mercredi 13 mars 2024
Yvain et les livrets
En revenant de l'opérette Gosse de riche (production Neyron / Frivolités Parisiennes / Athénée), je suis une fois de plus frappé de l'équilibre propres aux œuvres de Maurice Yvain. Contrairement à bien d'autres opérettes où la musique fait une grande part de l'intérêt, voire sauve une intrigue assez médiore, chez Yvain c'est au contraire souvent la qualité de la collaboration littéraire qui fait le sel – ou l'échec des œuvres. Dans Gosse de riche, je n'ai pas vraiment relevé de musique qui soit mieux qu'agréablement fonctionnelle – une petite bifurcation harmonique imprévue pour soutenir la description du Vidame de Kermadec (sur les paroles « rance, pas de dents, chauve depuis l'enfance »), avec une nuance de tendresse assez savoureuse – c'est à peu près tout ce que j'ai senti hors de l'ordinaire.
En revanche, encore mieux que Willemetz avait fait une proposition franchement originale pour Là-Haut (un retour de trépassé pour surveiller sa femme, rencontrant des anges gardiens assez fantasques), ici Jacques Bousquet & Henri Falk proposent un livret d'une qualité rare – intrigue touffue dans le goût des comédies bourgeoises de boulevard, assez lisible cependant pour se satisfaire du moindre nombre de mots disponibles dans une version chantées, airs égrenant des listes loufoques, mais aussi soin du beau langage (« il eût sonné »), richesse du vocabulaire (sur toute l'étendue du précieux à l'argot à la mode – « c'est bath »), et références particulièrement amusantes.
Wagner est régulièrement convoqué (murmures de la forêt, appels de Brangäne) – sans que rien n'en transparaisse dans la musique, ces clins d'œil adviennent pendant les dialogues –, et toute la littérature française défile dans la bouche des personnages, en un name-dropping incessant : Hugo, Baudelaire, Verlaine, Morand, Bazin… et jusqu'à des pastiches dans le texte même (au moins deux Verlaine, dont « voici des fruits, des fleurs » et un Guitry « que les hommes sont bêtes »).
Mais à rebours, lorsque la situation n'est pas aussi savoureuse, comme dans Chanson gitane avec le texte de Louis Poterat (qui m'avait paru, dans mon souvenir, d'un goût plus univoque, davantage « Francis Lopez »), il est plus difficile de se passionner pour l'œuvre que chez Lecocq (Le Petit-Duc), Messager (La Basoche, Coups de roulis, Véronique…), Roussel (Le Testament de la tante Caroline) ou Misraki (Normandie).
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Production
Il faut bien sûr redire tous les éloges sur le niveau et l'entrain des Frivolités Parisiennes (en joué-dirigé du premier violon pour cette série !), le savoir-faire de Pascal Neyron avec peu de décors et d'accessoires, et la qualité des chanteurs. Tout particulièrement Philippe Brocard, Charles Mesrine (un excellent ténor très sous-employé dans le circuit) et Lara Neumann – son talent vocal et scénique, explosif, et remarqué par tous production après production, rend inexplicable sa notoriété relative.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Opéra-comique (et opérette) a suscité :
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