pensée en mutation, où la noblesse n'est plus perçue comme une garantie de vertu. On trouve aussi bien cela dans Don Juan – l'intervention providentielle étant ici aussi le fait de pères, quoique non spectres.)



4. Pourquoi cette musique ?

Raoul Barbe-Bleue n'est clairement pas l'œuvre angulaire du second XVIIIe siècle, ni la plus personnelle, ni la plus surprenante, ni la plus subversive. Néanmoins, si vous lisez cette notule ou écoutez le disque, êtes simplement curieux de musique et de théâtre, j'attire votre attention sur quelques beautés, que j'ai remarquées en lisant la partition (je n'ai pu avoir accès à l'enregistrement avant la publication)… et qui se sont révélées être les mêmes qui avaient plu aux critiques d'époque.

¶ Au sein d'un style très classique, une tendance moins habituelle à brouiller les numéros clos, ainsi la « scène » du retour de Raoul, avec beaucoup de récitatifs et de contrastes, pas réellement une forme close habituelle.

¶ L'alternance majeur / mineur, parfois brutale (au sein d'un même phrasé dans l'air de curiosité, d'un couplet à l'autre pour le duo de renonciation aux serments), en tout cas expressive.

L'air de la curiosité d'Isaure, qui passe de la mélancolie mozartienne au ton épique gluckiste probablement parodique, avec en son centre les hésitations, écrit au fil du drame et non selon un canevas formel précis.

Airs concertati (avec instrument solo), figuralismes marquants (Osman exprime sa peur en pointés rapides qui se retrouvent plus tard chez Corentin dans Le Pardon de Ploërmel de Meyerbeer).

¶ La « symphonie » (musique de scène) du dénouement, où en à peine plus d'une minute on enfonce la porte, met en déroute l'escorte de Raoul, on ferraille… jusqu'à sa mort. Elle paraît assez lumineuse, du fait du goût du temps, quoique tout à fait agitée. Il faut absolument suivre les didascalies généreuses de Sedaine pour en saisir le sens.

¶ Mais le sommet de la partition est vraiment ce trio « de la tourelle ». Pendant les appels terribles de Raoul invisible, Isaure demande à Vergy s'il voit le secours arriver… et le figuralisme du « nuage de poussière, qui s'élève de la terre », puis des chevaux, est très réussi, s'élargissant progressivement comme les marches de l'époque romantique (Marche au supplice dans la Symphonie fantastique, marche de Dalibor…), produisant une forte impression en son temps.

¶ D'une manière générale, Grétry est toujours très inspiré (pour ne pas dire carrément fulgurant) dans les lignes de ses personnages de basse : les deux airs de Céphale (peut-être les plus beaux airs de tout le XVIIIe siècle, en ce qui me concerne), l'air de Guessler, et ici toutes les interventions de Raoul (son air de séduction, son duo de menace avec son serviteur, son air de rage, et ses interventions mortifères dans le trio de la Tour) sont d'une qualité mélodique remarquable.

Ainsi, sans être un bouleversement fondamental, beaucoup de jolies choses à glaner, d'autant plus avec un interprète de la classe de Matthieu Lécroart.



raoul barbe bleue et osman je te donnerais la mort
Un nuage de poussière,
qui s'élève de la terre…




5. Parlons boutique

Pour la petite histoire, rédiger cette notice – un projet un peu plus officiel qu'une notule, où il faut donc vérifier chaque info, ne pouvant attendre d'être éventuellement corrigé par la vigilance des lecteurs, et qu'on vend de surcroît – m'a pris d'une cinquantaine d'heures : s'immerger un peu dans la partition, relire le conte et les romans médiévaux, vérifier le contexte des genres à l'époque, la place dans les carrières du librettiste et du compositeur, les parodies, etc. Et bien sûr contrevérifier chaque fait / date / élément mentionné.
Voyage passionnant dans une époque, immersion dans un univers parallèle constitué d'œuvres jamais rejouées qui constituait pourtant le quotidien de celle dont on parle…

Mon conseil, pour l'écoute, est vraiment de lire les didascalies. La diction est suffisamment bonne pour suivre sans le livret, mais si on manque certains détails (la parure d'Isaure, le déguisement de Vergy, l'ouverture du cabinet, la topologie de la tour, l'arrivée des cavaliers, la bataille finale), non seulement on ne comprend pas bien l'intrigue – comment passe-t-elle de la mort imminente d'une victime à l'apothéose finale ? –, mais on passe à côté des subtilités et beautés de la partition, articulées de près à ces détails.



6. Le disque

Comme je suis un garçon sans vergogne (ou un mélomane un peu trop enthousiaste), je vais quand même commenter succinctement le disque qui vient de paraître, sans chercher à vendre la soupe, mon avis tout nu. (S'il m'avait vraiment déplu, je me serais sans doute tu, mais en l'occurrence, je n'ajoute ni ne retranche rien de ce que j'aurais écrit autrement – je n'ai eu aucun contact avec les artistes ni pendant la production, ni après, il n'y a pas d'enjeu particulier à maquiller mon opinion.)

Il faut d'abord souligner que non seulement les dialogues sont présents, et en intégralité me semble-t-il (pas encore eu le temps de vérifier livret en main, mais ce me semble très complet), mais ils ont été préparés avec un soin tout particulier par les chanteurs, très variés et expressifs. Alors que la tendance est souvent de les omettre, ou de les traiter comme des parties subalternes, il faut souligner cet aboutissement.

Comme d'habitude, prise de son magnifique (c'était le métier de son fondateur), à la fois ample, intime et très précise.

¶ Enfin un premier rôle pour Matthieu Lécroart !  Noble, terrifiant, éloquence incroyable… Je ne me suis jamais expliqué, depuis son Raymond dans Charles VI d'Halévy en 2005, pourquoi sa carrière n'avait pas pris un tout autre tour, fait de grands rôles partout… Je ne m'en plains pas personnellement, il exerce beaucoup en Île-de-France dans des rôles moins courus qui m'intéressent davantage (quel don Diègue suprême chez Sacchini !). Artiste majeur à qui l'on offre un rôle à sa mesure, qui porte toute la vraisemblance de l'ensemble de l'action, des situations, des atmosphères. Ses soupçons vous glacent.

Chantal Santon et François Rougier, artistes dont il faut saluer la contribution à toutes sortes de répertoires rares (tragédie en musique, opéra comique, cantates du Prix de Rome) ont leurs bons et leurs mauvais jours (ou répertoires ?). Je trouve souvent la première plus adéquate dans le grand romantisme que dans le baroque (où le vibrato et le timbre ne sont pas toujours très congruents avec le format des rôles). Elle est ici parfaite, très vivante et agile, maîtrisant diction, mélancolie, emportement… De même pour François Rougier, très à son aise. [Leur duo de la tour, où chaque valeur rythmique prend un sens – les longues pour répondre en suppliques à Raoul en bas, les brèves pour murmurer précipitamment à propos de l'arrivée des secours – est un bijou d'intelligence interprétative partagée.]

Je me suis posé la question du caractère historiquement attesté du fausset dans les dialogues de ce type de rôle travesti. Je n'en sais rien du tout, mais je suis sûr que les spécialistes des interprètes historiques ont des documents assez circonstanciés sur la question. Ça a piqué ma curiosité, j'irai chercher. (C'est en tout cas très bien réalisé par Rougier.)

¶ Mention spéciale à Enguerrand de Hys, dont les grimaces vocales sont irrésistibles en frère abusif – tout en conservant une beauté et une focalisation enviables du timbre !

¶ L'Orkester Nord (nouvelle dénomination de l'excellent Orchestre Baroque de Trondheim) avait pour l'occasion incorporé de nombreux Français dans ses rangs. Et, de fait, le son, la manière, l'élan (et quelles couleurs !) sont au niveau de ce qui se fait de mieux dans les ensembles spécialistes actuels. Seule petite réserve due au grand accomplissement d'ensemble (qui s'est totalement estompée à la réécoute avec partition, fasciné au contraire par l'intelligence et l'articulation !), les effets de contraste et la tension remarquablement maintenue masquent un peu les moments où la plume de Grétry produit réellement une rupture (effets harmoniques, figuralismes), tout est tellement animé tout le temps par Martin Wåhlberg, et de la meilleure façon, qu'on pourrait aisément passer, à l'écoute seule, à côté de quelques beautés très saillantes à la lecture de la partition… d'où ce guide d'écoute.



Finalement, entre l'originalité de son livret aux sources et tons mêlés, son emplacement particulier dans l'Histoire, sa jolie musique pourvue de quelques beautés particulières et l'interprétation de toute première eau, il y a de quoi, au minimum, satisfaire la curiosité légitime des mélomanes curieux. Cela ne changera pas votre vie comme l'a fait, je le sais, Tarare, mais il y a réellement de belles satisfactions à retirer de ce voyage, auxquelles j'espère que ce mot d'introduction vous aidera à accéder.

mercredi 2 janvier 2019

Nicolò Isouard – Cendrillon & les bonnes sœurs (1810)


isouard_frontispice.jpg

    Je dois être honnête, je me suis demandé pourquoi la Compagnie de L'Oiseleur remontait ce titre (hors son évidente exploration des contes perraldiens), Isouard n'étant pas exactement le compositeur le plus passionnant de sa période. Je m'interrogeais aussi sur la distribution de voix opulentes (Catherine Manandaza et Marie Kalinine ont vraiment des instruments… vastes) pour un opéra comique.

    Petite présentation du pourquoi, à la découverte de nouveaux horizons.

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Extraits du seul disque existant (Bonynge avec l'Ensemble XXI Moscou), moins bien chanté que la soirée parisienne, mais on voit l'allure de l'œuvre et on dispose d'un orchestre en sus, qui apporte un peu de couleur (notamment à la romance de Cendrillon)…



    Nicolas Isouard (aussi appelé Nicolò Isouard ou simplement Nicolò) est en réalité surtout célèbre pour être le seul compositeur maltais un peu connu – il y en a évidemment d'autres, importants à l'échelle de Malte, mais dont la renommée a peu atteint les côtes voisines. Il faut dire qu'il a fait sa carrière à Paris ! Il était l'un des principaux contributeurs de l'Opéra-Comique entre 1799 et 1818, à la période où régnaient Dalayrac, Méhul, Berton, Cherubini, Gaveaux, Catel, Reicha, R. Kreutzer, Boïeldieu…

    Sa musique ne m'a jamais frappé comme majeure, et ce ne fut pas le cas non plus cette fois. J'avouerai même avoir été impatienté à d'assez nombreuses reprises par la pauvreté du langage : ces introductions faites uniquement de renversements d'accords de tonique, en 1810 (soit dire dix fois le même accord, un truc qui était déjà un gimmick à éviter dans les années 1770…), ce contrepoint assez misérable (dans un chœur de solistes à quatre voix, faire chanter le ténor et l'alto à l'octave, donc sur les mêmes notes, interdit dans tous les manuels d'harmonie parce que c'est pauvre et surtout parce que c'est bien moche…), d'une manière générale l'absence de relief de l'écriture, d'ambition de la musique. J'ai été frappé par exemple par l'écart entre le propos dramatique un peu héroïque du tournoi, et la musique absolument galante et anticlimactique qui l'accompagne, comme s'il ne se passait absolument rien.
    On songe beaucoup au belcanto italien tel que pratiqué par Mayr ou par le Donizetti des mauvais jours (des Reines Tudor, je veux dire), où l'on ne trouvera jamais une appoggiature (une note étrangère qui se résout tout de suite dans la bonne harmonie, un petit effet de tension pas très audacieux très fréquent chez Mendelssohn voire Haydn ou Bellini, et très rare chez Donizetti). À la vérité, Isouard reste un peu plus mobile dans ses harmonies, mais ce n'est clairement pas la substance musicale qui règne en maître ici.

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Isouard est capable de remplir des systèmes entiers littéralement sur deux accords.

    Le livret de Charles-Guillaume Étienne se révèle beaucoup plus intriguant : poétiquement parlant, ce n'est vraiment pas grand tout académicien qu'il fut, mais sa singularité est de donner le premier rôle à Clorinde et Thisbé, les deux méchantes sœurs du second lit, dont on suit les émois d'assez près, et que se révèlent plutôt sympathiques ou, en tout cas, moins archétypales, plus humaines. Elles se montrent solidaires dans leur coquetterie, éprouvent de réelles émotions – ainsi qu'en témoigne le formidable air de Thisbé, parodie des grandes scènes de Gluck (où l'on retrouve d'ailleurs la modulation mineure de l'air d'Elvira ajoutée pour Vienne dans Don Giovanni, bref, un standing supérieur au reste de l'ouvrage), poignante expression de l'amertume des mépris reçus d'un prince incompétent qui devait faire son bonheur. [C'était d'ailleurs une résurrection, exhumée par Bru Zane en préparant la prochaine production de l'opéra à Saint-Étienne.]

    Malgré les faiblesses intrinsèques de la partition, on en sort très content, à deux titres.

    D'abord parce que l'ouvrage documente un aspect qu'à la vérité je méconnaissais dans cette période. L'opéra comique virtuose, chez Hérold et Auber, on voit ce que c'est, mais en 1810, cela paraît très précoce, à l'époque où la norme (entendons-nous bien : la norme des ouvrages donnés / enregistrés, pas forcément la véritable norme majoritaire de ce qui était présenté… je n'en ai pas lu assez pour en juger de bonne foi)  est beaucoup plus post-classique, avec des lignes sobres, un jeu sur des situations touchantes. Les opéras comiques de Dalayrac, Méhul, Spontini, Gaveaux, Boïeldieu ne font pas en général dans la surenchère vocale.
    Or ici, il semble qu'une fureur italienne, inspirée des pratiques de l'opéra sérieux du premier belcanto romantique (de type rossinien), se soit emparée de l'âme du compositeur. Les numéros des sœurs sont d'une virtuosité meurtrière, que ce soit en duo ou dans l'incroyable juxtaposition de difficultés pures pour l'air de l'aînée Clorinde – lignes infinie d'agilités passant légèrement par des contre-ut ou y culminant en gloire, ce genre de guirlandes-là. Cette fusion inattendue de l'opéra comique avec les exigences vocales les plus élevées de la grande scène sérieuse italienne porte réellement quelque chose de singulier (susceptible de plus d'intéresser le plus le plus vocal des amateurs d'opéra), dévoile un pan inconnu du répertoire.
    Je me suis, à cette lumière, demandé quel était le message porté par le caractère assez terne de la partie musicale de Cendrillon (de simples couplets sans ornement), à qui l'on vole clairement la vedette – même en termes de présence sur scène, elle doit être à peu près à égalité avec les méchantes sœurs. Est-ce pour souligner sa simplicité – mais elle est alors assez peu intéressante et désirable, à la vérité… Ou bien ?  Le contrepied est en tout cas troublant, et intéressant : c'est l'héroïne supposée qui n'a pas vraiment de substance, jusque dans la musique, tandis que ses ennemies attirent tout l'intérêt et toutes les faveurs du public !

