jeudi 30 juin 2016
[Carnet d'écoutes n°97] – La Dame de Pique de Herheim & Jansons
Après en avoir lu les plus grands éloges, visionnage de la Dame de Pique de Tchaïkovski mise en scène par Herheim et dirigée par Jansons (avec le Concertgebouworkest). Un produit de très grand luxe, où se réunissent les meilleurs chanteurs du moment pour ces rôles (Aksenova-Ignatovich, Diadkova, Didyk, Markov), un des metteurs en scène les plus inventifs et copieux de la scène actuelle, et un chef-orfèvre, familier de l'orchestre. Après la réussite du très beau disque publié par la radio bavaroise et sensiblement les mêmes protagonistes (dans une discographie officielle qui compte très peu d'enregistrements pleinement convaincants, voire aucun depuis 60 ans), on attend beaucoup, et c'est peut-être pourquoi on n'est pas tout à fait comblé.
Ceux qui ont fait le déplacement semblent complètement transportés, et cela s'explique aisément. Moi, au visionnage de la retranmission par Arte Concert (toujours disponible), je ne suis pas complètement enivré.
¶ Scéniquement d'abord et surtout : Herheim se loge entre le Guth de Fierrabras (ou dans une moindre mesure ses propres Maîtres chanteurs), où l'on voit le créateur se mélanger à l'histoire qu'il crée (Felice Romani l'avait déjà magistralement prévu pour Il Turco in Italia… en 1814), et le Tcherniakov de Don Giovanni, avec la réorganisation des relations entre personnages (où les relations amoureuses se démultiplient, et de façon assez déviante). Rien de très neuf en vérité, et je trouve que ça ne fonctionne pas très bien : Tchaïkovski incarné sur scène qui s'asseoit pour faire semblant de jouer du piano dès qu'il y a des flonflons à l'orchestre, c'est assez peu instructif (voire un brin paresseux). Ses interventions sont dans l'ensemble assez prévisibles, aussi.
– Quelques belles images, comme le
luste-encensoir (pendant le chœur hors scène dans la chambre de Herman)
ou la procession funèbre de la Comtesse, assez saisissante, mais pas
beaucoup de sens à se mettre sous la dent, et un concept qui force
l'action à se restreindre, voire à privilégier le front de scène,
puisque le compositeur dirige en temps réel ses personnages… Sur un
drame aussi peu méta-, et
d'une telle force brute, ça ne prend pas réellement, en tout cas chez
moi et avec les cadrages télévisuels.
– Le concept n'est pas vraiment opérant, mais le détail non plus n'est pas soigné : ainsi la rencontre tout de suite tactile entre Lisa et Herman (ce qui démonétise les vingt minutes de suppliques qui suivent), ou bien l'ignorance de certains traits musicaux (la clarinette affolée de Lisa censée faire un mouvement de fuite, alors qu'elle marche très tranquillement ici, déconnectée de ce nous signifie pourtant le vrai Tchaïkovski).
– Le concept n'est pas vraiment opérant, mais le détail non plus n'est pas soigné : ainsi la rencontre tout de suite tactile entre Lisa et Herman (ce qui démonétise les vingt minutes de suppliques qui suivent), ou bien l'ignorance de certains traits musicaux (la clarinette affolée de Lisa censée faire un mouvement de fuite, alors qu'elle marche très tranquillement ici, déconnectée de ce nous signifie pourtant le vrai Tchaïkovski).
Le reste est (musicalement, donc), très bien, mais comme on m'avait promis une référence ultime, je suis assez frustré par quelques détails.
¶ Vocalement, Misha Didyk a été plus engagé (notamment dans le disque de la Radio Bavaroise, ou dans le Trouvère où il était si étrange), même s'il demeure complètement admirable. De même, Svetlana Aksenova(-Ignatovich), l'une des toutes meilleures sopranes russes en activité, extrêmement impressionnante et vivante dans la distance d'une salle, paraît, captée de près, d'un timbre peu séduisant, et légèrement raide scéniquement.
Clairement, ils sont desservis par l'illusion de proximité de la captation, qui déforme leurs vertus bien plus électriques en salle.
¶ Enfin Mariss Jansons est peu habitué des scènes d'opéra, et cela se sent : quantité de décalages là où on n'en entend pas d'habitude (les figures d'accompagnement de la ballade de Tomski ou de l'hymne à la nuit de Lisa partent dans le décor) et une tendance à mettre en difficulté les chanteurs par des tempi très lents qui ne tiennent pas compte de leurs aptitudes ou de leur confort – l'hymne à la nuit, justement, en plus d'être à mon avis en décalage avec sa logique propre, empêche Aksenova d'exprimer le texte, du fait des longues tenues très athlétiques dans le moment qui est déjà, en général, le moins réussi par les interprètes, très périlleux techniquement.
Ce devait être une expérience tout à fait palpitante en vrai, mais quand on ne dispose que de la retranmission, ce n'est pas tout à fait euphorisant. Autant écouter le disque munichois, qui résiste bien mieux (et même tout à fait bien !).
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Opéra russe - Intendance a suscité :
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