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samedi 21 novembre 2015

Réputations : Argerich, Lucerne, Nelsons


Grâce à une gracieuse invitation, j'ai pu m'y faufiler, et entendre pour la première fois en personne deux légendes et un chef très en vogue.

Je m'explique très bien la fascination pour Martha Argerich : le naturel incroyable avec lequel elle déroule chaque trait, la qualité permanente du timbre (toujours plein, même si dans une aussi grande salle, on perçoit avant tout la froideur du Steinway de concert). Il y a un parti pris de continuité (comme si chaque phrasé était lissé en un perpétuel glissando tendu vers la fin de l'œuvre !) qui frappe jusque dans le Scarlatti du bis, et qui ne m'avait jamais frappé à ce point, mais les phrasés révèlent toujours un soin musical très sûr – j'ai finalement trouvé ça plus typé qu'il ne m'avait paru jusqu'ici (où je la percevais davantage comme le meilleur choix de départ pour éviter les trop grands parti pris). Et m'explique assez bien la vénération qui l'entoure, vu l'énergie incroyable qui se dégage de son exécution – une énergie qui n'a rien à voir avec l'effort, bien au contraire.

Frappé par la sobriété de la gestique d'Andris Nelsons, très économe en gestes expressifs (essentiellement les entrées principales, parfois l'évolution des dynamiques) et d'une battue très claire. Étrangement, je trouve que son profil musical, peut-être au fil de sa carrière de chef symphonique, change beaucoup par rapport à ses débuts dans le monde des célébrités – en tant que chef d'opéra (et même au concert, à cette époque), il me paraissait privilégier l'élan de la ligne mélodique, ce qui fonctionne en général très bien pour la scène. Je suppose que les développements symphoniques l'ont incité à élargir son savoir-faire.

Enfin, l'Orchestre du Festival de Lucerne récolte un accueil chaleureux devant un public conquis d'avance. J'espère ne pas tomber dans la facilité d'une prédiction du passé, mais je remarque avant tout qu'il s'agit d'un orchestre de solistes – même si, à l'heure actuelle, les Capuçon, les Hagen (hors Clemens), Natalia Gutman ne participent plus aux sessions, la formation est toujours essentiellement constituée:
  • de membres du Mahler Chamber Orchestra et de l'Orchestre Mozart (deux créations d'Abbado, même si le premier a depuis passé par d'autres mains très différentes),
  • de premières chaises d'orchestres européens (Philharmonique de Berlin, Concertgebouw, Radio Bavaroise, DSO Berlin, Gewandhaus de Leipzig, SWR Baden-Baden, Staatskapelle Berlin, NDR de Hambourg, Santa Cecilia de Rome, Gürzenich, Tonhalle Zürich, Philharmonique des Pays-Bas, Chambre d'Europe, Radio de Sarrebrück, Konzerthaus, Deutsche Oper, Philharmonique de Munich, Jeunes Mahler, Royal Philharmonic, Philharmonique de Strasbourg, Mozart de Bologne, Nuremberg, Théâtre de Sarrebrück, Comunidad de Madrid, Bochum… et Boston),
  • de professeurs prestigieux,
  • et tout de même de quelques chambristes (membres du Leipziger Streichquartett, du quatuor Engegård) et solistes.
On se retrouve donc avec les chefs de pupitre suivants : Mahler / Leipzig (c'était Leipzig ce soir-là), Mozart-Bochum (R. Christ fait les deux), professeur Fribourg / professeur Detmold, professeur Berlin, Philharmonique Munich pour les cordes ; professeur (ancien Concertgebouw, Boston et Chambre d'Europe) Concertgebouw, Santa Cecilia, Tonhalle pour les bois ; Santa Cecilia, professeur Karlsruhe, Concergebouw, deux principaux opéras berlinois pour les cuivres ; Radio Bavaroise pour les timbales.

Rien d'étonnant, donc, à cette impression :
¶ niveau individuel exceptionnel, avec un grain très individualisé (sans sonner disparate) ; on a vraiment l'impression que des solistes (avec quasiment le son d'un concerto pour violon) s'assemblent, faisant fusionner des timbres individuels très denses et personnels ;
¶ résultat collectif de très haut niveau, mais qui n'atteint pas la discipline des plus grands orchestres – même le vibrato n'est pas toujours homogène au sein du même pupitre (ni le même type, ni la même quantité) ; ce qui est logique, il n'ont pas l'habitude de jouer ensemble comme les plus grands orchestres (dont le niveau individuel est déjà suffisamment superlatif).

C'est donc (inévitablement !) superbe, mais sans l'identité ni la vision collective des meilleures formations. Il faut dire (en plus de l'absence d'Abbado, fulgurant dans ses dernières années) que sa constitution a beaucoup changé au fil du temps : même en retransmission, l'ardeur des premières saisons n'était pas équivalente (mais qui peut jouer continûment à ce degré d'exception ?).

La longueur d'archet et l'intensité d'attaque des cordes est toujours assez révélatrice sur ces matières : Sebastian Breuninger (violon solo au Gewandhaus) donnait de tout l'archet avec un emportement hors du commun, tandis que dans le pupitre, d'autres jouaient avec une maîtrise plus composée. Cela ne peut sembler qu'une apparence, mais non, pour les cordes, le geste est très révélateur du son : un musicien qui joue tranquillement au fond de son siège, ça se voit et s'entend immédiatement – personne n'était dans ce cas, mais tous n'étaient pas au même niveau d'implication (on parcourait le spectre de l'implication réelle jusqu'à la transe, disons).

Je ne veux pas avoir l'air de mégoter, c'était superlatif, bien sûr – je relève simplement que par rapport à sa première période où il était peut-être, oui, le meilleur orchestre du monde, je ne le trouve pas supérieur aujourd'hui au LSO, au Concertgebouw, et même à la Radio de Munich ou à quelques orchestres français (ONF, OPRF, Capitole), justement parce que le son n'est pas très typé et que le geste collectif n'est pas comparable. Quoi qu'il en soit, une expérience impressionnante (ces hypersolistes dotés de leur son de concert jusque dans les derniers rangs !).

David Le Marrec

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