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Duo de solidarité des sœurs coquettes. Oui, juste un « duo de caractère », à ce qu'on en dit.
Finir son si bémol long au bout d'une fusée en attaquant sur un contre-ut bref débutant une gamme descendante, tout va bien.
Recommandé de ne pas embaucher de vagues dilettantes, tout opéra comique que ce soit.




    Ensuite, on se réjouit de la qualité de la réalisation. Je ne sais quel anémomètre à musique lui sert de boussole, mais L'Oiseleur sélectionne toujours mes pianistes préférés (Nicolas Chevereau, Qiaochu Li) ou me fait découvrir des grands (Benjamin Laurent, Mary Olivon), alors que dans les concerts plus officiels organisés par les grandes maisons, la plupart des chefs de chant appelés à monter sur scène jouent avec une certaine impavidité (peut-être du fait de la tension d'être pour une fois très exposé, je ne sais). De grands phraseurs capables de suppléer totalement le manque des couleurs et des reliefs de l'orchestre. Thomas Tacquet-Fabre, déjà admiré pour les Français inédits de la BNF (Jeanne d'Arc de Debussy !), ne fait pas exception à la règle.
    Il apportait par ailleurs son chœur, Fiat Cantus, formé d'amateurs, mais chantant avec une rigueur toute professionnelle.

    Côté chanteurs aussi : je m'étais alarmé de voix aussi vastes de Catherine Manandaza et Marie Kalinine pour de l'opéra comique début XIXe, mais j'avais écouté trop distraitement l'ouvrage – il fallait bien ces instruments glorieux pour rendre justice à ces parties des sœurs, proprement écrasantes. J'en profite pour dire à quel point j'admire des gens qui, ayant une belle carrière par ailleurs (Marie Kalinine tient des premiers rôles dans les principaux opéras de France), prennent sur leur agenda d'apprendre un rôle aussi exigeant, pour le chanter sans rémunération devant une cinquantaine de personnes… Je ne suis même pas sûr que, pour les recruteurs, ce ne sont pas perçu comme défavorablement (un signal qu'on accepte des engagements inférieurs). Bref, un véritable dévouement à l'art, qui passe toutes les réserves esthétiques éventuelles sur telle ou telle école de chant – par ailleurs, j'ai trouvé qu'elle n'avait jamais aussi bien chanté que ce soir-là, glorieuse et sans pesanteur.
    Beaucoup aimé Joseph Kauzman en Prince, un ténor sobre, bien émis, aux belles couleurs franches. Par ailleurs L'Oiseleur a comme toujours donné leur chance aux jeunes (il a ainsi dû être peu ou prou le premier a donner un engagement officiel au formidable Jean-Christophe Lanièce, dont on parlera dans quelques années comme on le fait de Maurane, Souzay ou Kruysen) – Léonard Pauly est toujours en cours de formation, tandis que Benjamin Mayenobe a débuté une carrière déjà prometteuse. Quant à Mathilde Rossignol (Cendrillon) et son joli moelleux, ils se promènent souvent dans ces projets – ainsi l'incroyable Stabat Mater de Ligniville où elle tenait la ligne de dessus, une suite de canons a cappella écrits dans la seconde moitié du XVIIe siècle…

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Saluts.
L'Oiseleur des Longchamps, Joseph Kauzman, Mathilde Rossignol, Marie Kalinine, Catherine Manandaza, Benjamin Mayenobe, Léonard Pauly, Thomas Tacquet-Fabre et, au delà, le chœur Fiat Cantus.


    Un seul regret véritable, qui sera je l'espère entendu : pourquoi avoir supprimé les dialogues ?  Indépendamment de tout ce qu'on pourrait avoir à redire sur le plan de la forme (identité même du genre, équilibre des parties, éventuel enchaînement des tonalités, cohérence des rôles, plaisir du détail et tout simplement du théâtre), c'est un problème dans l'expérience concrète du spectateur, pour suivre l'intrigue. Même en étant tous assez familiers de Perrault, des adaptations, voire en ayant déjà écouté l'œuvre ou ayant lu le livret, personne de notre petite compagnie n'a réussi à comprendre certaines articulations (le dédain des sœurs pour le faux valet, alors que le prince a déjà révélé la supercherie de l'inverse, quelque chose comme cela). Alors pour un opéra sur un sujet moins familier, figurez-vous quelle serait la frustration !
    D'autant plus dommage que la représentation n'était pas très longue et que je ne connais pas meilleur lecteur que L'Oiseleur, conteur exceptionnel, qui aurait pu faire tous les rôles au besoin. Mais quitte à pratiquer des coupes, au moins rétablir l'équilibre de réels échanges. Dandini et le père Baron se réduisaient à presque rien…



    Ainsi, saison après saison, la Compagnie de L'Oiseleur continue à donner, à titre gracieux (les recettes au chapeau couvrent difficilement les frais), des pans entiers de notre patrimoine, et dans des exécutions préparées minutieusement, par de véritables professionnels qui ne viennent pas en déchiffrant vaguement leur partie, mais solidement préparés. Elle a ainsi documenté une large partie totalement inconnue des grandes œuvres lyriques de Reynaldo Hahn (Prométhée Triomphant, La Colombe de Bouddha, Nausicaa…), des œuvres tombées en désuétude qui documentent notre répertoire léger (Galathée de Massé, Le Songe d'une Nuit d'été de Thomas Claudine de Berger…), et même d'authentiques chefs-d'œuvre sortis d'une minutieuse investigation du répertoire (Stabat Mater de Ligniville, Messe a cappella de Lioncourt, et bien sûr Brocéliande d'André Bloch, un coup de tonnerre dans ma vie de spectateur, il existe réellement des choses inouïes à découvrir, même après des années de fréquentation du répertoire enregistré ou inédit).

    Dans ce registre de découverte absolue, j'attends l'autorisation d'inclure des extraits sonores pour publier la notule sur Paul & Virginie de Victor Massé, réalisée avec le même soin, mais avec dialogues, une distribution tout aussi bonne mais de surcroît exactement à mon goût (Tosca Rousseau, Guillemette Laurens, Sahy Ratianarinaivo, Halidou Nombre, Qiaochu Li) et sur une œuvre absolument majeure du second XIXe français, qu'il est incroyable qu'on méconnaisse à ce point. Faute de cette autorisation, je publierai des extraits maison, mais l'effet, surtout dans une œuvre aussi exigeante des chanteurs, ne sera assurément pas le même…

    Tout cela pour souligner que la Compagnie cherche des partenariats, des mécènes, des projets… et même une salle à prix modique, le Temple du Luxembourg augmentant fortement ses prix en 2019. J'ai soumis quelques suggestions, mais je ne connais pas toute l'offre parisienne et avoisinante, donc si quelques lecteurs informés me lisent… Quand on voit ce que certaines institutions que je ne nommerai pas mais qui programment en boucle les mêmes scies pour leur 350e anniversaire proposent alors qu'elles disposent de revenus garantis, il serait tragique de laisser disparaître cette énergie, ce feu sacré au service de notre patrimoine musical (injustement) oublié.

dimanche 29 mars 2015

Ferdinand HÉROLD — Le Pré-aux-Clercs vu d'hier et d'aujourd'hui


(En fin de notule, vous pouvez télécharger deux versions de l'œuvre, en attendant la radiodiffusion des soirées de l'Opéra-Comique par France Musique.)


Extrait de la grande notice (lyrique) de Xavier Aubryet pour la revue L'Artiste, en 1859, longtemps après la mort du compositeur.


1. La place d'Hérold : Zampa (1831)

Le grand chef-d'œuvre d'Hérold reste Zampa ou la Fiancée de marbre (sur un livret de Mélesville), plaisant et tragique pastiche de Don Juan à grands coups d'ensembles, de couleur locale sicilienne, de pirates, de sérénades et de fantastique. Musicalement, si l'on sent toute l'équivalence avec la faconde et la célérité rossiniennes, le langage s'approche beaucoup de la richesse et des surprises de Meyerbeer – belles couleurs harmoniques et même orchestrales.

À sa création en mai 1831, six mois avant Robert le Diable, c'est ce que l'on fait de plus avancé musicalement en France (à l'Opéra du moins), d'assez loin devant Boïeldieu, Auber ou Halévy.
Il faut aller chercher chez des post-classiques comme Rodolphe Kreutzer pour trouver une autre forme de complexité qui puisse se comparer – ou partir en Allemagne, où les audaces sont bien plus conséquentes. En musique instrumentale, le cas est plus complexe, car les contraintes de langage, surtout en musique de chambre, sont très différentes.

Pour les détails, je renvoie aux notules précédemment consacrées à l'œuvre :

Structure.
¶ Un peu de musique et distribution de la version donnée dans la même maison.
¶ Une parodie de Don Giovanni.
¶ ... vu sous l'angle de l'humour en musique.
¶ « Comique mais ambitieux » : une plus vaste évocation des finesses musicales de la partition.

En attendant d'ouïr un jour Le Siège de Missolonghi, où l'on retrouve paraît-il les prémices de Zampa

2. Aujourd'hui même, au Pré-aux-Clercs

Le Pré-aux-Clercs, bien que composé plus d'un an plus tard (c'est son dernier opéra, créé en décembre 1832), tout en conservant un style similaire (petits airs galants ou piquants, échanges courts accompagnés de petites mélodies orchestrales soutenues par des trépidations de croches, grands ensembles…) reflète un aspect assez différent, plus caractéristique du reste de sa production : tout est très lumineux et gai, quasiment jamais de sections en mode mineur ni de moments de mélancolie réelle — les tristesses d'Isabelle (« Souvenir du pays ») sont finalement plutôt des ariettes qui semblent émaner d'un folklore fictif (puis parées de vocalisations virtuoses), et à l'exception de la scène de la barque funèbre, on n'a pas beaucoup le temps de s'apitoyer.

De façon très marquante, le livret d'Eugène de Planard supprime d'ailleurs tous les moments de solitude de Mergy : il est hors scène lorsque Marguerite de Valois souhaite par deux fois ourdir son complot amoureux, il est absent après qu'on lui a annoncé le mariage de sa bien-aimée selon la volonté du Roi, et entre les actes II et III, dans l'intervalle de l'entracte, se passent la révélation de l'amour d'Isabelle (elle n'a jamais eu l'occasion de le lui dire auparavant), la mise au courant du complot et leur mariage secret !
Autant dire qu'il a peu l'occasion d'exprimer sa tristesse ; tout juste sa colère lorsqu'il croit que Comminge va lui ravir ce qu'il aime. Son seul grand solo est d'ailleurs un air d'impatience amoureuse lorsqu'il arrive à Paris, plein d'espoir.

Pour le reste, le livret résume la Chronique du règne de Charles IX, l'un des rares ouvrages (longs et) faibles de Mérimée ; il ne faut pas en attendre des merveille, mais tout est très opérationnel pour la scène, et le jeu avec les nerfs du public de la fin est très réussi : le public sait qui se bat (contrairement aux trois femmes à l'avant-scène), mais ne voit pas le combat (or Comminge est invincible, c'est la prémisse première), puis arrive un corps en fond de scène (normalement Mergy), un archer l'arrête en disant qu'il vit encore (voilà comment sauver l'affaire), mais finalement non, et au moment où l'on peut se douter du subterfuge, le second du combat débarque et bafouille des paroles dépourvues de sens, avant l'arrivée finale de l'amant vainqueur. Plusieurs minutes où l'on se doute bien que tout va bien finir, mais où l'on ne parvient pas à voir de quelle façon exactement, si bien que le public finit par perdre confiance.

Pour nous, donc, le Pré aux clercs évoque furieusement du Rossini à la française, et même du Rossini assez peu mêlé d'affects, plutôt celui du Barbier de Séville. Les contemporains ne s'y sont pas trompés et Xavier Aubryet écrivait ainsi, dans sa longue présentation (enthousiaste) de l'art d'Hérold, pour la revue L'Artiste, en 1859 :

Zampa, qui fut son Guillaume Tell, comme le Pré aux clercs fut son Barbier de Séville

On remarquera au passage, à l'appui de cette impression, l'orchestration avec doublures de flûte à l'italienne et force pizz et cymbales, beaucoup plus sommaire que pour Zampa – témoin la romance de Camille introduite par les vents comme une sérénade populaire, qui n'a rien de révolutionnaire (Mozart fait ça aussi dans Così fan tutte), mais témoigne au moins d'un intérêt plus poussé pour les alliages instrumentaux…

Cette œuvre où l'on se tue, légère et jubilatoire, séduit assez immanquablement : les jolies mélodies délicates s'enchaînent au fil d'ensembles motoriques très efficaces. Ce fut déjà ressenti ainsi lors de la création, mais avec des nuances assez significatives qui ne laissent pas d'intéresser sur l'évolution des perceptions.

3. Au temps d'Hérold

L'œuvre est créée Salle des Nouveautés (ou Salle de la Bourse), mais elle est aussi choisie pour l'inauguration de la deuxième Salle Favart en 1840 (après l'incendie de 1838).

Le sujet de l'œuvre, qui peut nous paraître futile, était en réalité au cœur de l'actualité puisque Mérimée venait de publier sa Chronique du règne de Charles IX qui marque précisément (avec le plus solennel Cinq-Mars de Vigny) le début de l'engouement français pour le roman historique « médiéval ». Meyerbeer a d'ailleurs écrit pendant ces mêmes années (et commencé avant Hérold) ses Huguenots, sur un livret de Scribe inspiré des mêmes années (et manifestement marqué à son tour par Mérimée). Autrement dit, ce qui nous paraît pure convention décorative était au cœur de l'actualité littéraire, comme si l'on faisait un film sur le dernier Houellebecq.

Par ailleurs, si les contemporains ont bien ressenti l'impact dramatique de Zampa (et l'ont d'ailleurs moins aimé : 250 représentations en 1859, contre 800 pour le Pré), ils n'ont pas forcément vécu le Pré-aux-Clercs aussi légèrement que nous :

En affichant pour son jour d'ouverture le Pré-aux-Clercs d'Hérold, l'Opéra Comique a fait un acte de convenance qui lui a réussi. C'est ainsi que depuis quelques années les Italiens ont pris la coutume d'inaugurer la saison d'hiver avec les Puritains de Bellini ; et peut-être y aurait-il plus d'un rapprochement à faire entre ces deux partitions, œuvres suprêmes de deux génies qui se ressemblaient tant.
Écoutez le Pré-aux-Clercs ; que de mélancolie dans ces cantilènes si multipliées ! que de pleurs et de soupirs étouffés dans cette inspiration maladive ! comme toute cette musique chante avec tristesse et langueur ! Il y a surtout au premier acte une romance d'une mélancolie extrême ; l'expression douloureuse ne saurait aller plus loin. Eh bien ! cette phrase d'un accent si déchirant, vous la retrouvez dans les Puritains ; et, chose étrange, pour que rien ne diffère, les paroles sur lesquelles s'élève cette plainte du cygne, les paroles sont presque les mêmes : Rendez-moi ma patrie ou laissez-moi mourir, chante Isabelle dans le Pré-aux-Clercs, et dans les Puritains, Elvire : Rendetemi la speme o lasciate mi [sic] morir. Quoi qu'il en soit, le Pré-aux-Clercs d'Hérold est, comme les Puritains de Bellini, une partition pénible à entendre. Cette mélancolie profonde qui déborde finit par pénétrer en vous. Chaque note vous révèle une souffrance de l'auteur, chaque mélodie un pressentiment douloureux, et votre cœur se navre en entendant cette musique où l'ame de ces nobles jeunes gens semble s'être exhalée, cette œuvre écrite pendant les nuits de fièvre, et dont la mort recueillait chaque feuillet.

(Revue des deux mondes, 31 mai 1840.)

Il y a là, certes, un plaisir de prophétie rétrospective, de pair avec une croyance dans la superposition entre l'homme et l'œuvre qui n'a plus cours ; néanmoins, qualifier de « mélancolie extrême », d' « expression douloureuse » et de « souffrance » l'univers émotionnel du Pré-aux-Clercs, personne n'y songerait aujourd'hui.

Eh oui, on n'avait pas encore écouté le Sacre du Printemps en boucle, et les moindres inflexions d'une cantilène en mode majeur pouvaient encore faire chavirer les cœurs. De même qu'on peine à se figurer le public en larmes lorsque Gluck crée Iphigénie à Paris… pour nous, il s'agit de musiques intenses, mais toujours mises à distance par une sorte de jubilation purement musicale… on ne peut croire au désespoir réel sur des ritournelles majeures. Et pourtant, vu que la musique ne touchait pas encore aux zones où nous plaçons l'émotion triste, cette nuance subtile était ressentie.

(Tout de même, je m'interroge, pour cet Hérold-ci…)

Dans le même registre, Comminge, le bretteur irracible et invaincu, que nous distribuerions volontiers à un méchant ténor dramatique ou de caractère (d'où le choix des voix étranges de Paul Crook ou d'Emiliano Gonzalez Toro, dans les productions récentes), était confié pour la création à Louis-Augustin Lemonnier (tantôt décrit comme ténor, tantôt comme baryton), spécialisé dans les œuvres légères mais réputé pour son élégance — il a d'ailleurs tenu rien de moins que le rôle du comte de Torellas dans Masaniello ou le Pêcheur napolitain de Michele Carafa (sur le même sujet que la Muette de Portici d'Auber).
Ce choix est totalement respecté dans l'enregistrement de Benedetti, la seule version complète officiellement publiée à ce jour, puisque le rôle est confié à… Camille Maurane !

4. En 2015

Suite de la notule.

lundi 23 mars 2015

Ferdinand HÉROLD — Le Pré aux clercs : retrouvailles à l'Opéra-Comique


À l'occasion du retour de ce petit bijou longtemps disparu (quoiqu'un peu moins que Zampa) du répertoire français, et dans sa maison de naissance, l'occasion de remettre l'œuvre en contexte avant les représentations.

Voyez la présentation (assortie d'un long extrait sonore) proposée au moment de la parution de la saison. Et courez-y.

[À présent, j'espère Vendôme en Espagne – co-composé avec Auber – ou, autres œuvres légères mais excédant l'acte seul, Émeline ou Marie… On pourrait aussi nous faire la Marquise de Brinvilliers, ouvrage plus sérieux au livret co-écrit par Scribe, et partagé entre de multiples compositeurs : outre Hérold, Paër, Cherubini, Boïeldieu, Blangini, Berton, Batton et Auber.]

dimanche 22 février 2015

Galathée de Victor Massé par la Compagnie de L'Oiseleur


Toujours prodigue en créations et résurrections, L'Oiseleur des Longchamps organisait mercredi 18 février le retour de Galathée, Opéra-Comique de Victor Massé — encore un Prix de Rome qui se spécialisa dans la veine comique (Les Noces de Jeannette eurent une belle fortune…). Nous sommes au début de la Deuxième République, mais le langage extrêmement épuré évoque déjà l'opérette. D'ailleurs les lignes vocales ne sont pas forcément prodigues en mélodies mais servent plutôt à exprimer des caractères, tandis que l'orchestre sert quelques petits thèmes plus évocateurs.

L'intrigue a la particularité de développer les déconvenues de l'après-animation de la statue, avec un registre comique et une misogynie très caractéristiques du temps, sans trop d'imprévu.

Pas de surprise après avoir joué la partition, il y a quelques années : musique pas forcément très consistante, mais tout ça est bien plaisant, en particulier le Trio de la laideur, où le pauvre Midas se voit dire son fait par une statuette pas encore instruite des convenances.

Suite de la notule.

mercredi 19 novembre 2014

[T'es mort] — La devinette du mois de novembre


En attendant de répondre proprement aux derniers commentaires, de dire un mot de Cléopâtre au TCE (en particulier pour sa remarquable diversité de techniques), d'énoncer des choses (peut-être) plus substantielles sur les nombreux opéras de Debussy, la discographie de l'air de cour, Sémiramis de Destouches ou l'évolution de la passacaille jusqu'au vingtième siècle… l'indispensable devinette du mois.

Elle est visuelle, cette fois. Et les lecteurs les plus anciens (et fidèles, sinon ça ne compte pas) de CSS ne pourront pas s'y tromper.



… et plus loin :


Comme d'habitude, des bandes inédites à gagner.

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(La réponse figure désormais dans les commentaires, ainsi qu'un lien vers une version sonore.)

mardi 8 avril 2014

[Favart] Saison 2014-2015 de l'Opéra-Comique : Les Festes Vénitiennes de Campra & Le Pré aux clercs d'Hérold


La brochure de l'Opéra-Comique est disponible en avance (format pdf), dès ce soir, sur le site de l'institution.

Assez peu de concerts dans cette saison du tricentenaire, mais côté drames scéniques, au moins deux monuments immenses, jamais documentés intégralement au disque et excessivement rares sur scène !


Dessin (plume, encre noire, lavis gris, traces de pierre noire) de Jean Berain, représentant une « forge galante », probablement pour le Prologue de L'Europe galante d'André Campra sur un livret d'Antoine Houdar de La Motte, acte de naissance de l'opéra-ballet.


1710 – André Campra – Les Festes Vénitiennes
Attentes

J'avais un peu maugréé lorsque Hervé Niquet avait choisi le Carnaval de Venise, au titre certes plus vendeur, mais sans la même fortune critique chez les contemporains de Campra, et surtout avec un librettiste pas du tout de la même trempe qu'Antoine Danchet. Voilà à présent ce manque documentaire réparé, et avec une équipe de tout premier plan : Les Arts Florissants, William Christie, Robert Carsen, Emmanuelle de Negri, Cyril Auvity, Reinoud van Mechelen, Marc Mauillon...

Les Festes Vénitiennes ont été un succès immense, une grande date dans l'histoire de la scène lyrique française. Il s'agit de l'une des œuvres les plus reprises de toute façon l'histoire de l'opéra français avant la réforme gluckiste : outre les Lully qui se taillent la part du lion, seuls L'Europe Galante de Campra, Issé de Destouches, Tancrède de Campra et Les Nopces de Thétis et de Pélée de Collasse connaissent davantage de reprises au cours du XVIIIe siècle. Ce phénomène a déjà été évoqué, et vous pouvez le comparer à la liste complète des œuvres scéniques de première importance données dans ces années à Paris et dans les résidences royales.

L'œuvre appartient au genre de l'opéra-ballet, dans cette période étrange qui voit s'affirmer simultanément la tragédie la plus radicale et la galanterie de l'opéra à entrées – l'opéra-ballet étant conçu comme une suite de tableaux plus ou moins indépendants. Beaucoup de compositeurs (dont Campra et Destouches) ont contribué à la fois aux deux genres, et en entrelaçant les deux types de production au sein de la même période.
Bien que je trouve personnellement le premier genre infiniment plus intéressant – on y trouve les plus beaux jalons de toute la tragédie en musique, Médée de Charpentier, Énée et Lavinie de Collasse, Didon de Desmarest, Idoménée et Tancrède de Campra, Callirhoé et Sémiramis de Destouches, Philomèle de La Coste, Pyrame et Thisbé de Francœur & Rebel... –, force est d'admettre que les tragédies post-lullystes ont surtout rencontré des semi-succès ou des échecs, à commencer par les plus audacieuses d'entre elles. En revanche, le public raffolait de ces ballets dramatiques que l'on associe d'ordinaire plutôt à la troisième génération de tragédie lyrique (celle de Rameau et Mondonville), écrites au même moment par les mêmes compositeurs.

Fait amusant, la prermière des Festes Vénitiennes était précisément dirigée par... Louis de La Coste, le compositeur d'un des livrets les plus horrifiques de toute la tragédie en musique.

L'œuvre n'a été redonnée qu'une fois sur instruments anciens, par Malgoire en 1991 (avec Brigitte Lafon, Sophie Marin-Degor, Douglas Nasrawi, Glenn Chambers ; mise en scène de François Raffinot). Hugo Reyne a fait le Prologue seul, Le Triomphe de la Folie sur la Raison dans le temps de Carnaval, en 2010, à La Chabotterie et à Versailles. Des extraits ont été enregistrés par Gustav Leonhardt (1995 ?), en couplage avec son Europe galante.

Bref, ce n'est pas forcément ce que j'ai le plus envie d'entendre, alors que les tragédies lyriques de tout Collasse et La Coste, sans parler des compositeurs moins illustres et des compositions restantes des plus célèbres, restent à réveiller... mais c'est un témoignage capital si l'on s'intéresse à la musique baroque française. Et confié à ceux qui servent le mieux cette musique de ballet : Les Arts Florissants.

Retour d'expérience

… suite à la représentation des Fêtes Vénitiennes à l'Opéra-Comique, le 26 janvier 2015 (première).

Je ne vais pas proposer une notule rien que pour cela, parce que tout était merveilleux, si bien qu'accumuler les superlatifs aurait peu d'intérêt. En outre, la spectacle sera visible dans deux jours sur CultureBox, si bien qu'il deviendra universellement accessible et qu'il sera peu nécessaire d'en faire la présentation pour les absents. Néanmoins, quelques éléments supplémentaires à ajouter à l'énoncé des attentes préalables, une fois la représentation passée.

Robert Carsen et son équipe tirent très habilement parti des clichés d'une Venise de fantaisie : dans les œuvres psychologiques, leurs jeux formels manquent parfois de réel propos, mais dans un opéra-ballet à entrées, avec de micro-intrigues et beaucoup d'effets visuels nécessaire, leur art consommé des jeux scénographiques en fait les meilleurs prétendants possibles. Sans aucune fausse prétention à la finesse, tout y passe : les touristes, les habits de doge, les dominos noirs, les robes-tables de jeu pas nettes, les coulisses et miroirs, les gondoles à gambettes…

L'œuvre s'y prête très bien. Grand moment d'hilarité lorsque paraissent, dans l'opéra pastoral qui clôt l'œuvre, des danseurs figurant des moutons grâce à des perruques XVIIe… très semblables à celles utilisées dans l'Atys de Villégier ! La pièce se jouait dès sa création en quatre entrées (incluant le Prologue, parfois remplacé par une simple entrée), variées au cours de son vaste succès : de nouvelles ont été composées, et leur ordre chamboulé.

Le Prologue « Le Carnaval et la Folie » conte, d'une façon qui deviendra par la suite un lieu commun de la scène lyrique, la victoire de la Folie sur la Raison (en temps de Carnaval). Seul trait rarement vu, la présence de deux philosophes, Démocrite (haute-contre !) et Héraclite (basse-taille), sortes de suivants de la Raison (qui chante elle aussi). Pour la suite, trois entrées dans la version originale de juin 1710:

  • La Feste des Barquerolles, compétition de gondoliers ;
  • Les Sérénades et les Joueurs qui s'achève au Ridotto du Palazzo San Moisè (appelé « la Ridote » dans le livret) ;
  • L'Amour saltimbanque, sur la place Saint-Marc.


Le succès conduisit à ajouter de nouvelles entrées dès 1710 :

  • La Feste marine
  • Le Bal ou le Maître à danser
  • Les Devins de la Place Saint-Marc
  • L'Opéra ou la Feste à chanter
  • Le Triomphe de l'Amour et de la Folie


En 1729, une Cantate préalablement écrite fait office d'entrée ; en 1731, Le Jaloux trompé, remaniement d'une entrée composée pour complément les fameux Fragments de M. de Lully (1703, succès considérable pour le goût nouveau des divertissements à entrées). La dernière reprise complète (avant l'exhumation au XXe) a lieu en 1759, et l'œuvre est donnée par extraits au moins jusqu'en 1762, bien après la mort de Campra (1744) et Danchet (1748).

Outre le Prologue, la sélection faite par William Christie ne contenait trois entrées de 1710, dont une seule tirée de la première version de l'œuvre :

  • Le Bal ou le Maître à danser
  • Les Sérénades et les Joueurs
  • L'Opéra ou la Feste à chanter


Le Bal, sur fond de travestissement alla Marivaux (le puissant se déguise en valet pour éprouver l'amour de sa soupirante, mais ici les rangs sont bouleversés, et il aime bel et bien une petite servante), sert surtout de support à la joute jubilatoire entre le Maître de Musique et le Maître à Danser, dont les arguments sont soutenus par autant de citations du répertoire. On y retrouve notamment deux des moments les plus célèbres et spectaculaires de la tragédie en musique : la tempête d'Alcyone et les songes agréables & songes funestes d'Atys. D'autres citations parcourent l'œuvre, comme un pastiche frappant de l'Ouverture d'Atys en guise d'intermède dans l'entrée de « L'Opéra ou la Fête à chanter », des emprunts à Issé de Destouches (Sommeil et Scène d'après nature), autre immense succès, voire une basse obstinée très parente de celle des chaconnes du début du XVIIe italien (Merula, Rossi…)

Les Sérénades et les Joueurs met en scène un séducteur basse-taille, chose rare (le précédent lullyste, Roland, et son décalque Alcide dans Omphale, était surtout des guerriers : amoureux mais éconduits), mais que Campra aimait manifestement beaucoup (témoins le rôle-titre Tancrède et Pélops dans Hippodamie).
Tableau délectable, où deux femmes séduites, jalouses et suspicieuses, se rendent compte, dans une rue de Venise, qu'elles sont en réalité trompées pour une troisième (qui, elle, chante en italien !). Les scènes d'affrontement entre femmes ou avec l'amant sont assez électrisantes, remarquablement taillées par le grand librettiste qu'est Antoine Danchet, plutôt passé à la postérité pour ses œuvres sombres et sérieuses comme Tancrède et bien sûr Idoménée (le livret de l'Idomeneo de Mozart, une fois dûment ratiboisé par Varesco pour en faire un seria insipide, est directement emprunté à Danchet).
L'amant tancé reçoit donc le conseil d'aller plutôt taquiner la Fortune (dans toute son ambiguïté) au Ridotto (ouvert, ce n'est pas une coïncidence, pendant le… Carnaval de 1638) où s'achève l'entrée, dans un court second tableau.

Enfin L'Opéra ou la Fête à chanter nous gratifie d'un plaisant dispositif de théâtre dans le théâtre, où l'amour hors scène culmine dans un enlèvement pendant la représentation (où Borée s'empare de Flore), avec un panache romanesque digne… de la réalité (certes ultérieure).
La semi-parodie d'opéra pastoral est sans doute un peu plus difficile à digérer aujourd'hui, car elle est plus difficile à goûter autrement qu'au second degré, contrairement aux autres parties de l'œuvre.

Le plus étonnant est en réalité que la musique de Campra est d'une constante richesse et d'une très grande qualité : pour un opéra-ballet, on n'y entendra que très peu de remplissage pittoresque. La plupart des divertissements servent l'action, et les canevas sont très divers et virtuoses par rapport à l'usage du temps — et même des périodes ultérieures.
Je n'en attendais pas beauccoup sur ce plan, n'étant pas particulièrement friand de ce genre assez décoratif, et je dois admettre avoir été très impressionné.

Cette variété doit beaucoup aussi à William Christie et aux meilleurs talents des Arts Florissants (pardon pour les autres, mais Thomas Dunford et Béatrice Martin étaient dans la fosse !). Comme pour son second Atys, le parti pris est clairement celui de la grande diversité de procédés, dans une richesse exubérante qui me paraît plus contemporaine qu'authentique (les alternances de pupitre, les doublures des violons par l'aigu du clavecin, le grand nombre d'effets de textures et d'essais d'alliages… tout cela est très mobile et très « écrit », finalement, pour ce type de musique)… mais autant pour Atys on pouvait sentir que l'intensité du drame supportait facilement plus de sobriété, autant ici, cela sert au contraire l'exubérance des thématiques sollicitées par le librettiste et le compositeur : difficile d'en exalter mieux l'esprit versatile.

Quant au chant, il est inutile de détailler, les noms parlent d'eux-mêmes, c'est le meilleur du chant baroque qui défilait. Même des chanteuses dont j'ai plusieurs fois souligné l'émission ronde, voire la prosodie et l'expression un peu prudentes, comme Émilie Renard, Élodie Fonnard ou Rachel Redmond, donnaient ici au contraire le sentiment d'une appropriation complète du texte et de la musique entrelacés. [J'en profite pour recommander avec la dernière vivacité le disque d'airs de Kapsberger de Redmond, dont je n'ai pas eu encore le temps de parler, et qui est l'un des plus beaux jamais publiés dans ce répertoire.]
Cyril Auvity, Marc Mauillon (toujours la même clarté fulgurante, mais plus guère de métal superflu, et plus le moindre maniérisme), Emmanuelle de Negri (d'un abandon verbal remarquable, et beaucoup plus finement focalisée qu'autrefois, presque tranchante) m'apparaissent même au sommet de leurs moyens, de leur carrière, de leur style et de leur inspiration, de grandes figures dont on évoquera avec mélancolie le souvenir dans quelques années, comme celui d'un Âge d'or…

Pour que des musiciens dont les standards sont si élevés puissent encore surprendre en bien, pour qu'un ballet à entrées soutienne à ce point l'intérêt scénique, et pour qu'une musique de ballet puisse à ce point d'épanouir indépendamment même du visuel… on assiste à un petit miracle.

Pas besoin de publier d'extraits, mais ne le manquez pas sur CultureBox lorsqu'il y paraîtra.


1829 – Ferdinand Hérold – Le Pré aux clercs

Il a déjà été amplement question de Zampa ou la Fiancée de marbre, que je tiens pour le chef-d'œuvre de son auteur :

Structure.
¶ Un peu de musique et distribution de la version donnée dans la même maison.
¶ Une parodie de Don Giovanni.
¶ ... vu sous l'angle de l'humour en musique.
¶ « Comique mais ambitieux » : une plus vaste évocation des finesses musicales de la partition.

Mais le Pré aux clercs n'est pas en reste, et vaut bien davantage que les meilleurs Boïeldieu ou Auber. La seule notule qui lui est consacrée à ce jour l'est vraiment par le petit bout de la lorgnette, il faudra remédier à cela.

Intrigue virevoltante tirée de la Chronique du règne de Charles IX de Mérimée, musique assez rossinienne (mais plus variée et raffinée), très positive, ne dédaignant cependant pas la mélancolie ou la poésie. Si l'on aime la Dame Blanche de Boïeldieu, c'est comparable, mais sans les baisses de qualité – les scènes continues et les ensembles sont le point faible de Boïeldieu, mais le point fort d'Hérold. Deux disques d'extraits ont été disponibles par le passé (l'un avec Pasdeloup, l'autre avec Radio-Lyrique), absolument épuisés aujourd'hui ; il faut peut-être tenter en médiathèque.

Sinon, quelques rares bonnes représentations ont eu lieu (en particulier Serebrier à Londres, au début des années 90), les bandes radio sont parfois trouvables. Malheureusement, la plupart des documents sont bidouillés, puisque le monde musical (metteurs en scène inclus) ne sait manifestement jamais quoi faire des dialogues parlés dans ce type de répertoire, et particulièrement face à un public non locuteur...

L'Opéra-Comique frappe fort sur ce titre : je ne peux pas préjuger de la direction de Paul McCreesh que je ne crois jamais avoir entendu dans ce type de répertoire (à peu près dans tous les autres, en fait, mais pas dans celui-là...), en revanche la distribution impressionne par son calibrage parfait.

=> Marie-Ève Munger, une Lakmé (gros succès à Saint-Étienne tout récemment), pour le rôle de soprano colorature d'Isabelle Montal.
=> Jaël Azzaretti, profil un peu plus léger et étroit, pour le rôle de second (semi-)comique de Nicette.
=> Michael Spyres (Mergy), à la fois souple et héroïque, grand maître de ces rôles paradoxaux du répertoire français.
=> Emiliano Gonzalez-Toro pour le ténor grave Comminges, choix astucieux que ce timbre étrange et ce petit accent pour terrifiant bretteur.
=> Éric Huchet pour le ténor bouffe Cantarelli, du grand luxe – seul risque, qu'il couvre les autres, notamment dans le grand trio de ténors final.
=> Les chœurs, qui ont de belles parties intégrées à l'action, avec Accentus, une bénédiction à chaque fois.

Extrait d'une version inédite de la BBC enregistrée en 1987, le final mis en ligne sur la chaîne de CSS il y a quelques années (attention spoiler !) :


BBC 1987 — Nan Christie (Marguerite de Navarre) — Carole Farley (Isabelle) — Marylin Dale (Nicette) — John Aler (Mergy) — Paul Crook (Comminge) — Stephen Richardson (Girod) — BBC Symphonic Orchestra & Choir — direction José Serebrier



Et puis

Mais ce n'est pas tout. Parmi les choses sympathiques :

Suite de la notule.

dimanche 16 juin 2013

Zanetto de MASCAGNI et Abu Hassan de WEBER - Herblay, Collet, OstinatO


Brève tirée du fil de la saison complété.

Suite de la notule.

lundi 1 avril 2013

Ermanno WOLF-FERRARI - Il Segreto di Susanna


Wolf-Ferrari est mal diffusé aujourd'hui, moins à cause de son esthétique intermédiaire et mouvante (son italo-germanisme excède l'histoire familiale) qu'en raison de son appartenance à une partie de l'histoire de la musique que le disque documente bien aujourd'hui, mais qui demeure rare dans les concerts et dans la conscience des mélomanes.


Il Segreto di Susanna, version de la radio italienne avec Graziella Sciutti.


1. Situation générale

Chez les Italiens du premier vingtième siècle, on rencontre différents profils :

a) Les postverdiens.
Certains se contentés d'enrichir la palette sonore du dernier Verdi (avec des résultats généralement plus modestes), par exemple Montemezzi.

b) Les postpucciniens.
Même chose, beaucoup d'épigones de Puccini sur le marché, à commencer par son élève Alfano.

c) Les novateurs.
On y trouve bon nombre des véristes, en tout cas ceux qui sont les plus intéressants, et qui vont emprunter à la musique française (Leoncavallo dans I Medici). On y rencontre aussi des gens qui empruntent la même voie de réinterprétation du legs wagnérien que Richard Strauss (Zandonai, toutes proportions gardées), parfois en le précédant (Gneccchi dans Cassandra, source évidente d'inspiration pour Elektra).
Et puis ceux qui suivent plutôt les modes germaniques (Busoni, Casella).

d) Les néos.
Ce sont essentiellement ceux qui se spécialisent dans la musique instrumentale, et qui peuvent se retrouver dans d'autres catégories (par exemple Malipiero). Ils renouent avec le principe de la sérénade naïve, telle qu'elle pouvait être pratiquée du temps de Rossini. Il est vrai que la musique de chambre, en Italie, n'a jamais eu l'ambition formelle ou harmonique de la France ou de l'Allemagne, et a donc fort peu évolué dans le sens d'un art sophistiqué et toujours plus complexe.

Et un certain nombre (comme le wagnérien italianisant Perosi) reste assez difficile à classer.

2. Situation particulière

Wolf-Ferrari appartient à différentes catégories selon les types d'oeuvres.

Ses oeuvres instrumentales, telle sa délicieuse Suite-Concertino pour basson, sont clairement dans une esthétique néo-classique, très simple, assez joyeuse - le compositeur n'y intègre pas beaucoup de bizarreries ou de mélanges, il s'agit réellement d'oeuvres sans ampleur historique, mais d'un charme pénétrant.

Pour les opéras, la frontière est simple : les oeuvres sérieuses, comme Sly (d'après la matière de The Taming of the Shrew de Shakespeare, mais traitée de façon tragique), qui a connu un regain d'intérêt lorsque Josep Carreras, à la fin des années 90, en a fait son nouveau cheval de bataille, sont écrites dans un style post-puccinien emphatique et un peu terne, sans intérêt majeur à mon sens. En revanche les oeuvres comiques, qui sont restées les plus célèbres, exploitent une veine néo- avec beaucoup de bonheur. Sont surtout renommés (mais très peu joués !) les cinq Goldoni (I quatro rusteghi, mais aussi Il campiello, La vedova scaltra, Le donne curiose et Gli amanti sposi) qui jalonnent sa carrière, mais il a également écrit sur des sujets de Lope de Vega, Molière, Perrault (deux fois) et Musset.

C'est le cas d'Il Segreto di Susanna (« Le Secret de Suzanne »), l'une de ses rares oeuvres à avoir joui très tôt d'un enregistrement (deux versions commercialisées dès les années cinquante).


Extraits de Sly au Liceu par Josep Carreras.


3. Il Segreto di Susanna (1909)

La première fut en allemand, au Hoftheater de Munich, sous la direction de Felix Mottl (l'immortel orchestrateur des Wesendonck-Lieder).

L'intrigue, contemporaine de l'oeuvre, est une petite construction pour deux personnages (Susanna et son mari le comte Gil). Enrico Golisciani, le librettiste, laisse tout de suite percevoir quel est le secret (avec l'éventualité, mais très vite repoussée, d'ajouter l'adultère à la cigarette), et le plaisir théâtral se trouve dans la succession de scènes de jalousies attendues et de stratagèmes éventés pour parvenir à la minuscule révélation finale.

Musicalement, l'ensemble se caractérise par de très belles couleurs (harmoniques et orchestrales) archaïsantes, qui évoquent l'opéra de Rossini tout en l'intégrant dans un discours continu beaucoup plus raffiné. L'ensemble, d'une très grande vivacité, porte l'intrigue avec un charme infaillible.

Wolf-Ferrari en a profité pour s'amuser à parsemer la pièce de références, comme cette parodie de la « calunnia » du Barbier de Séville (lorsqu'il est question des premiers doutes), avec ses fusées de flûte et de cordes, ces ornements de Susanna sortis tout droit de la cavatine de Rosina (« vipera sarò »), et d'une manière générale beaucoup de références, dans le style ou dans les citations, aux grands moments de l'opéra bouffe du premier XIXe. L'un des thèmes récurrents consiste en une forme de fusion entre la sérénade d'Almaviva (« Ecco ridente il cielo ») et la cavatine de Nemorino (« Quanto è bella »).
Et au moment de la question du secret peut-être amoureux, surgit la citation malicieuse du thème de Tristan, évidemment.

Mais sans ces référence, la légèreté et la vivacité de cette musique communiquent quelque chose de vraiment délicieux, pour ne pas fire jubilatoire - particulièrement avec la présence de la scène, bien sûr.

4. Production de Favart (29 mars 2013)

Suite de la notule.

lundi 3 décembre 2012

Offenbach - Les Contes d'Hoffmann - aux sources du livret


Ce texte fait suite au point général sur la genèse et les multiples éditions de l'oeuvre. Il y a été dupliqué pour faciliter la lecture.

4. L'adroit fatras du livret

Car du côté du texte également, l'ouvrage ne se signale pas par la simplicité la plus pure.

Le livret des Contes provient directement (comme Faust de Gounod !) de la pièce de 1851 Jules Barbier et Michel Carré - qui se sont mainte fois signalés dans l'adaptation des grands standards littéraires : Goethe (Faust, Mignon), Hoffmann, Shakespeare (Roméo et Juliette, Hamlet), Molière (Le médecin malgré lui), Corneille (Polyeucte)...

Le principe de la pièce est discutable mais astucieux : une collection de personnages et de situations tirés des nouvelles d'Hoffmann, et reliés par l'unification du héros amoureux - devenu Hoffmann lui-même (pour des raisons de publicité, je suppose). Ce choix n'est pas totalement arbitraire, dans la mesure où les récits à la première personne, avec des héros empruntant certains traits à leur auteur, ne sont pas rares chez Hoffmann.

Les auteurs se sont néanmoins amusés, dans le cadre de cet usage un peu sauvage de trames et de personnages qui ont tout juste le temps d'être caractérisés (là où Hoffmann travaillait finement son art du climat), à glisser nombre de références, au delà des intrigues qui servent de support aux trois femmes.

Acte d'Olympia :
- Fondé sur « Der Sandmann » (« L'Homme au sable ») des Nachtstücke (Contes nocturnes, 1817), où le héros rencontre Spalanzani (physicien obsessif) et Coppelius (démiurge de l'optique).

Acte d'Antonia :
- Fondé sur « Rat Krespel » (« Le Conseiller Crespel », plus célèbre sous le titre « Le violon de Crémone »), l'une des nouvelles les plus célèbres d'Hoffmann, tirée de Die Serapionsbrüder (Les Frères Sérapion, 1819). Dans le texte original, l'interdit qui règne est bien plus subtil, et nimbé de mystère et de culpabilité pour le héros, le personnage de Crespel plus enthousiasmant aussi, mais l'objet final constitue en réalité une transposition adroite de la matière vers l'efficacité scénique d'un drame musical, avec ses moments suspendus.
- Cela se fait avec l'introduction de la figure très opératique du Docteur Miracle, inspiré du personnage d'Ottmar, en communication avec des régions mystérieuses dans « Der Magnetiseur » (1814, publié dans les Fantasiestücke in Callots Manier), qui permet de mettre en branle toute la machinerie tragique, de façon plus spectaculaire qu'avec le sobre récit postérieur de Crespel.
- La mort de trop chanter se trouve également dans le « Don Juan » du recueil Callot.

Suite de la notule.

dimanche 2 décembre 2012

Offenbach - Les Contes d'Hoffmann - la (nouvelle) nouvelle édition Keck


A l'occasion des représentations par Minkowski et les Musiciens du Louvre, un petit point sur cette partition, l'une des moins fixes de tout le répertoire.


Revoici l'extrait mis en ligne cet été pour CSS : Mireille Delunsch sous la direction de Marc Minkowski à Lausanne en 2003, précédente version Keck. En attendant un peu de la nouvelle.


1. La création

D'ordinaire, les musicologues se réfèrent au manuscrit original, au matériel de la création, ou à la dernière révision du compositeur (ou approuvée par celui-ci). Il est donc possible de fixer éventuellement plusieurs éditions, mais toutes cohérentes : l'oeuvre originale, l'oeuvre originale rectifiée par la scène, l'oeuvre remaniée...

Pour Les Contes d'Hoffmann, ce n'est pas possible.

En 1873, Offenbach contacte Jules Barbier (survivant du duo Barbier-Carré, célèbre pour ses succès notamment avec Meyerbeer et Gounod) pour qu'il adapte sa propre pièce de 1851. Le but pour Offenbach est de triompher à l'Opéra-Comique où il n'a connu que des succès mitigés, mais il prévoit également d'écrire des récitatifs pour remplacer les dialogues parlés typiques de la facture opéra-comique, et pouvoir exporter son opéra à Vienne et Londres.

Mais il advient revers sur revers, et tour à tour le changement de direction de l'Opéra-Comique, l'impossibilité au Théâtre-Lyrique, la faillite de la Gaîté-Lyrique en 1878 repoussent le projet. C'est finalement l'Opéra-Comique qui endosse définitivement la création (avec commande ferme de la version en récitatifs pour le Ringtheater de Vienne) ; mais son célèbre directeur Léon Carvalho demande en échange des changements dans les profils vocaux des personnages.
Hoffmann, à l'origine un baryton (promis à Jacques Bouhy, créateur d'Escamillo et de Don César de Bazan de Massenet), devient ténor pour Alexandre Talazac (après ses succès en Roméo de Gounod). Stella doit être confiée à Adèle Isaac, soprano colorature à large ambitus (alors que les quatre rôles étaient semble-t-il prévus pour une voix plus large et sombre), et le rôle d'alto de Nicklausse est offert à la jeune prodige Marguerite Ulgade, soprano léger (d'où les nombreux changements d'airs selon les sources).

Pendant les répétitions de 1880, l'oeuvre subit des ajustements de la main du compositeur, mais celui-ci meurt au début du mois d'octobre. Auguste, son fils, confie l'achèvement des retouches à Ernest Guiraud (qui composera également les récitatifs pour Vienne), et Carvalho, inquiet de la longueur de l'ouvrage, décide de couper l'acte de Venise, contre l'opinion de Jules Barbier - puisque cela déstabilise toute le concept même de l'ouvrage.

Excellent accueil néanmoins à la création de 1881.

En 1887, le théâtre brûle, avec le matériel d'orchestre de la création, irrémédiablement perdu.

Malgré les succès des Contes d'Hoffmann, il faut attendre qu'Albert Carré en programme une nouvelle procduction en 1911, dirigée par Albert Wolff, pour que l'ensemble des actes soient donnés.

2. Etats de la partition

Rien qu'en s'en tenant à l'époque de la création, on dispose donc de plusieurs sources partielles et contradictoires.

1) La partition d'origine pour piano et chant, avec Hoffmann baryton (1879).

2) La partition pour piano et chant avec les nouvelles tessitures (1880).

3) La partition pour piano et chant avec les ajustements de la création (1880), mais ajustements incomplets.

4) La partition avec les dernières mises au point de Guiraud (1881).

5) La partition avec récitatifs de Guiraud.

On ne dispose donc pas de l'orchestration originale. Tout ou partie de ces partitions ont été perdues, et parfois retrouvées au fil des ans (1970, 1984, 1993, 2004 !).

Par ailleurs, l'oeuvre finale comporte des ajouts, par exemple le superbe sextuor apocryphe de l'acte de Venise, dû à Raoul Gunsbourg (par ailleurs compositeur d'opéras, son Ivan le Terrible est réellement intéressant) qui l'introduisit lors de la création des Contes à l'Opéra de Monte-Carlo (1904) dont il était directeur.

Considérant que ces versions sont fragmentaires et mutuellement exclusives, il est compliqué, aussi bien pour les musicologues que pour les chefs d'orchestre, d'opérer des choix cohérents - d'autant qu'il existe plusieurs versions alternatives pour chaque section.

3. Les éditions du marché

=> L'éditeur Choudens a proposé plusieurs versions de l'oeuvre. Les premières ne contiennent pas l'acte de Venise, et sont assez fragmentaires aussi sur la musique que nous connaissons aujourd'hui.

=> La cinquième édition Choudens (1907) est celle qui fait référence, jouée partout dans le monde, sauf expériences musicologiques. Au fil des ans, elle s'enrichit des restitutions d'autres éditions, mais demeure la base de la plupart des représentations des Contes.
- L'acte de Venise y est placé comme la deuxième rencontre féminine (devenant une initiation de jeunesse et non plus la marque déliquescente d'un héros vieillissant comme dans le projet originel), et non en troisième position. Il est de plus en plus fréquent désormais que les actes soient remis dans leur ordre "légitime", même en utilisant cette édition. Les ajustements de Guiraud comprennent la réitération de la fameuse barcarolle empruntée aux Rheinnixen, avec en particulier un très beau mélodrame servant de support à la mort en duel de Schlémil.
- En cet état, le livret comporte plusieurs manques étranges et petites incohérences dans les références des répliques.
- Toutes les versions d'avant les années 70 l'utilisent, et un grand nombre par la suite (avec quelques amendements éventuels) - étant libre de droits et déjà acquise par les théâtres, la tentation est forte d'en rester là.

Suite de la notule.

jeudi 1 décembre 2011

Haÿdée de D.F.E. Auber : somnambulisme et polytonalité


Un cas très étonnant de polytonalité (pas forcément littéralement, mais bien ressentie comme telle par l'auditeur), en 1847, dans un opéra comique sérieux qui s'apparente beaucoup à un Grand Opéra à la française (avec dialogues remplaçant les récitatifs, donc).

Illustré par un inédit, seul enregistrement jamais réalisé de cette oeuvre (Compiègne 2004).

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1. Contexte

Daniel-François-Esprit AUBER

Haÿdée ou Le Secret - (1847, à l'Opéra-Comique)

Livret d'Eugène Scribe d'après la traduction par Mérimée d'une nouvelle russe, Six et quatre, dont la matière a de toute évidence inspiré la célèbre Partie de tric-trac (où le coup gagnant du tricheur est également un six-et-quatre).

Nous sommes à la fin de l'acte I : Lorédan, valeureux amiral vénitien, est épié par son capitaine Malipieri, jaloux de ses succès. Après un air de menace, celui-ci aperçoit Lorédan en crise de somnambulisme, en train de revivre un souvenir douloureux...


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2. Polytonalité

Dans l'extrait, à partir de 8'20'', l'orchestre ne joue pas faux. En réalité, tandis que la mélodie orchestrale reprend en ut majeur (comme lors de la deuxième exécution du thème), l'accompagnement contient un la bémol qui donne l'impression d'entendre simultanément un fa mineur (donné juste auparavant).
La ligne mélodique n'est d'ailleurs plus chantée par Lorédan, les flûtes figurent le souvenir du chant de ses soldats, lui-même se contentant de répéter ce la bémol dissonant.

On obtient ainsi une superposition très étrange, surtout dans le style, qui figure remarquablement la superposition des strates du rêve de Lorédan (la chanson initial et la culpabilité), ainsi que son trouble intense dû à sa conscience tourmentée.

Cet espèce de nuage qui entoure le retour de la chanson initiale est aussi étonnant qu'admirable, surtout dans le cadre du langage assez sobre harmoniquement qui est celui d'Auber.

Un moment assez hors du commun dans l'écriture musicale de l'époque, du moins avant la Sonate en si et Tristan - qui changent complètement les normes de la dissonance et de la liberté harmonique dans la musique du XIXe siècle.

On peut également le rapprocher du phénomène de la musique subjective, puisque nous entendons les sons tels que déformés par les souvenirs malades de Lorédan.

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3. Scribe & Auber

On remarque la vogue désormais des "grands sujets" à l'Opéra-Comique, qui s'amorce depuis Hérold (Zampa ou La Fiancée de Marbre, immense succès en 1831 et jusqu'au début du XXe siècle, était également de tonalité assez grave, et Le Pré aux clercs comportait aussi des traits sérieux, comme le rang des personnages ou le réalisme et l'issue du duel final). Haÿdée a les dimensions dramatiques d'une tragédie, à ceci près que le ressort en est le secret, voire le quiproquo (Lorédan se confiant dans son sommeil à son ennemi), davantage attaché à l'imaginaire comique.

Cette oeuvre est la plus audacieuse d'Auber, du moins à ce jour dans tout ce que j'ai pu entendre ou lire de ses partitions. On trouve quelquefois des trouvailles assez saisissantes, telle la « Ballade des Enfants de la Nuit » dans Les Diamants de la Couronne (livret co-écrit par Scribe), mais jamais des hésitations harmoniques comparables à cette Haÿdée - jusque dans les chants de victoire du début de l'acte II, on entend des bizarreries, en tout cas une harmonie qui n'est pas fondée, comme c'est d'ordinaire l'usage dans ce type de pièces, sur une gamme à peu près sans altérations accidentelles...

L'écriture de Scribe est ici totalement représentative de ses fulgurances et de ses fragilités : vers brefs aux rimes très chiches (on n'échappe pas à quelques rimes "impures" pour l'oeil, ni même à "amours / toujours"), mirlitonisantes, mais puissance motrice assez incroyable de l'intrigue, avec une concentration des enjeux toujours très efficace. Voilà un maître de la tension scénique, et de la tension riante de surcroît, jamais dépourvu de recul sur ses personnages : même lorsque Lorédan s'apprête à réaliser sa forfaiture, on le voit bien dire d'un air faussement surpris "ah, six et quatre !", ce qui ne peut pas être pris tout à fait au sérieux. Alors même que le situation croquée reste sombre et réellement émouvante.

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4. Texte

Pour pouvoir suivre, le livret :

Suite de la notule.

mercredi 12 octobre 2011

La (double-) double genèse de l'opéra comique


Dans ces pages, on a déjà eu l'occasion (à plusieurs reprises) d'expliciter le caractère spécifique de la genèse de l'opéra comique.

En parodiant l'opéra de l'Académie Royale de Musique, les artistes des Foires parisiennes du début du XVIIIe siècle, constamment limités par les interdictions imposées par les détenteurs de privilèges, vont progressivement inventer un nouveau genre autonome - issu de la rencontre improbable entre la commedia dell'arte et de la parodie de l'opéra sérieux.

C'est la raison pour laquelle ce genre lyrique nouveau, fusionnant avec les Comédiens-Italiens (avec lesquels ils partageaient une ascendance italienne, sans être confondus), se développera dans une alternance d'ariettes et de dialogues parlés, qui ne proviennent pas de l'abandon du récitatif, mais bien de sa forme initiale - usage d'airs connus isolés.

Première double genèse.

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Et cependant... comment naît le genre institutionnel de l'opéra comique ?

Le directeur du théâtre de la Foire Saint-Laurent, Jean Monnet, avait obtenu licence du roi en 1751 pour réinvestir l'Opéra-Comique.

Au coeur de la Querelle des Bouffons, il demande à Antoine Dauvergne d'écrire un ouvrage dans le style des intermèdes italiens, et fait courir le bruit qu'un compositeur italien qui a recueilli de grands succès à Vienne s'était essayé à la langue française.

L'ouvrage reçoit un vif succès, et prouve aux partisans des Italiens que non seulement on peut composer agréablement en français, mais que de surcroît les compositeurs français - une fois la tromperie révélée - peuvent y parvenir eux-mêmes.

Or, et c'est là que tout se complique, Les Troqueurs comportent, comme l'opéra bouffe italien, des récitatifs chantés. Et s'ils disparaissent rapidement dans les ouvrages suivants, car n'étant pas passionnants, ni musicalement, ni - croyait-on - prosodiquement, un certain nombre de premiers titres de ce genre en contiennent.

Seconde double genèse, d'un ouvrage français d'esthétique italienne par un français.

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Il se produit donc à nouveau un télescopage entre traditions : d'un côté la tradition de la Foire (parodie de l'opéra français avec des comédiens italiens), dotée d'une structure de type vaudeville, où l'ariette préexiste au drame, et où le "remplissage" se fait au moyen de dialogues parlés ; de l'autre la tradition "purement" italienne où le récitatif existe, et va disparaître progressivement... pour retrouver la tradition du vaudeville.

mercredi 5 octobre 2011

Grétry : Panurge, la fin des préjugés - Sacchini : Renaud, la fin de l'espoir


Extraits sonores fournis.


Ensemble à l'acte I de Panurge dans l'Île des Lanternes de Grétry. Le Concert Spirituel, Hervé Niquet.
La représentation n'étant en principe pas documentée par France Musique, je prends la liberté de vous en proposer des extraits à titre d'illustration, afin de ne pas laisser perdre ce beau travail d'exhumation. La qualité n'est pas pas parfaite, et ne rend pas justice en particulier aux équilibres, à l'articulation des chanteurs, ni au grain des cordes. Bien évidemment, si l'un des ayants droit ne souhaite pas cette publication (à mon sens à leur avantage, mais ils sont seuls juges), je le retirerai immédiatement.


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1. Etat des lieux

D'André Ernest Modeste Grétry, l'Histoire commune n'avait retenu, jusqu'à 2009, qu'un musicien galant assez fade, dans la succession du Devin du Village de Rousseau. Tout ce qu'on pouvait trouver au disque était son Richard Coeur de Lion, opéra-comique dont le livret de Sedaine, assez malingre n'était pas fait pour exciter l'admiration.

L'oeuvre n'était même pas célèbre pour ses qualités intrinsèques : l'air de Blondel "Ô Richard, ô mon roi" était devenu l'air de ralliement des royalistes dans les années 1790 (il était de surcroît commode de remplacer Richard par Lou-is), devenant ainsi un pan d'histoire politique. Et, sur le versant plus musical, la Dame de Pique de Tchaïkovsky rendait marquante l'ariette de Laurette "Je crains de lui parler la nuit", démembrée et allentie par la vieille comtesse éponyme, en proie aux souvenirs.

EMI avait, comme pour Richard, publié L'Amant jaloux, autre comédie propre à conforter les clichés (dans un genre plus proche du vaudeville galant que de la pastorale). Mais l'exécution en était si lourde et le style tellement incompatible avec la grâce fragile de cette musique que toutes les fulgurances en passaient absolument inaperçues. Même après en avoir écouté l'interprétation adéquate (et inspirée) de Jérémie Rhorer, il reste impossible de se plonger sérieusement dans ce disque...
La situation était moins critique pour Zémire et Azor, à défaut d'être complètement enthousiasmante au disque. L'oeuvre a également été donnée lors de cette même saison de l'Opéra-Comique.

Enfin, La Caravane du Caire gravée par Minkowski ne révélait pas une musique extraordinaire (loin s'en faut !) et souffrait grandement des conditions figées du studio.

Puis vint la saison d'automne 2009 du CMBV, qui proposa coup sur coup plusieurs chefs-d'oeuvre qui révolutionnèrent complètement la perception de Grétry. Perception qui se révéla complètement erronée. Car non seulement Grétry n'est pas un musicien superficiel, mais de surcroît il est l'un des compositeurs les plus raffinés, les plus inspirés et les plus modernes du second XVIIIe siècle.

D'abord vint Andromaque (1780), coup de tonnerre auquel on a consacré plusieurs notules, toutes réunies dans cette catégorie (la liste des articles figure sur cette page) : l'oeuvre annonçait Berlioz, déployait quelques audaces en matière d'orchestration, proposait pour la première de la "musique subjective", et se montrait pourvue d'un haut sens dramatique et réutilisant amplement le matériau littéral racinien. Dans le même temps, l'Opéra Royal de Versailles proposait le ballet héroïque (véritable opéra en réalité) Céphale et Procris (1775), dont les qualités musicales, en particulier dans les récitatifs, se révélaient encore plus hautes. Des extraits de Guillaume Tell (1791) par Sébastien d'Hérin et ses Caractères avaient aussi mis en valeur une partition manifestement inégale, mais pourvue par endroit d'un grand souffle (l'air de Gessler !).

Enfin, la production scénique et stylistique adéquate de L'Amant jaloux (1778) à l'Opéra-Comique réhabilitait l'intérêt du Grétry comique ou léger.

Depuis, de nombreux autres titres sont exhumés (diversement intéressants) : Grétry a repris son rang de compositeur majeur de l'ère Louis XVI. Les partitions étant sensiblement plus difficiles à dénicher que pour les oeuvres du XIXe siècle - et le rendu bien moindre sans le truchement d'interprètes de valeur -, les lutins de CSS suivent donc avec avidité les nouveaux concerts autour de cette grande figure.

[D'autres disques ont paru, mais ne sont plus guère disponibles, par exemple ceux jamais réédités en CD, et notamment ce Panurge, comme la version de Jacques Houtman avec l'Orchestre de Chambre de la RTBF en 1972, distribuant notamment Julien Haas, Jean Ségani et même... Jules Bastin !]

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2. Grétry : Panurge dans l'Île des Lanternes (1785)

Hervé Niquet avait décidé de clore son concert d'hier (4 octobre 2011) par cinquante minutes extraits de cette oeuvre, dernier membre d'un triptyque de comédies lyriques qui imposa le genre pour la première fois sur la scène de l'Opéra (et non dans les salles spécialisées). Après l'Embarras des richesses et la Caravane du Caire, Grétry composa donc cette troisième comédie, dont le nom, évocateur des adaptations de la Foire plus que de la fine comédie de moeurs, fait peu attendre.

C'est à tort, car il s'agit ici encore d'une partition profondément originale.

D'abord, ses parentés musicales se trouvent souvent dans le futur. Bien sûr, dans la structure dramatique, on retrouve les marivaudages à la mode, et l'on songe à Così fan tutte, mais le livret de Chédeville ne semble pas exploiter bien loin les enjeux psychologiques, les abîmes ouverts par Da Ponte. Musicalement, on entend des trilles façon Osmin, ou certains bondissements pointés présents chez Leporello. Rien cependant de furieusement mozartien, à part qu'ils partagent un langage classique assez parent.
Je suis également frappé de la tournure très beethovenienne de l'introduction de l'air jaloux dévolu à l'épouse de Panurge : on songe très fort au larghetto de la Deuxième Symphonie ou à Fidelio. D'une façon générale, Grétry utilise comme Beethoven (sans bien sûr les construire de façon aussi récurrente et rigoureuse) quantité de petits motifs orchestraux, soit pour apporter de la couleur orchestrale, soit pour donner du caractère à l'accompagnement.


Katia Vellétaz, épouse délaissée de Panurge et réduite en esclavage, dans son grand air.


Dans ce même morceau, on entend de grands sauts d'intervalle vocaux, à la façon de "Dopo un'orrida procella de Vivaldi, ou des airs dans le goût de Lucio Silla'' chez Mozart...

Car de nombreux traits rattachent tout de même Grétry à son temps. Ainsi l'usage d'une pythonisse (la femme de Panurge déguisée, qui permet d'apitoyer le volage), d'une présence assez joyeuse, sans être tout à fait parodique non plus : le propos est riant, mais la figure de la prêtresse n'est nullement tournée en ridicule, comme si Chédeville avait tiré tout le parti comique d'une institution tout en se gardant d'abîmer les souvenirs qu'elle évoque dans le grand genre.

Enfin, l'on retrouve les qualités propres à Grétry, ces belles fusées, ces motifs spirituels, et tant de détails conçus pour conserver une poussée constante à l'ensemble - souci dont semble totalement dépourvu Sacchini, quel contraste entre les deux compositeurs joués par les mêmes interprètes le même soir !

Le final tendre serait assez étonnant si l'on n'avait pas encore dans l'oreille Ismène et Isménias de La Borde, témoignage essentiel de l'écriture de la troisième école chez un compositeur qui n'adopte pas la mode galante de Rameau ou Mondonville.

Mais surtout, c'est cet orage de réjouissances qui produit un effet totalement inédit. A cause de l'oracle, tandis que l'orchestre se déchaîne dans une superbe section en mineur menaçant - avec des zébrures impressionnantes de flûtes et de cors (encore une trouvaille, qui évoque un peu la mort de Pyrrhus) -, les personnages manifestent leur joie ("ah ! quel bonheur !").
Ce moment est réellement stupéfiant, à une époque où l'on utilise essentiellement les tonalités majeures, même pour manifester le tourment ou l'affliction.


L'orage paradoxal de l'acte I.


La section est assez courte, et la suite de la scène de l'orage est dominée par une sorte de marche très tapageuse et entraînante, dans un majeur éclatant, une chose beaucoup plus "normale" cependant. Mais ces instants d'originalité, comme souvent dans les oeuvres abouties de Grétry, sont assez profondéments marquants.

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3. Antonio Sacchini : Renaud ou la suite d'Armide (1783)

Suite de la notule.

jeudi 14 juillet 2011

Fête Nationale par Jean-Michel Damase


J'ai placé en ligne il y a quelques jours cet extrait tiré d'Eugène le Mystérieux, feuilleton musical de Jean-Michel Damase pour la radio (1963-1964), des scènes musicales sur des textes de Marcel Achard, d'après le roman Les Mystères de Pari d'Eugène Sue.

Il se trouve qu'il est particulièrement concordant avec l'ordre du jour, alors si certains aiment la couleur locale des éphémérides, en voici :


Illustration :
Combat pour l'Hôtel de Ville le 28 juillet 1830
de Jean-Victor SCHNETZ
1834, huile sur toile
Paris, musée du Petit Palais


Un hymne vraiment prenant, qui remplacerait avantageusement, aussi bien pour sa musique plus adroite que pour son texte plus positif, l'actuel. Il faudrait sûrement supprimer la référence réprobatrice à l'anarchisme, puisqu'il s'agit ici d'une marque de contexte du roman, qui excèderait le cadre fédérateur d'un hymne national.

L'hymne actuel ne sera pas remplacé - l'adoption de la ligne mélodique Berlioz sur "jusque dans nos bras" serait le maximum qu'on puisse espérer en matière d'ajustement...
Mais quoi qu'il en soit, musicalement, ce chant assez primesautier reste délectable hors contexte, c'est déjà beaucoup.

Sur le plan de l'exécution, vous noterez l'usage de [R] uvulaires non vibrés (quelquefois grasseyés en appui sur consonne, comme pour "patrie"), qui donne un aspect plus populaire à l'élocution - très nettement pour la basse, qui joue le Chourineur. J'aime beaucoup la façon, typique de l'école française, dont le ténor antériorise le [ou] : il prononce "bouge" en faisant tirer le [ou] vers le [u], la voyelle frémit réellement.

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Compléments :

  • Sur Les Mystères de Paris de Sue (avec illustration sonore de Damase).
  • Un parallèle entre Woyzeck et Les Mystères de Paris (illustrations de Gurlitt et Damase).
  • Hymne patriotique (moins bon enfant, mais rengaine obsédante...) de Charles VI d'Halévy, par l'équipe des lutins.
  • La Marseillaise de KODÁLY Zoltán : A szabadság himnusza.


lundi 20 décembre 2010

Histoire de l'opéra français : essai de schéma


On parle beaucoup du sujet sur CSS, mais finalement, on n'a pas encore dressé de point de vue surplombant pour reclasser tous ces gens dans leur époque et leur style.

Voici donc une très rapide nomenclature, proposée sur un site voisin, avec un ton un peu informel.

Suite de la notule.

dimanche 17 octobre 2010

Luigi CHERUBINI - Lodoïska - comédie héroïque d'après Faublas - (TCE 2010, Rhorer)


La soirée, dans un Théâtre des Champs-Elysées rempli au quart (sans exagérer !), réunissait une distribution d'un luxe incroyable.

Mais voyons d'abord l'oeuvre.

1. Sources

Car c'est encore une oeuvre d'une modernité extrême qui est proposée par les musiciens spécialistes de l'exhumation. Créée en 1791 au Théâtre Feydeau ouvert cette même année, elle repose sur un roman-mémoire libertin tout récent, Les Amours du Chevalier de Faublas de Louvet de Couvray (publié de 1787 à 1790 !), qui a sa célébrité chez les amateurs du genre et de la période.


On imagine bien ce qu'il peut rester d'un roman foisonnant où le style et la profusion des événements créent l'intérêt, sans parler même de la première personne à convertir en personnage inconsistant...

Eh bien non, on n'imagine pas. Car le livret est l'un des plus ratés qu'il m'ait été donné de lire ou d'entendre. Une succession de poncifs : la belle captive trouvée par hasard, le sauveteur piégé à son tour, les échappatoires très peu convaincantes, l'humour forcé pour entrer dans le cadre du genre comique, le méchant gouverneur et son sbire, la cavalerie qui arrive à temps. Tout cela étant exploitable en théorie, mais ici présentés sans enjeu, avec une platitude extrême aussi bien concernant le drame que la langue. Seule surprise, l'absence de moralité édifiante à la fin de l'ouvrage, où tout le monde se contente d'exulter que le méchant termine toute sa vie en prison (!), d'une façon, il faut le dire, bien mesquine. Où diable sont passés les turcs généreux d'antan [1], c'est ceci qu'ont donc produit les Lumières ?

Tout simplement, le livret de Claude François Fillette-Loraux n'utilise qu'un épisode assez laconique mais très intense du roman-mémoires, le récit de Lovzinski (devenu Floretski à la scène).

— Pulauski, continua Lovzinski, voyant ses espérances détruites et les Russes maîtres de sa patrie, disparut de Varsovie pour réunir les Polonais (fidèles et tenta la fortune contre l'envahisseur. Mais outre que je souffrais de sa disparition à cause de l'affection que je lui portais à lui-même, ce qui augmentait mon désespoir, c'était l'enlèvement de celle que j'aimais et que je craignais de ne plus revoir. Mais combien ma douleur fut plus grande lorsque j'appris que Lodoïska était tombée entre les mains d'un misérable appelé Dourlinski. Cet homme, abusant de la confiance de Pulauski, qui avait remis sa fille entre ses mains, l'avait enfermée dans une tour obscure, mettant sa liberté au prix de son honneur. Je parvins à m'introduire, avec mon serviteur Boleslas, dans le château de ce Dourlinski qui me reconnut et me jeta dans un cachot, tandis qu'il ordonnait à Lodoïska de se préparer à lui appartenir.
« Cependant, des trois jours que Dourlinski avait laissés à Lodoïska pour se déterminer, deux déjà s'étaient écoulés; nous étions au milieu de la nuit qui précédait le troisième; je ne pouvais dormir, je me promenais dans ma chambre à grands pas. Tout à coup j'entends crier aux armes ; des hurlements affreux s'élèvent de toutes parts autour du château ; il se fait un grand mouvement dans l'intérieur ; la sentinelle posée devant nos fenêtres quitte son poste ; Boleslas et moi, nous distinguons la voix de Dourlinski ; il appelle, il encourage ses gens, nous entendons distinctement le cliquetis des armes, les plaintes des blessés, les gémissements des mourants. Le bruit, d'abord très grand, semble diminuer ; il recommence ensuite : il se prolonge, il redouble ; on crie victoire! Beaucoup de gens accourent et ferment les portes sur eux avec force. Tout à coup à ce vacarme affreux succède un silence effrayant : bientôt un bruissement sourd frappe nos oreilles ; l'air siffle avec violence ; la nuit devient moins sombre ; les arbres du jardin se colorent d'une teinte jaune et rougeâtre; nous volons à la fenêtre : les flammes dévoraient le château de Dourlinski ; elles gagnaient de tous côtés la chambre où nous étions, et pour comble d'horreur, des cris perçants partaient de la tour où je savais que Lodoïska était enfermée... »
Ici M. du Portail fut interrompu par le' marquis de B***, qui, n'ayant trouvé aucun laquais dans l'antichambre, entra sans avoir été annoncé.

Et on n'en découvre le bref épilogue que soixante-dix pages plus tard :

Ce récit avait été interrompu au moment où la tour, prison de Lodoïska, était en flammes ; par bonheur, des Tartares étaient arrivés, s'étaient emparés du château de Dourlinski et avaient délivré les deux amants.

Ce style alerte et fougueux se perd évidemment dans la plate adaptation qui rallonge à n'en plus finir une trame à laquelle il n'ajoute que des airs convenus et une scène d'empoisonnement totalement ratée.

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2. Livret et musique

Il est vrai que l'oeuvre de Cherubini perd énormément en équilibre à cause de la suppression complète des dialogues qu'il avait prévus entre les numéros musicaux, matérialisés par une à deux (!) phrases parlées (et sonorisées). On voit bien ce que cela entraîne comme déséquilibre esthétique.

Mais la musique se révèle en revanche un condensé de formules nerveuses très neuves qui préfigurent Beethoven de façon assez saisissante, avec en particulier le grand interlude guerrier qui passe de loin toutes les luttes et tempêtes du répertoire composées avant le Vaisseau Fantôme de Wagner ! Beaucoup de choses à en exploiter, qu'on ne remarque pas assez à cause de la platitude du propos qu'elles servent. Dix ans après Andromaque, c'est encore un saut qualitatif bien plus vertigineux, vers quelque chose de très moderne et de déjà romantique. La tragédie lyrique n'est plus, et une esthétique plus libre et plus mêlée est née - le sous-titre l'indique très justement : "comédie héroïque". Le sublime et le grotesque cohabitant dans les mêmes numéros, le goût des nuances dynamiques, les figures de paroxysme, les ensembles sans symétrie... le classicisme est clairement derrière nous.

Malgré quelques tunnels (l'ensemble du poison, d'un bon quart d'heure, est assez interminable, ni oppressant ni drôle avec ses trois sbires empesés), l'oeuvre trouve de grands moments notamment dans le final du premier acte, tout le deuxième acte (ses beaux airs et ses ensembles, sauf le quintette du poison), et la bataille du troisième.

On pense tout de même que l'oeuvre serait extrêmement percutante à la scène, grâce à sa musique. On pourrait en particulier en faire une version Regietheater facilement, et si la direction d'acteurs en est assez active, il y aurait réellement de quoi représenter quelque chose de trépidant en dépit du livret misérable.

En l'état, c'était à la fois fascinant et assez peu touchant, bien moins qu'un Grétry pas du tout novateur comme L'Amant Jaloux...

C'est en tout cas la plus belle oeuvre de Cherubini qu'il nous ait été donné d'entendre avec ses deux Requiem.

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3. Exécution musicale

Notes

[1] Cf. Les Indes Galantes de Rameau, Die Entführung aus dem Serail, et le modèle subverti L'Italiana in Algieri de Rossini pour les exemples les plus célèbres.

Suite de la notule.

vendredi 30 avril 2010

Zampa ou la fiancée de marbre : comique mais ambitieux


Passionnés depuis longtemps, comme en témoignent ces pages, par Zampa, les lutins qui peuplent ces augustes lieux se sont enfin plongés, tout récemment, dans la partition.


Le final de l'acte II (dont nous allons tirer beaucoup d'exemples) dans son entier, afin de juger sur pièces.


Mais tout d'abord, qu'on se rappelle :

  • Structure de Zampa.
  • La place de la clarinette dans la partition et la parodie de Don Giovanni. (On en avait déjà observé une dans le Vampire de Marschner, voir à l'acte IIa.)
  • L'humour dans cette parodie.


Et, à la lecture, donc, on est frappé par maint détail. Non pas que l'oeuvre soit novatrice évidemment, mais elle témoigne d'un raffinement véritablement rare à cette époque, qui la rapproche grandement de l'esprit de Meyerbeer, son contemporain (1831 pour Zampa).

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1. Le livret

La gentille dérision du librettiste Mélesville sur ses personnages, bien sûr, en particulier le jeune premier (chose fréquente chez Scribe), qui a toujours quelque chose d'un peu maladroit, de presque gracieux par sa candeur malhabile. C'est ici difficile à justifier par le livret, c'est plus en sentiment diffus que pour Raoul qui se ridiculise devant la reine ou Jean de Leyde qui s'égare dans ses engagements politiques ; mais tout de même, le malheureux Alphonse qui se méprend sur l'amour qu'on lui porte et insiste comme un niais en acculant l'aimée à l'aveu bien franc, manière de compenser l'incapacité absolue de son amant à décrypter des allusions limpides - c'est assez amusant. Et dans un contexte qui n'est pas tragique comme dans Callirhoé (où Agénor semble aussi quelque peu enrhumé du cerveau), on en sourit gentiment ici, ainsi qu'en quelques autres occasions, surtout si les dialogues parlés favorisent un peu la bonne humeur.


Camille Roqueplan (1803-1855), Valentine et Raoul, représentation du duo de l'acte IV. Conservé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, mais je n'ai étrangement jamais pu le voir... Autant dire que ce chef-d'oeuvre n'est pas vraiment l'image de marque la plus prestigieuse qui puisse être.


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2. Rythmes, harmonies, orchestration

Et surtout la qualité d'écriture musicale. Hérold écrit une musique très modulante et expressive. Les carrures rythmiques régulières n'empêche pas d'oser, comme chez Mozart, des choses un peu décalées, du procurent du rebond ou du caractère aux différentes sections : un certain nombre de figures ne débutent pas sur le temps par exemple.
Et plus que tout, de pair avec l'évolution des sentiments, Hérold ménage sans cesse des modulations (c'est-à-dire des changements de tonalité de référence, donc de couleur), ce qui n'était pas utilisé à l'époque à ce rythme effréné. Cela explique la variété de ce que l'on entend, et qui ne lasse pas comme peuvent le faire d'autres oeuvres du même caractère, mais beaucoup plus linéaires (on en trouve chez Grétry, Spontini, Rossini, Cherubini notamment).

On allie ainsi le rythme virevoltant à la progression émotive, ce qui est très exaltant à l'arrivée.

En tout cela, on rejoint grandement le souci d'écriture de Meyerbeer. Le Pré aux clercs, le seul autre opéra de Hérold à peu près disponible (au moins en partitions, on en trouve facilement en occasion - parce que pour les disques, c'est franchement une autre histoire), dispose de qualités semblables et d'un soin tout particulier au climat des accompagnements à l'orchestration pourtant excessivement simple, mais n'a pas l'envergure musicale, il me semble, de l'écriture de Zampa (qui, précisément, est plus complexe dans ses figures d'accompagnement et plus soigné dans le choix des couleurs orchestrales).

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3. La bizarrerie de l'orgue

L'acte II se termine par une longue séquence d'orgue (une à deux minutes), seul, des accords ad libitum et sans mesure mais de plus en plus brefs, avec des couleurs harmoniques assez étonnantes, pas vraiment consonantes, vraiment menaçant comme peut l'être l'union d'une jeune amante forcée au mariage par le terrible corsaire. L'orchestre se contente de conclure très brièvement ensuite.

Ce passage solo constitue une rupture assez inacoutumée. Autant Verdi pourra trente ans plus tard lui faire débuter un acte dans La Force du Destin, autant lui faire conclure brutalement un acte, et avec ce degré d'instabilité dans le discours musical, c'est vraiment étonnant.



Cela entre de toute façon dans la logique d'une imbrication assez meyerbeerienne des différents "numéros" normalement bien isolés. La structure des morceaux canoniques (l'air de Zampa du début de l'acte II par exemple) est d'ailleurs assez fantaisiste, avec beaucoup de sous-parties et d'évolutions, sans nécessairement les habituelles reprises destinées à équilibrer le tout.

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4. La voix de Zampa

Enfin, l'écriture même du rôle-titre a quelque chose de très surprenant, que je ne crois pas avoir vu dans aucun autre opéra. Selon les moments, et au sein du même "numéro" si nécessaire, la portée peut être en clef de sol (pour ténor, donc jouée à l'octave inférieure) ou en clef de fa !


Où l'on voit que Zampa, dans cet opéra où les quatre rôles masculins importants sont tous ténors, peut tenir la ligne qui est harmoniquement la basse de l'accord. Tout cela pourrait pourtant être noté aisément en clef de sol. Pour les lignes les plus basses, Hérold prévoit qu'un choriste peut tenir dans certains ensembles réduits le rôle d'un Corsaire basse.



On peut même rencontrer ces changements de clef pour des airs, comme ici à la fin de l'acte I.


Le rôle lui-même est extrêmement exigeant, évoluant du sol grave (sol 1, la limite basse pour un baryton), au contre-ut (ut 4, la limite haute pour un ténor, à part formats vraiment léger), et un contre-ut qui doit être aisé, exécuté au fil d'une vocalise. On trouve même deux mesures contiguës où les deux notes extrêmes sont sollicitées !



A l'acte II.


Ce n'est donc pas un baryténor (le ténor grave de Licinius dans la Vestale, chantable par un baryton), mais bien un véritable ténor avec une extention grave hors du commun - beaucoup de moments expressifs se trouvent sous l'ut 2 (la limite basse pour un ténor est le si bémol 1, et l'ut 2 est déjà peu audible en règle générale).

Mais la démarche d'alterner les clefs est vraiment surprenante, signe d'une réflexion plus que superficielle sur la composition - c'est une initiative que les aligneurs de notes n'auraient pas forcément songer à appliquer.

Bref, ceux qui ont sifflé Richard Troxell lors des premières représentations de la production à l'Opéra-Comique, parce que son timbre était un peu métallique et pas celui d'un oiselet bellâtre (ce qui était, on l'aura compris, aussi absurde dramatiquement qu'impossible vu la typologie du rôle), ceux-là étaient non seulement des goujats, mais en plus des imbéciles.

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En somme, la lecture de la partition réservait encore quelques surprises très favorables sur le soin d'écriture de ce petit bijou. Il faudra bien un jour publier un disque de cela, tout de même. Lorsqu'on songe qu'on a quelques Adam pas tous prioritaires, tellement de Messager en doublon, et toujours pas un Hérold ! (Je ne vais même pas parler des intégrales des Sonates pour piano de Beethoven, ce serait déloyal.)

N.B. : Bien que nous disposions de plusieurs versions, pour des raisons pratiques tous les extraits sont tirés de la version Christie radiodiffusée lors de la première série (mars 2008) de représentations à l'Opéra-Comique, dont voici la distribution commentée. (Une seconde série, avec Jaël Azzaretti remplaçant Patricia Petibon et Noël Lee remplaçant Bernard Richter, a eu lieu au même endroit en décembre 2008, mais n'a pas été captée pour la radio.)
C'est en tout état de cause une version superlative, ce qui ne nous laisse pas trop de regrets sur ce choix dicté par la logistique.

jeudi 4 février 2010

Les badinages publics de CSS - Une histoire de l'opéra (rare) français


En projet pour les prochaines semaines, CSS concocte un programme de concert chargé de présenter, à travers des pièces majoritairement peu jouées (voire totalement inédites, même au microsillon), une histoire sommaire de l'opéra français. Du moins jusqu'à l'époque où l'orchestre devient tellement raffiné qu'il me faudra un accompagnateur (ou accompagner un chanteur, peu importe) : pour faire vite, à partir de Pelléas.

Voici une ébauche de programme possible dans lequel il faudra sélectionner quelques titres.

L'astérique indique une oeuvre (ou un passage) qui n'est plus disponible au disque. La double astérique indique une oeuvre (ou un passage) jamais enregistrée.


1. Liste

Suite de la notule.

vendredi 1 janvier 2010

L'apparition de la 'musique subjective'


On poursuit donc notre périple à peine débuté autour de ce thème.

Par musique subjective, on entend ici une musique liée à une action qui au lieu d'être écrite comme les personnages sont censés l'entendre, est écrite telle qu'ils la perçoivent. C'est un procédé qui apparaît bien avant le vingtième siècle, et même avant les romantiques. On se propose ici, extraits et au besoin partition en main, d'en observer les deux premières apparitions que nous ayons pu relever, dans deux chefs-d'oeuvre de la littérature musicale du dernier quart du XVIIIe siècle.

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1. Don Giovanni de Mozart (1787)

C'est en réalité le second exemple par ordre chronologique, on s'occupe du premier ensuite, qui est moins connu.

Suite de la notule.

lundi 23 novembre 2009

Point trop n'en faut - (L'Amant Jaloux)

On chante volontiers les louanges du Grétry sérieux par ici, puisqu'il le mérite, mais à la vue de la récente diffusion de l'Amant Jaloux, il faut bien redire que ses opéras-comiques ne sont assurément pas de la même trempe : de jolis couplets fades au milieu d'un texte terriblement banal - du moins jusqu'à l'affront, qui a l'originalité d'arriver tôt, et ce qui s'ensuit se montre plus attachant.
On débute avec un tuteur trompé et l'éloge de la galanterie des officiers français, le tout dans la plus grande platitude.

A part l'Ouverture, on peut passer son chemin, d'autant que la production Versailles / Favart ne semble pas particulièrement extraordinairement chantée (très correctement cependant, avec en particulier Magali Léger dans son incarnation la plus convaincante et du très beau ténorat). Oh, il y a bien quelques fulgurances comme ce flot de bois pour la petite morale à deux sur le veuvage, qui fait bellement écho à la cérémonie des noces à la fin de l'acte III des Nozze mozartiennes, mais elles sont furtives. Vraiment charmant, donc (comme le duo de dissertation sur amour et gloire), mais assez inoffensif ; il existe amplement aussi bien que cela dans le genre, y compris à cette date. C'est cependant supérieur à Zémire et Azor et bien sûr à Richard Coeur de Lion. Et une fois plongé dans l'atmosphère, on y prend un plaisir certain, mais disons que ce n'est pas tellement supérieur que ça à Fra Diavolo. Clairement l'ancêtre de l'opérette, disons : pour la musique, ce n'est pas vraiment ici qu'il faut chercher, ce n'est pas le propos - plutôt du théâtre léger familial.

On y reviendra peut-être cependant, parce que l'oeuvre progresse de façon vraiment réussie vers de jolis paroxysmes.

Bref, qu'on ne se méprenne pas sur notre propos très ciblé (des autres notules Grétry) : la tragédie lyrique tout entière réserve encore maint trésor, dont l'opéra-comique, à la vocation moins ambitieuse, sera sans doute plus avare. [Y compris Guillaume Tell, qui quoique sérieux, semble se traîner au vu des extraits récemments révélés par Les Nouveaux Caractères. Chimène ou le Cid d'Antonio Sacchini, quoique inégal, était de loin plus passionnant, avec un vrai relief dramatique. Pour en juger, rendez-vous sur le site Arte Liveweb où le concert est archivé pendant encore quelque temps.]

Pour la petite histoire, on a soudain dressé l'oreille devant un moment particulièrement saillant, avec un thème célèbre, lyrique, profond, touchant. Quoi ! du Grétry célèbre et consistant !

Suite de la notule.

jeudi 22 octobre 2009

Andromaque de... Grétry - (Niquet, TCE 2009) - III - Le livret : du néoclassique baroque


Voyons à présent le texte de plus près.

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3. Le livret (suite)

On l'a vu dans le précédent épisode, le livret est déjà fortement imprégné de Racine, ne serait-ce qu'eu égard au sujet et aux emprunts massifs de matière-première, c'est-à-dire de vers entiers introduits dans le poème de Pitra, ou plutôt servant de noyau à celui-ci. On dispose forcément d'une couleur approchante, par conséquent.

3.3. Racine en livret, quel résultat ?
3.3.1. Un aspect librettistique

Toutefois, la grammaire et le vocabulaire généraux se révèlent assez pauvres, et il ne s'agit pas d'épure racinienne, dont on se plaît à vanter l'économie de moyens ; il s'agit tout simplement de la tradition librettistique, plus schématique, avec des affects plus tranchés, des durées plus ramassées, des monologues plus fréquents, tout simplement pour servir la musique.

Précisons.
L'action plus simple (et de même pour la durée réduite) est liée à la vitesse de débit chanté, sensiblement plus lente : on ne pourra pas énoncer autant de vers.
Les affects francs servent à ne pas embarrasser le musicien de circonvolutions trop contraignantes, et surtout à ne pas égarer la compréhension du spectateur, car les surtitres, véritable révolution de palais, n'existent que depuis très peu de temps, et pas du tout à l'époque de Pitra & Grétry.
Les monologues ménagent des moments musicaux privilégiés, pour des formes fermées appelées airs, et qui sont la composante principale de façon écrasante dans l'opéra italien. L'opéra exploite peu, quantitativement parlant, les ensembles à plusieurs personnages, du moins au delà du duo et du trio. La période d'écriture de ce type (qui ne soit pas une suite ou de récitatifs ou d'airs) se limite en réalité à la musique italienne et française du XIXe siècle, si on veut faire vite... ! On a donc besoin de courts monologues au service du compositeur, pour que la musique puisse proposer tous les affects qu'on attend d'elle.


Frontispice de La Journée du 14 juillet 1789, tiré des Mémoires inédits de Louis-Guillaume Pitra, son texte le plus célèbre.



3.3.2. Spécificités

Plus précisément, le livret de Pitra utilise de grands aplats d'affects assez caractéristiques de la tragédie lyrique réformée de l'ère de Gluck ; on n'est plus dans les contradictions fines des livrets de Quinault (et c'est pour cela que l'emploi de Racine est étrange lorsqu'on bannit ce déchirement) ; on n'est plus non plus dans les petits détails kaléidoscopiques des mignardises qui se développent dans les ballets de la deuxième école (Omphale de Destouches en est le pire exemple) pour envahir toute la troisième école.

La langue, sans coquetterie, livre des concentrés d'émotions extrêmes dans toute leur violence, sans réelle contrepartie ou nuance. De la souffrance musclée plus que de la torture psychologique, d'une certaine façon.

De ce fait, le livret de Pitra, peut-être trop modeste en raison de sa grande intimidation devant le modèle profané, n'apparaît pas comme furieusement passionnant, sans être le moins du monde indigne cependant - on est loin de certains crimes d'Antoine Houdar de La Motte.

3.3.3. Et cependant... baroque ?

Il serait réducteur cependant de penser que la nouveauté extraordinaire de cette tragédie revient seule au mérite de Grétry. Car, pour un poème dramatique classique (à plus forte raison héritant de Racine), prévue pour une tragédie lyrique dont la musique est dans le style classique (contrairement à Lully, Destouches et Rameau qui sont considérés comme baroques), on y trouve certains traits assez discordants.

En effet, maint ensemble (les ensembles sont assez nombreux ici) fera penser, par sa grandiloquence un peu troublée, à une esthétique du mélange qui n'a pas cours chez les classiques.
De même, la fin sous forme d'Orestes Furens, comparable à la Fureur de Roland chez Quinault / Lully ou à la Fureur d'Alcide dans Omphale de La Motte / Destouches, un thème de l'égarement également présent chez Haendel et, sous forme parodique, dans Platée de Le Valois d'Orville & co [1] / Rameau, se rapproche fortement de la tradition baroque.

Oui, dans cette tragédie lyrique au sommet du mouvement classique littéraire et musical, et annonçant même, fortement, les innovations orchestrales de la musique romantique, on trouverait quelques accents qui subsistent de l'esprit baroque. A moins qu'il ne s'agisse d'une prémonition des mélanges romantiques - ce qui en revient au même en fin de compte. Et on pourrait effectivement, au vu de la modernité vraiment majeure de l'oeuvre, pencher pour cette seconde hypothèse - mais ce serait à cause de la musique de Grétry, alors que le poème lui-même ne manifeste nul rapport avec ce qui sera créé au siècle suivant.

3.3.4. Moments forts

Lire la suite.

Notes

[1] L'oeuvre est d'après la pièce de Jacques Autreau dont Rameau avait acheté les droits pour pouvoir en renforcer l'aspect comique ; Ballot de Sauvot a également participé à cette élaboration librettistique

Suite de la notule.

mercredi 21 octobre 2009

Andromaque de... Grétry - (Niquet, TCE 2009) - II - Le livret : la polémique Racine


Une fois exprimé nos attentes impatientes de la découverte de ce chaînon manquant dans la très pauvre documentation de cette Quatrième Ecole de tragédie lyrique, impatientes mais peu rassurées, penchons-nous un peu sur ce qu'est réellement l'oeuvre. En commençant par son poème dramatique.

3. Le livret
3.1. Racine recruté

Le livret se révèle extrêmement proche de Racine, dont il reprend tout de même 80 vers intégralement, ce qui est une première et une audace qui lui ont beaucoup été reprochées. Certes, l'abbé Pellegrin avait déjà employé des fragments de vers raciniens dans Hippolyte et Aricie mis en musique par Rameau, mais pas au point d'inclure si effrontément le grand aîné dans son travail.

Louis-Guillaume Pitra (1735-1818) s'en excuse platement dès son Avertissement des auteurs, d'une façon qui paraît extrêmement naturelle et convaincante au lecteur de notre époque - oui, c'est une dénaturation honteuse, qui ne prétend pas approcher l'original, mais plutôt lui faire hommage en s'inspirant de l'émotion qu'il peut causer, en le proposant à la mise en musique d'un compositeur reconnu.

Pour adapter cette tragédie de Racine à la scène lyrique, il a fallu sacrifier mille beautés que l'on a regrettées autant que le feront tous les gens de goût. On a senti plus que personne le ridicule, l'audace même d'une pareille entreprise ; mais l'on n'a eu d'autre prétention que de servir le génie d'un artiste dont les talents ont fait si souvent nos délices, et tout le monde sait que la marche d'un opéra nécessite les retranchements que l'on a été forcé de faire au poème de l'immortel Racine. On a conservé les vers de ce grand homme, autant que la coupe des scènes, la forme des airs et du récitatif l'ont permis. Il a fallu malheureusement mêler souvent d'autres vers avec les siens pour former la contexture de l'action. On espère que le public pardonnera cette espèce de sacrilège, en faveur du motif qui l'a fait faire.




Et précisément, comme le redoutaient les auteurs, on reprocha beaucoup à cet opéra de Grétry, lors de sa création à l'Académie Royale de Musique, le 6 juin 1780, son mélange des genres.

3.2. Le pourquoi du scandale

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mardi 20 octobre 2009

Andromaque de... Grétry - (Niquet, TCE 2009) - I - Grétry, les attentes et l'ouverture


Comme on l'indiquait déjà dimanche, la re-création de cette oeuvre était porteuse d'une révélation d'ampleur réellement inattendue.

--

1. Quelles attentes ?

Grétry semblait peu connu du public, y compris du public du Théâtre des Champs-Elysées. En discutant avec quelques représentants de ce qu'on considère comme la 'classe cultivée', je me suis aperçu également qu'en dehors des amateurs de cette période ou de ce genre, jusqu'à son nom et jusqu'à la fortune de Richard Coeur de Lion étaient mal connus.

On débute donc en deux mots une petite présentation pour les lecteurs de CSS, même si bon nombre doivent connaître le bonhomme, avant d'évoquer l'oeuvre elle-même.

1.1. Grétry

André Ernest Modeste Grétry (1741-1813) était un compositeur liégeois, venu à Paris chercher la gloire dès la fin de ses études, à la fin de l'année 1767 (après un bref séjour genevois en 1766-7). Fils de violoniste, sa vocation ne lui naît pourtant qu'à l'écoute des opéras bouffes italiens qui enchantaient alors l'Europe, y compris la France. Ce goût explique beaucoup de choses dans la parenté d'inclination qu'il manifeste avec l'évolution des préférences musicales à Paris.

Grâce à la Fondation Darchis (une institution liégeoise), il peut effectuer ses études musicales à Rome à partir de 1761.


Le fameux portrait par Elisabeth Louise Vigée-Le Brun.


Si Grétry, encore joué assez avant dans le XIXe siècle, et bénéficiant de quelques enregistrements (contrairement à Monsigny par exemple, dont l'oeuvre comique me paraît pourtant de plus grande valeur), a connu ce succès durable, c'est à ses opéras-comiques qu'il le doit.
En particulier, Richard Coeur de Lion sur le livret de Michel-Jean Sedaine, a connu une célébrité historique : le texte relate la recherche fructueuse de son maître par le trouvère Blondel, et le grand air héroïque de fidélité, le seul moment un peu vigoureux de la partition, était devenu sous la Révolution un signe de ralliement des royalistes, un étendard sonore.

Suite de la notule.

samedi 3 octobre 2009

[concert] Romances Louis XVI à l'Archipel : Isabelle Desrochers et Pierre Trocellier


Il aurait peut-être fallu prêter plus ample attention au titre, que les lutins avaient pu croire uniquement promotionnel :

Musique au temps de Marie-Antoinette

Car il ne s'agissait pas d'une simple coquetterie, mais bien du sens de tout le programme.




Suite de la notule.

vendredi 21 août 2009

Opéra ou opéra ?


Un petit billet orthographique, qui peut être utile.

Opéra avec ou sans majuscule ?

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1. Sans majuscule : opéra

Dans ce cas-là, l'opéra désigne une oeuvre. Un exemplaire du genre opéra. On parle aussi du genre opéra sans majuscule.

Exemple :

L'opéra Carmen est extrêmement populaire à Khodjent, mais on en attend toujours sa création en traduction à Qurghonteppa. L'opéra en général est un spectacle peu présent dans cette ville.


Qurghonteppa (plus volontiers appelée Kourgan-Tioubé en français), capitale de la province tadjike de Khatlon.


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2. Avec majuscule : Opéra

Plus intéressants sont les cas avec majuscule (parce qu'il s'agit alors de faire sens).

Suite de la notule.

David Le Marrec

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